23/11/2016

Archéologie des moulins antiques et médiévaux (Jaccottey et Rollier 2016)

Une colloque s'était tenu à 2011 à Lons-le-Saunier sur l'archéologie des moulins. Ses actes viennent d'être publiés: une somme de près de 1000 pages, essentiellement centrée sur les moulins hydrauliques de l'époque antique et médiévale.

L’énergie hydraulique est la première énergie d'origine non biologique que les hommes ont utilisée pour mettre en mouvement des machines. Après de nombreux débats, il est reconnu par les sources écrites antiques que l'Antiquité a exploité l’eau pour actionner des moulins.  L’énergie hydraulique sert d'abord à moudre le grain, mais d'autres usages émergent assez rapidement. Des scies mécaniques à marbre ont permis de broyer le minerai et probablement des écorces de chêne dans les tanneries,  grâce à des bielles et arbre à cames. D’autres usages antiques sont probables, mais non assuré : travailler le fer et fouler les étoffes.

Les roues motrices des moulins sont verticales ou horizontales. L’invention des deux systèmes serait à peu près contemporaine, au début de l’époque hellénistique, mais avec des développements variables par la suite selon les traditions locales et les contraintes des sites. Bien que le système de roue verticale soit plus complexe (renvoi du travail à 90° par des engrenages au lieu d'une transmission directe à la meule par l'arbre), il semble avoir connu une plus large diffusion.

Une question centrale est de savoir si l’emploi de l’énergie hydraulique a été suffisamment répandu pour avoir un impact sur la vie économique dès l'Antiquité ou s’il est resté marginal. Dans un article-référence de 1935, Marc Bloch posait que le moulin à eau, invention antique, serait "médiéval par l’époque de sa véritable expansion". Mais, à partir des années 1980, l’archéologie a ébranlé cette conception, montrant l'absence de solution de continuité entre la période antique et la période médiévale. La France, la Suisse, l'Allemagne et le Royaume-Uni sont les pays où la connaissance archéologique a le plus progressé, avec des données encore parcellaires en Péninsule Ibérique, Italie, Afrique du Nord et Proche-Orient.

Si les travaux historiques sur les moulins médiévaux sont relativement anciens, l’archéologie du moulin médiéval est restée longtemps en retard. D'abord parce que la vie des moulins médiévaux a souvent perduré jusqu'à l'époque contemporaine, avec des vestiges médiévaux masqués par les reconstructions et aménagements. Ensuite parce que ces ouvrages sont dans des zones humides peu favorables aux travaux générateurs de fouille. Mais l’archéologie préventive a néanmoins permis la fouille de moulins de plus en plus nombreux, à l’occasion de défrichements systématiques comme ce fut le cas en Irlande, de grands travaux autoroutiers ou ferroviaires, ou d’aménagements urbains.

L’archéologie des moulins doit aujourd'hui répondre à cinq grandes questions, que les organisateurs du colloque posent ainsi :

  • Quel est le champ d’application de l’énergie hydraulique dans les domaines agricoles avec l’irrigation, de la transformation des denrées alimentaires avec le broyage des grains, de l’industrie avec la métallurgie, les matériaux de construction, la tannerie et peut-être le textile?
  • Quelle est la diffusion géographique des moulins, selon quelle chronologie et quelles contraintes orographiques ou climatiques? L’étude des vestiges de meules permet-elle une approche suffisamment large et chronologiquement assez précise?
  • Quelle est la chronologie de l’apparition et de l’utilisation courante des divers types, notamment des moulins à roue horizontale ou verticale?
  • Quelle sont les différences entre les moulins implantés dans les campagnes et dans les villes, tant d’un point de vue technique que d’un point de vue économique?
  • Quelle est la place réelle de l’utilisation de l’énergie hydraulique dans l’économie antique par rapport aux énergies biologiques, en particulier quelle est l’évolution du rapport entre les moulins à sang et les moulins hydrauliques?

Les travaux présentés à Lons-le-Saunier apportent une base pour y répondre et dessinent les enjeux futurs de la recherche.

Concernant notre région, on lira avec intérêt les contributions de Luc Jaccottey (Meules hydrauliques et à traction animale antiques en Bourgogne Franche-Comté), Gilles Rollier (Les moulins du Mâconnais à travers les chartes de l’abbaye de Clun), Paul Benoit et al (La forge hydraulique de l'abbaye de Fontenay, Côte-d'Or), Annie Dumont (Des vestiges de moulins pendants médiévaux dans la Loire à La Charité-sur-Loire?), Gilles Rollier et al (Les fouilles du moulin de Thervay : Evolution d’un site de meunerie de la période carolingienne à l’installation du domaine de l’abbaye cistercienne d’Acey, 10ème – 12ème siècles), Louis Bonnamour (Les premiers moulins à nefs de la Saône et du Doubs, 3ème – 5ème siècles) et Clément Hervé (Champlitte "Le Paquis"). Ces contributions témoignent de l'ancienneté et de la continuité des moulins hydrauliques sur les rivières bourguignonnes et franc-comtoises.

Référence : Jaccottey L et Rollier G (ed) (2016), Archéologie des moulins hydrauliques, à traction animale et à vent, des origines à l’époque médiévale, actes du colloque de Lons-le-Saunier du 2 au 5 novembre 2011, Université de Franche-Comté, série Environnement, société et archéologie, 950 p.

21/11/2016

Restauration de rivière: l'avenir d'une illusion

Sylvain Rotillon, ancien responsable de l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, spécialiste de la question du risque, livre une intéressante tribune sur les "illusions de la renaturation" dans la Gazette des communes. A l'heure où chaque syndicat de rivière ou presque reçoit un financement de son Agence de l'eau pour un reméandrage "vitrine", les vues de l'auteur incitent à une salutaire réflexion. Extraits et commentaires.

Sylvain Rotillon évoque d'abord le passage de l'idéal de maîtrise hydraulique à celui de restauration écologique. "Pendant des décennies, l’aménagement des cours d’eau a consisté à essayer de les transformer en canaux. Une bonne rivière était une rivière droite, rectiligne, qui ne perdait pas son temps à méandrer, à se diviser. Une rivière droite, ça permettait d’évacuer les eaux plus vite, ça facilitait les opérations de remembrement en alignant les parcelles, ça libérait de la place pour construire. (…) On se lance désormais dans des opérations inverses. Quand c’est possible on découvre la rivière, on supprime le béton des berges, on laisse revenir la végétation. On « renature » les cours d’eau. On les restaure."

La rivière-vitrine des imaginaires appauvris
L'auteur pointe ensuite l'ambiguïté de la démarche, dont le présupposé implicite est l'existence d'un état originel et intangible du cours d'eau. "Le fait même de parler de « restauration » pose question. Restaurer un objet, c’est chercher à lui redonner son aspect originel. Dans le cas d’une rivière cette notion est très ambiguë car l’état originel n’existe pas. Par nature, une rivière est mobile, en équilibre dynamique, en interaction avec le milieu dans lequel elle s’écoule, avec le contexte climatique et les actions anthropiques sur son bassin."

Le problème est notamment que la renaturation s'inspire d'un idéal assez naïf et appauvri de la rivière, voire d'une muséification assez comparable à ce qui s'est observé dans le domaine de la culture : "Ces restaurations sont confiées à des bureaux d’études qui insidieusement sont en train de vendre un modèle de rivière, celle que les enfants dessinent spontanément : avec des méandres. Une rivière restaurée se doit avoir des méandres pour faire naturel. On voit ainsi se multiplier des rivières paysagées qui doivent répondre à un canon esthétique correspondant à notre imaginaire. Comme la loi Malraux a imposé des centre villes standardisés, figés dans une époque historique pseudo-médiévale n’ayant jamais existé, l’ingénierie écologique nous façonne des rivières génériques, des anatopismes, comme nos centres sont anachroniques (…) On ne pense pas le lieu, on l’imagine, mais avec une imagination d’une extrême pauvreté ; ça traduit le fait que la géographie est une discipline sacrifiée, mal enseignée, mal considérée."

Au final, Sylvain Rotillon pointe que cette "nature renaturée" à grand renfort d'ingénierie témoigne, malgré ses bonnes intentions, de la rupture entre les gens et les lieux: "Ceci reflète un lien avec la nature totalement rompu, reposant sur des idées toutes faites de ce que doivent être les objets géographiques."



Plusieurs travaux scientifiques récents confirment le point de vue de l'auteur, comme ceux de Laurent Lespez sur la renaturation des rivières de l'Ouest (voir notamment cette recension) ou encore la tribune de 5 chercheurs s'alarmant de la standardisation des travaux en écologie de la restauration (notamment le cas particulier des reméandrages) et du risque de développer des chantiers coûteux sans gains majeurs ni durabilité réelle (Hiers et al 2016, recension à venir sur notre site).

Le problème va au-delà de la restauration morphologique pointée par S. Rotillon dans sa tribune: par exemple, l'idée que chaque rivière posséderait un "état de référence" sur son peuplement (voir la critique de Bouleau et Pont 2015), et pourquoi pas selon certains une "biotypologie théorique" fixant la qualité et la quantité de chaque espèce supposée s'y trouver, participe du même fantasme de surveillance, de contrôle et d'assignation. Non seulement la rivière va méandrer, mais elle aura son quota garanti de poissons et d'insectes.

Le souci n'est certes pas dans la finalité de l'action inspirée par l'écologie des milieux aquatiques – qui veut la pollution ? qui veut la disparition d'espèces ? qui veut la dégradation de son cadre de vie ? Le problème réside plutôt dans la méthode:
  • l'historicité du vivant (soit la plus grande leçon de la théorie de l'évolution) est niée au profit d'une naturalité idéale et intangible, comme si l'on pouvait retrouver et figer un état d'équilibre perpétuel de la rivière et de son peuplement, 
  • la capacité des citoyens à décider réellement des environnements où ils veulent vivre est éliminée au profit de processus impersonnels, abstraits et lointains de normalisation, délimitant strictement les options discutables,
  • l'identité de chaque rivière est effacée au motif qu'il faut, pour des raisons d'efficience et de cohérence, standardiser les diagnostics comme les solutions, améliorer des fonctionnalités (le grand mot) et non plus comprendre des singularités,
  • la planification publique (politico-administrative) vise des objectifs courts en affichant des certitudes fortes, deux postures peu compatibles avec une écologie scientifique soulignant la complexité et la faible prédictibilité de la réponse des milieux aux changements,
  • les gestionnaires, happés par les contraintes de mise en oeuvre et de rapportage dans un cadre réglementaire complexe et instable, perdent toute capacité de distance critique vis-à-vis des propositions formatées que produit la technostructure de l'ingénierie écologique,
  • l'industrie y voit un effet d'aubaine, elle était condamnée pour sa détérioration des milieux, là voilà mobilisée pour leur reconstruction – ce que des politiques nommeront probablement sans rire la "croissance bleue" ou autre oxymore de la perte de sens généralisée.
Fragmentée puis défragmentée, aménagée puis désaménagée, rectifiée puis reméandrée, dénaturée puis renaturée… on ne laissera jamais tranquille la rivière. La pelle mécanique des années 1970 s'assumait comme utilitaire et anthropocentrée, celle des années 2010 se veut savante et écocentrée. Elle n'en reste pas moins une pelle mécanique et l'on soupçonne les ardents promoteurs de la "restauration" de nous promettre en réalité un chantier permanent, dont la qualification écologique finira par paraître suspecte même aux moins sceptiques. C'est toujours la génération suivante qui observe le bilan, ce qui n'incite pas vraiment à la responsabilisation des décideurs ni à la participation des riverains. Et comme de toute façon aucune prédiction n'est désormais faite ni aucun résultat promis, on pourra arguer si rien ne se passe de significatif que l'on n'a pas assez restauré. La réussite comme l'échec confirmeront ainsi le présupposé initial, ce qui est le propre des croyances.

Qu'aimerait-on finalement? Oh si peu. Un peu moins de précipitation et un peu plus de réflexion, un peu moins de certitude et un peu plus d'échange, un peu moins de bureaucratie et un peu plus de démocratie, un peu moins d'injonction et un peu plus d'envie. Et que l'on parle ensemble de nos rivières sans le formatage des programmations et des objectifs, que l'on parle de leur histoire et de leur avenir, de leur beauté et de leur diversité, de leur utilité et de leur danger. La rivière telle qu'elle existe dans la variété des perceptions et des expériences de ses riverains.

Illustration : exemple de reméandrage au Royaume-Uni par la société d'éco-ingénierie Cbec (tous droit réservés).

19/11/2016

La Romanée, sauvage ou paysage?

A quelques kilomètres de distance, la même rivière présente des visages très différents, offrant un bon aperçu de ce qu'est un cours d'eau aménagé par l'homme et un autre laissé au libre cours de ses écoulements et à la déprise de ses berges. Faut-il conserver cette diversité? Plutôt privilégier le sauvage ou au contraire le paysage ? Pour quels buts écologiques, et quel intérêt des riverains ? Sur la Romanée, on espère des informations transparentes et des débats ouverts avant toute intervention visant à modifier le profil actuel du cours d'eau. 



Ces photos montrent deux visages de la même rivière, la Romanée, un petit affluent du Cousin d'une vingtaine de kilomètres, qui naît aux étangs de Granvault en Côte d'Or et conflue à Cussy-les-Forges dans l'Yonne.

En haut, dans une zone peu accessible près de l'ancien moulin Jain, c'est un amas d'embâcles apporté par les crues de printemps et laissé dans la rivière en début d'été. En bas, c'est l'étang de Bussières, quelques kilomètres plus à l'amont du moulin Jain. Les photos sont prises à la même période (juillet). Elles montrent à quoi peuvent ressembler morphologiquement et fonctionnellement une "rivière sauvage" et une "rivière paysage", selon un gradient d'intervention de l'homme. Tout est évidemment différent entre ces deux stations, la largeur du lit, la profondeur, la vitesse de l'eau, la luminosité, le substrat de fond...

Le cas de la Romanée sera intéressant à suivre dans les mois et années à venir. La rivière est partiellement classée en liste 2 au titre de la continuité écologique et fait partie des masses d'eau inscrites dans les actions du contrat global Cure-Yonne-Cousin. Théoriquement rivière à truite, son cours est agrémenté de longue date par des retenues d'étangs et de moulins, de sorte que ses peuplements ont progressivement changé (eaux plus lentes, plus profondes et plus chaudes, discontinuités). La Fédération de pêche de l'Yonne a racheté l'étang de Bussières avec comme premier projet annoncé sa disparition au profit d'un linéaire renaturé. Outre la morphologie de son lit principal, la Romanée a divers enjeux : affluents déconnectés (78%), mise au norme des assainissements et lagunages (Roche-en-Brenil et Saint-Magnance notamment), culture du sapin de Noël et phytosanitaires à l'amont (ru de Tournesac).

L'avenir de la Romanée permet de poser diverses questions : quand les rivières ont ainsi changé de longue date, faut-il ré-intervenir pour modifier leur cours? Si le choix est donné, les riverains, promeneurs et usagers préfèrent-ils la rivière sauvage ou la rivière paysage? Quelle est la biodiversité actuelle (poissons, insectes, oiseaux, amphibiens, mammifères, reptiles, végétaux...) de la Romanée aménagée par ses moulins et étangs, quelle serait la biodiversité d'une Romanée renaturée? Observe-t-on un effet d'épuration entre l'amont et l'aval des étangs? Espérons que ces questions et d'autres seront posées ouvertement, trouveront des réponses objectives quand elles sont factuelles et permettront un large débat.

18/11/2016

Rosières, Joyeuse, la Beaume en lutte: rendez-nous notre rivière!

Le collectif ardéchois "Rendez-nous notre rivière" a écrit à la Ministre de l'Environnement et aux élus du territoire pour exprimer son refus de la dégradation du cadre de vie sur la Beaume et de la disparition des biotopes formés par les retenues des levées anciennes. Nous publions ce courrier. Leur combat est le nôtre, c'est celui de tous les citoyens attachés à une continuité écologique respectueuse du patrimoine, du paysage et des usages.


Nous voulons par cette lettre attirer votre attention sur la situation des villages de Rosières et de Joyeuse en Ardèche, vis-à-vis de la règlementation qui s’applique sur la rivière La Beaume, et notamment sur les aménagements à réaliser, pour respecter la continuité écologique prévue par la loi sur l’eau.

La situation
Nos deux villages sont situés de part et d’autre de  La Beaume, rivière qui est chère au cœur des habitants, et dont nous prenons le plus grand soin depuis de nombreuses générations. L’apron du Rhône, poisson très sensible à la qualité du milieu, y a élu domicile sur la partie aval des deux communes.

Cette rivière, en aval du pont de Rosières sur la RD104, se caractérise par des seuils rocheux et des méandres qui créent un lieu magnifique, très fréquenté par les promeneurs toute l’année, et les baigneurs en période estivale. Des générations de Rosièrois y ont appris à nager et plonger.

Une digue de 1 à 2 m de hauteur, y a été construite par nos anciens (des écrits évoquent cette présence sous Henri IV), pour effectuer une retenue d’eau permettant d’alimenter des béalières pour l’irrigation des terres agricoles le long de la rivière, et l’alimentation du moulin aujourd’hui parfaitement restauré.

Cette retenue comportait de nombreux habitats (castors, reptiles, batraciens, insectes) et était le fleuron de l’attractivité de notre village au niveau paysager.

Les aménagements
Dans le cadre de la règlementation, le syndicat de rivière Beaume Drobie avait missionné un bureau d’études pour proposer des solutions permettant «d’assurer» la continuité écologique. Un projet de passe à poissons consistant en une glissière de 35 m de béton suivi du creusement d’un chenal  de 100 m sur 2m50 de large au milieu des rochers, avait été proposé début 2014. Cette passe aurait canalisé l’intégralité du débit de la rivière pendant toute la période estivale, asséchant ainsi l’arceau et les multiples bras qui cheminent entre les plages rocheuses. Ces travaux pharaoniques sont destinés à permettre à l’apron du Rhône de remonter au maximum 2km plus loin selon les dires mêmes des techniciens du Syndicat de rivière.

Ce projet aurait signé la perte d’un lieu magnifique et apprécié des locaux et des 4000 touristes qui fréquentent l’été notre village (14 campings et de très nombreux gites et villages de vacances, sans compter un nombre important de résidences secondaires). Il aurait en même temps mobilisé 200 000 € d’argent public, alors que la commune peine à trouver des fonds pour aménager et sécuriser la traversée de Rosières.

Une solution transitoire a été mise en œuvre, d’abord en juin par l’ouverture d’une vanne de vidange de la digue (utilisée par les paysans jadis pour procéder à l’entretien de l’ouvrage), puis en août par la destruction d’un seuil béton coté Joyeuse)

Nous avons été atterrés par le déploiement de moyens pour détruire ce patrimoine :

  • le syndicat de rivière, a utilisé pelle mécanique, minichargeur dans le lit de la rivière, grue, et même explosifs, semble-t-il sans autorisation préalable;
  • la conséquence immédiate en a été l’assèchement du lac de retenue sur plus de 600 m et la disparition de toute la faune existante.


Mesdames, Messieurs, aujourd’hui les habitants et visiteurs sont profondément consternés et atteints au plus profond d’eux-mêmes par la destruction programmée de ce patrimoine ancestral.

La pétition en ligne sur change.org et dans les commerces des villages environnants  a déjà réuni plus de 1700 signatures en quelques semaines.

Faut-il aller toujours plus loin, au mépris du bon sens et du gaspillage d’argent public, pour satisfaire des technocrates à Bruxelles? Nous avons la chance d’avoir un environnement privilégié, protégé des nuisances industrielles ou autres. Faut-il aussi supprimer les habitants ou les visiteurs qui participent à l’économie et à la vie d’un territoire pour sanctuariser un lieu et pour préserver l’apron ?

Nous disons stop, refermons ces vannes de vidange, et trouvons un aménagement raisonnable et sensé, préservant notre environnement paysager, notre patrimoine et nos lieux de baignade, tout en respectant la continuité écologique.

Nous vous remercions de votre aide pour que le moratoire déposé par l’Observatoire de la continuité écologique qui regroupe au niveau national de nombreuses associations et collectifs de défense,  soit accepté par le Ministère de l’Environnement, afin qu’une réflexion plus approfondie soit faite sur le territoire national et sur Rosières. 10 à 20 000 seuils et barrages sont actuellement menacés en France, soit de destruction sur fonds publics, soit d’obligation d’équipement par dispositifs de franchissement (passes à poissons ou rivière de contournement) représentant des dépenses exorbitantes pour leurs propriétaires privés et publics avec des destructions irreversibles et couteuses, et un impact paysager très souvent inacceptable.

Nous vous remercions d’agir auprès des autorités compétentes. L’Observatoire de la continuité écologique organise le 23 novembre à l’Assemblée Nationale une table ronde avec des personnalités scientifiques, sur le thème  « Quelles rivières pour demain », afin d’informer les élus parlementaires plus précisément sur le sujet.

Illustrations : la une du Dauphiné et une banderole dans la ville. Partout en France, des élus et des riverains s'engagent aujourd'hui pour préserver le patrimoine hydraulique menacé par une application dogmatique et destructrice de la continuité écologique. Comme les citoyens de Rosières et Joyeuse, mobilisez-vous, écrivez à vos parlementaires et à la Ministre.

16/11/2016

Continuité écologique: demande de saisine des conseils scientifiques des Agences de l'eau

La réforme de continuité écologique suscite des débats politiques sur les modifications du patrimoine et du paysage des rivières, sur ses coûts élevés et son calendrier irréaliste. Mais avant cela, elle souffre d'un problème fondateur : l'insuffisance d'information scientifique dans sa programmation et sa mise en oeuvre, avec une restriction des perspectives à certaines spécialités (hydrobiologie d'orientation halieutique, hydromorphologie) et une absence de prise en compte des nombreux retours critiques de la recherche sur la restauration de rivière. Les 12 partenaires de l'appel à moratoire sur les effacements d'ouvrages hydrauliques ainsi que l'Union française d'électricité se sont joints pour demander aux 6 Agences de l'eau de la métropole une saisine de leur conseil scientifique en vue de produire une évaluation de l'état de la recherche sur la question et un audit des mises en oeuvre. Voici le texte de cette demande.


Depuis la loi sur l’eau de 2006 ayant institué le principe de continuité écologique (art L 214-17 CE) et le classement des rivières ayant planifié sa mise en œuvre, des problèmes importants sont apparus, menant à une contestation du bien-fondé de certains choix programmatiques. Les 12 institutions nationales – dont certaines sont représentées au Comité de bassin, notamment à travers l’UFE –, plus de 300 associations locales et 1500 élus signataires de l’appel à moratoire sur la mise en œuvre de la continuité écologique en témoignent.

Une partie de ces problèmes relève non pas seulement du débat démocratique local et national, mais aussi d’une expertise proprement scientifique devant éclairer ce débat.

Voici, à titre d’exemple, quelques questions posées par la réforme de continuité écologique et de restauration physique des lits mineurs qui lui est directement associée :

  • il existe des pressions sur la ressource quantitative en eau et des incertitudes sur le futur régime hydrologique des bassins en situation de changement climatique. La destruction des retenues (dont ses effets sur les nappes) liée aux effacements de barrages ou digues d’étangs à fin de continuité écologique a-t-elle été évaluée en couplage avec les différents scénarios d’évolution hydroclimatique et des prospectives sur les besoins en eau, en particulier pour l’alimentation (eau potable, production agricole) des territoires  ?
  • les épisodes récents de crues et inondations ont montré que la « mémoire du risque » s’efface alors même que nos sociétés sont plus vulnérables que jamais aux aléas naturels. La politique de continuité écologique a pour ambition de modifier de manière globale les systèmes hydrauliques de rivières entières, avec des conséquences sur l’onde de crue, sa diffusion et sa cinétique (par exemple, suppression de ressauts hydrauliques et des annexes formés par les biefs, abaissement du niveau amont et risque d’incision empêchant l’expansion latérale, etc.). Ces points ont-ils été modélisés sur chaque bassin versant avant d'entreprendre des arasements ou dérasements coordonnés? 
  • des travaux récents en hydro-écologie quantitative (par exemple Van Looy et al 2014 , Villeneuve et al 2015 en France) montrent que la densité de barrage en rivière a un impact modeste sur les peuplements piscicoles utilisés comme bio-indicateurs de qualité pour la DCE (incluant certaines espèces migratrices concernées par le classement de continuité). Par ailleurs, les habitats lentiques des retenues peuvent avoir des effets positifs sur la biodiversité totale d’un tronçon, laquelle ne se réduit pas à des espèces piscicoles migratrices ou rhéophiles (ni aux poissons en général). Le choix d’effacer ou aménager des milliers d’ouvrages au titre de la continuité écologique répond-il à une priorité pour l’état écologique des rivières, et en ce cas avec quelle prédictibilité sur l’évolution des peuplements piscicoles ?
  • de manière assez constante, la recherche scientifique montre que la restauration physique des cours d’eau a peu d’effets sur la qualité des peuplements biologiques si le bassin versant présente d’autres pressions importantes, liées notamment aux usages des sols (Haase et al 2013, Dahm et al 2013, Verdonschot et al 2013, Nilsson et al 2015). Le classement des cours d’eau à fin de continuité écologique et restauration des habitats a-t-il été validé par des modèles de priorisation ?
  • des travaux également nombreux montrent qu’en augmentant le temps de résidence hydraulique et la sédimentation locale, les plans d’eau, retenues et étangs liés à des ouvrages hydrauliques ont des effets positifs sur l’auto-épuration de la charge en nutriments, mais aussi en produits phytopharmaceutiques (Gaillard et al 2016, Expertise collective Irseta-Onema-Inra 2016). Cette dimension a-t-elle été étudiée dans chaque programme de restauration de continuité, notamment sur les bassins soumis à des pressions de pollution et de forts enjeux estuariens ?
  • les millions de mètres cubes de sédiments remobilisés par le libre transit alimentent les bouchons estuariens. Les surcoûts de dragage sont très élevés. L’impact environnemental du clapage est-il étudié ? Cette surcharge sédimentaire a-t- elle un lien (consistance chimique, pathologies) avec les calamités déplorées par la filière conchylicole sinistrée ?
  • en France (Morandi et al 2014, Lespez et al 2015) comme dans d’autres pays (Palmer et al 2014), des chercheurs ont tiré le signal d’alarme sur le manque de qualité scientifique dans le diagnostic initial et dans le suivi des chantiers de restauration morphologique (dont ceux de continuité écologique), ainsi que sur la mauvaise appréciation de l’histoire sédimentaire des bassins dont la dynamique fluviale doit être restaurée. Comment s’assurer du point de vue méthodologique que l’investissement public dans la continuité écologique produise des résultats tangibles à partir d’une information scientifique solide dès la phase de planification ?
  • les ouvrages hydrauliques intéressent l’expert en hydrobiologie et hydromorphologie, mais ils ont également de nombreuses autres dimensions en usages et en représentations sociales. Or, nous constatons que les sciences humaines et sociales (histoire, sociologie, droit, économie, science politique) sont très peu mobilisées sur la question. Comment mettre en oeuvre une approche multidisciplinaire des ouvrages hydrauliques, capable de nourrir une programmation publique répondant à l’ensemble des enjeux ?

Pour répondre à ces questions, à tout le moins pour statuer déjà sur leur pertinence, nous sollicitons du Conseil scientifique de l’Agence de l’eau un avis sur les attendus de la politique de restauration de continuité écologique menée dans le bassin hydrographique.

Illustration : destruction du seuil Nageotte d'Avallon, qui avait fait l'objet de restauration dans les années 2000, à l'exutoire d'un affluent reconnu comme massivement pollué. Ce n'est qu'un des 360 ouvrages de l'Yonne devant être détruits ou aménagés à brève échéance. Cette politique française de continuité écologique heurte un nombre croissant de citoyens, car elle change leur cadre de vie, dépense un argent public indisponible pour d'autres postes, s'appuie sur un discours de spécialistes mettant en avant des gains modestes et généralement non mesurés, dont le rapport à l'intérêt général de la collectivité est loin d'être évident. Mais cette réforme dispose-t-elle d'une base scientifique solide sur ses attendus, ses méthodes, ses résultats? On demande aux conseils scientifiques des Agences de l'eau de produire un avis informé sur la question.