08/12/2016

Quatre scientifiques s'expriment sur la continuité écologique

Nous publions les vidéos des conférences données le 23 novembre 2016 à l'Assemblée nationale par quatre experts de la gestion des milieux aquatiques. Ces scientifiques sont de formation et spécialisation diverses (géographie et morphologie, hydrobiologie, sociologie), ils ont abondamment publié, enseigné et/ou travaillé sur l'écologie des rivières, ils sont membres pour certains des conseils scientifiques des Agences de l'eau. Il s'agit donc d'une critique interne de certains dysfonctionnements de la politique publique de la rivière.



Christian Lévêque, "Restaurer la biodiversité des cours d’eau, mais laquelle ?" 
Docteur ès sciences – directeur de recherches émérite à l’IRD- Président honoraire de l’Académie d’Agriculture. Spécialiste des milieux aquatiques, de l'écologie et de la biodiversité, il a publié récemment : Quelles rivières pour demain ? Réflexions sur l'écologie et la restauration des cours d'eau (éditions Quae).


Jean-Paul Bravard, "Des mesures pavées de bonnes intentions pour des rivières semées d’embûches"
Géographe, professeur émérite à l’Université de Lyon, membre honoraire de l'Institut universitaire de France, médaille d'argent CNRS, il a été responsable de la Zone Atelier Bassin du Rhône et a publié de nombreux travaux scientifiques sur la morphodynamique fluviale et l’écomorphologie de cours d’eau de Franc comme dans différents pays du globe (impacts des barrages, plaines alluviales).


André Micoud, "Protéger les rivières, est-ce tout naturel?"
Sociologue, directeur de recherche honoraire au CNRS, ancien président de la Maison du fleuve Rhône, officier du Mérite agricole. Il a publié de nombreux articles sur l'environnement, le patrimoine et le rapport aux fleuves, notamment : "Des patrimoines aux territoires durables ; ethnologie et écologie dans les campagnes françaises", "La patrimonialisation du vivant", "La campagne comme espace public".


Guy Pustelnik, "Quelle continuité pour quels poissons et quels sédiments ?" 
Docteur en géographie, ingénieur hydrobiologiste, il est directeur d' Epidor, EPTB du bassin de la Dordogne. Spécialiste des poissons migrateurs, il travaille à concilier tous les usages de l'eau.

Ces interventions rejoignent et confirment le diagnostic porté par notre association depuis plusieurs années déjà. La réforme de continuité écologique ne souffre pas d'un problème superficiel d'"incompréhensions" qui seraient solubles dans la "pédagogie", comme le veut un certain discours paternaliste d'une administration refusant de reconnaître les limites et échecs de cette réforme. Elle pâtit d'abord de problèmes structurels de conception, de méthode et de gouvernance.

Malgré une base scientifique fragile, limitée à quelques disciplines avec très peu de retours d'expérience scientifiques sur les petits ouvrages majoritaires, la continuité écologique a donné lieu à des choix précipités et irréalistes, tant par l'ampleur du linéaire concerné que par le délai d'aménagement, la complexité des dossiers, le coût des chantiers, la rigidité de la mise en oeuvre. L'objectif d'abord mis en avant – faire remonter des grands migrateurs menacés en aménageant progressivement depuis l'aval, améliorer le transit sédimentaire là où il est déficient par rapport à la capacité d'érosion et transport – s'est transformé en une entreprise protéiforme de "renaturation" où l'on intervient sans grande cohérence, y compris pour des espèces communes de rivières ordinaires, y compris sur des rivières en équilibre sédimentaire. La violence matérielle et symbolique de ses "solutions", consistant souvent à faire pression pour détruire des ouvrages et changer le cadre de vie riverain, ne cesse d'envenimer les rapports humains et de dégrader l'image des gestionnaires sur les sites concernés.

Certaines interventions de cette séance à l'Assemblée nationale révèlent aussi les pressions qui existent autour de cette réforme, non seulement la pression que subissent les maîtres d'ouvrage et riverains sur le terrain, mais aussi la pression dans la production, la discussion et la diffusion des informations scientifiques. C'est inacceptable. Le libre échange des idées et le libre examen des hypothèses sont au coeur de notre pacte démocratique moderne. Que l'écologie des rivières, intéressante et nécessaire, soit ainsi l'otage et l'alibi de rapports opaques de pouvoir est déplorable. Ceux qui l'ont emmenée dans cette impasse portent une lourde responsabilité sur la montée de la méfiance, voire de la défiance des riverains et usagers face à tout discours de progrès environnemental désormais perçu comme une pente glissante visant à imposer des contraintes ingérables ou un discours de façade cachant des arbitrages assez peu scientifiques (voire parfois assez peu écologiques) en dernier ressort.

Il faut en sortir, et en sortir par le haut.

Notre premier besoin, c'est d'entendre la voix de l'ensemble de la communauté scientifique concernée, dans le cadre d'une expertise collective pluridisciplinaire visant à définir le cadre des connaissances actuelles, de leurs limites et de leurs incertitudes. Il faut dépasser l'omniprésence des "dires d'experts" (rapports de techniciens ou ingénieurs spécialisés) qui, s'ils ont une valeur d'information certaine, ne sont pas pour autant le reflet exact des connaissances scientifiques actuelles. Cette parole collective des chercheurs ne saurait être le monologue de telle ou telle spécialité : on ne peut pas parler des continuités biologiques et morphologiques sans parler aussi des continuités historiques, patrimoniales, paysagères, sociales et symboliques des territoires concernés ; on ne peut pas parler de l'impact des seuils et barrages sans préciser la nature exacte de ces impacts, la réalité des gains attendus, le coût pour atteindre ces objectifs, l'évaluation des services réellement rendus à la société dans l'hypothèse où les résultats sont au rendez-vous ; on ne peut pas parler de la "renaturation" des rivières sans problématiser ce paradigme qui n'a rien d'anodin ni d'évident au regard de plusieurs millénaires d'hybridation entre vivant, milieu et société, sans se demander "quelles natures" désirent les citoyens.

Notre second besoin, c'est de ré-inventer une gouvernance démocratique capable de porter le dialogue environnemental pour permettre aux citoyens de co-construire, et pas seulement subir, la programmation concernant leurs rivières. Le discours de la continuité (de la restauration de rivière en général) ne peut être limité à la contrainte réglementaire issue de normes, règles, classements décidés ailleurs, loin, dans des comités fermés où des experts mobilisent des savoirs partiels et ignorent les attentes des riverains. Nos sociétés démocratiques sont en panne d'espérance et de confiance, les citoyens ont un sentiment diffus d'être dépossédés de la capacité de décider de leur destin. S'il est un domaine où cette dépossession est perçue comme particulièrement illégitime, c'est celui de l'environnement, un domaine historiquement et socialement fondé sur la revendication d'une amélioration concrète et concertée des cadres de vie parfois malmenés, défigurés, pollués par les décennies passées. Si l'écologie devient synonyme de technocratie anonyme et lointaine, si son discours est confisqué par une oligarchie experte pratiquant le mépris des "non-sachants", si elle dérive dans des objectifs d'intégrité et muséification de milieux naturels faisant de toute présence humaine un problème, elle fera naufrage. Il faut l'éviter, car les rivières ont bel et bien besoin d'une attention qui leur a longtemps été déniée.

La séquence complète (plus de deux heures, incluant des interventions des députés) est aussi visionnable à ce lien.

A lire aussi
La continuité écologique au cas par cas? Supprimons le classement des rivières

05/12/2016

De la politique élaborée sur les preuves aux preuves élaborées par la politique

L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (RMC) vient de publier un opus intitulé "Accompagner la politique de restauration physique des cours d’eau". L'ouvrage est censé faire le "point sur les connaissances". Nous montrons qu'il est biaisé par l'omission de la plupart des travaux scientifiques récents n'allant pas dans le sens de l'actuelle doctrine administrative en hydromorphologie. Quand il ne dissimule pas la conclusion principale des études qu'il cite. La politique de l'eau doit sortir de ce déni massif de l'existence d'un débat de fond sur les nombreux problèmes rencontrés par la restauration des rivières.

Nous avions souligné par le passé que l'Agence de l'eau RMC est sans doute la moins critiquable des Agences sur plusieurs points : choix modeste de classement (en liste 2 au moins), clarté de communication, accès aux données sources des états des eaux DCE, propos un peu plus mesuré sur les choix d'aménagement d'ouvrages, conseil scientifique plus actif. C'est donc avec une vive déception que nous avons pris connaissance de sa dernière publication. En voici quelques raisons.

L'étude disant le contraire de ce qu'on voudrait lui faire dire (Cumming 2004)
Premier exemple, le travail de Cumming 2004 dans le Wisconsin, cité en pp 137-138. Voici l'illustration reproduite page 138, montrant la variation du nombre d'espèces en fonction de la densité de barrages.

Rien qu'à l'oeil (à condition de savoir de quoi il est question, ce qui n'est pas le cas du lecteur "naïf"), il est manifeste que cette illustration montre le faible impact des ouvrages :
  • la richesse spécifique passe de 10,2 à 9,7, soit une variation mineure,
  • les barres d'erreur limitent encore la significativité du résultat,
  • l'augmentation du nombre de seuils ou barrages ne change rien (stabilité de la richesse spécifique après 10 ouvrages).
Si l'on regarde ce graphique, l'inférence la plus logique est : les barrages n'ont qu'un effet mineur sur la richesse spécifique ; si l'on veut obtenir une amélioration modeste, il faudrait les supprimer en grand nombre, ce qui serait une dépense et une nuisance élevées pour un gain de biodiversité faible.

C'est à peu près ce que dit l'auteur de ce travail scientifique, car quand on prend le temps d'aller lire son article et regarder ses résultats
  • la corrélation négative nombre de barrage aval / richesse spécifique est significative mais très ténue (-0,08, niveau de corrélation que l'on trouve généralement négligeable dans la plupart des champs scientifiques),
  • l'auteur précise que le test non-paramétrique de Friedman ne donne pas de différence discernable entre différents impacts.
En fait, Cumming 2004 est très clair dans sa synthèse : "Du point de vue de la gestion, les résultats impliquent que la modification du volume d'eau et de la température sont des plus grandes menaces pour les communautés de poissons que le déclin de la connectivité résultant des barrages de basse chute".

On a donc un travail dont la principale conclusion est que la densité des petits barrages ne modifie guère la biodiversité alpha et qu'il faut d'abord conserver une certaine quantité d'eau, mais ce résultat notable n'est pas expliqué dans le sous-chapitre "effet cumulé des seuils liés à l’homogénéisation des habitats et la baisse de connectivité", à la tonalité évidemment négative. Quasiment aucun lecteur n'ira vérifier la publication source. Et la plupart jetteront un oeil rapide en voyant une courbe qui baisse avec une forte pente, ce qui est pour l'essentiel un artifice de présentation des données.

Mayesbrook : une analyse en services écosystémiques éloignée de la réalité des chantiers français
Le Parc urbain de Mayesbrook (banlieue Est de Londres) est bordé sur 1,6 km par un petit ruisseau fortement artificialisé qui a fait l’objet en 2011 d’un projet de restauration (reméandrage, plantations en berge, zone humide).

Le tableau ci-après donne le calcul coût-bénéfice en services rendus (Everard et al., 2011).

De prime abord, le bénéficie de la restauration écologique paraît incroyablement élevé : pour chaque livre sterling investie, ce sont 7 livres sterling qui reviennent. De quoi faire rêver plus d'un gestionnaire de rivière…

Mais en regardant de plus près, on s'aperçoit que l'essentiel du bénéfice annuel (815 K£ sur 880 K£ soit 93%) provient de activités récréatives, ainsi que de la revalorisation immobilière autour du parc (7 millions £). Certes, les aménageurs ont mis en avant la dimension environnementale de leur projet (restauration écologique et adaptation climatique). Mais en réalité, il s'agit d'un chantier complet visant à rendre au public un parc passablement dégradé:
  • curage de deux lacs et développement d'activités (pêche, canotage),
  • ré-aménagement paysager complet,
  • installation de cafés, terrains de sport et zones de détente
  • le tout dans une zone urbaine dense à potentiel de gentrification.
Le bénéfice réel de l'opération n'a donc pas grand chose à voir avec la dimension proprement écologique / morphologique, l'essentiel découle de l'approche récréative-paysagère et de la plus-value immobilière.

Cette opération est très éloignée de la grande majorité des projets de restauration physique en France, en particulier des chantiers de continuité écologique où les solutions (destructions d'ouvrages ou dispositifs de franchissement) n'apportent aucune valeur d'usage aux riverains (et détruisent la valeur foncière de certains sites, comme les moulins). Les sites concernés sont souvent en zones rurales peu peuplées de surcroît (il a été montré par Feuillette et al 2016 que les analyse coûts-bénéfices de la DCE sont systématiquement défavorables dans les zones rurales, car peu de gens sont susceptibles de bénéficier des mesures demandant des investissements lourds).

Des études manquantes alors qu'on promet un bilan actualisé des connaissances
Le principal défaut de la synthèse de l'Agence de l'eau RMC réside dans ce que l'on n'y trouve pas. Le texte promet "un bilan actualisé des connaissances reposant sur une analyse systématique de la littérature internationale". En réalité, une bonne part des contenus sur les travaux scientifiques vient d'un travail plus ancien (Souchon et Malavoi 2012) auquel on a ajouté de manière impressionniste quelques éléments plus récents.

Ne sont par exemple pas analysés dans cet opus soi-disant "actualisé" :
  • Van Looy et al 2014 qui quantifie l'impact des densités de barrage sur la qualité piscicole vue par la bio-indication DCE (France),
  • Villeneuve et al 2014 qui hiérarchise les effets des impacts de bassin (dont les barrages) sur les bio-indicateurs (France),
  • Morandi et al 2014 qui critique le niveau de rigueur dans le suivi scientifique des restaurations (France)
  • Palmer et al 2014, qui traite la plus grosse base de données internationale de retour critique sur les restaurations physiques de rivière (USA)
  • Lespez et al 2015 qui analyse la non-prise en compte du temps long sédimentaire dans la restauration morphologique (France)
  • Bouleau et Pont 2015 qui problématise la notion d'état de référence et la manière dont elle été construite à fin de gestion par la performance
  • Gaillard et al 2016 qui montre l'épuration des pesticides dans les eaux lentes et appelle à la prudence sur les effacements de barrages
  • Lespez et al 2016, qui souligne les limites de l'évaluation actuelle par services rendus par les écosystèmes
  • l'expertise collective Inra-Irstea-Onema 2016 sur l'effet cumulé de retenues (notamment la question de l'épuration chimique), qui appelle elle aussi à la prudence vu les incertitudes fortes et les inconnues de la recherche
De manière générale, le topique des résultats insuffisants ou contradictoires de la restauration physique de cours d'eau est récurrent dans la littérature spécialisée depuis le milieu des années 2000, au moins une trentaine de travaux récents (2012-2016) sur ce seul sujet ont été recensés sur notre site (voir une synthèse, voir les 80 recensions détaillées d'articles récents dans notre rubrique science, voir l'analyse critique de quatre chercheurs et universitaires sur la continuité auditionnés à l'Assemblée nationale). Il en va de même pour les problèmes de gouvernance, de méthode, d'acceptabilité sociale et d'évaluation économique.

Mais au lieu d'exposer la réalité de ce débat, au lieu d'appeler à renforcer les bases scientifiques avant de continuer à dépenser des fortunes sur la morphologie tout en nuisant parfois à des usages ou au cadre de vie des riverains, on préfère noyer le lecteur dans des "retours d'expérience" issus de la littérature grise non revue par les pairs (donc non scientifique stricto sensu).

Des recommandations de diagnostics qui restent des voeux pieux
Dans ses recommandations finales, l'ouvrage propose un "zoom sur le diagnostic physique et écologique et le choix des actions".
  • Le choix des mesures de restauration doit être basé sur un diagnostic du fonctionnement physique et écologique de la rivière aux échelles spatiales cohérentes en fonction des pressions (échelle bassin versant, tronçon, micro-habitats...), faire l’objet d’une analyse prospective (évolution future potentielle), et s’appuyer sur une comparaison de scénarios dont les effets sont bien documentés ; 
  • Les facteurs limitant les améliorations souhaitées doivent être considérés (pressions multiples, potentiel de recolonisation, échelle d’action, qualité de l’eau, quantité d’eau...) ; 
  • Si la dynamique de la rivière est suffisante, il convient de privilégier les mesures de restauration des processus par restauration passive. Sinon, il peut être envisagé la restauration active des formes (ex. reméandrage) ; 
  • La possibilité d’obtenir des réponses écologiques mesurables doit guider, parmi d’autres éléments, l’ambition du projet de restauration : l’extension spatiale du projet doit être proportionnée à la taille de la rivière ou partie de rivière que l’on souhaite restaurer. De même, la situation avant/après restauration doit être a priori aussi contrastée que possible en termes de modification des habitats pour pouvoir espérer une évolution des peuplements aquatiques. Les autres facteurs limitants doivent aussi être considérés, notamment la pollution, ce problème devant être résolu avant ou simultanément aux opérations de restauration physique.
On ne peut qu'approuver dans les grandes lignes, mais c'est une liste de voeux pieux : ni les SAGE ou contrats de rivière, ni les classements de rivières à fin de continuité écologique ne sont par exemple engagés dans des diagnostics et pronostics aussi ambitieux (voir cet article sur nos attentes en terme de diagnostic écologique) :
  • les documents programmatiques sont de simples énumérations sans modèle, 
  • les choix de chantier n'ont pas de mode de détermination des priorités, 
  • les analyses coûts-avantages ne sont pas sérieusement menées, 
  • les suivis biologiques sont rarissimes (et pour le peu d'entre eux presque toujours limités à certaines catégories de poissons), 
  • les inventaires complets de biodiversité avant intervention sont l'exception,
  • des expertises limitées aux méthodes discutables (comme celles des pêcheurs) occupent une place anormalement importante dans l'information aux décideurs,
  • les rares travaux de qualité sont des programmes lourds mobilisant beaucoup de moyens et de temps (par exemple ce que fait l'équipe de N. Lamouroux sur le Rhône, avec des résultats reconnus comme significatifs mais pas entièrement satisfaisants). 
Conclusion
La dimension physique des rivières inclut de nombreux enjeux, à différentes échelles du bassin versant: ripisylves et berges, diversité des écoulements (rectification, chenalisation, méandre, tresse, divagation), évolution des micro-habitats du lit mineur, annexes hydrauliques de type bras morts, reconnexion du lit majeur d'inondation, connectivité longitudinale (obstacle piscicole ou sédimentaire), érosion des sols sur les versants (particules fines devenant matière en suspension), nature des substrats et des échanges de fond (zone hyporhéique), etc. Ces enjeux sont des réalités qui vont influencer le fonctionnement et le peuplement de la rivière, et ces enjeux sont étudiés par l'écologie des milieux aquatiques.

Entre ce que dit l'écologue (scientifique) sur le fonctionnement théorique d'une rivière et ce que fait le gestionnaire sur l'aménagement de cette rivière, il y a cependant un écart. Montrer que tel impact a tel effet n'engage pas forcément une action: l'impact peut être impossible ou très coûteux à éviter, l'effet peut être mineur, sans gravité particulière pour les milieux et sans intérêt pour les riverains, l'évolution de l'hydrosystème à certaines conditions d'intervention peut être imprévisible, etc. Il faut donc une double distance critique : comprendre ce que dit la science et avec quel niveau de robustesse elle le dit ; analyser si ces conclusions répondent à des enjeux sociopolitiques (et une solvabilité économique).

Le problème de la restauration physique est connu :
  • elle est jeune et encore expérimentale, donc ne peut pas prétendre inspirer des programmes trop systématiques (comme des dizaines de milliers de km classés au titre de la continuité avec un délai court et obligatoire d'intervention),
  • elle est lourde et coûteuse, car elle concerne les rivières comme leurs bassins versants, tous ces bassins ont été anthropisés et ne sont plus des hydrosystèmes naturels de longue date, donc le "désaménagement" serait un chantier potentiellement immense,
  • elle est complexe et incertaine, car le lien entre habitat physique et biodiversité n'est pas une causalité simple, tous les impacts interagissent, le vivant n'évolue pas selon une logique déterministe,
  • elle est problématique, car les hydrosystèmes anthropisés sont appréciés, les gains écologiques sont généralement faibles et différés (pas même garantis), le retour à un état "plus naturel" ne s'accompagne pas souvent de bénéfices sociaux, économiques ou symboliques tangibles.
Quand la restauration physique devient une "politique", elle doit se poser des questions politiques, et pas seulement scientifiques.

Les riverains veulent une rivière à vivre, avec des attentes très diverses, ils ne veulent pas une rivière d'expert qui serait réduite à un état écologique idéalisé en faisant l'hypothèse qu'il n'existerait aucun impact humain. Ces attentes sont clairement décalées par rapport au discours de la renaturation monopolisé par des administrations et des gestionnaires. Espérer que l'on imposera une certaine vision de la rivière par la contrainte réglementaire et par la dissimulation d'information est illusoire. Les Agences de l'eau ne servent pas l'intérêt général en entretenant cette illusion.

Référence : Dany A (dir) (2016), Accompagner la politique de restauration physique des cours d’eau: éléments de connaissance, Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, 304 p.

A lire en complément
Continuité écologique: demande de saisine des conseils scientifiques des Agences de l'eau
Les 12 partenaires de l'appel à moratoire sur les effacements d'ouvrages hydrauliques et l'Union française d'électricité ont saisi les présidences des Agences de l'eau pour demander à leurs conseils scientifiques un avis motivé sur la politique actuelle de continuité écologique, en lien aux interrogations récentes nées de l'évolution des connaissances.

L'écologie est-elle encore scientifique? (Lévêque 2013)
L'exercice de l'Agence de l'eau RMC illustre également un problème épistémologique plus fondamental, celui d'une écologie des rivières qui, happée par les attentes politiques du gestionnaire (et financeur...), est requise en recherche finalisée pour certifier ce qui serait "bon" ou "mauvais", au lieu de conserver la neutralité axiologique et la distance critique qui sied à la liberté de l'investigation scientifique et à la crédibilité de ses résultats pour la société. Par exemple, on a tendance à construire des indices paramétriques de "qualité" qui vont en fait refléter non la qualité de la rivière dans l'absolu (notion peu scientifique), mais ce que les paramètres retenus sont programmés à isoler. Les indices peuvent minimiser ou amplifier l'interprétation des phénomènes réels (donner à tort l'impression que la rivière est en "bon" ou en "mauvais" état).

03/12/2016

La continuité écologique au miroir de ses acteurs et observateurs (De Coninck 2015)

Amandine De Coninck (LEESU - Laboratoire Eau Environnement et Systèmes Urbains, ParisTech) a réalisé une volumineuse thèse sur la concertation dans le cadre de la mise en oeuvre de la continuité écologique, à partir d'expériences sur deux hydrosystèmes (rivière du Grand Morin, vallée de l'Orge). Le document fourmille d'informations et réflexions intéressantes sur le déploiement des politiques environnementales, sur les options et stratégies des acteurs, sur les possibilités et limites de la concertation. Tous les gestionnaires devraient lire ce travail pour appréhender la manière dont on peut construire cette concertation et les enjeux de cet exercice. De manière générale, les acteurs gagneraient en réflexivité à comprendre la relativité de chaque position et leur place dans un système complexe de représentations divergentes. Nous publions ici quelques extraits aidant à mesurer l'avis d'un public qui nous intéresse particulièrement, celui des chercheurs... où l'on voit que le scepticisme est souvent de mise, en contraste avec le discours monolithique, voire ayatollesque, de certaines administrations. Lentement mais sûrement, le dogme se délite.

Nous publions ci-dessous un extrait révélateur des positions des chercheurs concernant la continuité écologique: on y découvre les différences de paradigmes dans la communauté savante, la perception d'un activisme au sein même de l'exercice scientifique et, globalement, un certain scepticisme sur la dimension systématique de la mise en oeuvre de la continuité écologique dans les hydrosystèmes anthropisés de longue date.



"La continuité écologique étant un sujet controversé, nous faisons ici état des convictions des chercheurs du projet sur ce sujet, plus que de leurs recherches elles-mêmes. Cependant, leurs recherches influencent évidemment leurs points de vue, leurs convictions sont fondées sur un état des connaissances dans un champ disciplinaire donné. Nous allons donc présenter brièvement les chercheurs qui ont participé à cette expérience et leurs domaines de compétences.

Le projet appelé « Sciences et SAGE » visait à mener une démarche de modélisation d’accompagnement avec des chercheurs du PIREN-Seine et des membres de la CLE du SAGE des Deux Morin. Parmi les chercheurs impliqués on pouvait compter :

  • Une géographe ayant travaillé sur les petites rivières urbaines d’Ile-de-France 
  • Un géographe ayant travaillé sur la gestion de l’eau et les représentations de la qualité de l’eau (du 19e à nos jours).
  • Un sociologue ayant travaillé sur les petites rivières urbaines
  • Un agronome travaillant sur la gestion des ressources naturelles et la modélisation d’accompagnement, et qui animera la démarche
  • Une ichtyologue travaillant sur les peuplements de poissons dans l’Orgeval et dans l’Orge
  • Un hydrologue ayant modélisé le Grand Morin aval
  • Une biogéochimiste travaillant sur la qualité de l’eau et les changements d’échelle
  • Un ingénieur chimiste (directeur du PIREN-Seine) travaillant sur la qualité de l’eau

(…) Pour les scientifiques interrogés, la restauration de la continuité écologique n’est pas un enjeu prioritaire sur ce territoire. Ils ne pensent pas qu’un accent si fort doive être mis sur cette thématique. Le directeur du PIREN-Seine s’exprime ainsi : « Je ne mettrai pas ça comme un objectif à atteindre au plus vite. Je pense que c’est un objectif qui s’atteint en examinant avec soin comment les choses se passent et en gérant au plus près. Je n’en fais pas un dogme quoi. Personnellement je trouve qu’un plan d’eau avec de l’eau dedans, c’est beau, plutôt qu’un truc tout sec avec un peu de boue au fond. ». Il donne donc une valeur au cours d’eau qui n’est pas simplement celle de la restauration écologique pour elle-même, mais qui doit être liée à une certaine valeur esthétique.

Par rapport aux gestionnaires locaux que l’on peut trouver sur le Grand Morin, les scientifiques ont clairement une approche différente de la continuité écologique. Bien que leur position finale soit proche – c'est-à-dire qu’il vaut mieux conserver les ouvrages ou du moins qu’on ne peut pas tous les supprimer d’un coup – la question de la continuité écologique n’est pas du tout formulée de la même manière chez les scientifiques et chez les gestionnaires locaux de l’eau sur le Grand Morin. Les arguments qu’ils développent ne sont pas les mêmes. Ils n’ont pas un registre d’engagement familier comme les élus, mais plutôt un régime d’engagement en justification. Ils ne se réfèrent pas au même type de connaissances pour établir leur diagnostic.

Ainsi, ils ont plus de recul sur la manière dont cette notion est apparue et s’est construite dans la communauté scientifique. Ils s’interrogent sur l’origine de cette notion. En ce sens, ils sont plus proches de la démarche des techniciens du syndicat de l’Orge aval. Ceci dit, ils n’arrivent pas à la même conclusion puisqu’ils remettent en cause la notion même, alors que les membres du syndicat de l’Orge interrogent plutôt la manière de l’appliquer.
Pour la plupart des scientifiques, cette notion est avant tout le résultat d’une construction scientifique et d’une théorie particulière et elle se base sur une certaine vision du monde. On le ressent notamment dans le discours des géographes :
  • « A un moment, le contexte des représentations qu'on a de la nature font que bon, [...] il faut effacer les seuils ».
  • « Chaque époque a tendance à imposer une lecture, un sens du réel, qui dit être le bon par rapport aux autres qui n'auraient jamais rien compris. ».
Ce serait cette « lecture » ou cette représentation de la nature qui conduirait à penser aujourd’hui que la restauration de la continuité écologique est la priorité. L’hydrologue également s’interroge sur l’origine de cette notion, et il souligne que la science n’est pas forcément neutre :
  • « [Être scientifique] ne te dédouane pas d'avoir dans ce système professionnel des extrémistes de tout poil, avec leurs croyances. Et il y a de l'activisme en sciences comme dans toute autre voie professionnelle. Et les activistes verts existent dans la science. ». 
La continuité écologique serait donc le produit d’un « effet de mode », qui se base sur certaines théories scientifiques qui ne font pas forcément l’unanimité. Tout comme le directeur du PIREN-Seine, l’hydrologue pense qu’il serait préférable de conserver les ouvrages sur le Grand Morin, car la continuité écologique est un « concept à la mode », et n’apporte pas de gain véritable. L'hydrologue n'est pas convaincu que la destruction des ouvrages entraîne une diversité d'habitats et de milieux. Au contraire, il pense que cela va redonner une homogénéité à l'écoulement de l'eau. L'hydrologue évoque également le fait que selon lui, si on abaisse les ouvrages et que le niveau d’eau baisse, il y aura également moins d’eau dans la nappe alluviale. Ainsi les possibilités de stocker de l’eau diminueront, ce qui, dans un contexte de besoin de ressource en eau qui augmente, pourrait s’avérer problématique.

Cependant, entre les différents scientifiques interrogés, les positions sur la gestion des ouvrages varient légèrement. La plupart ne connait pas vraiment le fonctionnement du système d’ouvrages sur le Morin, ni s’il fonctionne « correctement ». Ainsi, ils n’ont pas d’opinion quant au mode de gestion des ouvrages qui serait le plus approprié.

Pour l’hydrologue, le facteur qui influence ou influencera le plus le niveau d’eau à l’avenir ne sont pas les ouvrages mais le changement climatique. L’ichtyologue est, quant à elle, foncièrement en faveur de la restauration de la continuité écologique, que cela passe par l’arasement ou l’aménagement des ouvrages. Elle a une position plutôt militante et revendicatrice par rapport aux autres scientifiques (sociologue, agronome, géographes et biogéochimiste) qui n’ont pas d’opinion particulière sur le sujet et qui pensent que les acteurs locaux sont les plus à mêmes de décider collectivement s’il serait souhaitable ou non de détruire les ouvrages. Un autre ichtyologue de l’Irstea, Didier Pont, faisant partie du groupe s’occupant de l’inter-calibration entre les différents pays européens pour l’application du concept de continuité écologique sur le terrain, a également été interrogé. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, il souligne qu’en dehors des grands poissons migrateurs, restaurer des continuités n’aura pas forcément d’impact majeur. De plus, ce genre de mesure coûte cher. Notamment dans un milieu aussi anthropisé où les grands poissons migrateurs ne sont plus présents, cela n’a pas forcément d’intérêt.

Les chercheurs ont donc une représentation plus analytique, plus distancée, de la rivière. Il s’agit de leur objet de recherche, certains étudient son histoire, d’autres son régime hydraulique, selon leur discipline. Tout comme les représentants de l’Etat, ils ont une vision plus globale du bassin versant. Ils ont une position intermédiaire entre les représentants de l’Etat et les gestionnaires locaux."

Ré-introduire la complexité et l'incertitude dans le discours monolithique – voire "ayatollesque" – de la continuité écologique
Ces positions pour le moins nuancées et diverses des chercheurs contrastent avec l'engagement plus fréquent de certains services administratifs (pas tous) en faveur d'une vision plus dirigiste et engagée de la "renaturation" des rivières. Le témoignage rapporté d'un technicien de syndicat sur l'Agence de l'eau (Seine-Normandie) est éloquent : "Les financeurs jouent un rôle à la fois intéressant et un peu ayatollesque. Aujourd’hui ils obligent les syndicats, ils leur disent 'si vous ne faites pas d’hydromorphologie, vous n’aurez pas de sous pour remplacer vos bouts de tuyaux'. Donc les gens ils n’ont plus trop le choix et ils s’y mettent. Ils s’y mettent de bon cœur ou pas de bon cœur, mais ils s’y mettent."

Autre enseignement notable de cette thèse, le malaise des "experts technico-administratifs" et "gestionnaires" à raisonner et communiquer sur des incertitudes. La mise en oeuvre d'une politique déjà décidée dans ses grandes lignes oblige à souligner surtout le positif pour inciter à l'action, et à orienter le travail du bureau d'études dans le sens d'une certification sans discussion des choix pré-établis.

Enfin, à travers les exemples d'action collective et jury citoyen sur les rivières concernées par le travail de thèse, on voit émerger des positions logiquement liées à des usages (pêcheurs, kayakistes, propriétaires de moulins) mais aussi un certain sens commun de la rivière où l'intérêt pour la biodiversité est inséré dans des attentes paysagères, patrimoniales et récréatives. Là où le gestionnaire essaie de simplifier sur le registre de la fonctionnalité des milieux aquatiques (à restaurer sur des verrous identifiés), les citoyens réintroduisent de la complexité.

Il reste la dernière question sans réponse de la thèse : "qui est vraiment prêt à se servir de la concertation?". Quand on se souvient que l'Etat a validé le démantèlement de clapets sur l'Orge malgré l'avis défavorable de l'enquête publique, on a une petite idée de la réponse pour un des acteurs du dossier, et pas le moindre. Combien de temps l'Etat va-t-il persister dans ces positions conflictuelles et antagonistes des résistances exprimées sur les territoires? Ce sont nos luttes qui contribueront à écrire cette histoire...

Source : Amandine De Coninck (2015), Faire de l’action publique une action collective : expertise et concertation pour la mise en œuvre des continuités écologiques sur les rivières périurbaines. Etudes de l’environnement, Université Paris-Est, 642 p, annexes I-CIV

Illustration : le Grand Morin à Coulommiers, David Leigoutheil — Travail personnel, CC BY-SA 3.0.

01/12/2016

Nous voulons les données complètes sur l'état d'avancement de la continuité écologique

Selon des chiffres publiés dans une commission interne de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, 94% des ouvrages classés en liste 2 sur le bassin n'auraient toujours pas fait l'objet d'un chantier… cela alors que nous sommes à 6 mois de la date théorique du dépôt de 100% des projets en préfecture! Les mêmes données indiquent 2 fois plus d'effacements que d'aménagements depuis 2007, choix destructeur allant à l'encontre du texte et de l'esprit de la loi. La réforme de continuité écologique est donc un marasme. Nous réclamons la transparence totale sur tous les bassins, au lieu du recel actuel d'information par les administrations, manifestement effrayées à l'idée que l'ampleur des retards, des blocages et des coûts devienne une donnée du débat public. Au vu des fortes protestations suscitées par le peu de chantiers réalisés et du caractère totalement irréaliste du délai légal fixé en 2006 comme des coûts pharaoniques des travaux, c'est sans regret qu'il faut prononcer au plus vite un moratoire sur l'ensemble de la réforme et redéfinir de manière concertée son mode de déploiement.


Selon le rapport de la Commission du milieu naturel aquatique du 20 octobre 2016 (extrait ci-après), qui n'est pas très clair, voici quelques chiffres sur le bassin Loire-Bretagne :
  • 18.000 km de rivières classées liste 2
  • 6000 obstacles à l'écoulement concernés
  • entre 2007 et 2016, 994 ouvrages ont été traités
  • 350 ouvrages en liste 2 sont concernés (parmi les 994)
  • Sur les 994 ouvrages, on compte 58% d'effacement, 26% d'aménagement, le reste inconnu
Donc d'après ces données :
  • 6% seulement (350/6000) des ouvrages en liste 2 sont traités
  • l'effacement est majoritaire, et deux fois plus fréquent que l'aménagement
Ces chiffres confirment s'ils sont exacts :
  • le retard considérable dans la mise en oeuvre du classement, rendant totalement illusoire l'hypothèse d'un dépôt en préfecture de 100% des projets d'ici juillet 2017 (date légale du premier délai de 5 ans pour Loire-Bretagne),
  • la prime donnée à la destruction du patrimoine hydraulique, quand la loi demandait des mesures de gestion, équipement et entretien.
Plus largement, l'incapacité du Ministère et des Agences de l'eau à publier des informations précises sur l'état d'avancement de la réforme accentue le sentiment (déjà très diffus) d'une manipulation massive de l'opinion et des élus.

Dix ans après le vote de la loi sur l'eau et 4 ans après le classement, nous demandons la transparence et la précision, à savoir sur chaque bassin:
  • linéaire total de rivières classées L2
  • nombre total d'ouvrages concernés
  • nature de ces ouvrages dans la base ROE (seuils, barrages, buses, etc.)
  • nombre d'ouvrages mis en conformité (chantiers achevés)
  • coût total des aides publiques
  • nombre d'effacement (total ou partiel)
  • nombre d'aménagement (sans aucun arasement)
  • nature des aménagements (passes, rivières contournement, ouvertures de vanne, statu quo)
  • nature du maître d'ouvrage (collectivité, établissement public, industriel, agriculteur, particulier)
  • répartition administrative (par départements)
  • répartition hydrographique (par rivières)
Seules ces données complètes permettront de faire le point sur l'avancement de la réforme, de redéfinir un calendrier et un financement réalistes, le cas échéant de procéder au déclassement des rivières et à un changement de méthode dans la restauration de continuité.

Extrait Commission du milieu naturel aquatique Loire-Bretagne, 20 octobre 2016

L’état des lieux du bassin Loire-Bretagne arrêté de décembre 2013 a identifié les pressions sur l’hydromorphologie comme parmi les principales causes de risque de non-atteinte des objectifs environnementaux en 2021. Les impacts des ouvrages sur la circulation piscicole et le transit sédimentaire ont justifié le classement en juillet 2012 de 18 000 km de cours d’eau en liste 2 par le préfet de bassin.

Les outils réglementaires (classements des cours d’eau) et contractuels (contrats territoriaux de l’agence) sont complémentaires pour contribuer à la restauration des circuits de migrations piscicoles et à la réduction de la pression des ouvrages transversaux sur l’hydromorphologie des cours d’eau. Il est présenté à la COMINA un point d’avancement global sur la mise en œuvre des interventions sur les ouvrages transversaux dans le bassin Loire-Bretagne, avec une focale ensuite sur les points noirs du PLAGEPOMI.

De 2007 à mi 2016, l'agence de l'eau Loire-Bretagne a attribué plus de 28 M€ d’aides à la restauration de la continuité écologique pour les 994 ouvrages traités, soit près de 11% des aides totales de la restauration des milieux aquatiques. L’aide de l’agence de l’eau a porté majoritairement sur l’effacement des ouvrages (58%), soit 575 ouvrages. L’équipement représente 26% des ouvrages traités, soit 258 ouvrages équipés.

Sur ces 994 ouvrages, 350 dits « liste 2 » ont été aidés par l’agence de l’eau, pour lesquels l’effacement reste également majoritaire avec 48% des ouvrages traités (168). L’équipement représente 36% des ouvrages traités (126). L’écart est donc moindre entre effacement et équipement, pour ces ouvrages « liste 2 ». Il a donc été réalisé, avec les aides de l’agence de l’eau, 2 fois plus d’effacements que d’équipements. (…)

La Commission remercie la DREAL de Bassin et l'agence de l'eau Loire-Bretagne pour le travail présenté, mais regrette que, ces informations restent difficiles à connaître pour les acteurs du bassin concernés, en accueillant favorablement l’outil de suivi national annoncé en 2017. La Commission souligne aussi que le total des 994 ouvrages traités, dont 350 « liste 2 » sur les 6 000 identifiés, est loin d’être satisfaisant car il ne permettra pas d’atteindre l’échéance de juillet 2017, conformément à l’arrêté du préfet coordonnateur de bassin de 2012, malgré la mobilisation de nombreux agents sur le terrain (Etat, Onema, agence de l'eau Loire-Bretagne et collectivités territoriales).

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30/11/2016

Le Conseil d'Etat retoque le régime d'autorisation des ouvrages hydrauliques (arrêté du 11/09/2015)

Par le décret du 1er juillet 2014 et l'arrêté du 11 septembre 2015, la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Environnement a poursuivi de manière méthodique le but qui est le sien: vider les droits d'eau de leur substance, étendre infiniment le contrôle administratif sur toute activité en rivière et, au final, décourager par un excès de complexité la reprise de la petite hydro-électricité. Le Conseil d'Etat vient cependant d'annuler une disposition de l'arrêté de 2015. Un bon point, mais nous sommes encore à des années-lumière du train de simplification dont ont besoin la gestion des ouvrages hydrauliques et la relance de l'énergie hydro-électrique dans notre pays. 



Nous avions déjà évoqué le décret de 2014 et l'arrêté de 2015, le premier étant une machine de guerre contre les droits d'eau fondés en titre ou sur titre (bête noire de certains hauts fonctionnaires du Ministère), le second étant un exemple de la kafkaïenne contrainte bureaucratique subie par certains propriétaires ou usagers au bord des rivières.

L'article 2 de l'arrêté du 11 septembre 2015 (qui, à la suite du décret du 1er juillet 2014, fixait les prescriptions complémentaires que l'administration peut imposer à un site) est annulé par le Conseil d'Etat, dans sa décision n°394802.

Voici les considérants :
11. Considérant qu'aux termes de l'article R. 214-18 du code de l'environnement : " Toute modification apportée par le bénéficiaire de l'autorisation à l'ouvrage, à l'installation, à son mode d'utilisation, à la réalisation des travaux ou à l'aménagement en résultant ou à l'exercice de l'activité ou à leur voisinage, et de nature à entraîner un changement notable des éléments du dossier de demande d'autorisation, doit être portée, avant sa réalisation, à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation. / Le préfet fixe, s'il y a lieu, des prescriptions complémentaires, dans les formes prévues à l'article R. 214-17. / (...) / S'il estime que les modifications sont de nature à entraîner des dangers ou des inconvénients significatifs pour les éléments énumérés à l'article L. 211-1, le préfet invite le bénéficiaire de l'autorisation à déposer une nouvelle demande d'autorisation. Celle-ci est soumise aux mêmes formalités que la demande d'autorisation primitive. " ; qu'aux termes de l'article 2 de l'arrêté attaqué : " Pour les installations, ouvrages épis et remblais relevant du régime d'autorisation, une demande d'autorisation doit être déposée, dès lors que la modification est de nature à entraîner des dangers et des inconvénients pour les éléments visés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement ce qui est le cas notamment si cette modification : / - conduit à la mise en place d'un nouveau tronçon court-circuité ; / - aggrave les conditions de franchissement de l'ouvrage par les poissons migrateurs ; / - entraîne une augmentation significative du débit maximal dérivé ; / - conduit à l'augmentation significative du linéaire de cours d'eau dont l'hydromorphologie est modifiée ; / - accroît les prélèvements autorisés pour l'usage initial, en cas d'équipement d'ouvrages déjà autorisés au titre de la loi sur l'eau, en application de l'article L. 511-3 du code de l'énergie, en vue d'une production accessoire d'électricité " ;
12. Considérant que les dispositions précitées de l'article R. 214-18 du code de l'environnement impliquent que le préfet porte au cas par cas une appréciation sur les modifications envisagées ; que ces dispositions n'ont pas donné compétence au ministre chargé de l'environnement pour définir par voie d'arrêté des catégories de modifications des installations devant nécessairement être regardées comme justifiant la présentation d'une demande d'autorisation par l'exploitant ; que les requérants sont par suite fondés à soutenir qu'en définissant des catégories de modifications qui impliquent nécessairement que l'exploitant présente une nouvelle demande d'autorisation, les dispositions en cause, qui sont divisibles des autres dispositions de l'arrêté attaqué, méconnaissent les dispositions de l'article R. 214-18 ; qu'ils sont, dès lors, fondés à en demander l'annulation.
Cet article 2 donnait la capacité d'imposer une nouvelle autorisation et énumérait une liste de modifications y menant. Le Conseil d'Etat a jugé que c'était là un abus de pouvoir du ministère, qui n'a pas compétence à arrêter cette liste.

Plusieurs parlementaires ont déjà fait savoir que le droit de l'eau a besoin d'un "choc de simplification" (selon les termes de la sénatrice Loisier) après 25 années ininterrompues de superposition en tous sens de mesures législatives et, surtout, réglementaires. La suppression des dispositions les plus arbitraires, disproportionnées ou coûteuses sera à l'ordre du jour des prochaines années, avec la nécessité impérative de revenir à une juste mesure entre l'impact écologique des ouvrages et les prescriptions dont ils peuvent faire l'objet.

Accélérer la transition énergétique bas carbone (où la France est en retard sur ses objectifs 2020, sans parler des horizons plus lointains) suppose également de rendre à l'hydro-électricité la place qu'elle mérite dans ce dispositif. Les nouvelles conditions d'accès aux tarifs de rachat H16 sont de surcroît moins favorables à l'hydro-électricité de petite puissance que l'ancien contrat H07. Cela n'en rend que plus indispensable la simplification des mesures réglementaires et environnementales pour les ouvrages déjà autorisés, afin d'inciter à la relance des moulins et usines à eau.

Au nom de quelques récriminations extrêmement minoritaires dans la société, mais artificiellement amplifiées par certains bureaux de l'administration centrale en charge de l'eau, on a cherché à brimer par tout moyen la petite hydraulique, voire à détruire purement et simplement son potentiel de production. Cette action publique est indigne d'être poursuivie dans sa partialité et sa brutalité. Il ne faut pas seulement stopper les absurdités les plus évidentes de ces dérives récentes, mais refonder une doctrine réellement durable et équilibrée de la gestion des rivières.