16/10/2016

Le Ministère et la continuité écologique: falsification à haut débit

Les fonctionnaires de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Environnement ont une capacité tout à fait étonnante à déformer la réalité et tromper les parlementaires, pour masquer l'ampleur et la nature des contestations que suscite la réforme de continuité écologique. Donc atténuer du même coup leur responsabilité dans ce marasme. Ils viennent d'en donner encore la preuve en rédigeant la réponse du Ministère à l'interpellation du sénateur Pellevat, qui s'alarmait à juste titre des dérives de la destruction du patrimoine hydraulique et de la gabegie d'argent public. Nous pointons dans cet article le gouffre qui existe entre le récit ministériel et la réalité. Le problème de cette falsification comme mode de rapport intellectuel à autrui et au réel, c'est évidemment qu'elle mine la crédibilité et l'autorité de la parole publique. A quoi bon avoir la moindre confiance dans les représentants d'une administration centrale pratiquant un tel déni? Où trouver la moindre envie de répondre désormais aux sollicitations administratives autrement que par l'indifférence ou le contentieux? Le Ministère devrait reconnaître simplement l'erreur d'avoir donné la prime à la destruction des seuils et barrages depuis 2009, poser le caractère exceptionnel de cette solution, redéfinir le niveau des gains écologiques attendus en justification des aménagements de continuité et développer une approche constructive pour valoriser la richesse que constitue le patrimoine hydraulique français. Il n'en est pas capable, car les mêmes personnes s'obstinent dans les mêmes erreurs. Il reviendra à l'initiative parlementaire de modifier la loi elle-même, pour corriger ces dérives et relancer le dialogue au bord des rivières. 




Voici la question écrite n° 21997 de Cyril Pellevat (Haute-Savoie - Les Républicains) publiée dans le JO Sénat du 02/06/2016 : M. Cyril Pellevat attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, sur la destruction des seuils de barrages. Il est évident que la directive européenne 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, qui oblige les États-membres à améliorer la qualité écologique des cours d'eau, est essentielle pour la survie de nos rivières et de nos fleuves. Cette surveillance accrue des États sur la qualité de leurs cours d'eau a permis bien des progrès depuis de nombreuses années. Cependant, l'interprétation qui est faite dans la loi du principe de « continuité écologique des cours d'eau » entraîne certaines dérives qui sont pénalisantes à différents niveaux : écologique, économique et patrimoniale. Les seuils des barrages qui sont vus le plus souvent comme de simples barrières au passage des poissons peuvent être souvent en réalité des zones de reproduction voire de survie en cas de sécheresse. Du point de vue économique, les coûts de destruction ou de rabaissement de certains moulins à eau sont parfois exorbitants par rapport à l'impact écologique réel. De plus, ces ouvrages d'art faisant partie de notre patrimoine, leur destruction serait désastreuse. Enfin, la destruction de ces seuils et plus largement des barrages empêche le développement des petites centrales hydrauliques qui sont économiquement viables et écologiquement moins destructrices que les grands barrages, elles permettent de fournir en électricité propre nombre de petits villages et leur développement serait intéressant.  Il souhaite donc connaître les mesures qui vont être prises pour permettre d'agir au cas par cas sur l'aménagement des rivières et d'éviter les dérives quant au classement des rivières au titre de la continuité écologique.

Ci-dessous, la réponse du Ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer (JO Sénat du 25/08/2016, 3607).

Notons que cette réponse n'aborde même pas la question de l'énergie posée par le sénateur. Et pour cause : depuis que la petite hydro-électricité est passée sous la responsabilité de la direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère, les hauts fonctionnaires n'ont eu de cesse de la décourager, et d'abord de nier son existence dans les états des lieux des SDAGE et dans le bilan UFE-Ministère 2013 (exclusion des puissances de moins de 100 kW, soit 90% des sites équipables). Leur message est répété sur le terrain, en particulier sur les bassins les plus engagés dans la continuité écologique: ne surtout pas inciter à l'équipement des petites puissances alors que le programme français consiste à effacer les seuils, de manière générale à diminuer leur débit et chute exploitables. Ségolène Royal a difficilement intégré 50 projets de restauration énergétique de moulins dans le récent appel à projets de 2015. Un geste surtout symbolique: cela représente le potentiel d'une seule rivière sur les milliers que compte le pays, et le cahier des charges est si lourd que les sites les plus nombreux en France (puissance de quelques dizaines de kW) n'ont pas de réelle capacité à y candidater (voir cette synthèse sur l'énergie des moulins).

Outre cette omission du volet énergétique, voilà les propos du Ministère et les commentaires qu'ils inspirent.

La continuité écologique des cours d'eau constitue l'un des objectifs fixés par la directive Cadre sur l'eau. Elle est indispensable à la circulation des espèces mais également des sédiments. 

Faux et incomplet. La directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) demande à tous les Etats-membres d'atteindre le bon état écologique et chimique des masses d'eau (superficielles et souterraines). La "continuité de la rivière" est simplement citée en annexe comme l'un des paramètres qui peut contribuer au bon état. Ce n'est pas un objectif en soi de la directive, qui ne comporte aucune mention de la nécessité d'aménager seuil ou barrage (la directive cible en toute priorité la pollution, domaine où la France accuse un grave retard). La France est au demeurant le seul Etat-membre à avoir engagé un programme massif en ce domaine de la continuité : les autres pays agissent aussi sur la morphologie, mais de manière pragmatique, modeste et progressive, sans rapport avec la brutalité et la précipitation de la planification française (exemple : données sur les Pays-Bas et le Royaume-Uni). Par ailleurs, le raisonnement du Ministère est vicié à la base : de nombreuses rivières de notre pays sont déjà en bon état écologique au sens de la DCE 2000 alors qu'elles ont sur leur cours des seuils ou des barrages, donc un lit fragmenté. Le Ministère induit systématiquement les parlementaires et les citoyens en erreur en laissant entendre que la continuité longitudinale est une condition sine qua non du bon état des indicateurs biologiques et chimiques de la DCE, ce qui est inexact. Quant au chiffre circulant parfois ("50% des rivières en mauvais état à cause de la morphologie"), c'est une assertion non scientifique, produite à dire d'expert (c'est-à-dire en bureau) lors des premiers états des lieux des bassins de 2004, à l'époque où il n'existait même pas de suivi en routine des mesures DCE de qualité biologique, physique et chimique de chaque masse d'eau. Cet état des lieux est reconnu comme erroné aujourd'hui, c'est lui qui avait poussé la France à l'engagement imprudent et irréaliste de 65% des masses d'eau en bon état 2015. Quant aux migrateurs et aux sédiments, les plus petits ouvrages formant la grande majorité des travaux observés au bord des rivières ne représentent que des obstacles partiels à leur circulation (voir plus loin). Si un impact plus important est localement avéré, personne n'est choqué à l'idée qu'un moulin doit ouvrir ses vannes aux périodes propices, voire être équipé d'un dispositif technique de franchissement. Mais ces solutions sont découragées depuis 2009 au profit de la destruction.

Ainsi, afin de pouvoir appréhender au mieux la situation actuelle, l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) a établi un inventaire des obstacles à l'écoulement de toutes sortes (barrages, buses, radiers de pont, etc.). Celui-ci recense plus de 80 000 obstacles. Parmi ceux-ci, un premier ordre de grandeur de 18 000 obstacles dont le nom contient le mot « moulin » peut être tiré. Moins de 6 000 d'entre eux se situent sur des cours d'eau où s'impose une obligation de restauration de la continuité écologique. 

Faux et fantaisiste. Il existait environ 100.000 moulins à la fin du XIXe siècle. Affirmer qu'il n'en resterait que 18.000 sur les rivières françaises en 2016 est inexact : ce décompte dénué de rigueur montre simplement avec quelle légèreté l'administration centrale gère cette question, dont elle affirme de manière contradictoire la soi-disant importance pour la qualité des cours d'eau. Dans ce cas, pourquoi être incapable de dénombrer les moulins en 2016 quand la loi de continuité date de 2006 et que les moulins sont gérés par l'administration depuis… la Révolution?  Le référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema est toujours incomplet et, n'ayant pas pour vocation première de recenser les moulins, il est mal renseigné à ce sujet dans ses métadonnées. Il suffirait au Ministère de compiler les données des DDT-M, qui gèrent les règlements d'eau au plan départemental, pour avoir déjà une quantification plus précise (mais encore très incomplète car les DDT-M ont peu d'informations sur les droits d'eau fondés en titre et non réglementés). Ce travail n'est pas fait et pour le masquer, le Ministère cite un chiffre bidon. A noter : si les chiffres du Ministère étaient corrects, cela signifierait que 30% du patrimoine des moulins français sont menacés, soit une proportion énorme. Il y aurait donc matière à s'alarmer et à faire cesser immédiatement cette politique d'une brutalité effarante.


Enfin, une partie d'entre eux sont de fait partiellement ou totalement détruits et d'autres sont déjà aménagés d'une passe-à-poissons ou correctement gérés et ne nécessitent pas d'aménagement supplémentaire. Ainsi, il apparait important d'indiquer que la politique de restauration de la continuité écologique ne vise pas la destruction de moulins. En effet, cette politique se fonde systématiquement sur une étude au cas par cas de toutes les solutions envisageables sur la base d'une analyse des différents enjeux concernés incluant l'usage qui est fait des ouvrages voire leur éventuelle dimension patrimoniale. Cette approche correspond à l'esprit des textes règlementaires sur le sujet, aucun n'ayant jamais prôné la destruction des seuils de moulins. 

Faux. Les textes du Ministère de l'Environnement ayant interprété la loi (circulaires d'application 2010 et 2013) comme les arbitrages de financement soutenus par les représentants de l'Etat au sein des Agences de l'eau sont ouvertement favorables à la destruction (arasement, dérasement) des ouvrages de moulin comme choix de première intention (voir ce texte). En 2010, au lancement du plan de restauration de la continuité, une haut fonctionnaire du Ministère appelait à casser 90% des ouvrages "sans usage" et à "encercler les récalcitrants" (voir cet texte). En 2016, la même représentante de l'Etat en charge de la question appelle sans discernement à la "suppression des retenues (voir ce texte).  Que le Ministère persiste dans cette duplicité et ces dénis infantiles indique un incroyable mépris du contrôle parlementaire de son action. Ces falsifications ne font qu'aviver la colère déjà forte sur le terrain chez tous les propriétaires et riverains. A de très rares exceptions près (dont il faut saluer le courage de la part de certains EPTB, par rapport au n'importe quoi ambiant), les maîtres d'ouvrage font tous la même expérience : aucun historien ni spécialiste n'est convié pour analyser le patrimoine molinologique du bassin versant ; la plupart des solutions proposées comportent des destructions partielles ou totales ; les solutions autres (passes à poissons, rivières de contournement) sont mal financées et représentent donc des charges exorbitantes de dizaines à centaines de milliers d'euros. Par exemple sur le basin de Seine-Normandie, l'Agence de l'eau explique aux propriétaires que s'il a été démontré que l'effacement est techniquement possible, il n'y aura aucune aide publique pour une autre solution (un exemple parmi tant d'autres Bessy-sur-Cure). C'est un chantage financier, et grossier : le Ministère en est parfaitement informé, mais il se garde bien d'en informer à son tour les parlementaires. Ainsi va la propagande administrative, occupée à poursuivre son propre objectif ayant considérablement dévié du texte de la loi sur l'eau de 2006 et de la loi de Grenelle de 2009.

Pour atteindre le bon état écologique et respecter les engagements de la France en matière de restauration des populations de poissons amphihalins vivant alternativement en eau douce et en eau salée, tels que le saumon, l'anguille ou l'alose, il est indispensable de mettre en œuvre des solutions de réduction des effets du cumul des ouvrages sur un même linéaire. 

Faux et trompeur. Nous avons déjà signalé l'absence de corrélation entre bon état écologique / chimique DCE et présence d'ouvrages. Concernant les poissons migrateurs, le Ministère dissimule tout un pan de la réalité : les plus modestes ouvrages (cibles prioritaires des destructions, contrairement aux grands barrages) ne sont pas à l'origine de la disparition des grands migrateurs ; sur un grand nombre de rivières ordinaires ne présentant pas de migrateurs amphihalins, on détruit des ouvrages pour simplement varier la densité de poissons communs (truites, lamproies de Planer, barbeaux, brochets, chabots…), voir ce texte sur de précédentes manipulations des parlementaires. Ces poissons ne sont pas tous des migrateurs et presqu'aucune espèce concernée n'est menacée d'extinction sur son bassin ; certaines espèces sont par ailleurs déversées massivement par des associations de pêche, ce qui rend absurde la prétention à restaurer une quelconque population "naturelle" (autre symptôme de la géométrie variable de la réforme : certains usages sont sur-contrôlés et sur-réprimés, d'autres font l'objet du plus grand laxisme de gestion ; on prétend "renaturer" en cassant des seuils tout en persistant à "dénaturer" par toutes les autres activités humaines).

C'est pourquoi, la politique de restauration de la continuité écologique des cours d'eau se fonde également sur la nécessité de supprimer certains ouvrages, particulièrement ceux qui sont inutiles et/ou abandonnés. Ce point ne concerne ni ne vise spécifiquement les seuils de moulins. Les moulins entretenus, utilisés ou ayant une dimension patrimoniale d'intérêt, ne sont en aucun cas mis en danger par la politique de restauration de la continuité écologique. 

Faux et contradictoire. Après avoir prétendu que nulle part l'effacement des ouvrages n'est promu, le Ministère reconnaît maintenant qu'il y a "nécessité" à supprimer des ouvrages. Le bidonnage est tellement gros qu'il n'a pas pu résister à 8 lignes de rédaction… L'argument que les ouvrages sont "inutiles" et que cela justifie leur effacement est particulièrement affligeant (voir cette idée reçue sur les ouvrages sans usage) : va-t-on supprimer des fontaines, lavoirs, puits, ponts, gués, douves, canaux et autres ouvrages hydrauliques sous prétexte que leur "utilité" première n'existe plus aujourd'hui? Le Ministère de l'Environnement est-il incapable de reconnaître que tous les moulins participent à l'histoire, au patrimoine et au paysage des rivières françaises, donc que la mobilisation d'argent public pour leur destruction ne doit être engagée que de manière exceptionnelle, pour un motif grave et sérieux d'environnement et de sécurité, et non comme la solution de première intention aujourd'hui promue, pour des résultats sans réelle priorité écologique ? Les hauts fonctionnaires de la direction de l'eau veulent-ils venir en Bourgogne, où nous leur ferons visiter des moulins bien restaurés et entretenus, mais où l'Agence de l'eau a refusé les subventions si le propriétaire ne voulait pas araser, déraser ou échancrer son seuil ? A moins que cette confrontation à la réalité ne provoque un choc psychologique fatal à ceux qui sont enfermés dans les bureaux de Nanterre, et qui tolèrent tout au mieux quelques "retours d'expérience" soigneusement sélectionnés et enjolivés, où l'on fait parler des élus locaux ravis d'avoir touché des millions d'euros de subvention, arbre qui cache la forêt des dossiers bâclés sans aucun projet de territoire et des innombrables riverains considérant que les gains écologiques, s'ils existent, ne sont pas proportionnés aux choix opérés.

Compte tenu des nombreuses réactions, notamment des fédérations de propriétaires de moulins et d'élus, dues surtout à des incompréhensions de cette politique, une instruction a été donnée le 9 décembre 2015 aux préfets afin qu'ils ne concentrent pas leurs efforts sur ces ouvrages chargés de cette dimension patrimoniale. Cette instruction les invite également à prendre des initiatives pédagogiques à partir des multiples situations de rétablissement de la continuité réalisées à la satisfaction de tous, y compris sur les moulins. 

Faux et trompeur. L'instruction de Ségolène Royal n'est nullement suivie d'effet sur le terrain, le Ministère ordonne à son administration déconcentrée de poursuivre le rapport de force et la destruction des ouvrages. Exemple concret dans l'Yonne en cet automne 2016 : des destructions de 3 ouvrages ayant reçu des avis négatifs en enquête publique pour manque d'intérêt général et manque d'intérêt écologique, et dont les arrêtés les autorisant sont en requête contentieuse en annulation, sont engagées malgré tout. Le cas n'est pas une exception, le même choix a été fait ailleurs (exemple sur l'Orge), les destructions ont continuée à l'étiage 2016 comme aux précédents (voir la montée de la contestation). Par ailleurs, il n'y a aucun problème de "pédagogie", le monde des moulins est au contraire de mieux en mieux informé des travaux scientifiques sur l'écologie des milieux aquatiques. Ces travaux concluent de manière très différente de l'idéologie défendue par le Ministère : les premières pressions sur les rivières sont les usages des sols du bassin versant ; la densité de seuil et barrage n'a qu'un impact faible sur les poissons (de l'ordre de 10% de la variance de bio-indicateur de qualité) ; la biodiversité à échelle spatiale du tronçon ou du linéaire entier peut être augmentée, et non diminuée, par la présence de retenues et de leurs habitats spécifiques ; les petits ouvrages de l'hydraulique ancienne ne sont pas à l'origine de la disparition ou de la raréfaction des migrateurs comme l'anguille ou le saumon. Un des plus grands spécialistes français de la biodiversité des milieux aquatiques, Christian Lévêque, a reconnu que la réforme de continuité écologique était un peu trop "dogmatique" et parfois justifiée par des concepts n'étant "pas réellement scientifiques" (voir ce texte). On trouve sur ce site plus de 60 recensions de vrais articles de recherche (pas des rapports d'administration ou de bureaux d'études), travaux pour la plupart parus depuis 2010, qui relativisent considérablement l'impact soi-disant très négatif des ouvrages et des retenues.

Nous n'avons donc pas besoin de pédagogie, mais de vérité. Le Ministère nous en prive depuis 10 ans sur le dossier de la continuité écologique, car il refuse d'admettre que cette réforme a été portée sans concertation sérieuse avec les acteurs et sans diagnostic scientifique préalable pour établir les bonnes priorités (voir ce texte sur le besoin d'une vraie approche écologique de la rivière). Nous demandons en conséquence aux parlementaires de continuer à saisir la Ministre pour dénoncer les falsifications et les dérives de ses services. Mais aussi de faire évoluer la loi sur l'eau pour parer à la malheureuse incapacité de cette administration à corriger ses propres erreurs. L'autorité de l'Etat dans le domaine de l'eau et la gestion constructive des rivières se trouvent considérablement affectées par ces attitudes indignes de l'impartialité et de l'objectivité attendues par les citoyens.

Illustrations : destruction de l'ouvrage des services techniques de Tonnerre (photos Alain Guillon), montrant que les instructions de Ségolène Royal sur la nécessité d'arrêter la casse des ouvrages présentant des "incompréhensions" durables est sans effet. Partout en France, la machine à détruire continue sur sa lancée.

14/10/2016

Scandaleuse destruction des ouvrages de l'Armançon alors que les arrêtés font l'objet d'un recours


Le Syndicat de l'Armançon (SMBVA ex Sirtava) a déclenché la destruction des seuils de Tonnerre et de Perrigny-sur-Armançon. Le jeudi 13 octobre 2016, dès 7 h du matin pour éviter toute opposition locale, un premier ouvrage de Tonnerre a commencé à être détruit.

Le Syndicat de l'Armançon a agi alors même que l'avis d'arrêté préfectoral autorisant cette destruction n'était paru dans la presse que la veille, que l'association Hydrauxois avait exercé un premier recours grâcieux (sans aucune réponse de l'administration) contre l'avis du Coderst et qu'elle avait clairement signalé en réunion publique, devant les employés du syndicat, son intention de demander au juge une annulation de l'arrêté quand il serait publié.

En guise de réponse, les casseurs honteux agissent donc à l'aube, dans la précipitation et la dissimulation. Ils agissent surtout dans le déni démocratique le plus total puisque :

  • la Ministre de l'Environnement a demandé aux préfets dès décembre 2015 de cesser les effacements problématiques d'ouvrages hydrauliques et s'est engagée auprès des parlementaires à arrêter la destruction des moulins;
  • l'enquête publique s'est conclue par un avis défavorable en raison du manque d'intérêt général et du manque d'intérêt écologique du projet du Syndicat, qui dilapide malgré tout l'argent public.

L'association Hydrauxois :

  • a signifié ce jour à la Préfecture de l'Yonne une requête en annulation des arrêtés préfectoraux autorisant les effacements de Tonnerre et de Perrigny-sur-Armançon;
  • demande à la DDT de l'Yonne et au Syndicat de l'Armançon de stopper immédiatement les chantiers (ne présentant absolument aucun caractère d'urgence) sur les deux ouvrages encore en place et d'avoir la décence élémentaire d'attendre l'avis du juge;
  • constate que l'avis défavorable du commissaire enquêteur est resté sans effet, manifestation supplémentaire du scandale démocratique entourant la réforme de continuité écologique, puisque l'enquête publique est le seul moment où les citoyens peuvent réellement et directement s'exprimer;
  • accuse les dirigeants du Syndicat de l'Armançon de mener une politique systématique de prime à la destruction des ouvrages, de ne faire aucun effort sérieux d'assistance sur les seuils et barrages (majoritaires) dont ils savent que les propriétaires ne veulent pas la disparition, de mépriser l'avis des nombreux riverains exprimant leur attachement aux retenues;
  • demandera au cours des prochains mois aux élus siégeant à ce syndicat de porter une motion de défiance contre cette politique absurde et d'engager une stratégie d'aménagement des ouvrages hydrauliques respectueuse des réels enjeux du bassin et des vraies préoccupations de ses riverains;
  • appelle tous les propriétaires d'ouvrages et tous les riverains de leurs retenues à la rejoindre, afin d'amplifier notre combat unitaire et solidaire contre la casse des ouvrages, pour des solutions concertées d'aménagements non destructeurs.

Depuis quatre ans déjà, la DDT, l'Agence de l'eau Seine-Normandie et le Syndicat de l'Armançon exercent un chantage réglementaire, financier et psychologique sur les maîtres d'ouvrage en vue de les pousser à choisir l'effacement des seuils, seule solution correctement financée et pleinement encouragée à ce jour. Cette folle destruction du paysage, du patrimoine et du potentiel énergétique de nos rivières n'apporte aucune garantie de résultats écologiques significatifs sur l'Armançon, et tout laisse à penser qu'elle aura au contraire des effets négatifs pour l'environnement et le cadre de vie.

Chaque ouvrage que l'on détruit est un héritage qui disparaît à jamais. Au nom de quel pouvoir exorbitant quelques apprentis sorciers amnésiques jouent-ils ainsi avec l'histoire et l'avenir de nos rivières, obéissant à des modes intellectuelles éphémères qui auront reflué demain comme ont déjà reflué celles d'hier? L'attitude de l'administration et du gestionnaire est inadmissible. Elle doit être combattue aussi longtemps que durera le ballet macabre des pelleteuses en rivière, par tous les citoyens soucieux de défendre sans les opposer le patrimoine naturel et le patrimoine culturel de nos territoires.

A lire en complément :
Tonnerre et Perrigny-sur-Armançon: destruction d'ouvrages malgré l'avis défavorable de l'enquête publique
Avis négatif sur les effacements des ouvrages de Tonnerre, demande au préfet de surseoir
Avis négatif sur l'effacement de l'ouvrage de Perrigny-sur-Armançon, demande au préfet de surseoir

12/10/2016

Pourquoi tout chantier doit faire l'objet d'une autorisation et d'une enquête publique s'il modifie plus de 100 m de rivière

Notre requête en interruption immédiate du chantier non réglementaire de Belleydoux sur la Semine fait la une de l'édition locale du Dauphiné ce matin. Le débat démocratique avec les riverains et usagers, que certains voulaient empêcher au nom de procédures discrétionnaires, aura lieu malgré tout. Et notre association va y participer à Giron, mais aussi sur l'ensemble des sites voués à la destruction par le PNR Haut Jura et Rivières Sauvages. Nous revenons dans cet article sur cette fameuse règle des 100 mètres linéaires, en montrant que le Ministère de l'Environnement et le Conseil d'Etat ont déjà considéré qu'elle s'applique à tout chantier, indépendamment de sa motivation première. Mais surtout, le sens élémentaire de la justice l'exige : le bouleversement d'une rivière en son équilibre et ses usages actuels ne peut pas être facilité pour les uns et compliqué pour les autres, sauf à ébranler la légitimité même de l'Etat, dont l'administration se comporterait alors comme un organe clanique au service et à l'écoute d'une partie seulement des citoyens. Les éléments ci-dessous peuvent être librement repris par les associations ou riverains pour faire valoir leur droit à une enquête publique sur les chantiers liés à la continuité écologique ou à l'abrogation des droits d'eau.


1. Rappel du régime général des installations, ouvrages, travaux, activités (IOTA) en rivières (article R 214-1 Code de l'environnement)

Dans le cadre de la réforme progressive du droit de l'environnement, une nomenclature à visée "universelle" des travaux en rivière a été développée à partir de 1993. Son objectif est simple à comprendre : pour garantir le respect des milieux et pour assurer à chaque propriétaire, exploitant ou gestionnaire une prédictibilité du contrôle administratif, tout chantier mené en berge ou en lit mineur fait l'objet de prescriptions de procédure.

C'est le régime installations, ouvrages, travaux, activités (IOTA). Il est défini par un article de la partie réglementaire du Code de l'environnement, l'art. R 214-1 CE.

Il faut ajouter que si ces mesures IOTA ont pour but premier de protéger les milieux, elles permettent également de prendre en compte les droits des tiers, en particulier des tiers riverains.

Le point qui oppose notre association à l'administration de l'Ain (et à d'autres avant elle) concerne le titre III de cet article, "impacts sur le milieu aquatique ou sur la sécurité publique".

Ce titre prévoit notamment les dispositions suivantes :
3.1.2.0. Installations, ouvrages, travaux ou activités conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau, à l'exclusion de ceux visés à la rubrique 3.1.4.0, ou conduisant à la dérivation d'un cours d'eau :  1° Sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m (A) ; 2° Sur une longueur de cours d'eau inférieure à 100 m (D). Le lit mineur d'un cours d'eau est l'espace recouvert par les eaux coulant à pleins bords avant débordement.
3.1.5.0. Installations, ouvrages, travaux ou activités, dans le lit mineur d'un cours d'eau, étant de nature à détruire les frayères, les zones de croissance ou les zones d'alimentation de la faune piscicole, des crustacés et des batraciens, ou dans le lit majeur d'un cours d'eau, étant de nature à détruire les frayères de brochet :
1° Destruction de plus de 200 m2 de frayères (A) ; 2° Dans les autres cas (D).
La différence entre une simple déclaration (D) et une autorisation (A) tient à l'importance du chantier. Elle va impliquer une procédure plus lourde en cas d'autorisation (étude d'incidence, enquête publique, cf art. R 214-6 CE). C'est assez logique : un propriétaire ou un gestionnaire peut difficilement modifier une zone importante de la rivière sans garantir à la société les bonnes pratiques de son chantier. Les seuils fixés par le Code sont 100 m de profil en long ou en travers, et 200 m2 de frayères (sans qu'il soit précisé les espèces en fraie).

2. Pourquoi les chantiers d'effacement d'ouvrages hydrauliques doivent respecter le régime IOTA
L'effacement d'un ouvrage hydraulique est une opération lourde, qui fait intervenir des engins mécaniques en berge et généralement sur le lit mineur. Par ailleurs, cette opération modifie l'équilibre en place de la rivière. Parfois, les ouvrages sont de création récente. Le plus souvent, ce sont des ouvrages présents depuis plusieurs siècles autour desquels le vivant (comme la société) s'est ré-organisé.

L'effacement des ouvrages, en vertu de ses objectifs affichés, a des effets sur le site : il modifie le transit des sédiments, la nature des substrats, le régime local des crues et étiages, la hauteur, largeur et vitesse de l'écoulement, les échanges avec la nappe. Outre le lit mineur et sa berge, l'effacement tend également à modifier le régime d'annexes hydrauliques (biefs, canaux) qui hébergent aussi des espèces. Enfin, des sédiments de la retenue sont remobilisés, et ils peuvent être pollués (outre l'impact de colmatage sur les frayères aval).

Il ne fait donc aucun doute qu'il existe un "impact sur les milieux aquatiques", objet du régime IOTA, titre III de l'article R214-1 CE. Bien sûr, l'objectif du chantier est présumé être favorable aux milieux. Mais cette "bonne intention" n'est pas une preuve de qualité, de bien-fondé et de succès du chantier. Elle n'est pas non plus une garantie de l'absence d'effets secondaires mal anticipés faute d'une préparation sérieuse. Le régime d'autorisation et d'enquête publique vise à contenir ces risques.

Il existe également un enjeu sur la "sécurité publique", deuxième objet du titre III de l'article R214-1 CE. En effet, un ouvrage hydraulique modifie le régime de l'érosion. Pour un très petit ouvrage, cela ne prête pas forcément à conséquence (encore que certains protègent spécifiquement des piles de pont, par exemple). Pour un ouvrage plus important, cela peut entraîner des déstabilisations de bâtis ou de berges. Il faut donc que l'étude d'incidence apporte aux tiers dans l'influence du remous liquide et solide de la retenue la garantie d'une absence de risques.

Enfin, il faut ajouter que l'intervention sur les ouvrages hydrauliques a très souvent des enjeux connexes d'usage qui justifient une attention particulière, et légitiment le recours à une enquête publique :
  • proximité de sites classés ou inscrits aux monuments historiques ou signalés comme patrimoine remarquable des documents d'urbanisme;
  • développement d'usages autour de la retenue ou de la chute (pêche, canyoning, réserve incendie, baignade, pompage ou AEP à l'amont, etc.).

3. Ce que le Ministère de l'Environnement a répondu aux députés et sénateurs en septembre 2016
La plupart des chantiers d'effacement d'ouvrage un peu important font l'objet d'une autorisation et donc d'une enquête publique. Mais pas tous. Certains gestionnaires se plaignent du régime IOTA, à leurs yeux trop lourds quand il s'agit de faire des chantiers de destruction de seuils et de digues, ou de restauration morphologique (voir par exemple cet échange sur un forum sur le bassin Rhône-Alpes).

Il se trouve qu'un député (Jacques Cresta) et un sénateur (Gilbert Bouchet) ont questionné le Ministère de l'Environnement à ce sujet. Voici la réponse, en septembre 2016.
"La restauration de la continuité écologique des cours d'eau est un axe important pour l'atteinte du bon état des eaux préconisé par la Directive cadre sur l'eau de 2000. Sa mise en œuvre, tout comme l'importance du rôle des collectivités territoriales dans sa mise en place ne peut être négligée. Les travaux effectués sur un cours d'eau, qu'ils soient de renaturation ou d'artificialisation peuvent avoir un impact plus ou moins significatif sur celui-ci ou sur les terrains riverains et usages associés. Il est donc justifié que les travaux de restaurations morphologiques des cours d'eau soient soumis à des procédures d'autorisation ou déclaration au titre de la loi sur l'eau. Les rubriques de la loi sur l'eau ont plutôt été créées en principe pour gérer les travaux d'artificialisation. Il pourrait être considéré que certaines opérations de restaurations morphologiques relèvent plus de la remise en état qui pourrait bénéficier d'une procédure adaptée. Toutefois, pour le moment cette question n'a pas de solution clairement établie. Elle pourrait s'inscrire dans les réflexions menées sur les réformes de simplification du droit de l'environnement dans le cadre des états généraux pour la modernisation du droit de l'environnement (EGMDE)."
Donc clairement (et pour une fois logiquement), le Ministère souligne que la motivation d'un chantier (renaturation ou artificialisation) ne permet pas de s'affranchir des obligations liées à son impact immédiat par rapport aux milieux, aux propriétés ou aux usages.

4. Ce que le Conseil d'Etat a posé en 2012 (CE n°345165, 14 novembre 2012)
Certains avancent que les règles découlant de l'article L 214-17 CE et suivant (sur la continuité écologique) ne sont pas les mêmes que celles découlant de l'article L 214-1 CE et suivants (sur le régime d'autorisation des ouvrages, de modification ou d'abrogation de cette autorisation).

Notons d'abord que cette interprétation ad hoc n'a pas de sens par rapport à la protection des milieux et des droits des tiers, qui est la finalité de l'autorisation et de l'enquête publique : ce n'est pas le motif du chantier qui compte, mais sa nature et son effet. Et, comme le Ministère l'a retenu dans sa réponse aux parlementaires, cette interprétation n'a pas de fondement pour le moment, aucune "procédure adaptée" permettant d'échapper au régime IOTA n'étant spécifiée dans le Code de l'environnement.

Il se trouve que dans le cadre d'un contentieux de la FFAM contre la circulaire de 2010 sur le Plan de restauration de continuité écologique, le Conseil d'Etat a traité la question dans un de ses considérants. Les hauts magistrats ont en effet noté :
"Considérant qu'il résulte des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement que les travaux réalisés à des fins non domestiques entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts, directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, sont soumis à autorisation ou à déclaration ; que la circulaire décrit dans la fiche n° 2 de son annexe II la procédure à suivre pour démanteler les ouvrages dont la présence et l'usage sont définitivement remis en cause et pour remettre en état les cours d'eau ; que, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, il résulte des dispositions de cette fiche que ces travaux devront être exécutés conformément aux dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement, selon la procédure d'autorisation ou de déclaration et non dans le cadre de la procédure simplifiée par modification d'autorisation, le cas échéant avec fixation de prescriptions complémentaires telle qu'organisée par l'article R. 21 4-18 du même code ; que la requérante n'est donc pas fondée à soutenir que la circulaire attaquée aurait méconnu les articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement"
Le Conseil d'Etat a donc rappelé que des autorisations, modifications ou abrogations d'autorisation impliquent des travaux qui devront se faire "selon la procédure d'autorisation ou de déclaration et non dans le cadre de la procédure simplifiée par modification d'autorisation".

5. Ce que l'aspiration élémentaire à la justice commande
L'Etat démocratique existe pour protéger les citoyens face à l'arbitraire et à l'injustice, c'est une de ses fonctions régaliennes les plus ancestrales et les plus essentielles. Si, au nom d'on ne sait quelle idéologie de la nature placée au-dessus du débat et de la critique, ou au nom d'une boursouflure réglementaire rendant le droit illisible aux citoyens et changeant les règles à chaque cas particulier, l'Etat commence à propager cet arbitraire et cette injustice, il perd toute légitimité.

Il est finalement regrettable, et détestable, que l'on soit obligé de chercher des argumentations aussi complexes pour poser des choses aussi simples : quand une règle existe, tout le monde la respecte. Une règle dit que si l'on modifie 100 ml ou davantage du profil en long ou en travers d'une rivière, on doit avoir une autorisation et soumettre son projet à l'enquête publique. Cette règle vaut pour les hydro-électriciens, les propriétaires de moulin, les gestionnaires d'étang, les fédérations ou associations de pêche, les syndicats et EPTB, les parc naturels régionaux, et tout le monde, y compris l'administration quand elle commande par ses décisions une obligation de chantier en rivière.

Des centaines de travaux d'effacement d'ouvrages ont respecté cette obligation, on ne voit pas au nom de quel régime d'exception d'autres voudraient s'en abstenir. Il est incroyable que, face à l'opposition de plus en plus claire des citoyens à la destruction de leur cadre de vie au nom de la continuité écologique, certains en soient à imaginer que l'on pourrait créer un régime spécial ou une procédure adaptée permettant d'éviter l'enquête publique et donc la libre critique des citoyens !

Nous avons récemment rappelé, en le déplorant, que l'opposition à la casse des ouvrages suscite des conflits de plus en plus forts, et parfois même des violences. L'administration doit cesser de pousser ainsi les gens au désespoir et à la colère en persistant dans le déni démocratique qui entoure cette réforme depuis le PARCE 2009. Et les parlementaires doivent saisir le gouvernement de cette dérive que rien ne semble contenir, notamment pas les appels répétés à cesser la casse du patrimoine par la Ministre de l'Environnement.

09/10/2016

Semine: petits effacements (non autorisés) entre amis des rivières sauvages

Sur la Semine, au vieux moulin de Belleydoux, le Parc naturel régional du Haut Jura, le lobby Rivières sauvages et l'administration ont engagé la destruction de l'ouvrage hydraulique du village. Problème: le chantier va modifier 400 m de profil en long de la rivière, sans qu'aucune autorisation n'ait été accordée. Saisie par les riverains, Hydrauxois demande au Préfet de stopper immédiatement ce chantier non réglementaire et d'organiser l'enquête publique permettant à tout le monde de s'exprimer sur cette casse inutile du patrimoine local. 

Nous avions déjà fait connaissance de Rivières sauvages, un label publicitaire qui a parrainé le dynamitage d'un seuil ancien sur la Valserine. Nous avions aussi signalé avec inquiétude les vues du lobby dans l'Ain, où le Parc naturel régional du Haut Jura a accepté de sacrifier des bassins pilotes à ce grand progrès que représente la "sauvagerie" des rivières restaurées à la pelleteuse ou à la dynamite.



Des riverains et usagers ont saisi notre association à propos d'un projet de destruction systématique des ouvrages de la Semine, affluent de la Valserine. Un  premier chantier est en cours visant à l'effacement du seuil de Belleydoux, commune de Giron. Mais ce chantier n'est pas réglementaire. Le PNR du Haut Jura a en effet produit des documents montrant que 400 mètres linéaires de rivière verront le profil en long et en travers modifiés par les opérations (cf ci-dessous). Or, un chantier d'une telle ampleur relève d'une autorisation avec enquête publique, et non d'une simple déclaration. Le Préfet a donc été saisi ainsi que le greffe du tribunal administratif et les trois parlementaires de l'Ain signataires de l'appel à moratoire sur les effacements d'ouvrages.



Il est regrettable que certains représentants de l'administration et des gestionnaires de l'eau, persuadés que leur adhésion au dogme de la continuité écologique les place nécessairement dans le camp de la vertu, prétendent s'affranchir des lourdes formalités "loi sur l'eau" exigées à tous les maîtres d'ouvrages dès lors qu'ils interviennent sur le lit et les berges pour des travaux autres que l'entretien courant. Et il est lamentable que la continuité écologique se déploie ainsi au mépris de la concertation démocratique, avec des solutions toutes faites préparées à l'avance par un cercle fermé de décideurs coupés des riverains.

Signalez-nous tout effacement sans enquête publique:
nous vous aiderons à faire respecter le droit

Nous rappelons à tous nos lecteurs cette règle essentielle : dès qu'un chantier d'effacement modifie l'écoulement (hauteur, largeur) sur plus de 100 m, ce qui est le cas général en dehors des très petits ouvrages, il entre dans le champ de l'autorisation et non de la simple déclaration (article R 214-1 CE, réglant le régime des installations ouvrages, travaux et activités en rivière ou zone humide). A la différence de la simple déclaration, l'autorisation engage notamment une enquête publique permettant aux riverains et associations d'exprimer leurs objections au projet. Il ne faut donc plus laisser passer un seul chantier de destruction ignorant ces règles. L'association Hydrauxois ayant désormais une capacité juridique à agir au niveau national, nous pouvons vous aider à saisir l'autorité administrative pourvu que vous nous fassiez parvenir les éléments du dossier (arrêté, étude préparatoire, etc.).

Illustration : le journal Le Progrès rapporte les contestations des riverains placés devant le fait accompli de la décision de destruction.

07/10/2016

Les petites centrales hydro-électriques ont un effet quasi-nul sur les populations piscicoles (Bilotta et al 2016)

Equiper les seuils et barrages déjà existants de petites centrales hydro-électriques au fil de l'eau a-t-il des effets négatifs sur les poissons? Une équipe anglo-canadienne de chercheurs (universités de Brighton et de Toronto, Agence environnementale du Royaume-Uni) s'est penché sur la question. Les scientifiques n'observent aucun effet sur 5 des 6 marqueurs de population piscicole (dont saumons et truites), et un effet négligeable pour le dernier. Leurs travaux, forcément préliminaires dans un domaine encore peu étudié, soulignent aussi des points dérangeants: la rareté des études sur les petits ouvrages, a fortiori les petites centrales hydro-électriques, le manque de rigueur méthodologique de beaucoup d'analyses en écologie aquatique. En ce domaine, la France s'est hélas dotée d'une politique désastreuse de découragement de l'équipement énergétique et d'incitation à l'effacement des petits ouvrages hydrauliques, politique fondée sur les convictions idéologiques davantage que sur des études scientifiques de qualité. Il faut corriger le tir. 

Les auteurs rappellent en introduction les faibles émissions de CO2 par kWh produit pour les petites centrales hydro-électriques (PCH) au fil de l'eau : 4 grammes équivalent CO2 (g eqCO2) au kWh contre 1001 g CO2eq / WHh pour le charbon, 469 pour le gaz, 46 pour le solaire, 16 pour le nucléaire et 12 pour l'éolien. Ce bilan carbone positif, associé à un faible impact sur les autres usages des rivières et bassins dans le cas des centrales de taille modeste, incite les décideurs à voir dans la petite hydro-électricité un élément légitime de la lutte contre le changement climatique.

Autre point mis en avant par les chercheurs : la pauvreté de la recherche. Autant les grands barrages ont fait l'objet d'analyses scientifiques, autant les PCH en sont généralement orphelines. De surcroît, les choix d'hypothèses et d'observations n'apportent pas toujours des enseignements utiles. "Les précédentes recherches dans ce domaine ont été limitées par l'absence de données standardisées à long terme et la faiblesse de conceptions des études — reposant principalement sur la dynamique post-construction et la comparaison de tronçons de référence amont-aval, ce qui limite les conclusions que l'on peut en tirer".

Gary S. Bilotta et ses collègues ont donc sélectionné des sites où l'on dispose de données de qualité pour effecteur une comparaison, à savoir des mesures:
  • standardisés pour le peuplement piscicole,
  • disponibles à moins d'1 km des sites,
  • en comparaison de mesures similaires et faites sur des tronçons avec des seuils non équipés (l'objet étant de comprendre l'effet spécifique de l'équipement hydro-électrique de ces seuils).
Sur le dernier point, les auteurs soulignent qu'il y a 16.822 petits barrages en Angleterre et Pays de Galles, pour la plupart sans usage, et que les PCH équipent en général ces seuils déjà en place. Il s'agit donc de vérifier si la reprise d'une production hydro-électrique dans une rivière fragmentée se traduit ou non par une altération piscicole.

Pour 161 PCH, seuls 23 ont correspondu aux critères posés par les auteurs. Leur chutes (1, 5 à 96 m), leurs longueurs de tronçon court-circuité (5 à 1150 m), leurs équipements (turbines Kaplan, Turgo, Francis, Banki-Mitchell, vis d'Archimède, roues) et leurs puissances (3 à 450 kW) reflètent la réalité de la petite hydro-électricité. C'est assez rare pour être souligné car nombre d'études mise en avant en France (par exemple sur la mortalité piscicole en turbine) sont faites sur la base de données et modèles issues de sites EDF, avec des puissances de l'ordre de MW ou de la dizaine de MW, sans rapport avec les PCH.

Six données piscicoles ont été analysées (rapportées à 100 m^2 de surface) : nombre d'espèces, nombre de poissons, nombre de saumons atlantiques (Salmo salar), nombre de saumons de plus d'un an, nombre de truites communes (Salmo trutta), nombre de truites de plus d'un an. Le résultat est exprimé dans le graphique ci-dessous (les carrés indiquent la moyenne, les barres l'intervalle de confiance à 95%, avant / après, site de contrôle / site équipé).


Figure extraite de Bilotta et al 2016, art. cit., droit de courte citation.

Les conclusions sur cette analyse avant-après :
  • les effets des PCH sont très faibles (l'intervalle de confiance inclut la valeur nulle),
  • 5 des 6 mesures n'ont pas de variation significative,
  • la seule mesure ayant une variation significative est le nombre d'espèces, avec une baisse négligeable de -0,06 par 100 m^2. 
Ces résultats sont comparables aux conclusions (non publiées en revue scientifique) de Robson et al 2011 sur des PCH au fil de l'eau en Ecosse. Un autre travail (publié) mené au Portugal avait trouvé des différences dans les assemblages piscicoles amont et aval, mais assez faibles et ne concernant ni l'abondance ni la diversité des espèces (Santos et al 2006).

Enfin les auteurs rappellent que la plupart des sites étudiés sont d'équipement récent et ont suivi des bonnes pratiques dans leur conception. Cela ne préjuge pas de l'effet de sites plus anciens, qui serait à étudier avec la même rigueur pour arriver à des conclusions robustes.

Discussion
Les auteurs soulignent en conclusion les limites de leur propre travail, en raison de la faiblesse d'échantillonnage, et rappellent que bon nombre d'études piscicoles ou d'écologie des milieux aquatiques ne disposent d'aucune évaluation de la puissance statistique des méthodes employées, donc du risque des faux positifs ou des faux négatifs. "Le résultat d'études à faible puissance statistique peut être à la fois trompeur et dangereux, pas seulement par leur incapacité à détecter des changements écologiques significatifs, mais aussi parce que cela crée l'illusion qu'une chose utile a été faite".

On ne peut que conseiller aux gestionnaires français de méditer sur ces propos. Nombre de relevés effectués par l'Onema ou des fédérations de pêche sont par exemple avancés comme des "preuves" d'un phénomène (abondance ou rareté d'espèces, écart à une typologie, impact de telle ou telle pression) sans avoir toujours les méthodes nécessaires pour inférer ces conclusions avec un degré raisonnable de confiance (problème déjà souligné par Peterman 1997 dans le cas des études piscicoles, dont 98% n'analysent pas le risque d'erreur de seconde espèce). Dans un domaine qui engage l'argent public et qui recouvre de nombreux enjeux (pas seulement piscicoles au sein de l'écologie, et pas seulement écologiques au sein des bénéfices sociaux), la moindre des choses est d'avertir le décideur du caractère encore incertain et préliminaire de la plupart des connaissances sur les rivières.

Le travail de Bilotta et de ses collègues cherche un signal lié à l'équipement hydro-électrique, mais ne décrit pas l'effet des seuils sur les assemblages piscicoles, puisque l'échantillon de référence est lui aussi fragmenté d'ouvrages sans usages. Toutefois, des travaux français en hydro-écologie quantitative indiquent que cet effet serait modeste (de l'ordre de 12% de la variance des scores de qualité piscicole selon Van Looy et al 2014), en particulier quand l'effet relatif des barrages et seuils est comparé à d'autres causes de variation de l'état écologique des rivières (13e facteur de variation piscicole, selon Villeneuve et al 2015). Ces travaux concordent avec d'autres résultats de la recherche internationale (par exemple Wang et al 2011, Cooper 2016) : si les barrages, et en particulier les grand barrages, ont des effets importants dans la zone d'influence de leur bassin versant, et parfois sur des espèces migrant à longue distance, l'effet cumulé de l'ensemble des ouvrages hydrauliques ne paraît pas pour autant un facteur de premier ordre de la variation de population piscicole (à supposer par ailleurs que cette variation puisse être ramenée par l'écologue à une notion de "qualité", d'"intégrité" ou même de "référence", ce qui est un débat épistémologique chez les chercheurs eux-mêmes, voir par exemple Bouleau et Pont 2015 ou le livre de Lévêque 2013). Quant à l'effet historique des ouvrages et aux évolutions à long terme des populations piscicoles, le sujet reste pour l'essentiel une terra incognita de la recherche, les premiers travaux n'apportant pas forcément des conclusions attendues (voir Clavero et Hermoso 2015,  Haidvogl et al 2015Belliard et al 2016).

Dans le dossier de 2013 consacré au classement des rivières et à la continuité écologique, notre association appelait à une "double modernisation écologique et énergétique" des ouvrages hydrauliques. L'action publique française a hélas! choisi d'inciter par la réglementation et par le financement à la suppression la plus large possible des seuils et barrages. Il est peu compréhensible qu'une posture correspondant à des visions minoritaires dans la société, manquant cruellement d'études scientifiques préalables sur les petits ouvrages, soit ainsi devenue une politique nationale. La correction de cette aberration est une urgence pour les prochaines réformes de la loi sur l'eau. Et l'étude scientifique des cours d'eau fragmentés reste une priorité, pour faire des choix efficaces et proportionnés d'aménagement.

Référence
Bilotta GS et al (2016) The effects of run-of-river hydroelectric power schemes on fish community composition in temperate streams and rivers, PLoS ONE, 11, 5, e0154271. doi:10.1371/journal.pone.0154271