31/10/2016

Restauration morphologique des rivières: pas d'effet clair sur les invertébrés, même après 25 ans (Leps et al 2016)

A croire le discours vulgarisé de la restauration écologique des rivières, les choses seraient simples: on produit une diversité d'habitats dans le cours d'eau, ceux-ci seront colonisés par une diversité d'espèces. Une étude scientifique sur 44 projets de restauration en rivières allemandes conclut cependant à l'opposé: même 25 ans après l'intervention sur le site restauré, aucune réponse consistante et prévisible n'est observée dans les communautés benthiques d'invertébrés. Sur 34 métriques de la réponse biologique, très peu ont des tendances significatives, et les effets sont modestes. D'autres facteurs à échelle du bassin versant l'emportent sur les modifications locales de l'hydromorphologie. Ce qui pose question : quels objectifs se donne la politique de restauration des rivières, à quel horizon de temps et à quel coût? 

Moritz Leps et ses quatre collègues (Muséum d'histoire naturelle de Francfort, Université de Francfort, Université de l'Oregon, Université de Duisbourg et Essen) ont analysé les résultats de 44 projets de restauration, dans 31 rivières de zone collinnaire à montagneuse (altitude moyenne 197 m) et 13 rivières de plaine (68,8m), avec des bassins versants de dimension variée (en moyenne 621 km2 pour les points de contrôle en plaine et 153 km2 pour les autres). Ces rivières ont été choisies pour avoir bénéficié de mesures de restauration hydromorphologique diverses, avec trois buts affichés par les gestionnaires : augmenter l'hétérogénéité des habitats physiques, prévenir les inondations (reconnexion lit majeur) et améliorer la continuité longitudinale.  La longueur moyenne des tronçons restaurés est de 1 km, la période de la restauration se tient entre 1998 et 2012, la durée écoulée va de 1 à 25 ans, en moyenne 7,9 ans.

Qu'ont fait les chercheurs ? Sur la même rivière, ils ont comparé un tronçon restauré de 100 m avec un tronçon non restauré, usuellement situé à l'amont et à une distance moyenne de 1,6 km. Les invertébrés de fond (benthique) ont été choisis pour le suivi, avec 34 métriques sur l'abondance, la diversité, la fonctionnalité, les types de famille d'insecte, la rhéophilie, etc. A cela s'ajoutent 10 mesures d'efficacité de la restauration morphologique (vitesse, profondeur, substrat, diversité d'habitats, etc.).

Au plan de la morphologie, les différences ont été significatives sur toutes les métriques. Cela signifie que les projets n'ont pas failli dans la dimension physique de la restauration d'habitats.

Au plan de la biologie, en revanche, si la diversité taxonomique a montré un signal positif, la plupart des autres métriques n'ont montré aucun signal clair d'évolution (voir image ci-dessous). L'âge n'est pas un bon prédicteur puisqu'aucune réponse linéaire ne s'observe sur les 34 métriques, et 5 seulement montrent une réponse non-linéaire entre 2 et 3 ans après la restauration (attribuée à une probable relaxation après perturbation due au chantier). Une analyse multivariée suggère que les caractéristiques du bassin versant (dimension, usage des sols, écorégion) ont une influence plus forte que le temps écoulé après restauration.



Extrait de Leps et al 2016, droit de courte citation. La plupart des différences mesurées entre tronçons restaurés et non restaurés ne sont pas significatives (voir la colonne p-value, majorité de valeurs >> 0.05), ce qui signifie qu'elles ne se distinguent pas d'une évolution due au hasard. L'indice de richesse taxonomique EPT (et aussi EPTCO) montre une évolution positive significative (dans l'absolu, il correspond à un passage de 34 à 38.1 taxons en moyenne, soit un gain restant assez modeste.)

"Les réponses des communautés invertébrées benthiques à la restauration sont hautement variables, notent les chercheurs. En dépit d'un turnover considérable des espèces et d'une richesse taxonomique augmentée, ni les mesures de diversité ni l'abondance des taxons n'ont répondu significativement (…) nos résultats sont consistants avec ceux d'autres études qui ont trouvé une réponse très variable des invertébrés benthiques à la restauration hydromorphologique, mais sans direction du changement, ni d'amélioration dans les résultats évalués en dépit d'une qualité hydromorphologique clairement meilleure (Bernhardt et Palmer 2011; Haase et al 2013; Palmer et al 2010)".

Discussion
Les chercheurs concluent en observant que l'hydromorphologie locale est un faible prédicteur des communautés aquatiques dans un environnement connaissant de multiples stress à échelle du bassin. Et qu'avant, ou au mieux en parallèle de, ces actions locales sur l'écoulement et l'habitat, c'est l'ensemble des conditions de bassin et de qualité de l'eau qu'il faudrait améliorer.

Certes, mais est-ce crédible ou simplement faisable? En particulier, à l'échelle de temps (2000-2027) donnée par la directive cadre européenne sur l'eau pour atteindre un bon état écologique et chimique de la totalité des rivières? On peut en douter fortement: les composantes fondamentales de l'occupation, de la pollution et l'artificialisation des bassins versants (démographie, agriculture, urbanisation, diffusion des molécules de synthèse, aménagements hydrauliques, etc.) ne vont évoluer que lentement au cours de ce siècle, qui sera marqué par ailleurs par d'autres facteurs de profond changement des communautés biotiques (effet thermique et hydrologique du changement climatique). Au demeurant, les mêmes chercheurs avaient montré voici quelques années que les programmes de restauration ne parviennent que très rarement à aboutir au bon état de la rivière (au sens DCE) et qu'il est à peu près impossible de prévoir les trajectoires des systèmes restaurés (Haase et al 2013). Ce manque de prédictibilité est évidemment problématique quand on passe de l'observation à l'action et de la science à la politique.

Comme souvent, les résultats de la recherche scientifique en écologie de la restauration sont sans grand rapport avec les promesses dithyrambiques des administrations et gestionnaires responsables des programmes de restauration. Il est plus facile de s'engager sur des principes abstraits que sur des résultats mesurés. Une étude française avait déjà montré que plus le suivi scientifique des chantiers en rivière est rigoureux, moins leur résultat est convaincant, de sorte que la valeur écologique attribuée à ces actions a une forte dimension "subjective" (Morandi et al 2014). Et le retour d'expérience dans le monde nord-américain, qui a 20 ans d'avance sur l'Europe, est tout aussi critique (Palmer et al 2014).

Adopter des normes ambitieuses, opposer des contraintes aux usagers, augmenter des dépenses publiques et modifier les profils familiers de la rivière exige au bout d'un certain temps des résultats tangibles sur les milieux et une augmentation des services rendus à la société par les écosystèmes restaurés. Le paradigme de gestion écologique des bassins s'est imposé dans les années 2000, il a suscité un effet d'intérêt pour sa nouveauté et son ambition. Mais la curiosité se dissipe. Il est temps d'apporter soit des résultats probants, soit des remises en question.

Référence : Leps M et al (2016), Time is no healer: increasing restoration age does not lead to improved benthic invertebrate communities in restored river reaches, Science of the Total Environment, 557–558, 722–732

30/10/2016

Construisons ensemble la carte de France des ouvrages hydrauliques détruits ou menacés

A l'initiative du Forum de la petite hydro-électricté, de l'Observatoire de la continuité écologique et de l'association Hydrauxois, une carte interactive des seuils et barrages effacés ou menacés de l'être vient d'être lancée. Cet outil d'information et de mobilisation, ouvert à tous, aura une construction participative : votre aide est bienvenue! Mode d'emploi.

Cette carte Google Maps recense les ouvrages hydrauliques détruits ou menacés. Elle est de construction collaborative : nous appelons les associations et les riverains à y participer en nous envoyant les informations dont ils disposent. A date, la carte lancée voici trois semaines est bien sûr loin d'être complète : il y a entre 10.000 et 15.000 ouvrages concernés en rivière liste 2 au titre de la continuité écologique, alors que moins d'un millier sont pour le moment recensés sur la carte. Vous pouvez cliquer ci-dessous pour y accéder.





Que signifie détruit ou menacé ?
Par "détruit", il faut entendre arasé, dérasé ou échancré de sorte que l'essentiel de l'hydrosystème aménagé a disparu et ne conserve, au mieux, qu'un écoulement symbolique en dérivation et une retenue réduite au minimum.

Par "menacé", il faut entendre tout ouvrage hydraulique en rivière classée au titre de la continuité écologique ou faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de déchéance de droit d'eau, sans qu'il existe à date de projet solvabilisé de passe à poissons, rivière de contournement, ouverture de vanne ou autre aménagement non destructeur.

Tous les ouvrages sont concernés, en dehors des très petits obstacles (buses, mini-seuils) : il ne s'agit pas seulement d'illustrer les problèmes des moulins et usines à eau ou des étangs et plans d'eau (bien sûr largement majoritaires), mais aussi de montrer l'ampleur et le coût de la réforme de continuité écologique. De plus, cette carte est évolutive : par exemple, si des problèmes consécutifs aux changements d'écoulement surviennent, nous pourrons les matérialiser dans un second temps. Autre exemple d'usage futur : nous pourrons plus aisément vérifier si les rivières ayant connu beaucoup d'aménagements sont parvenues au bon état chimique et écologique (2015, et demain 2021), ce qui est la prétention non démontrée de l'administration (plutôt contredite par la recherche scientifique pour le moment).

Comment participer ?
  • Vérifier si votre rivière a déjà des informations, éventuellement nous signaler des erreurs (mauvaise localisation, site menacé ayant été détruit depuis son signalement ou, au contraire, aménagé sans destruction).
  • Envoyer la liste des ouvrages détruits ou menacés qui n'y figurent pas, ce qui est le travail essentiel. Pour cela, les renseignements obligatoires sont le nom de l'ouvrage, le nom de la commune et le nom de la rivière. Les renseignements facultatifs, mais bienvenus : nom du hameau, positionnement exact, photographies, liens vers des articles de presse ou des rapports en ligne, autres informations. En cliquant sur chaque repère de la carte, vous retrouvez ces infos quand elles sont disponibles. Vous pouvez télécharger un tableur de renseignement de la carte déjà formaté à ces liens : version Excel, version Open office.
  • A noter pour aider les recherches locales : votre syndicat de rivière / de bassin ou votre parc naturel a l'obligation légale (au même titre que les préfectures, les fédérations de pêche et les organismes à agrément public) de vous transmettre tous les dossiers relatifs à l'environnement, qui sont payés partiellement ou totalement sur fonds publics (voir le droit d'accès du citoyen à l'information environnementale). Cela inclut notamment toutes les études préparatoires à la continuité écologique, qui ne sont pas toujours publiées sur les sites accessibles au public. Un courrier recommandé demandant ces documents fait courir un délai de 30 jours au terme duquel votre interlocuteur est en défaut au regard de la loi, avec recours possible à la Cada. Le mieux est de l'adresser conjointement à la DDT-M Service de l'eau (qui a copie de la plupart des documents de suivi de la continuité) et au gestionnaire en charge du dossier (presque toujours un syndicat de rivière). Vous pouvez télécharger des modèles de demande : version Word, version Open Office.

A quoi sert cette carte ?
Cette carte a une double fonction d'information et de mobilisation.

Information : chacun peut l'utiliser dans la communication en direction des élus et des relais d'opinion pour montrer l'ampleur de la réforme de continuité écologique et ses implications pour les territoires. Certains "convaincus" de la cause de l'effacement seront probablement ravis de voir tous ces chantiers. D'autres, assez nombreux à en juger par les débats parlementaires des deux dernières années et par les nombreux conflits couverts par les médias, seront au contraire consternés de voir filer l'argent public dans des programmations qui provoquent autant de désagrément aux riverains pour des effets aussi négatifs sur le patrimoine, le paysage, l'énergie renouvelable. Et des résultats écologiques aussi peu garantis dans bien des cas.

Mobilisation : tous les ouvrages menacés ne seront certes pas détruits… mais ils le seront d'autant moins que les propriétaires et riverains pourront s'informer et s'organiser pour défendre leur cadre de vie. Cette carte y contribue en offrant à tous une visibilité sur les programmes en cours. Les associations de moulins et de riverains ont bien entendu un rôle clé dans l'organisation de cette mobilisation.

Que faire pour les ouvrages menacés ?
La défense des ouvrages hydrauliques passe par la coordination d'une réponse unitaire des propriétaires et par l'émergence de collectifs riverains, toute personne isolée étant la proie facile (et favorite) des effaceurs, de même que les petites collectivités plus perméables à diverses pressions de l'administration.

Les propriétaires d'ouvrages en rivière classée peuvent utiliser ces courriers types pour répondre à l'administration, si possible avec le concours d'un avocat.

Mais la continuité écologique, ce n'est pas seulement le dialogue fermé et inégal entre un propriétaire isolé et l'administration. La défense du patrimoine est une cause d'intérêt général. Et en dehors de sites très isolés, quand on efface un ouvrage, on remet en cause le cadre de vie des riverains, voire la sécurité et l'intégrité de leurs propriétés du fait des changements d'écoulement. Aujourd'hui même, l'administration et les gestionnaires de rivière sont en train de planifier les destructions qui auront lieu à l'étiage 2017. C'est dès maintenant qu'il faut se mobiliser! La carte des ouvrages menacés va permettre de le faire plus efficacement.

La mobilisation passe par les étapes suivantes :
  • exigence d'une autorisation "loi sur l'eau" et d'une enquête publique pour tout chantier modifiant plus de 100 m de profil de rivière (soit la très grande majorité des effacements, un formulaire type de requête au tribunal administratif sera disponible bientôt),
  • création si opportun d'un collectif représentant les riverains, demande par ce collectif, ainsi que par les associations et usagers, de participer au comité de pilotage des chantiers,
  • recherche en comité de pilotage des solutions non destructrices et de leur financement correct par les Agences de l'eau, 
  • participation la plus massive possible à l'enquête publique après rassemblement des arguments et des personnes en faveur du maintien des ouvrages menacés,
  • examen de la procédure et de l'arrêté préfectoral, recours gracieux puis contentieux si nécessaire,
  • en dernier ressort, manifestation sur site dans les cas où la concertation démocratique a été ouvertement méprisée.
Contactez notre association si vous avez un doute sur la légalité d'une procédure (obligation préalable: collecter sous format numérique et envoyer toutes les pièces pertinentes en courrier électronique). Nous vous aiderons dans la mesure de nos capacités à vérifier les documents, puis à contacter les autorités (ainsi que médias et avocats) si un chantier ne paraît pas règlementaire ou si des excès de pouvoir sont caractérisés.

Notre mobilisation collective sera déterminante
L'expérience récente montre, hélas, que l'on ne peut pas sauver tous les ouvrages de la destruction, même avec un fort engagement. Mais on peut en revanche exercer une pression démocratique pour défendre nos cadres de vie, chercher des solutions écologiques non destructrices du patrimoine, du paysage et des usages, rendre les effacements de plus en plus difficiles et décriés, créer des débats dans les médias et chez les élus, et finalement convaincre le législateur de la nécessité d'une réforme. La continuité écologique part d'une bonne intention, et d'une loi modérée. Elle a été transformée depuis la loi de 2006 en une machine à détruire les moulins, étangs et autres éléments du petit patrimoine hydraulique par une frange idéologisée de l'administration et par quelques lobbies ayant poussé à des solutions extrêmes, au service de leurs intérêts particuliers ou au nom d'une vision intégriste de la rivière "sauvage". Mais en dernier ressort, face à ce qui semble un rouleau compresseur, nous avons le pouvoir de dire non à ces dérives pour revenir à une écologie raisonnée des ouvrages hydrauliques. A condition de faire entendre collectivement notre voix. La carte des ouvrages détruits et menacés sera un outil de cette mobilisation collective.

Nota : la rubrique vademecum de ce site vous donne accès à plusieurs articles "outils" pour protéger vos droits et pour organiser la défense des ouvrages hydrauliques.

29/10/2016

Comment disparaissent les moulins du bassin de l'Armançon

Voici des documents iconographiques sur la destruction des ouvrages de Tonnerre par le syndicat de l'Armançon SMBVA – un chantier dont l'enquête publique avait pourtant conclu à l'absence d'intérêt général et d'intérêt écologique. Outre la chaussée de Perrigny-sur-Armançon, en sursis mais toujours intacte, le syndicat développe déjà de nouveaux projets sur les ouvrages du bassin versant. Les financements du SMBVA comme ceux de l'Agence de l'eau Seine-Normandie sont entièrement orientés en faveur des destructions partielles ou totales des moulins, au lieu d'une dépense publique plus constructive incitant à les aménager pour l'écologie et les équiper pour l'énergie. Si vous souhaitez couper court à ces dérives, préserver les moulins, leurs biefs et leurs plans d'eau, documentez-vous, diffusez les informations, saisissez vos élus. Et rejoignez-nous: nous lutterons ensemble pour préserver le patrimoine et le cadre de vie de nos territoires. 

Destruction de l'ouvrage des services techniques (Tonnerre)



Destruction de l'ouvrage Saint-Nicolas (Tonnerre)


Appel à la mobilisation des riverains pour faire cesser la casse du patrimoine hydraulique et la gabegie d'argent public (cliquer pour agrandir, télécharger et diffuser)


27/10/2016

Mobilisation de nervis et destruction sous haute garde: la continuité écologique en son âge post-démocratique

Au petit matin du jeudi 27 octobre 2016, le syndicat de l'Armançon SMBVA a choisi de faire évacuer la chaussée Saint-Nicolas de Tonnerre par une milice essentiellement constituée de pêcheurs. Cela afin de libérer la voie à la pelle mécanique qui a définitivement détruit le site. Deux plaintes judiciaires s'ajoutent désormais aux deux contentieux administratifs. Ces méthodes signent par ailleurs l'entrée de la continuité écologique dans son âge post-démocratique. L'association Hydrauxois appelle donc les défenseurs du patrimoine des rivières à la rejoindre pour un combat plus offensif contre l'arbitraire, ceux qui le propagent et ceux qui l'encouragent.


Le jeudi 27 octobre 2016, à 08:00, une milice privée de pêcheurs emmenée par deux employés du syndicat de l'Armançon SMBVA a détruit les panneaux et la tente des manifestants occupant pacifiquement le site de la chaussée Saint-Nicolas, tout en repoussant violemment deux d'entre eux derrière une grille.

Par la suite, sous les yeux de pas moins de 35 personnes (gendarmes, direction et personnel du SMBVA, pêcheurs et officiels de la pêche de l'Yonne), la pelleteuse est entrée en action pour détruire définitivement la chaussée Saint-Nicolas.

Ce projet et celui de Perrigny-sur-Armançon faisaient déjà l'objet de deux avis défavorables en enquête publique (pas d'intérêt général, pas d'intérêt écologique) et de deux requêtes en annulation des arrêtés préfectoraux les autorisant. S'y ajoutent désormais deux plaintes dans l'ordre judiciaire – l'une pour intrusion et dégradation de propriété, l'autre pour voie de fait. La plainte déposée au procureur visera à  déterminer l'identité des personnes responsables de cette action directe – certaines sont déjà connues, d'autres non. Mais il s'agira également d'interroger les raisons pour lesquelles les forces de l'ordre ont toléré ces pratiques, et d'accéder aux consignes données par la préfecture de l'Yonne si l'instruction le permet.

Plusieurs enseignements doivent être tirés de ce triste épisode.

D'abord, l'équipe dirigeante du SMBVA et ses agents sont manifestement incapables de gérer de manière concertée et apaisée la mise en oeuvre de la continuité écologique. Leurs préjugés en faveur de la destruction des ouvrages anciens et leur mépris pour l'opinion divergente des riverains ne produisent que confusion et conflit. Il paraît inconcevable à l'association Hydrauxois que les mêmes dirigeants et exécutants poursuivent la même politique en 2017. Nous en avertissons d'ores et déjà les élus du bassin : sur les différents projets récemment mis en avant par le SMBVA dans son contrat global et dans ses comités syndicaux, tout chantier d'effacement de moulin mené dans des conditions similaires à ceux de Perrigny-sur-Armançon et de Tonnerre donnera désormais lieu à contentieux. Et cette fois bien avant l'arrêté préfectoral, puisque le temps de la justice n'est pas respecté par les casseurs lorsqu'elle est saisie trop tard.

Ensuite, et plus gravement, nous sommes entrés dans l'ère post-démocratique de la continuité écologique. Il était déjà manifeste que les casseurs d'ouvrages d'hydrauliques n'ont aucune envie d'argumenter sur les enjeux de fond (c'est-à-dire sur l'écologie, le patrimoine, le paysage, l'énergie, le cadre de vie des gens). Il était déjà patent que la "concertation" se limitait à l'exercice organisé d'un chantage par l'administration et le gestionnaire – vous effacez votre ouvrage hydraulique et tout se passera bien, ou vous aurez un dossier très compliqué à fournir pour payer très cher une passe à poissons. Nous montons maintenant d'un cran, avec des milices privées délogeant des manifestants et des pelleteuses faisant leur sale travail sous la surveillance de gendarmes.

Poussée au bout de sa logique dès qu'elle rencontre une résistance citoyenne, la réforme administrative de continuité écologique montre là son vrai visage: celui de la violence institutionnelle. Cela n'en rend que plus urgente l'intervention résolue du législateur pour mettre fin à ces dérives et refonder la politique des rivières.

Hydrauxois a toujours accordé la plus grande importance au débat, à l'information et à l'argumentation – en témoignent les plus de 400 articles et dossiers publiés sur le site de l'association. Nous continuerons de le faire, car nous n'allons pas sacrifier les plaisirs et les vertus démocratiques de l'échange d'idées sous prétexte que des sots, des satrapes et des sectaires les salissent. Mais il est manifeste que cela ne suffit plus.

Le tournant post-démocratique de la continuité écologique indique que les droits des riverains ne sont plus garantis aujourd'hui dans des conditions correctes. Au-delà des arguments, nous devons mener une politique beaucoup plus offensive à l'encontre de ceux qui propagent l'arbitraire et l'injustice, qu'il s'agisse d'administrations, de gestionnaires ou de lobbies. Les excès de pouvoir, les informations biaisées, les doubles standards, les combines opaques de l'oligarchie des casseurs ne peuvent plus être tolérés dans un dossier qui les accumule depuis trop longtemps. Une stratégie sera déployée en ce sens dans les mois à venir. Nous appelons d'ores et déjà tous les citoyens attachés au patrimoine des rivières à nous rejoindre et à nous soutenir dans ce combat.

Effacement d'ouvrages à Tonnerre: l'Onema avait pointé le manque de sérieux du diagnostic

La Préfecture de l'Yonne a sollicité l'avis de l'Onema sur les effacements des ouvrages hydrauliques de Tonnerre. Cet avis a été favorable, ce qui ne surprendra pas, sous réserve de diverses observations. Ainsi, l'Office déplore le manque de rigueur du diagnostic biologique préalable au chantier… ce que l'association Hydrauxois a également pointé et ce qui a notamment mené le commissaire-enquêteur à douter de la pertinence écologique du projet. On efface des barrages sans même prendre soin d'étudier les espèces en place. Ce n'est pas de l'écologie, mais de l'idéologie.

L'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) joue notamment le rôle de conseiller technique et scientifique des services instructeurs de l'Etat pour ce qui concerne la politique des rivières.

Dans l'avis formulé le 18 février 2016 sur le projet d'effacement des ouvrages Saint-Nicolas et des services techniques de Tonnerre, l'Onema souligne à propos des paramètres biologiques (cliquer pour agrandir) :



En substance, le syndicat de l'Armançon n'a pas jugé bon étudier les poissons et insectes réellement présents dans les retenues des ouvrages et le bras concerné de l'Armançon. Et il a pris comme espèce-repère le chabot (espèce sédentaire incapable de mobilité importante) plutôt que les cyprinidés rhéophiles, les anguilles et les brochets.

Ces remarques sont aussi valables pour le cas de Perrigny-sur-Armançon.

Le syndicat SMBVA propose d'effacer des ouvrages hydrauliques sans même faire les mesures élémentaires consistant à diagnostiquer les peuplements amont, aval et dans les retenues. Ce qui est nécessaire d'une part pour vérifier au préalable qu'il existe un problème écologique sérieux appelant correction ; d'autre part pour garantir après les travaux qu'il y a eu des gains conséquents en résultat de la dépense d'argent public et en compensation, si l'on peut dire, de la destruction du patrimoine.

A dire vrai, la même légèreté prévaut sur tous les chantiers de ce syndicat, c'est aussi le cas sur les projets en cours d'aménagement de la Brenne à Montbard. L'association Hydrauxois, au comité de pilotage dans ce dernier cas, a déjà signalé au début de l'année que le diagnostic écologique de la Brenne aval est insuffisant en l'état pour justifier le moindre aménagement du seuil de l'Hôpital et du seuil Poupenot.

Le syndicat de l'Armançon prétend agir au nom de l'écologie des milieux aquatiques ; mais comme bon nombre de gestionnaires, il ne prend même pas la peine d'établir un diagnostic de biodiversité des hydrosystèmes qu'il bouleverse à la pelleteuse. Et encore moins de réfléchir aux causes quand le diagnostic est posé, la répétition de mots d"ordre catéchétiques et généralistes faisant office d'argumentation. Le manque de rigueur et d'honnêteté intellectuelles dans la mise en oeuvre de la continuité soi-disant "écologique" est désolant. Des bureaucraties appuient sur des boutons pour atteindre leurs quotas d'ouvrages détruits, sans empathie aucune pour le patrimoine, mais aussi sans rapport avec l'état réel des rivières et les priorités pour améliorer cet état. La lutte contre cette imposture est plus que jamais nécessaire.