30/10/2016

Construisons ensemble la carte de France des ouvrages hydrauliques détruits ou menacés

A l'initiative du Forum de la petite hydro-électricté, de l'Observatoire de la continuité écologique et de l'association Hydrauxois, une carte interactive des seuils et barrages effacés ou menacés de l'être vient d'être lancée. Cet outil d'information et de mobilisation, ouvert à tous, aura une construction participative : votre aide est bienvenue! Mode d'emploi.

Cette carte Google Maps recense les ouvrages hydrauliques détruits ou menacés. Elle est de construction collaborative : nous appelons les associations et les riverains à y participer en nous envoyant les informations dont ils disposent. A date, la carte lancée voici trois semaines est bien sûr loin d'être complète : il y a entre 10.000 et 15.000 ouvrages concernés en rivière liste 2 au titre de la continuité écologique, alors que moins d'un millier sont pour le moment recensés sur la carte. Vous pouvez cliquer ci-dessous pour y accéder.





Que signifie détruit ou menacé ?
Par "détruit", il faut entendre arasé, dérasé ou échancré de sorte que l'essentiel de l'hydrosystème aménagé a disparu et ne conserve, au mieux, qu'un écoulement symbolique en dérivation et une retenue réduite au minimum.

Par "menacé", il faut entendre tout ouvrage hydraulique en rivière classée au titre de la continuité écologique ou faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de déchéance de droit d'eau, sans qu'il existe à date de projet solvabilisé de passe à poissons, rivière de contournement, ouverture de vanne ou autre aménagement non destructeur.

Tous les ouvrages sont concernés, en dehors des très petits obstacles (buses, mini-seuils) : il ne s'agit pas seulement d'illustrer les problèmes des moulins et usines à eau ou des étangs et plans d'eau (bien sûr largement majoritaires), mais aussi de montrer l'ampleur et le coût de la réforme de continuité écologique. De plus, cette carte est évolutive : par exemple, si des problèmes consécutifs aux changements d'écoulement surviennent, nous pourrons les matérialiser dans un second temps. Autre exemple d'usage futur : nous pourrons plus aisément vérifier si les rivières ayant connu beaucoup d'aménagements sont parvenues au bon état chimique et écologique (2015, et demain 2021), ce qui est la prétention non démontrée de l'administration (plutôt contredite par la recherche scientifique pour le moment).

Comment participer ?
  • Vérifier si votre rivière a déjà des informations, éventuellement nous signaler des erreurs (mauvaise localisation, site menacé ayant été détruit depuis son signalement ou, au contraire, aménagé sans destruction).
  • Envoyer la liste des ouvrages détruits ou menacés qui n'y figurent pas, ce qui est le travail essentiel. Pour cela, les renseignements obligatoires sont le nom de l'ouvrage, le nom de la commune et le nom de la rivière. Les renseignements facultatifs, mais bienvenus : nom du hameau, positionnement exact, photographies, liens vers des articles de presse ou des rapports en ligne, autres informations. En cliquant sur chaque repère de la carte, vous retrouvez ces infos quand elles sont disponibles. Vous pouvez télécharger un tableur de renseignement de la carte déjà formaté à ces liens : version Excel, version Open office.
  • A noter pour aider les recherches locales : votre syndicat de rivière / de bassin ou votre parc naturel a l'obligation légale (au même titre que les préfectures, les fédérations de pêche et les organismes à agrément public) de vous transmettre tous les dossiers relatifs à l'environnement, qui sont payés partiellement ou totalement sur fonds publics (voir le droit d'accès du citoyen à l'information environnementale). Cela inclut notamment toutes les études préparatoires à la continuité écologique, qui ne sont pas toujours publiées sur les sites accessibles au public. Un courrier recommandé demandant ces documents fait courir un délai de 30 jours au terme duquel votre interlocuteur est en défaut au regard de la loi, avec recours possible à la Cada. Le mieux est de l'adresser conjointement à la DDT-M Service de l'eau (qui a copie de la plupart des documents de suivi de la continuité) et au gestionnaire en charge du dossier (presque toujours un syndicat de rivière). Vous pouvez télécharger des modèles de demande : version Word, version Open Office.

A quoi sert cette carte ?
Cette carte a une double fonction d'information et de mobilisation.

Information : chacun peut l'utiliser dans la communication en direction des élus et des relais d'opinion pour montrer l'ampleur de la réforme de continuité écologique et ses implications pour les territoires. Certains "convaincus" de la cause de l'effacement seront probablement ravis de voir tous ces chantiers. D'autres, assez nombreux à en juger par les débats parlementaires des deux dernières années et par les nombreux conflits couverts par les médias, seront au contraire consternés de voir filer l'argent public dans des programmations qui provoquent autant de désagrément aux riverains pour des effets aussi négatifs sur le patrimoine, le paysage, l'énergie renouvelable. Et des résultats écologiques aussi peu garantis dans bien des cas.

Mobilisation : tous les ouvrages menacés ne seront certes pas détruits… mais ils le seront d'autant moins que les propriétaires et riverains pourront s'informer et s'organiser pour défendre leur cadre de vie. Cette carte y contribue en offrant à tous une visibilité sur les programmes en cours. Les associations de moulins et de riverains ont bien entendu un rôle clé dans l'organisation de cette mobilisation.

Que faire pour les ouvrages menacés ?
La défense des ouvrages hydrauliques passe par la coordination d'une réponse unitaire des propriétaires et par l'émergence de collectifs riverains, toute personne isolée étant la proie facile (et favorite) des effaceurs, de même que les petites collectivités plus perméables à diverses pressions de l'administration.

Les propriétaires d'ouvrages en rivière classée peuvent utiliser ces courriers types pour répondre à l'administration, si possible avec le concours d'un avocat.

Mais la continuité écologique, ce n'est pas seulement le dialogue fermé et inégal entre un propriétaire isolé et l'administration. La défense du patrimoine est une cause d'intérêt général. Et en dehors de sites très isolés, quand on efface un ouvrage, on remet en cause le cadre de vie des riverains, voire la sécurité et l'intégrité de leurs propriétés du fait des changements d'écoulement. Aujourd'hui même, l'administration et les gestionnaires de rivière sont en train de planifier les destructions qui auront lieu à l'étiage 2017. C'est dès maintenant qu'il faut se mobiliser! La carte des ouvrages menacés va permettre de le faire plus efficacement.

La mobilisation passe par les étapes suivantes :
  • exigence d'une autorisation "loi sur l'eau" et d'une enquête publique pour tout chantier modifiant plus de 100 m de profil de rivière (soit la très grande majorité des effacements, un formulaire type de requête au tribunal administratif sera disponible bientôt),
  • création si opportun d'un collectif représentant les riverains, demande par ce collectif, ainsi que par les associations et usagers, de participer au comité de pilotage des chantiers,
  • recherche en comité de pilotage des solutions non destructrices et de leur financement correct par les Agences de l'eau, 
  • participation la plus massive possible à l'enquête publique après rassemblement des arguments et des personnes en faveur du maintien des ouvrages menacés,
  • examen de la procédure et de l'arrêté préfectoral, recours gracieux puis contentieux si nécessaire,
  • en dernier ressort, manifestation sur site dans les cas où la concertation démocratique a été ouvertement méprisée.
Contactez notre association si vous avez un doute sur la légalité d'une procédure (obligation préalable: collecter sous format numérique et envoyer toutes les pièces pertinentes en courrier électronique). Nous vous aiderons dans la mesure de nos capacités à vérifier les documents, puis à contacter les autorités (ainsi que médias et avocats) si un chantier ne paraît pas règlementaire ou si des excès de pouvoir sont caractérisés.

Notre mobilisation collective sera déterminante
L'expérience récente montre, hélas, que l'on ne peut pas sauver tous les ouvrages de la destruction, même avec un fort engagement. Mais on peut en revanche exercer une pression démocratique pour défendre nos cadres de vie, chercher des solutions écologiques non destructrices du patrimoine, du paysage et des usages, rendre les effacements de plus en plus difficiles et décriés, créer des débats dans les médias et chez les élus, et finalement convaincre le législateur de la nécessité d'une réforme. La continuité écologique part d'une bonne intention, et d'une loi modérée. Elle a été transformée depuis la loi de 2006 en une machine à détruire les moulins, étangs et autres éléments du petit patrimoine hydraulique par une frange idéologisée de l'administration et par quelques lobbies ayant poussé à des solutions extrêmes, au service de leurs intérêts particuliers ou au nom d'une vision intégriste de la rivière "sauvage". Mais en dernier ressort, face à ce qui semble un rouleau compresseur, nous avons le pouvoir de dire non à ces dérives pour revenir à une écologie raisonnée des ouvrages hydrauliques. A condition de faire entendre collectivement notre voix. La carte des ouvrages détruits et menacés sera un outil de cette mobilisation collective.

Nota : la rubrique vademecum de ce site vous donne accès à plusieurs articles "outils" pour protéger vos droits et pour organiser la défense des ouvrages hydrauliques.

29/10/2016

Comment disparaissent les moulins du bassin de l'Armançon

Voici des documents iconographiques sur la destruction des ouvrages de Tonnerre par le syndicat de l'Armançon SMBVA – un chantier dont l'enquête publique avait pourtant conclu à l'absence d'intérêt général et d'intérêt écologique. Outre la chaussée de Perrigny-sur-Armançon, en sursis mais toujours intacte, le syndicat développe déjà de nouveaux projets sur les ouvrages du bassin versant. Les financements du SMBVA comme ceux de l'Agence de l'eau Seine-Normandie sont entièrement orientés en faveur des destructions partielles ou totales des moulins, au lieu d'une dépense publique plus constructive incitant à les aménager pour l'écologie et les équiper pour l'énergie. Si vous souhaitez couper court à ces dérives, préserver les moulins, leurs biefs et leurs plans d'eau, documentez-vous, diffusez les informations, saisissez vos élus. Et rejoignez-nous: nous lutterons ensemble pour préserver le patrimoine et le cadre de vie de nos territoires. 

Destruction de l'ouvrage des services techniques (Tonnerre)



Destruction de l'ouvrage Saint-Nicolas (Tonnerre)


Appel à la mobilisation des riverains pour faire cesser la casse du patrimoine hydraulique et la gabegie d'argent public (cliquer pour agrandir, télécharger et diffuser)


27/10/2016

Mobilisation de nervis et destruction sous haute garde: la continuité écologique en son âge post-démocratique

Au petit matin du jeudi 27 octobre 2016, le syndicat de l'Armançon SMBVA a choisi de faire évacuer la chaussée Saint-Nicolas de Tonnerre par une milice essentiellement constituée de pêcheurs. Cela afin de libérer la voie à la pelle mécanique qui a définitivement détruit le site. Deux plaintes judiciaires s'ajoutent désormais aux deux contentieux administratifs. Ces méthodes signent par ailleurs l'entrée de la continuité écologique dans son âge post-démocratique. L'association Hydrauxois appelle donc les défenseurs du patrimoine des rivières à la rejoindre pour un combat plus offensif contre l'arbitraire, ceux qui le propagent et ceux qui l'encouragent.


Le jeudi 27 octobre 2016, à 08:00, une milice privée de pêcheurs emmenée par deux employés du syndicat de l'Armançon SMBVA a détruit les panneaux et la tente des manifestants occupant pacifiquement le site de la chaussée Saint-Nicolas, tout en repoussant violemment deux d'entre eux derrière une grille.

Par la suite, sous les yeux de pas moins de 35 personnes (gendarmes, direction et personnel du SMBVA, pêcheurs et officiels de la pêche de l'Yonne), la pelleteuse est entrée en action pour détruire définitivement la chaussée Saint-Nicolas.

Ce projet et celui de Perrigny-sur-Armançon faisaient déjà l'objet de deux avis défavorables en enquête publique (pas d'intérêt général, pas d'intérêt écologique) et de deux requêtes en annulation des arrêtés préfectoraux les autorisant. S'y ajoutent désormais deux plaintes dans l'ordre judiciaire – l'une pour intrusion et dégradation de propriété, l'autre pour voie de fait. La plainte déposée au procureur visera à  déterminer l'identité des personnes responsables de cette action directe – certaines sont déjà connues, d'autres non. Mais il s'agira également d'interroger les raisons pour lesquelles les forces de l'ordre ont toléré ces pratiques, et d'accéder aux consignes données par la préfecture de l'Yonne si l'instruction le permet.

Plusieurs enseignements doivent être tirés de ce triste épisode.

D'abord, l'équipe dirigeante du SMBVA et ses agents sont manifestement incapables de gérer de manière concertée et apaisée la mise en oeuvre de la continuité écologique. Leurs préjugés en faveur de la destruction des ouvrages anciens et leur mépris pour l'opinion divergente des riverains ne produisent que confusion et conflit. Il paraît inconcevable à l'association Hydrauxois que les mêmes dirigeants et exécutants poursuivent la même politique en 2017. Nous en avertissons d'ores et déjà les élus du bassin : sur les différents projets récemment mis en avant par le SMBVA dans son contrat global et dans ses comités syndicaux, tout chantier d'effacement de moulin mené dans des conditions similaires à ceux de Perrigny-sur-Armançon et de Tonnerre donnera désormais lieu à contentieux. Et cette fois bien avant l'arrêté préfectoral, puisque le temps de la justice n'est pas respecté par les casseurs lorsqu'elle est saisie trop tard.

Ensuite, et plus gravement, nous sommes entrés dans l'ère post-démocratique de la continuité écologique. Il était déjà manifeste que les casseurs d'ouvrages d'hydrauliques n'ont aucune envie d'argumenter sur les enjeux de fond (c'est-à-dire sur l'écologie, le patrimoine, le paysage, l'énergie, le cadre de vie des gens). Il était déjà patent que la "concertation" se limitait à l'exercice organisé d'un chantage par l'administration et le gestionnaire – vous effacez votre ouvrage hydraulique et tout se passera bien, ou vous aurez un dossier très compliqué à fournir pour payer très cher une passe à poissons. Nous montons maintenant d'un cran, avec des milices privées délogeant des manifestants et des pelleteuses faisant leur sale travail sous la surveillance de gendarmes.

Poussée au bout de sa logique dès qu'elle rencontre une résistance citoyenne, la réforme administrative de continuité écologique montre là son vrai visage: celui de la violence institutionnelle. Cela n'en rend que plus urgente l'intervention résolue du législateur pour mettre fin à ces dérives et refonder la politique des rivières.

Hydrauxois a toujours accordé la plus grande importance au débat, à l'information et à l'argumentation – en témoignent les plus de 400 articles et dossiers publiés sur le site de l'association. Nous continuerons de le faire, car nous n'allons pas sacrifier les plaisirs et les vertus démocratiques de l'échange d'idées sous prétexte que des sots, des satrapes et des sectaires les salissent. Mais il est manifeste que cela ne suffit plus.

Le tournant post-démocratique de la continuité écologique indique que les droits des riverains ne sont plus garantis aujourd'hui dans des conditions correctes. Au-delà des arguments, nous devons mener une politique beaucoup plus offensive à l'encontre de ceux qui propagent l'arbitraire et l'injustice, qu'il s'agisse d'administrations, de gestionnaires ou de lobbies. Les excès de pouvoir, les informations biaisées, les doubles standards, les combines opaques de l'oligarchie des casseurs ne peuvent plus être tolérés dans un dossier qui les accumule depuis trop longtemps. Une stratégie sera déployée en ce sens dans les mois à venir. Nous appelons d'ores et déjà tous les citoyens attachés au patrimoine des rivières à nous rejoindre et à nous soutenir dans ce combat.

Effacement d'ouvrages à Tonnerre: l'Onema avait pointé le manque de sérieux du diagnostic

La Préfecture de l'Yonne a sollicité l'avis de l'Onema sur les effacements des ouvrages hydrauliques de Tonnerre. Cet avis a été favorable, ce qui ne surprendra pas, sous réserve de diverses observations. Ainsi, l'Office déplore le manque de rigueur du diagnostic biologique préalable au chantier… ce que l'association Hydrauxois a également pointé et ce qui a notamment mené le commissaire-enquêteur à douter de la pertinence écologique du projet. On efface des barrages sans même prendre soin d'étudier les espèces en place. Ce n'est pas de l'écologie, mais de l'idéologie.

L'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) joue notamment le rôle de conseiller technique et scientifique des services instructeurs de l'Etat pour ce qui concerne la politique des rivières.

Dans l'avis formulé le 18 février 2016 sur le projet d'effacement des ouvrages Saint-Nicolas et des services techniques de Tonnerre, l'Onema souligne à propos des paramètres biologiques (cliquer pour agrandir) :



En substance, le syndicat de l'Armançon n'a pas jugé bon étudier les poissons et insectes réellement présents dans les retenues des ouvrages et le bras concerné de l'Armançon. Et il a pris comme espèce-repère le chabot (espèce sédentaire incapable de mobilité importante) plutôt que les cyprinidés rhéophiles, les anguilles et les brochets.

Ces remarques sont aussi valables pour le cas de Perrigny-sur-Armançon.

Le syndicat SMBVA propose d'effacer des ouvrages hydrauliques sans même faire les mesures élémentaires consistant à diagnostiquer les peuplements amont, aval et dans les retenues. Ce qui est nécessaire d'une part pour vérifier au préalable qu'il existe un problème écologique sérieux appelant correction ; d'autre part pour garantir après les travaux qu'il y a eu des gains conséquents en résultat de la dépense d'argent public et en compensation, si l'on peut dire, de la destruction du patrimoine.

A dire vrai, la même légèreté prévaut sur tous les chantiers de ce syndicat, c'est aussi le cas sur les projets en cours d'aménagement de la Brenne à Montbard. L'association Hydrauxois, au comité de pilotage dans ce dernier cas, a déjà signalé au début de l'année que le diagnostic écologique de la Brenne aval est insuffisant en l'état pour justifier le moindre aménagement du seuil de l'Hôpital et du seuil Poupenot.

Le syndicat de l'Armançon prétend agir au nom de l'écologie des milieux aquatiques ; mais comme bon nombre de gestionnaires, il ne prend même pas la peine d'établir un diagnostic de biodiversité des hydrosystèmes qu'il bouleverse à la pelleteuse. Et encore moins de réfléchir aux causes quand le diagnostic est posé, la répétition de mots d"ordre catéchétiques et généralistes faisant office d'argumentation. Le manque de rigueur et d'honnêteté intellectuelles dans la mise en oeuvre de la continuité soi-disant "écologique" est désolant. Des bureaucraties appuient sur des boutons pour atteindre leurs quotas d'ouvrages détruits, sans empathie aucune pour le patrimoine, mais aussi sans rapport avec l'état réel des rivières et les priorités pour améliorer cet état. La lutte contre cette imposture est plus que jamais nécessaire.

23/10/2016

Continuité de l'Armançon et destruction d'ouvrages, une poudre aux yeux très peu écologique

Tout le monde le reconnaît: la destruction des ouvrages hydrauliques a des effets négatifs sur le patrimoine historique, le potentiel énergétique bas-carbone et le paysage de plans d'eau apprécié des riverains. On affirme que ces désavantages seraient largement compensés par des gains écologiques. Nous rappelons ici que c'est faux dans le cas de l'Armançon et des ouvrages de Tonnerre (ou de Perrigny). Les mesures de contrôle et les études scientifiques montrent que les ouvrages présents depuis longtemps sur les rivières du bassin ne posent pas de problèmes piscicoles ni sédimentaires. Leurs retenues sont des habitats singuliers, de type profonds lentiques, que l'on détruit au profit de plats courant et radiers déjà présents à l'amont comme à l'aval des sites. Les pollutions de l'Armançon ne sont pas traitées efficacement, ni même mesurées pour certaines d'entre elles malgré nos obligations européennes de le faire. Ces contaminants de diverses natures vont se diffuser plus rapidement dans les milieux aval et vers la mer après élimination des obstacles. Le dogme de la continuité appliqué aux petits ouvrages est donc pour l'essentiel une poudre aux yeux, dilapidant l'argent public et différant certaines mesures de fond pour la qualité de l'eau. 



Les ouvrages ne sont pas des obstacles aux migrateurs. La faible hauteur des ouvrages de Tonnerre (0,97 m et 1,65 m au module), la conformation de leur parement, l'existence d'échancrures latérales et la possibilité d'ouvrir les vannes les rendent franchissables aux espèces migratrices (ici anguilles) qui sont la cible première du classement des rivières au titre de la continuité piscicole. Les rhéophiles ayant de bonnes capacités de nage peuvent aussi franchir les seuils en hautes eaux. Les anguilles sont attestées dans les pêches de contrôle à l'amont du bassin et ont toujours été présentes dans les prises des pêches de loisir, au moins jusqu'au barrage de Pont-et-Massène. Les autres espèces correspondant à la biotypologie de la rivière (barbeaux, chabots, lamproies, chevesnes, brochets, vandoises, etc.) sont également présentes dans toutes les pêches de contrôle de l'Onema sur les divers tronçons du bassin.

L'indice de qualité pisciciole est déjà bon ou excellent. L'état piscicole de l'Armançon médiane, mesurée par l'Indice Poisson Rivière (IPR) pour la directive cadre européenne sur l'eau (DCE), est en classe "bonne" ou "excellente" dans les relevés de 2003, 2008 et 2012. Cet indice tend à s'améliorer graduellement depuis quinze ans. Il n'y aucune priorité à améliorer ce compartiment de qualité par des opérations destructrices d'ouvrages (dont l'un des buts affichés est de pallier une éventuelle dégradation des assemblages de poissons).

La population de poisson de l'Armançon est stable depuis plusieurs dizaines de générations. Les travaux des chercheurs (Beslagic S et al (2013a), CHIPS: a database of historic fish distribution in the Seine River basin (France), Cybium, 37, 1-2, 75-93) ont montré que "la situation des peuplements [de poissons] ne semble guère avoir évolué sur l’Armançon (un affluent de l’Yonne) entre la fin du XIXe siècle et aujourd’hui", de sorte que l'hypothèse d'un effet négatif et cumulatif dans le temps des ouvrages sur les poissons paraît infirmé par ces données de recherche. Le temps de reproduction d'une nouvelle génération de poisson est de quelques années, donc une pression sélective forte serait observable assez rapidement.

L'intérêt sédimentaire et morphologique est négligeable. Le rapport diagnostic détaillé Malavoi 2006-2007 avait déjà montré que le bassin versant de l'Armançon présente une dynamique sédimentaire préservée, malgré les petits ouvrages qui émaillent le lit de ses rivières. Ces ouvrages n'empêchent pas le transport solide lors des crues morphogènes. Le rapport SEGI 2015 a confirmé ce point en montrant que la granulométrie grossière est présente à l'amont comme à l'aval des ouvrages ("les atterrissements à l’aval des déversoirs sont constitués de cailloux / graviers qui viennent se déposer dans les fosses en aval des chutes"). En raison des usages des berges en contexte urbain, l'Armançon tonnerroise ne pourra pas retrouver d'espace de divagation latérale au droit des ouvrages (ce qui est souvent la mesure présentant le plus d'intérêt écologique pour les écotones du lit majeur inondable).



Un habitat singulier est détruit. La retenue des ouvrages présente un faciès de type "profond lentique", au lieu d'un type "plats courants - radiers" formant l'écoulement "naturel" (non contraint) de l'Armançon en son cours médian. En faisant disparaître les retenues, on fait donc disparaître un faciès singulier qui, bien que d'origine artificielle, présente des habitats particuliers que l'on ne trouve pas ailleurs sur la rivière. La morphodiversité est donc objectivement réduite à échelle du tronçon. Un habitat lentique et profond avec dépôt sédimentaire hors période de crue n'est pas un habitat "dégradé" en soi. Il sera accueillant à un certain type d'espèces (davantage thermophiles et limnophiles), il augmente toutes choses égales par ailleurs la productivité primaire à la base de la chaîne trophique, il peut servir de zone refuge à certaines conditions (comme des étiages sévères).

La biodiversité n'est pas évaluée. Les poissons, souvent cités dans les mesures de continuité écologique, ne représentent que 2% des espèces d'eaux douces. Le syndicat de l'Armançon (comme la plupart des gestionnaires) refuse de procéder à un inventaire complet de biodiversité des hydrosystèmes (amont-retenue-aval), en incluant toutes les espèces faune-flore, cela à différentes périodes de l'année. De même, nous ne disposons d'aucune comparaison entre un tronçon à écoulement libre et un tronçon à écoulement fragmenté, à conditions équivalentes d'usages des sols du bassin versant. Seul ce genre de campagne permettrait de mesurer si la présence d'ouvrages et de retenues a un effet négatif, positif ou nul sur la richesse spécifique totale du tronçon. La littérature scientifique en écologie montre que la réponse n'est pas prédictible et que des analyses au cas par cas sont nécessaires (par exemple Mbaka et Mwaniki 2015 sur les invertébrés).

Aucun effet (sinon négatif) sur la pollution de l'eau par les pesticides. Les relevés sur l'Armançon médiane montrent la présence d'au moins 10 insecticides, fongicides ou herbicides (ou de leurs métabolites) dans les eaux de l'Armançon : chlortoluron, naphtalène, métazachlore, quinmerac, propyzamide, isoproturon, éthyleneurée, deltaméthrine, atrazine déséthyl, AMPA. Les quantités sont chaque fois en dessous des normes de qualité environnementale, mais l'effet cocktail sur le vivant n'est pas évalué. Par ailleurs, ces mesures sont conservatrices. La Directive européenne de 2013 a ajouté 12 nouvelles substances prioritaires à l'annexe 10 de la DCE 2000, élevé les normes de qualité environnementale pour 7 substances déjà suivies et posé le principe d'une liste de vigilance sur 10 polluants émergents. Or, la France n'applique pas ces mesures (elle vient de recevoir une mise en demeure de l'Union européenne). Une publication scientifique de chercheurs français (Gaillard et al 2016) a montré que les retenues peuvent épurer les pesticides et a suggéré une analyse systématique du phénomène avant d'engager les mesures de continuité écologique. Plus largement, il existe une importante contamination des eaux courantes par les micropolluants (plus de 400 molécules circulant selon les campagnes nationales 2011 et 2014 CGDD, dont très peu sont analysées en routine sur l'Armançon comme ailleurs).

Les pollutions diffuses vont se diffuser davantage. La masse d'eau FR HR65, l'Armançon du confluent du ruisseau de Baon (exclu) au confluent de l'Armance (exclu), est aujourd'hui en état chimique dégradé par les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). La priorité dictée par directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) est de trouver une solution à ce facteur dégradant. Par ailleurs, situées en contexte urbain, les retenues reçoivent les effluents et déchets flottants – les manifestants ont retiré des brassées de détritus plastiques de la zone du chantier et observé des pollutions de berge. Eliminer les retenues des ouvrages hydrauliques ne fait que diffuser plus rapidement ces pollutions dans les milieux (vers l'aval, les estuaires, les océans en dernier ressort) et rendre plus complexe leur traitement par la collectivité. Une abondante littérature scientifique montre par ailleurs que le ralentissement de l'écoulement et l'élargissement du lit provoqués par le retenues ont des effets plutôt positifs sur l'épuration locale de certains polluants. Ces enjeux écotoxicologiques doivent être vérifiés et mesurés, et non pas ignorés ou niés par une attitude indifférente aux faits et aux preuves.

Conclusion. Il existe des rivières où des populations de poissons migrateurs sont massivement bloquées, d'autres où le transit sédimentaire est profondément altéré. Il existe aussi des rivières ayant connu très peu d'impacts anthropiques dans l'histoire, dont la conservation présente un enjeu manifeste pour la biodiversité. Ces cas de figure légitiment des mesures de continuité longitudinale sur les obstacles les plus impactants (si le coût est raisonnable pour la collectivité) ou des mesures de préservation de biotopes d'intérêt avéré. Mais ce n'est pas le cas sur l'Armançon, en particulier pour les très modestes chaussées et seuils de moulin. Nous refusons l'application dogmatique et mécanique de la réforme de continuité, qui dépense l'argent public pour des mesures inefficaces, voire défavorables à l'écologie des milieux aquatiques.