07/11/2016

Les moulins auraient-ils fait disparaître 90% des saumons du Paléo-Rhin? (Lenders et al 2016)

Une équipe de chercheurs néerlandais suggère que plus de 90% des saumons du bassin Paléo-Rhin (Seine, Rhin, Meuse, Tamise) pourraient avoir disparu avant le XIXe siècle à cause de l'impact des moulins à eau. Voilà une assertion tout à fait extraordinaire, dont les "preuves" sont cependant assez fragiles. Nous montrons ici que l'estimation quantitative proposée par les scientifiques est très indirecte, et que certaines données mobilisées peuvent aussi bien conclure que les pêcheries (davantage que les moulins) sont responsables du déclin supposé au Moyen Âge. Mais une chose est néanmoins certaine: l'Anthropocène a des racines plus lointaines que la modernité industrielle. Les sociétés humaines ont de très longue date modifié la nature, ces actions ne sont pas toutes réversibles et le vivant co-évolue désormais avec l'homme, pour le meilleur comme pour le pire. Cela contredit un certain imaginaire naïf du retour facile au "paradis perdu" de la "rivière sauvage" – comme si l'influence humaine pouvait être éliminée de l'évolution alors qu'elle en est un agent majeur. Analyse et discussion. 

L'histoire et l'archéologie de l'environnement sont des disciplines encore émergentes, mais dont la contribution sera déterminante pour améliorer notre compréhension de la variabilité des écosystèmes. Selon les géologues, nous sommes désormais dans l'ère de l'Anthropocène, celle où l'influence humaine est devenue l'un des premiers facteurs de changement du système Terre. L'étude de cette influence humaine sur le temps long nous dira l'ancienneté et l'intensité de son impact par rapport à la variabilité "naturelle non-anthropique" des espèces et des biotopes. Elle nous renseignera aussi sur les espoirs que l'on peut, ou au contraire ne peut pas, raisonnablement entretenir sur la restauration de des écosystèmes par rapport à un objectif (l'idéal du retour à un "état de référence" antérieur à une influence humaine significative).

Le déclin des stocks de saumon atlantique (Salmo salar) est généralement rapporté aux impacts des XIXe et XXe siècles : hydraulique fluviale, pollution, surpêche. Divers témoignages montrent que sur certains bassins, les saumons sont encore nombreux au début de l'ère industrielle. Mais cette abondance se retrouve-t-elle partout? Et peut-elle être la relique d'une population passée plus abondante encore? Rob Lenders (Université Radboud) et ses collègues ont souhaité analyser les évolutions du grand migrateur avant le XIXe siècle. Ils ont étudié des rivières de la zone "paléo Rhin", soit le nord-ouest de l'Europe (Rhin, Meuse, Scheldt, Seine, Tamise).

Pour analyser un phénomène ancien, on peut utiliser des marqueurs directs, comme ici des vestiges d'animaux dans des sédiments, ou bien des marqueurs indirects que l'on nomme "proxies" dans la littérature scientifique anglo-saxonne. Un proxy est un indice corrélé au phénomène que l'on étudie. Par exemple, dans les études climatiques, les cernes de croissance des arbres ou certains isotopes de l'oxygène sont considérés comme des proxies des températures passées et permettent des reconstructions de température sur des millénaires ou des éons, à une époque où les thermomètres n'existaient pas. Un proxy est toujours entaché d'incertitude par rapport à une observation directe, pour au moins deux raisons : il ne reflète pas exactement le phénomène étudié (d'autres causes font co-varier l'indice) ; il est de reconstruction empirique, donc dépend de la quantité et de la qualité des indices accumulés.

Pour évaluer les populations anciennes de saumon, les indices utilisés par les chercheurs dans ce travail sont les suivants:
  • le prix du saumon sur le continent (Normandie 1260-1420, Cologne 1550-1600) rapporté à celui des autres sources de protéines et corrigé de l'inflation,
  • le prix du saumon en Ecosse (XIVe-XVIe siècle),
  • les statistiques de pêche (Pays-Bas 1650-1800, 1798-1827, 1885-1939)
  • le ratio entre vestiges (os) de saumon et de brochet (55 mesures sur 21 sites comportant des vestiges de S. salar, 6 en France, les autres en Belgique et surtout Pays-Bas)
  • le nombre de moulins construits sur des rivières (Rhin et Meuse, parties belges, allemandes et néerlandaise).
Les schémas ci-dessous montrent un déclin des quantités de saumons sur le continent d'après les analyses de prix et les déclarations de pêcherie (index fixé à 100 au début de la série), mais pas en Ecosse.


Extrait de Lenders et al 2016, art cit, droit de courte citation.

Les schémas ci-dessous montrent la croissance des moulins Rhin-Meuse (en haut, année de premier signalement en archive) en comparaison de la décroissance de l'indice saumon (en bas).


Extrait de Lenders et al 2016, art cit, droit de courte citation.

Les chercheurs attribuent la cause principale de la raréfaction du saumon au développement des moulins et aux modifications d'habitats qu'ils induisent. Ils concluent : "les populations [de saumon] ont décliné de plus de 90% dans la période allant du haut Moyen Âge (c 450-900 AD) au début des Temps modernes (c 1600 AD). Ces déclins spectaculaires ont coïncidé avec l'amélioration de la technologie des moulins à eau et leur expansion géographique à travers l'Europe. Nos extrapolations suggèrent que les migrations historiques du saumon atlantique ont dû être vraiment abondantes à une certaine époque".

Discussion
L'approche choisie par Rob Lenders et ses collègues est intéressante, mais elle paraît fragile à bien des égards. Et certaines sources mobilisées sont interprétées différemment des conclusions de leur auteur.

Quelles sont les réserves que l'on peut émettre?

  • La qualité des proxies est très variable, pour beaucoup centrés sur la Belgique et les Pays-Bas (dont l'hydrogéologie n'est pas celle de tout l'ensemble du Paléo-Rhin); 
  • la quantité de proxies économiques est faible (quelques séries locales) rapportée à l'ensemble du bassin et à la période de 1000 ans étudiée;
  • l'interprétation de ces proxies est parfois audacieuse, pour ne pas dire plus. Par exemple, le fait qu'un prix local du saumon est multiplié par 9,6 sur une période est directement traduit en une baisse de stock de 90% du saumon dans le bassin, sans estimation des incertitudes liées à la fois à la reconstruction économique de l'indice de prix et au rapport entre ce prix et le stock réel des populations (hypothèse peu réaliste : le proxy serait parfaitement estimé et il reflèterait parfaitement le phénomène étudié);
  • une question centrale, évoquée mais assez vite écartée, est le fait de savoir si ce sont les moulins ou les pêcheries traditionnellement accolées aux moulins qui ont fait baisser les stocks de géniteurs. Typiquement, le travail de Xavier Halard (Halard 1983), qui est cité comme l'une des "preuves" de l'hypothèse avancée (la série normande), expose une réalité différente de l'hypothèse de Lenders et al: "la multiplication des moulins accrut le nombre de pêcheries à tel point que le saumon fut surexploité (…) loin d'avoir contribué à une gestion rationnelle de cette source de revenus, les propriétaires de ces pêcheries semblent avoir exploité au maximum ce poisson sans tenir compte des activités économiques qui se créaient aux abords des rivières" (allusion aux alternances déforestation et afforestation). Dans ces conditions, est-il très rigoureux d'interpréter les données de Halard 1983 comme un indice des changements de franchissabilité et d'habitat, c'est-à-dire un indice de l'impact morphologique moulin, au lieu d'un indice de l'impact socio-économique pêche, hypothèse retenue par le chercheur normand?;
  • l'Ecosse montre une tendance à contre-courant du continent, alors que ce pays a aussi connu le développement des moulins et des pêcheries sur ses rivières (par exemple Bishop et Munoz-Salinas 2013 sur les implantations de ces moulins en lien à la morphologe post-glaciaire). Des travaux sur d'autres bassins de contrôle (Loire-Allier, Adour-Garonne-Dordogne) seraient bienvenus car les mêmes causes (développement des moulins) sont censées produire les mêmes effets partout, à moins qu'il manque des facteurs confondants non explicités et non mesurés;
  • le choix de la comparaison os de saumon / os de brochet est assez alambiqué. Les auteurs le justifient par le fait que les deux espèces sont carnassières, de taille équivalente, mais ayant des exigences d'habitats très différentes. On pourrait déjà étudier la tendance des seuls vestiges de saumon (sans la sophistication du ratio avec le brochet), et aussi bien comparer les saumons avec d'autres salmonidés ou d'autres migrateurs (par exemple, si l'impact physique et morphologique des moulins est en cause, le nombre de vestiges de truites, truites de mer, lamproies, aloses doit lui aussi avoir tendanciellement baissé sur la période). A noter que ce ratio vestige saumon / brochet n'évolue pas comme on s'y attend à l'époque moderne (il augmente sur 1500-présent), ce que les auteurs attribuent à des "importations" (cela montre quand même la fragilité de ce proxy pour estimer des abondances populationnelles, a fortiori des causes de leur variation);
  • affirmer que les quantités de saumon avaient déjà baissé de 90% au XVIIe siècle suppose que les bassins du Paléo-Rhin avaient la capacité biogénique d'accueillir des populations considérables du grand migrateur, tant pour le frai que pour le grossissement. Ce point serait à confirmer par des modèles écologiques.

Il y a donc encore du travail pour reproduire et affiner les résultats de Lenders et de ses collègues, tant sur la robustesse de leurs estimations quantitatives que sur celle de leurs inférences causales.

Dans l'hypothèse où ces estimations seraient confirmées, les conclusions à en tirer ne sont pas évidentes. Si les hydrosystèmes nord-européens sont modifiés substantiellement depuis plus d'un millénaire et ont massivement changé leurs assemblages de poissons (comme leur morphologie), l'idée de revenir à l'état des eaux tel qu'il était (peut-être) à l'Antiquité tardive ou au haut Moyen-Âge paraîtrait un objectif difficile à articuler comme politique publique au XXIe siècle. En particulier à une époque où le changement climatique, qui devrait influencer le vivant sur plusieurs siècles sinon plusieurs millénaires, est en train de modifier les conditions hydrologiques et thermiques de tous les bassins.

Le vivant n'est pas un système réversible où l'homme pourrait choisir à la carte un état passé pour y revenir facilement. Les bassins versants actuels n'ont plus rien à voir avec ce qu'ils étaient voici un millénaire, encore moins à ce qu'ils étaient avant la sédentarisation et l'invention de l'agriculture qui ont modifié toutes les dynamiques d'usage des sols. La définition même de l'Anthropocène indique que l'influence humaine est reconnue comme un facteur d'évolution, non un paramètre externe ou transitoire. Des espèces ont disparu des rivières, d'autres sont apparues: ce schéma n'est pas la perturbation d'un ordre naturel immuable, comme on le croyait à l'époque créationniste, mais se confond avec la dynamique du vivant.

Référence : Lenders HJR et al (2016), Historical rise of waterpower initiated the collapse of salmon stocks, Nature Scientific Reports, 6:29269, DOI: 10.1038/srep29269

Illustration haut : pêche au filet devant une digue, époque médiévale (DR). Avec leurs systèmes de chaussées, vannes, biefs et retenues, les moulins étaient souvent associés à des pêcheries. Il est donc difficile de distinguer les impacts. L'histoire pré-moderne apporte de nombreux témoignages de certains excès locaux de pêche, ayant conduit à des premières réglementations (en France par exemple, l'ordonnance royale des eaux et forêts d'août 1669, qui elle-même se référait à des législations plus anciennes et continues depuis Charlemagne).

06/11/2016

Les petits barrages (de castor) ont aussi des avantages (Puttock et al 2017)

Des chercheurs anglais montrent que la succession de petits barrages et retenues d'un couple de castors européens (Castor fiber) diminue le risque de crue, améliore le stockage d'eau et élimine des polluants. Un effet très bénéfique selon eux. La fragmentation des cours d'eau et la création de zones lentiques peuvent donc avoir des avantages… n'en déplaise aux idéologues de la continuité écologique "à la française".



Les castors sont une espèce ingénieur, capables de remodeler les écosystèmes des rivières, tant les ripisylves que les lits mineur et majeur. Avant leur quasi-extermination par l'homme entre l'Antiquité et le XIXe siècle, ils étaient probablement omniprésents dans les rivières eurasiennes et nord-américaines. Les castors ont une stratégie de construction de niche très particulière, qui consiste à créer si nécessaire des petits barrages formant des retenues, afin d'avoir toujours une certaine hauteur de lame d'eau (celle-ci est généralement insuffisante pour les castors dans les rivières peu profondes des têtes de bassin).

Au Royaume-Uni, Allan Puttock et ses collègues (Université d'Exeter) ont réintroduit 2 castors européens (Castor fiber) dans le cadre du Devon Beaver Project. Le site de l'expérience était une petite rivière boisée de tête de bassin (Tamar), de température moyenne annuelle de 14°C et de pluviométrie de 918 mm. Le couple de castors a été introduit dans un enclos de 3 ha, à l'aval d'une terre agricole (prairie) de 20 ha exploitée de manière intensive. En quelques années, un réseau de 13 barrages et retenues est apparu (image ci-dessus).

Les chercheurs ont mesuré quelques effets de cet hydrosystème fragmenté. Leurs résultats:
  • les barrages ont augmenté le stockage local d'eau de 1000 m3,
  • une réduction significative des effets des crues est mesurée à l'aval, qu'il s'agisse de la baisse des pics de crue (-30%) et du débit total (-34%) ou de la hausse du délai entre le pic pluviométrique et le pic de débit lors des tempêtes (+29%),
  • les matières en suspension, phosphate et azote ont montré des baisses de concentration entre l'entrée et l'exutoire des barrages (effet inverse pour le carbone organique dissous), cliquer image ci-dessous pour agrandir.


Extrait de Puttock et al 2016, art. cit. droit de courte citation

Puttock et ses collègues observent que ces effets tiennent notamment à la discontinuité de l'écoulement et à la réduction de continuité longitudinale. Ce travail s'ajoute à de nombreux autres qui soulignent l'impact positif des castors sur les écosystèmes et l'intérêt que la gestion de bassin pourrait en retirer. Certains chercheurs comparent l'effet des barrages de castor à ceux des chaussées de moulin (voir Hart et al 2002). Et pour cause, car du point de vue fonctionnel, les avantages soulignés par Puttock et ses collègues (écrêtage des petites crues, stockage d'eau, ralentissement et épuration de certains composés) ont de bonnes chances de se retrouver pour d'autres obstacles à l'écoulement que les ouvrages des castors. En revanche les moulins, contrairement aux castors, n'alimentent pas toujours des zones humides latérales (mais ce cas de figure se retrouve sur certains biefs en haut de thalweg déversant en contrebas).

Référence: Puttock A et al (2017), Eurasian beaver activity increases water storage, attenuates flow and mitigates diffuse pollution from intensively-managed grasslands, Science of the Total Environment, 576, 430–443

Illustrations en haut : plan SW Archaology (DR) et photos Devon Wildlife Trust (DR) des aménagements, article cité. Les barrages de castor remplacent typiquement un écoulement lotique en chenal étroit et boisé par des retenues lentiques plus larges et plus éclairées. Ce phénomène est qualifié (par les idéologues français de la continuité) de grave dérèglement quand il est le fait des chaussées de moulin. Il est vrai que si le véritable objectif de la continuité écologique est de donner au lobby pêcheur son quota de poissons rhéophiles ou migrateurs, ni les castors ni les moulins n'ont un effet facilitateur.

04/11/2016

Lettre ouverte aux élus de l'Armançon sur la destruction des ouvrages hydrauliques

Notre association a adressé une lettre ouverte à l'ensemble des élus du bassin de l'Armançon. Les délégués doivent se réunir en comité syndical le 15 novembre 2016 à Ancy-le-Franc: nous sollicitons un débat sur la politique des ouvrages hydrauliques menée par le SMBVA, ses objectifs et ses méthodes. 


Madame, Monsieur,

Si l’émotion reste vive après les destructions des ouvrages de Tonnerre, une réflexion de fond est désormais nécessaire. C’est l’objet principal de cette lettre. Veuillez en pardonner la longueur : certains sujets se prêtent difficilement au raccourci, sauf à verser dans le slogan ou la caricature. La réforme dite de « continuité écologique » en fait partie. La politique du SMBVA en ce domaine aussi.

Nombre de communes riveraines du bassin de l’Armançon possèdent au moins une retenue de moulin. Et nombre d’entre elles pourraient voir disparaître ce patrimoine sur les rivières classées au titre de la « continuité écologique ». Plus d’une centaine d’ouvrages sont concernés sur le bassin de l’Armançon, près d’un millier en Bourgogne.

Cette orientation très récente est assez exceptionnelle pour mériter notre attention.

Tonnerre et Perrigny-sur-Armançon : bref retour sur le contexte et les faits
Quelques mots sont d’abord nécessaires sur les chantiers de Tonnerre et Perrigny-sur-Armançon, qui ont été couverts par plusieurs médias et qui ont fait l’objet d’un courrier incomplet du président du SMBVA.

De manière synthétique, voici les points essentiels à retenir sur le contexte général entourant la continuité écologique aujourd’hui, donc concernant aussi les destructions de moulins sur l’Armançon:
  • la casse des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique soulève une opposition croissante en France, plus de 300 institutions et 1300 élus dont 36 parlementaires ont déjà signé un appel national à cesser les destructions (Bourgogne, première région signataire), des chercheurs de renom ont émis des réserves sur sa méthode voire sur son intérêt dans le cas des petits ouvrages de rivières ordinaires;
  • face à ces problèmes désormais reconnus, la loi a été modifiée (été 2016) pour laisser un délai de 5 ans supplémentaires à la mise en conformité et pour mieux prendre en compte la dimension patrimoniale des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques;
  • la Ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, a proposé un plan de relance de la petite hydro-électricité en 2016, en même temps qu’elle a appelé devant le Parlement à cesser la destruction des moulins et a écrit aux préfets une instruction (9 décembre 2015) pour différer ces chantiers dans les cas posant des incompréhensions persistantes;
  • un rapport du CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable) a été commandité par la Ministre, pour faire évoluer encore la réforme de continuité écologique, notamment sa mise en œuvre administrative et son financement;
  • deux rapports parlementaires 2016 (Dubois et Vigier en février, Pointereau en juillet) ont souligné cette même nécessité de remettre cette question à plat, vu les problèmes et retards observés sur le terrain.
Premier enseignement : les problèmes liés aux destructions d’ouvrages hydrauliques ne sont pas une exception locale de l’Armançon, mais bien désormais un débat politique national faisant suite au retour critique de la mise en place du Plan dit « Grenelle » 2009 de restauration de continuité écologique et aux classements des rivières arrêtés en 2012 et 2013.  Outre les évolutions déjà votées, plusieurs parlementaires ont fait part de leur souhait d’engager dès le début de la prochaine législature une approche plus équilibrée de cette question, en raison de ses coûts importants, de son ampleur peu réaliste et des dommages parfois créés aux autres usages de la rivière.

Dans le cas de Tonnerre et de Perrigny-sur-Armançon, voici les faits tels qu’ils se sont déroulés depuis 6 mois:
  • une mobilisation citoyenne (trois associations, deux collectifs riverains) s’est levée contre les projets d’effacement, perçus comme une dépense indue d’argent public, une destruction aberrante de patrimoine historique, une atteinte aux droits des riverains des retenues et un chantier vide de tout gain écologique significatif;
  • l’enquête publique a confirmé les critiques portées par les citoyens et a conclu à l’absence d’intérêt général et d’intérêt écologique du projet, le SMBVA n’ayant notamment fait aucune démonstration convaincante de la réalité d’un enjeu sédimentaire et biologique au droit des sites;
  • malgré cet avis défavorable, le SMBVA et la Préfecture de l’Yonne ont persisté dans le projet de casse des ouvrages, voté en réunion fermée du Coderst et essentiellement grâce aux voix des instances administratives au sein de ce comité, affichant ainsi leur mépris de l’avis des citoyens et du commissaire-enquêteur comme de la demande de Madame la Ministre de calmer le jeu sur les effacements contestés de moulins;
  • les décisions préfectorales ont fait l’objet d’un recours gracieux de notre association et d’une annonce de recours contentieux en cas de fin de non-recevoir;
  • sans attendre ces voies de recours, ultime possibilité pour les citoyens de défendre leur point de vue devant le juge, le SMBVA a cassé dans la précipitation l’ouvrage des services techniques de Tonnerre, le surlendemain de l’information dans la presse de l’existence de l’arrêté préfectoral;
  • dix jours plus tard, le syndicat a fait déloger par une milice de pêcheurs les manifestants pacifiques qui occupaient la partie droite de l’ouvrage Saint-Nicolas de Tonnerre et l’a détruit à son tour.
Outre les deux requêtes en annulation des arrêtés préfectoraux, deux plaintes contre le syndicat sont déposées – notamment par le riverain en rive droite du seuil Saint-Nicolas, qui n’a pas donné son autorisation aux travaux sur la moitié du lit et de la berge dont il est propriétaire (mais qui a en revanche autorisé le collectif riverain à y manifester librement).

La justice tranchera désormais. Quels que soient ses verdicts, le comportement du SMBVA a profondément choqué l’ensemble des personnes mobilisées et a renforcé leur détermination à lutter contre de telles méthodes.

La seule réponse du syndicat a été la brutalité du fait accompli, la disparition des ouvrages, l’impossibilité conséquente pour la justice de prévenir l’irréparable. L’ouvrage Saint-Nicolas était présent depuis plusieurs siècles, en très bon état de conservation, il n’y avait aucune urgence à le détruire dans un contexte aussi problématique et par des procédés aussi contestables.

Trois idées fausses sur l’opposition à la destruction des ouvrages hydrauliques
Nous avons le regret de constater que la première réaction du président du SMBVA consiste à minimiser l’existence des problèmes. On peut pointer (au moins) 3 idées fausses.

Le refus de la destruction au nom de la continuité écologique serait marginal et le fait de quelques individus isolés. Faux. Plusieurs associations sont mobilisées au plan local, et ce phénomène n’est pas nouveau : le premier projet pilote du bassin en continuité écologique (ancienne usine hydro-électrique de Semur-en-Auxois) s’est soldé par un échec en raison des propositions exclusivement centrées sur la destruction et de la très forte résistance des associations semuroises. La grande majorité des propriétaires d’ouvrages et des riverains de leurs biefs ou retenues sont aujourd’hui hostiles aux propositions qui leur sont faites par l’administration ou parfois par le SMBVA. Selon un courrier reçu ce mois du Préfet, seules 17 mises en conformité à la continuité écologique ont été effectuées dans l’ensemble du département de l’Yonne contre plus de 300 ouvrages autorisés qui auraient dû être traités en 2017, ce qui témoigne de la force du blocage sur ce dossier (94% des ouvrages orphelins de solution viable). Les proportions sont similaires en Côte d’Or. Les enquêtes publiques démontrent la réalité du problème et le refus des riverains de voir l’argent public dépensé pour modifier un cadre de vie apprécié, sans gain environnemental garanti. C’est aussi désormais un débat national ayant conduit la Ministre de l’Environnement et la Ministre de la Culture à prendre position. Près de 100 questions écrites et orales au gouvernement ont été posées ces 18 derniers mois par nos députés et sénateurs sur le thème des seuils et barrages (ce qui n’a rien d’anecdotique pour un sujet modeste eu égard à l’actualité chargée du pays).

Le propriétaire seul déciderait de l’effacement de son bien, son accord suffit. Faux. Une destruction de seuil ou de barrage est un chantier, exactement comme une construction, et ce chantier a des effets allant au-delà du génie civil de l’ouvrage lui-même : ce n’est pas simplement le bon-vouloir d’un propriétaire qui suffit à le rendre acceptable ni réglementaire. D’abord, l’argent public est dépensé (le propriétaire n’efface jamais à ses frais), donc le citoyen a un droit de regard sur l’intérêt de cette dépense (particulièrement en cette période difficile pour les personnes et les collectivités, où dilapider l’argent public à faire disparaître des ouvrages anciens ne paraît vraiment pas une priorité pour la plupart des citoyens interrogés à ce sujet…). Ensuite, casser un ouvrage a des effets sur les propriétés des tiers dans l’influence amont / aval des écoulements modifiés par le barrage (érosion, fragilisation du bâti et des berges, modification des régimes d’inondation, abaissement de la nappe, etc.) ainsi que sur l’environnement (remobilisation de sédiments pouvant être pollués, présence à vérifier d’espèces dans l’influence de la retenue, etc.). Enfin, le patrimoine et le paysage sont aussi des biens communs. C’est pour cela que tout chantier modifiant plus de 100 m du profil en long d’une rivière appelle une autorisation administrative « loi sur l’eau » et une enquête publique.

Les opposants à la casse des ouvrages ne proposeraient rien. Faux. Plus de 400 articles et dossiers ont été publiés par notre association depuis 2012 (dont 77 recensions de travaux scientifiques sur l’écologie des rivières), avec des dizaines de conférences et réunions de conciliation, des conseils aux maîtres d’ouvrage communaux ou privés, des assistances juridiques ou techniques, l’accueil d’un étudiant stagiaire ayant analysé la problématique de continuité sur un tronçon de l’Armançon. Tout cela de manière bénévole, précisons-le. Notre discours sur les ouvrages et les rivières est clair :
  • chaque site concerné par la solution de l’effacement doit faire l’objet d’un inventaire de biodiversité et le gain écologique potentiel du chantier doit y être estimé de manière correcte (par l’usage des référentiels publics déjà existants d’évaluation de qualité des milieux), sinon on produit de l’idéologie et de la gabegie, pas de l’écologie efficace ; 
  • la continuité écologique telle que la loi l’exige réellement (tout ouvrage doit être « géré, équipé, entretenu », et non arasé ou dérasé) peut être assurée par des solutions non destructrices et réversibles, dont certaines sont peu coûteuses (du plus simple au plus complexe : ouverture de vanne, augmentation du débit minimum biologique, passe à poissons, rivière de contournement). C’est dans cette direction que les établissements publics doivent travailler prioritairement avec les maîtres d’ouvrage et les riverains concernés, pas dans la vaine tentative d’imposer une destruction non consentie au nom de promesses écologiques peu crédibles ou peu tangibles; 
  • la priorité écologique des rivières est définie par l’obligation de résultats liée aux directives européennes (nitrates, eaux résiduaires urbaines, DCE, pesticides). L’argent public doit être dépensé sur les facteurs clairement identifiés de pollution et d’altération des indicateurs du bon état écologique et chimique. Nous avons encore du retard sur des exigences basiques posées par l’Europe depuis longtemps, on ne peut pas se permettre d’accumuler des mesurettes dispersées sur le « reprofilage morphologique », dont la recherche a souvent montré l’effet faible à nul sur les espèces aquatiques ;  
  • le patrimoine des moulins et étangs appartient à l’identité historique, paysagère et culturelle de nos territoires, c’est un patrimoine à préserver, restaurer et valoriser (ce que font pour leur part nos adhérents quand ils sont propriétaires) plutôt qu’à détruire ; 
  • l’équipement hydro-électrique de ces moulins peut produire une énergie locale et propre, de nature à lutter contre la menace prioritaire du changement climatique. Le potentiel total estimé dans le SAGE 2013 de l’Armançon est de 76 millions de kWh / an, ce qui ferait un équivalent revenu annuel d’environ 9 millions d’euros en cas d’équipement de tous les sites du bassin et de revente de leur production au réseau aux tarifs H2016. (L’hypothèse d’un tel équipement total n’est évidemment pas réaliste, mais cela donne un ordre de grandeur du potentiel du bassin si une politique volontariste était engagée. Même le dixième de cette production et de ces revenus serait un début très appréciable !) ;
  • de notre point de vue, la vocation d’un syndicat est de traiter l’ensemble des enjeux de la rivière et des attentes des riverains, sans exclusive, l’argent mobilisé par l’action syndicale étant celui des citoyens qui paient déjà des taxes sur l’eau et paieront demain la future taxe GEMAPI. Ce n’est pas parce que le SDAGE et l’Agence de l’eau Seine-Normandie font (aujourd’hui) peu de cas du patrimoine, du paysage,  de l’énergie et des usages locaux des ouvrages hydrauliques que ces thèmes sont pour autant absents de l’histoire et de l’avenir de nos rivières,  du cadre de vie des riverains et donc des enjeux des communes adhérentes au SMBVA. Le syndicat n’est pas un simple exécutant aux ordres du financeur public principal (Agence de l’eau), il doit aussi produire une réflexion propre, en concertation avec tous les usagers, et la défendre.


Le SMBVA a choisi de ne financer que des effacements : pourquoi cette posture excessive que n’ont pas les autres EPTB ?
Le cas de Tonnerre et de Perrigny-sur-Armançon est à nos yeux le symptôme d’un problème plus profond : l’engagement du SMBVA dans une vision partiale et partisane de la rivière, une vision où les héritages historiques ne comptent pas, où les paysages des retenues et biefs sont réputés hors de l’intérêt général, où tout pourrait finalement être sacrifié à une hypothétique (pour ne pas dire fantasmatique) « renaturation » de la rivière, soit à une interprétation assez abstraite et parfois biaisée de l’écologie des milieux aquatiques.

Exagération ? Nous n’avons pas lu une seule ligne ni entendu un seul discours du SMBVA (ou de l’ancien Sirtava) témoignant d’un intérêt réel pour les moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques du bassin. En revanche, de nombreux propriétaires adhérents de notre association ont été approchés par le syndicat depuis 2010  avec des incitations exclusivement centrées sur la destruction de leurs ouvrages. On peut améliorer un transit sédimentaire et un franchissement piscicole sans détruire. Mais depuis l’époque du Sirtava et jusqu’au SMBVA aujourd’hui, le syndicat n’a montré aucun intérêt pour ces alternatives « douces » et il serait bien en peine d’exposer au public des chantiers d’aménagement organisés sous sa maîtrise d’ouvrage. Ce choix du SMBVA orienté vers le seul effacement est contraire au nouveau discours des autorités (cf réponses récentes du Ministère aux parlementaires), discours posant aujourd’hui que toutes les solutions de continuité écologique sont ouvertes, que le « cas par cas » est de mise et que la destruction doit désormais être limitée à des ouvrages clairement abandonnés.

Au sein du programme d’action du Contrat Global 2015-2019 de l’Armançon, le poste de restauration de continuité écologique est l’un des plus importants du budget prévisionnel après l’assainissement : 2,659 millions d’euros. S’y ajoute la restauration des fonctionnalités aquatiques, avec 1,897 millions d’euros.

En comparaison et dans le même Contrat global, le budget du SMBVA pour la limitation des effluents agricoles n’est que de… 78 000 euros sur 5 ans. Le syndicat planifie donc de dépenser 30 fois plus à traiter des moulins qu’à aider les agriculteurs à respecter les normes sur les nutriments ou pesticides. Cette répartition paraît-elle raisonnable ou même sensée pour un syndicat qui se flatte d’agir désormais sur tous les impacts du bassin versant, et non seulement sur le lit de la rivière? Au nom de quelle découverte scientifique extraordinaire les moulins présents depuis des siècles seraient d’un seul coup devenus en 2016 un problème 30 fois plus important ou urgent pour nos rivières et nos territoires que l’aide à la transition vers une agriculture durable?

Indépendamment de cette répartition peu compréhensible des priorités écologiques et socio-économiques, la question posée est la suivante : cette somme considérable de 2,659 millions d’euros d’argent public va-t-elle servir à détruire ou à aménager des ouvrages hydrauliques? Et que met-on en face comme services réellement rendus par les écosystèmes aux citoyens du bassin de l’Armançon, c’est-à-dire en avantages justifiant ces coûts?

Hélas, le SMBVA a apporté en mars dernier une première réponse dans sa délibération n°26-2016 relative au règlement financier des opérations menées sous sa maîtrise d’ouvrage. Il a été proposé que les opérations d’effacement complet d’ouvrages aient une participation SMBVA de 95 % sur le reste à charge, l’effacement partiel de 20 à 60 %, et les autres solutions de… 0 %.

Ce choix est donc clair : le SMBVA a préféré valoriser uniquement la destruction partielle ou totale des ouvrages, sur la seule base d’un gain écologique présumé à l’avance (sans examen ni preuve), dans une indifférence complète aux autres dimensions de la rivière.

Cette position est tout à fait excessive : ailleurs en Bourgogne et en France, des EPTB et des EPAGE participent à l’étude préparatoire, à l’assistance technique et au montage financier de solutions non destructrices de continuité écologique. Pourquoi le SMBVA se singularise-t-il à maintenir coûte que coûte ce dogme de l’effacement total ou partiel ? Pourquoi refuse-t-il de consacrer les 2,6 M€ de budget à aider les communes et les particuliers à se mettre en conformité à la continuité écologique sans leur imposer au préalable la condition de la destruction, ce qui est évidemment perçu comme un chantage et ce qui renforcera l’inertie déjà observée sur ce dossier ?



Nous sollicitons 3 engagements de nos élus du bassin : un débat de fond, des bénéfices démontrés pour chaque chantier, un respect des enquêtes publiques et des recours
Notre association a pour vocation de protéger et promouvoir le patrimoine, l’environnement et l’énergie des rivières, en les conciliant plutôt qu’en les opposant. Sauf à trahir la mission qui est la nôtre, nous ne pouvons pas accepter cette politique syndicale consistant à encourager sans discernement la destruction du maximum d’ouvrages hydrauliques. Et c’est pourquoi nous continuerons de la dénoncer et de la combattre, chantier par chantier, si elle devait persister dans ses termes actuels.

Ce n’est pas un problème de personnes, mais d’idées : nous défendons une certaine vision de la rivière comme fait naturel au premier chef, mais aussi comme fait historique, culturel, économique et social. La rivière ne se résume jamais à  une collection d’espèces et d’habitats, dont la protection est bien sûr d’intérêt pour tous, elle fait aussi société pour l’homme. Cette vision appelle une gestion équilibrée, respectueuse de la nature mais aussi des héritages et des usages, faisant preuve de prudence vis-à-vis de modes trop récentes où certains s’engagent trop vite, accomplissant parfois aujourd’hui le contraire de ce qui était fait (avec la même conviction et la même précipitation) voici 20 ou 30 ans.

Les moulins, étangs et plans d’eau n’ont pas à être les boucs émissaires de la nouvelle politique des rivières, les seuls à qui on ne propose que des solutions radicales de disparition en exagérant de manière caricaturale leur impact sur les espèces aquatiques, alors que tous les autres usages du bassin versant font l’objet d’évolutions progressives et de solutions concertées.

Certains élus sont favorables à cette issue de la destruction des ouvrages : c’est peut-être votre cas et c’est bien normal en démocratie d’avoir des opinions divergentes. D’autres y sont en revanche hostiles. Beaucoup sont mal informés sur ce sujet fort complexe. Il est nécessaire que chacun exprime son point de vue pour en assumer la responsabilité devant ses concitoyens. Il est indispensable que le syndicat ne dissimule pas ses choix derrière de vagues «obligations» venues d’Auxerre, de Paris ou de Bruxelles, obligations dont il ne serait finalement que l’exécutant impuissant. Car c’est faux : il existe toujours des marges de manœuvre dans la définition des priorités, dans la discussion avec les financeurs, dans le choix des solutions concrètes.

 Nous souhaitons pour notre part trois choses de la part de nos élus siégeant au syndicat :
  • un débat de fond en comité syndical sur la politique générale du SMBVA vis-à-vis des ouvrages hydrauliques, dont ses choix financiers, un débat qui ne soit pas biaisé par la dissimulation de certaines informations et qui clarifie si, oui ou non, les élus du bassin acceptent d’encourager la seule destruction des ouvrages;
  • un engagement à produire sur les chantiers futurs payés par argent public des études préparatoires irréprochables (1), avec un état initial de la biodiversité au droit du site, un gain biologique garanti avant et vérifié après, une analyse patrimoniale et énergétique sérieuse, une enquête de proximité pour recueillir l’avis de la population et une intégration des propriétaires riverains dans le comité de pilotage du projet les concernant directement;
  • un engagement à ne pas poursuivre des chantiers de destruction quand l’enquête publique conclut à un avis défavorable et de les suspendre en cas de recours contentieux, le temps que la justice arbitre.
Ces demandes ne ferment pas la porte à la destruction de certains ouvrages, solution toujours possible et parfois justifiée. Mais elles posent des conditions scientifiques, sociétales et démocratiques à cette justification quand le syndicat y participe et quand l’argent public est engagé. Cela nous semble la base d’une politique réfléchie et respectueuse des citoyens.

(1) A titre d’exemple en cours, l’étude préparatoire de l’aménagement des seuils de l’Hôpital et Poupenot de Montbard (rivière Brenne) ne comportait dans sa phase diagnostique présentée en début d’année aucune analyse de la biodiversité des stations amont, aval et retenues, aucune analyse piscicole (IPR+) ni invertébrés (I2M2) locales en conformité aux méthodes « directive cadre européenne» d’évaluation de l’état biologique, aucun engagement sur un quelconque objectif concret de retour de certaines espèces après restauration. Quant au transit des sédiments, dont la granulométrie a pour sa part été étudiée, il n’est pas impacté par les ouvrages. Nous avons fait observer au comité de pilotage de ce projet que l’on ne peut pas continuer à proposer des dépenses considérables d’argent public (plus d’un million d’euros estimés par le bureau d’études pour effacer les ouvrages et ré-aménager les berges) et des disparitions de patrimoine hydraulique urbain sur des bases aussi minces, alors que le but premier est d’obtenir des résultats écologiques tangibles. Le même problème s’observe pour la soi-disant « auto-épuration » des rivières sans ouvrages, qui est affirmée sans preuve par certaines administrations, mais contredite en fait par de nombreuses études scientifiques. En conformité avec les conclusions de la récente expertise collective Irstea-Inra-Onema 2016 à ce sujet, nous souhaitons un partenariat entre le syndicat et un établissement de recherche pour une campagne de vérification de la charge phosphore, azote et pesticides à l’amont et à l’aval de série de retenues, afin de confirmer ou infirmer l’existence d’un effet chimique. L’écologie est une science, pas une idéologie. Elle se pratique avec des mesures et des preuves, pas avec des intuitions ni des copiés-collés de documents administratifs.

Illustrations : en haut, casse de l'ouvrage Saint-Nicolas par le SMBVA assisté de la milice privée des pêcheurs de l'Yonne ; au milieu, crue de l'Armançon à Aisy (dans ces situations, on observe que les ouvrages sont noyés et que la continuité est assurée) ; en bas, seuil de l'Hôpital à Montbard (où l'on prétend discuter des avant-projets sans même avoir établi un diagnostic biologique de la station et du tronçon, prétendue "écologie" qui néglige la connaissance des milieux, refuse d'objectiver les enjeux et applique des grilles dogmatiques).

03/11/2016

Saint-Céré: 200.000 euros pour réparer les erreurs de la continuité écologique

A Saint-Céré, le seuil de Soulhol a été effacé. Problème: il s'ensuit des dérèglements sur le ruisseau de l’Alba et le canal de Soulhol, à sec. Le Syndicat Mixte du Pays de la Vallée de la Dordogne et la Commune doivent ré-intervenir. Coût estimé: plus de 200.000 euros, étude et chantier. L'Agence de l'eau Adour-Garonne paiera la note à 80%, aux frais des citoyens. Gageons que cet épisode ne figurera pas dans les "retours d'expérience" soigneusement sélectionnés que les Agences de l'eau et l'Onema mettent en avant pour tenter de séduire des maîtres d'ouvrage. Les changements des écoulements par les apprentis-sorciers de la "renaturation" promettent une belle moisson de problèmes et contentieux quand des riverains se plaindront du nouveau régime local de l'eau. 

Un lecteur, que nous remercions, nous a envoyé des informations fort intéressantes sur les effets pervers des changements d'écoulement liés aux arasements de seuils.

Un premier conseil syndical du SMPVD, en date du 27 février 2015, signale le problème (voir source)

"Monsieur le Président informe le Conseil Syndical qu’à la suite des travaux d’arasement du seuil de Soulhol à Saint-Céré pour la restauration de la continuité écologique, des dysfonctionnements sont apparus au niveau de la confluence entre le ruisseau de l’Alba et le canal de Soulhol, désormais à sec. Mal évalués par le comité de pilotage et le bureau d’études chargé de l’étude préliminaire à la destruction du seuil, il est aujourd’hui urgent de trouver une solution technique afin de mener à bien les travaux nécessaires à l’aménagement de la confluence tout en considérant les enjeux présents (camping municipal, propriétés riveraines, continuité écologique, réseaux pluviaux, érosion des berges). Après une rencontre entre la mairie de Saint-Céré et Monsieur AYROLES, Vice-Président délégué au pôle Eau et Environnement, le lancement d’une étude complémentaire a été acté avec une proposition de partage du financement résiduel de l’étude à parts égales entre le SMPVD et la commune de Saint-Céré. (…) Cette action a fait l’objet d’une demande de financement de 80% auprès de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne."



Un deuxième conseil, un an et demi plus tard (26 juillet 2016), informe de l'avancée de la question (voir source).

"Monsieur AYROLES rappelle au Conseil Syndical qu’à la suite des travaux d’arasement du seuil de Soulhol à Saint-Céré pour la restauration de la continuité écologique, des dysfonctionnements sont apparus au niveau de la confluence entre le ruisseau de l’Alba et le canal de Soulhol, désormais à sec. Une première phase d’étude (AVP-PRO-LEMA-DET) a fait l’objet d’une première convention entre le SMPVD et la commune de Saint-Céré pour le partage du financement résiduel de l’étude à parts égales entre le SMPVD et la commune de Saint-Céré.
L’Agence de l’Eau Adour Garonne participe à hauteur de 80% sur les travaux hors comblement du canal (montant prévisionnel : 63 330 € HT) et à 60% sur les travaux relatifs au comblement du canal (montant prévisionnel : 98 000 € HT). Les demandes de financement auprès de l’Agence de l’Eau Adour Garonne et de la Région ont été réalisées. Pour la mise en œuvre de cette action, il est nécessaire d’établir une nouvelle convention entre le SMPVD et la commune de Saint- Céré pour la prise en charge du coût des travaux déduit des cofinancements obtenus, soit 13% du montant prévisionnel total chacun."



Moralité : la continuité écologique "à la française", toujours incapable de présenter une analyse scientifique précise des bénéfices écologiques réellement obtenus, est une réforme se donnant pour ambition de modifier substantiellement les écoulements dans les rivières classées. Outre son coût d'exécution, qui sera de plusieurs milliards d'euros, il faut anticiper des coûts annexes imprévus liés aux perturbations locales du régime des eaux.  Les citoyens paient déjà l'ardoise du soi-disant "intérêt général" qu'il y aurait à démolir le patrimoine de l'hydraulique ancienne. Il leur faudra aussi régler la note des erreurs commises. Il est peut-être temps d'arrêter les pelleteuses et de réfléchir un peu?

31/10/2016

Restauration morphologique des rivières: pas d'effet clair sur les invertébrés, même après 25 ans (Leps et al 2016)

A croire le discours vulgarisé de la restauration écologique des rivières, les choses seraient simples: on produit une diversité d'habitats dans le cours d'eau, ceux-ci seront colonisés par une diversité d'espèces. Une étude scientifique sur 44 projets de restauration en rivières allemandes conclut cependant à l'opposé: même 25 ans après l'intervention sur le site restauré, aucune réponse consistante et prévisible n'est observée dans les communautés benthiques d'invertébrés. Sur 34 métriques de la réponse biologique, très peu ont des tendances significatives, et les effets sont modestes. D'autres facteurs à échelle du bassin versant l'emportent sur les modifications locales de l'hydromorphologie. Ce qui pose question : quels objectifs se donne la politique de restauration des rivières, à quel horizon de temps et à quel coût? 

Moritz Leps et ses quatre collègues (Muséum d'histoire naturelle de Francfort, Université de Francfort, Université de l'Oregon, Université de Duisbourg et Essen) ont analysé les résultats de 44 projets de restauration, dans 31 rivières de zone collinnaire à montagneuse (altitude moyenne 197 m) et 13 rivières de plaine (68,8m), avec des bassins versants de dimension variée (en moyenne 621 km2 pour les points de contrôle en plaine et 153 km2 pour les autres). Ces rivières ont été choisies pour avoir bénéficié de mesures de restauration hydromorphologique diverses, avec trois buts affichés par les gestionnaires : augmenter l'hétérogénéité des habitats physiques, prévenir les inondations (reconnexion lit majeur) et améliorer la continuité longitudinale.  La longueur moyenne des tronçons restaurés est de 1 km, la période de la restauration se tient entre 1998 et 2012, la durée écoulée va de 1 à 25 ans, en moyenne 7,9 ans.

Qu'ont fait les chercheurs ? Sur la même rivière, ils ont comparé un tronçon restauré de 100 m avec un tronçon non restauré, usuellement situé à l'amont et à une distance moyenne de 1,6 km. Les invertébrés de fond (benthique) ont été choisis pour le suivi, avec 34 métriques sur l'abondance, la diversité, la fonctionnalité, les types de famille d'insecte, la rhéophilie, etc. A cela s'ajoutent 10 mesures d'efficacité de la restauration morphologique (vitesse, profondeur, substrat, diversité d'habitats, etc.).

Au plan de la morphologie, les différences ont été significatives sur toutes les métriques. Cela signifie que les projets n'ont pas failli dans la dimension physique de la restauration d'habitats.

Au plan de la biologie, en revanche, si la diversité taxonomique a montré un signal positif, la plupart des autres métriques n'ont montré aucun signal clair d'évolution (voir image ci-dessous). L'âge n'est pas un bon prédicteur puisqu'aucune réponse linéaire ne s'observe sur les 34 métriques, et 5 seulement montrent une réponse non-linéaire entre 2 et 3 ans après la restauration (attribuée à une probable relaxation après perturbation due au chantier). Une analyse multivariée suggère que les caractéristiques du bassin versant (dimension, usage des sols, écorégion) ont une influence plus forte que le temps écoulé après restauration.



Extrait de Leps et al 2016, droit de courte citation. La plupart des différences mesurées entre tronçons restaurés et non restaurés ne sont pas significatives (voir la colonne p-value, majorité de valeurs >> 0.05), ce qui signifie qu'elles ne se distinguent pas d'une évolution due au hasard. L'indice de richesse taxonomique EPT (et aussi EPTCO) montre une évolution positive significative (dans l'absolu, il correspond à un passage de 34 à 38.1 taxons en moyenne, soit un gain restant assez modeste.)

"Les réponses des communautés invertébrées benthiques à la restauration sont hautement variables, notent les chercheurs. En dépit d'un turnover considérable des espèces et d'une richesse taxonomique augmentée, ni les mesures de diversité ni l'abondance des taxons n'ont répondu significativement (…) nos résultats sont consistants avec ceux d'autres études qui ont trouvé une réponse très variable des invertébrés benthiques à la restauration hydromorphologique, mais sans direction du changement, ni d'amélioration dans les résultats évalués en dépit d'une qualité hydromorphologique clairement meilleure (Bernhardt et Palmer 2011; Haase et al 2013; Palmer et al 2010)".

Discussion
Les chercheurs concluent en observant que l'hydromorphologie locale est un faible prédicteur des communautés aquatiques dans un environnement connaissant de multiples stress à échelle du bassin. Et qu'avant, ou au mieux en parallèle de, ces actions locales sur l'écoulement et l'habitat, c'est l'ensemble des conditions de bassin et de qualité de l'eau qu'il faudrait améliorer.

Certes, mais est-ce crédible ou simplement faisable? En particulier, à l'échelle de temps (2000-2027) donnée par la directive cadre européenne sur l'eau pour atteindre un bon état écologique et chimique de la totalité des rivières? On peut en douter fortement: les composantes fondamentales de l'occupation, de la pollution et l'artificialisation des bassins versants (démographie, agriculture, urbanisation, diffusion des molécules de synthèse, aménagements hydrauliques, etc.) ne vont évoluer que lentement au cours de ce siècle, qui sera marqué par ailleurs par d'autres facteurs de profond changement des communautés biotiques (effet thermique et hydrologique du changement climatique). Au demeurant, les mêmes chercheurs avaient montré voici quelques années que les programmes de restauration ne parviennent que très rarement à aboutir au bon état de la rivière (au sens DCE) et qu'il est à peu près impossible de prévoir les trajectoires des systèmes restaurés (Haase et al 2013). Ce manque de prédictibilité est évidemment problématique quand on passe de l'observation à l'action et de la science à la politique.

Comme souvent, les résultats de la recherche scientifique en écologie de la restauration sont sans grand rapport avec les promesses dithyrambiques des administrations et gestionnaires responsables des programmes de restauration. Il est plus facile de s'engager sur des principes abstraits que sur des résultats mesurés. Une étude française avait déjà montré que plus le suivi scientifique des chantiers en rivière est rigoureux, moins leur résultat est convaincant, de sorte que la valeur écologique attribuée à ces actions a une forte dimension "subjective" (Morandi et al 2014). Et le retour d'expérience dans le monde nord-américain, qui a 20 ans d'avance sur l'Europe, est tout aussi critique (Palmer et al 2014).

Adopter des normes ambitieuses, opposer des contraintes aux usagers, augmenter des dépenses publiques et modifier les profils familiers de la rivière exige au bout d'un certain temps des résultats tangibles sur les milieux et une augmentation des services rendus à la société par les écosystèmes restaurés. Le paradigme de gestion écologique des bassins s'est imposé dans les années 2000, il a suscité un effet d'intérêt pour sa nouveauté et son ambition. Mais la curiosité se dissipe. Il est temps d'apporter soit des résultats probants, soit des remises en question.

Référence : Leps M et al (2016), Time is no healer: increasing restoration age does not lead to improved benthic invertebrate communities in restored river reaches, Science of the Total Environment, 557–558, 722–732