Le cours d'eau, un phénomène naturel? Pas si simple. Produit historique de la nature et de la société, la rivière est un objet hybride et complexe, elle défie les approches réductionnistes qui voudraient lui assigner un seul horizon d'existence. On peut distinguer au moins six dimensions de la rivière dans les représentations et les pratiques humaines. Accepter cette diversité a des implications pour nos politiques publiques.
Il existe une seule et même rivière coulant dans nos montagnes, nos vallées ou nos plaines, mais elle est un composé de multiples actions passées et un assemblage de nombreuses représentations présentes. En voici quelques-unes.
Rivière nature : définie par sa morphologie et sa biologie, ses écoulements et ses peuplements, c'est la rivière vue à travers son écologie.
Rivière culture : ponts, gués, lavoirs, moulins, forges, douves, canaux, barrages… c'est la rivière porteuse d'un patrimoine visible qui manifeste les usages humains à travers les âges.
Rivière paysage : rencontre de la nature et de la culture, le paysage est la première image que la plupart des gens ont d'une rivière, selon sa visibilité et son accessibilité.
Rivière usage : elle se définit par son exploitation utilitaire, qu'il s'agisse d'eau potable, d'irrigation, d'énergie, de navigation, d'extraction de granulats, de pisciculture, de pêche professionnelle, etc.
Rivière plaisir : elle occupe nos souvenirs d'enfants (ou d'adultes) avec la baignade, la pêche, la randonnée, le canotage, le kayak, le rafting, etc.
Rivière risque : dans la mémoire et l'actualité, la rivière ne véhicule pas que des images positives, elle est aussi associée aux crues et aux inondations, ainsi qu'à un caractère imprévisible (étiages, assecs).
Rivière nature, de la négligence à la prééminence
La rivière nature est le lieu d'un paradoxe : elle est la première en place puisqu'elle pré-existe à l'homme, mais elle est sans doute la dernière née dans nos représentations, car il faut attendre les travaux de la biologie et de l'écologie modernes pour appréhender le fonctionnement complexe de la rivière. Outre la rareté des connaissances théoriques (compensée par une expérience et une mémoire locales), les sociétés humaines pré-modernes ont eu pour contrainte forte la survie incertaine de leurs membres, de sorte que l'exploitation des ressources de la rivière est le premier angle qui transparaît des archives du passé.
La méconnaissance de la rivière nature a induit certaines dégradations des cours d'eau au fil des siècles, et singulièrement des dernières décennies (voir cet article sur la grande accélération de l'Anthropocène).
A partir des années 1990, on a assisté à un retournement des politiques publiques de la rivière, matérialisés par la directive cadre européenne sur l'eau (2000) et en France la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (2006). Après une longue indifférence, puis une lente prise de conscience (années 1970-1990), un paradigme écologique a fini par s'imposer dans la gestion de la rivière. En assez peu de temps, la rivière nature longtemps négligée est devenue le référent à partir duquel toutes les autres dimensions devaient être évaluées.
L'hégémonie d'une seule vision de la rivière est non durable
La rivière nature peut-elle prétendre à cette hégémonie qui lui est soudainement accordée? Non. La prise en compte de l'environnement est un trait structurant du développement durable qui ne disparaîtra pas. Mais ce développement durable inclut deux autres piliers – économie et société – qui n'ont pas vraiment vocation à disparaître eux non plus.
On ne peut pas dissoudre toutes les représentations de la rivière en une seule, encore moins dans un délai très court. Mais ce n'est pas qu'une affaire de temps qui changerait les esprits et les moeurs. Le problème est aussi épistémologique: la nature ne peut être une nature sans humain, pas plus que la rivière ne peut être une réalité sans riverain. La nature est aussi un produit de l'histoire, car l'homme la modifie depuis des millénaires et le vivant rétro-agit à ces altérations.
La dimension plurielle de la rivière a des implications pour chaque acteur. Par exemple, les défenseurs des ouvrages hydrauliques (dont nous sommes) ne sauraient ignorer les interpellations dont ils font l'objet au seul prétexte que la rivière comme culture, comme paysage, comme plaisir ou comme usage a leurs faveurs. Il est exact que les ouvrages hydrauliques ont des impacts sur d'autres usages de l'eau, également qu'ils modifient la biologie de la rivière. La bonne attitude n'est jamais dans l'ignorance des connaissances nouvelles, mais dans la prise en compte des faits établis et la recherche de solutions raisonnables là où des problèmes se posent.
Inversement, les adversaires des ouvrages hydrauliques (ceux qui souhaiteraient leur disparition) ne peuvent fonder une position audible sur la négation radicale des autres dimensions de la rivière, comme s'il existait un consensus social sur le sacrifice de nos héritages et de nos usages à la seule rivière nature. Ce consensus n'existe pas. On acquiesce collectivement à l'idée de diminuer l'impact humain sur les milieux, pas de donner prééminence aux milieux sur toute activité humaine.
La question essentielle n'est toutefois pas ici la position particulière de tel ou tel acteur de la rivière, plutôt la manière dont on peut et doit articuler les positions. C'est la politique publique de la rivière qui est en jeu, la politique où tous les citoyens doivent se reconnaître et le cas échéant s'investir. Cette politique de la rivière doit acter la diversité de ses dimensions et organiser l'expression du pluralisme au lieu de l'étouffer.
Le paradigme de la gestion de rivière appelle donc une socio-écologie davantage qu'une écologie, soit une compréhension croisée de la place de la nature dans la société et de la place de la société dans la nature.
28/12/2016
26/12/2016
La préservation du patrimoine hydraulique entre dans la gestion durable et équilibrée de l'eau
Les parlementaires viennent d'apporter une modification substantielle à l'article L 211-1 du Code de l'environnement, qui définit les principes généraux d'une gestion équilibrée et durable de l'eau. Désormais, cette gestion "ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique" faisant l'objet d'une protection. Une avancée, mais tous les ouvrages ne pourront en bénéficier. Explications sur la portée de ce texte, et lettre-type que les associations peuvent envoyer aux élus locaux, administrations et gestionnaires en charge de la rivière.
On se souvient de l'épisode tragi-comique de l'été 2016 où une disposition favorable aux ouvrages hydrauliques, votée avec la loi Patrimoine en juillet, avait disparu en août avec la loi Biodiversité (voir cet article). Depuis, la FFAM a continué son travail d'information des parlementaires et l'amendement supprimé vient d'être réintroduit à l'occasion du vote de la loi Montagne.
Le texte définitif de cette loi Montagne voté par le Sénat contient une modification importante de l'article L 211-1 Code de l'environnement.
Pour la suite, que faire?
Individuellement, les propriétaires d'ouvrages hydrauliques d'intérêt patrimonial peuvent envisager de les faire protéger par les divers outils existants. En particulier, chaque propriétaire d'un ouvrage ancien doit veiller à ce que le plan local d'urbanisme (communal ou intercommunal) signale les bâtiments et annexes comme site remarquable.
Associativement, les acteurs engagés dans la défense du patrimoine doivent écrire aux préfectures, aux gestionnaires et aux élus pour leur signaler que tout chantier de continuité écologique doit désormais intégrer une enquête patrimoniale et le cas échéant des solutions en conformité à la préservation du patrimoine. Nous produisons ci-dessous un exemple de lettre-type.
Cette avancée législative est une étape importante, mais elle ne concerne probablement qu'une minorité de moulins, étangs, plans d'eau et autres systèmes hydrauliques bénéficiant d'une protection réglementaire au titre du patrimoine. Par ailleurs, ce nouveau texte ne corrige en rien les problèmes observés dans la mise en oeuvre de la continuité écologique :
Lettre circulaire aux correspondants locaux: DDT-M, Onema, Agence de l'eau, syndicats ou parcs, fédérations de pêche, conseil régional, présidents d'intercommunalités et maires. Ci-dessous, un modèle générique que vous pouvez personnaliser.
Madame, Monsieur,
La réforme de continuité écologique, ouverte par la loi sur l'eau 2006, le PARCE 2009 et le classement des rivières 2012-2013, vise à améliorer le franchissement piscicole et le transit sédimentaire au droit de certains ouvrages hydrauliques.
Cette ambition, légitime, a néanmoins donné lieu à certains excès, avec une programmation publique accordant souvent la prime à la destruction pure et simple des ouvrages hydrauliques, au lieu de leur aménagement initialement prévu par la loi.
Ces choix de destruction ont soulevé et soulèvent encore de vives oppositions, non seulement de la part des propriétaires d'ouvrages, mais aussi de celle des riverains qui jouissent des avantages de la rivière aménagée, et de tous les citoyens interloqués de voir la destruction du patrimoine ancien et du paysage familier des rivières désignée comme l'une des priorités des politiques publiques de leur pays.
Conscients de ce problème, qui a donné lieu à plus d'une centaine d'interpellations du Ministère de l'Environnement par les députés et sénateurs ces deux dernières années, les parlementaires viennent de procéder à la révision de l'article L 211-1 Code de l'environnement. Cet article définit la "gestion durable et équilibrée" de l'eau en France, il a donc une portée particulièrement importante.
Un nouvel alinéa énonce ainsi :
« III. – La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme. »
Vous voudrez noter que ce texte de loi indique clairement la nécessité générale de préserver la patrimoine hydraulique. En conséquence, notre association souhaite que cette nouvelle orientation nationale se traduise dans les choix locaux de gestion de rivière, prioritairement bien sûr sur les rivières classées en liste 2 au titre de la continuité écologique.
Nous espérons des services instructeurs de l'administration, des établissements gestionnaires (EPCI, EPAGE, EPTB) et des collectivités ayant la compétence milieux aquatiques des choix de continuité écologique s'orientant désormais vers des solutions respectueuses du patrimoine ancien: bonne gestion des vannes, passes à poissons, rivières de contournement…
Ces options existent déjà, mais elles étaient trop peu appliquées et trop mal financées : elles doivent désormais avoir priorité. Dès cette années 2017, notre association sera particulièrement vigilante dans l'application de ces dispositions nouvelles, qui permettent de concilier patrimoine culturel et patrimoine naturel, au lieu de les opposer comme cela fut parfois le cas.
Nous vous rappelons enfin que la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 a demandé que chaque ouvrage soit "équipé, géré, entretenu" au titre de la continuité en rivière classée, et que la loi de Grenelle de 2009 a demandé que "l'aménagement des ouvrages les plus problématiques" soit "mis à l'étude". De même, la loi a exclu toute charge "exorbitante" sans indemnisation. Ces dispositions souhaitées par les représentants élus de la volonté générale ne constituent en rien un appel à la destruction des seuils et barrages. Le Ministère de l'Environnement a récemment rappelé que "la politique de restauration de la continuité écologique ne vise pas la destruction de moulins" (JO Sénat du 25/08/2016, 3607). Nous attendons que ces paroles deviennent des actes, en particulier que les établissements et services administratifs sous la tutelle de ce Ministère exposent de la manière la plus claire leur souhait de préserver le patrimoine hydraulique.
Illustrations : en haut, seuil et moulin Saint-Jean sur l'Armançon, à Semur-en-Auxois. Détruire les seuils et mettre hors d'eau les moulins soulève une incompréhension totale chez les riverains. Au milieu : la passe à poissons sur le seuil Léger (Cousin, Avallon) montre que l'on peut faire des aménagements de continuité respectant le patrimoine. En bas : la destruction du seuil Nageotte (Cousin, Avallon) à l'été 2016, alors que l'ouvrage est en ZPPAUP. La nouvelle version du L 211-1 CE interdit a priori ce genre d'issue pour le reste de la zone protégée, ce que nous ferons savoir aux administrations, en particulier à l'Agence de l'eau dont le choix centré sur la destruction pour la plupart des ouvrages est de plus en plus illisible et conflictuel.
On se souvient de l'épisode tragi-comique de l'été 2016 où une disposition favorable aux ouvrages hydrauliques, votée avec la loi Patrimoine en juillet, avait disparu en août avec la loi Biodiversité (voir cet article). Depuis, la FFAM a continué son travail d'information des parlementaires et l'amendement supprimé vient d'être réintroduit à l'occasion du vote de la loi Montagne.
Le texte définitif de cette loi Montagne voté par le Sénat contient une modification importante de l'article L 211-1 Code de l'environnement.
« III. – La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme. »Pourquoi cette évolution est-elle notable?
- L'article L 211-1 CE est celui qui fixe la notion de "gestion durable et équilibrée" de l'eau, il est donc important pour la "doctrine" juridique française des rivières;
- le patrimoine est pleinement reconnu comme élément de cette gestion ("la gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique")
- le moulin est cité, avec ses "dépendances" et "ouvrages", ce qui inclut bien sûr biefs, déversoirs, chaussées ou barrages selon les cas;
- les protections citées concernent tout le livre VI du code patrimoine (pas seulement les monuments historiques, mais aussi ZPPAUP, les secteurs sauvegardés, etc.), ainsi que les plans locaux d'urbanisme communaux et intercommunaux (PLU et PLUi).
Pour la suite, que faire?
Individuellement, les propriétaires d'ouvrages hydrauliques d'intérêt patrimonial peuvent envisager de les faire protéger par les divers outils existants. En particulier, chaque propriétaire d'un ouvrage ancien doit veiller à ce que le plan local d'urbanisme (communal ou intercommunal) signale les bâtiments et annexes comme site remarquable.
Associativement, les acteurs engagés dans la défense du patrimoine doivent écrire aux préfectures, aux gestionnaires et aux élus pour leur signaler que tout chantier de continuité écologique doit désormais intégrer une enquête patrimoniale et le cas échéant des solutions en conformité à la préservation du patrimoine. Nous produisons ci-dessous un exemple de lettre-type.
Cette avancée législative est une étape importante, mais elle ne concerne probablement qu'une minorité de moulins, étangs, plans d'eau et autres systèmes hydrauliques bénéficiant d'une protection réglementaire au titre du patrimoine. Par ailleurs, ce nouveau texte ne corrige en rien les problèmes observés dans la mise en oeuvre de la continuité écologique :
- manque de rigueur scientifique dans la définition des classements et des besoins de connectivité,
- coût considérable des travaux en rivière sur les ouvrages et financement défaillant des Agences de l'eau (hors destruction),
- effet négatif de cette réforme pour notre engagement collectif sur les vraies priorités des directives européennes (ne concernant pas des poissons migrateurs au premier chef, mais la lute contre les pollutions, dégradations et surexploitations de la ressource en eau).
Modèle de courrier
Madame, Monsieur,
La réforme de continuité écologique, ouverte par la loi sur l'eau 2006, le PARCE 2009 et le classement des rivières 2012-2013, vise à améliorer le franchissement piscicole et le transit sédimentaire au droit de certains ouvrages hydrauliques.
Cette ambition, légitime, a néanmoins donné lieu à certains excès, avec une programmation publique accordant souvent la prime à la destruction pure et simple des ouvrages hydrauliques, au lieu de leur aménagement initialement prévu par la loi.
Ces choix de destruction ont soulevé et soulèvent encore de vives oppositions, non seulement de la part des propriétaires d'ouvrages, mais aussi de celle des riverains qui jouissent des avantages de la rivière aménagée, et de tous les citoyens interloqués de voir la destruction du patrimoine ancien et du paysage familier des rivières désignée comme l'une des priorités des politiques publiques de leur pays.
Conscients de ce problème, qui a donné lieu à plus d'une centaine d'interpellations du Ministère de l'Environnement par les députés et sénateurs ces deux dernières années, les parlementaires viennent de procéder à la révision de l'article L 211-1 Code de l'environnement. Cet article définit la "gestion durable et équilibrée" de l'eau en France, il a donc une portée particulièrement importante.
Un nouvel alinéa énonce ainsi :
« III. – La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme. »
Vous voudrez noter que ce texte de loi indique clairement la nécessité générale de préserver la patrimoine hydraulique. En conséquence, notre association souhaite que cette nouvelle orientation nationale se traduise dans les choix locaux de gestion de rivière, prioritairement bien sûr sur les rivières classées en liste 2 au titre de la continuité écologique.
Nous espérons des services instructeurs de l'administration, des établissements gestionnaires (EPCI, EPAGE, EPTB) et des collectivités ayant la compétence milieux aquatiques des choix de continuité écologique s'orientant désormais vers des solutions respectueuses du patrimoine ancien: bonne gestion des vannes, passes à poissons, rivières de contournement…
Ces options existent déjà, mais elles étaient trop peu appliquées et trop mal financées : elles doivent désormais avoir priorité. Dès cette années 2017, notre association sera particulièrement vigilante dans l'application de ces dispositions nouvelles, qui permettent de concilier patrimoine culturel et patrimoine naturel, au lieu de les opposer comme cela fut parfois le cas.
Nous vous rappelons enfin que la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 a demandé que chaque ouvrage soit "équipé, géré, entretenu" au titre de la continuité en rivière classée, et que la loi de Grenelle de 2009 a demandé que "l'aménagement des ouvrages les plus problématiques" soit "mis à l'étude". De même, la loi a exclu toute charge "exorbitante" sans indemnisation. Ces dispositions souhaitées par les représentants élus de la volonté générale ne constituent en rien un appel à la destruction des seuils et barrages. Le Ministère de l'Environnement a récemment rappelé que "la politique de restauration de la continuité écologique ne vise pas la destruction de moulins" (JO Sénat du 25/08/2016, 3607). Nous attendons que ces paroles deviennent des actes, en particulier que les établissements et services administratifs sous la tutelle de ce Ministère exposent de la manière la plus claire leur souhait de préserver le patrimoine hydraulique.
Illustrations : en haut, seuil et moulin Saint-Jean sur l'Armançon, à Semur-en-Auxois. Détruire les seuils et mettre hors d'eau les moulins soulève une incompréhension totale chez les riverains. Au milieu : la passe à poissons sur le seuil Léger (Cousin, Avallon) montre que l'on peut faire des aménagements de continuité respectant le patrimoine. En bas : la destruction du seuil Nageotte (Cousin, Avallon) à l'été 2016, alors que l'ouvrage est en ZPPAUP. La nouvelle version du L 211-1 CE interdit a priori ce genre d'issue pour le reste de la zone protégée, ce que nous ferons savoir aux administrations, en particulier à l'Agence de l'eau dont le choix centré sur la destruction pour la plupart des ouvrages est de plus en plus illisible et conflictuel.
25/12/2016
Fleuves et rivières de Bourgogne
Plus de 200 cours d'eau traversent la Bourgogne, et beaucoup naissent chez elle, au partage des trois bassins versants de la Seine, de la Loire et du Rhône. Historien, diplômé de la faculté de sciences humaines de Dijon, bourguignon passionné par le patrimoine de sa région, Philippe Ménager nous fait découvrir l'histoire et la géographie de ces eaux courantes, tantôt calmes tantôt furieuses. Des terres calcaires aux massifs granitiques jusqu'aux marnes ou alluvions des plaines, la géologie bourguignonne porte en elle la diversité de ses rivières. Rûs et torrents du Morvan, sources, résurgences et autres douix des zones karstiques, puissante Saône qui se marie au Doubs plus puissant encore, vigoureuse Yonne qui faillit détrôner la Seine à Paris, Loire en majesté qui la borde sur son couchant… l'hydrographie de la Bourgogne est exceptionnelle par sa richesse. Ce livre nous raconte la longue histoire de ces rivières, qui fut d'abord une histoire naturelle, puis qui devint une histoire sociale, économique et culturelle. Car des nombreux projets de navigation à l'aménagement des grands canaux, de l'exploitation de l'énergie hydraulique au flottage du bois, de la lutte contre les inondations aux réjouissances des plaisanciers, les fleuves et rivières de Bourgogne portent l'empreinte humaine de millénaires d'occupation et nous transmettent le souvenir de cette harmonieuse co-existence. Un essai aussi érudit que plaisant, avec plus de 500 illustrations dont beaucoup d'archives, un livre à lire et à offrir en ces périodes de fêtes.
Référence : Ménager Philippe (2016), Fleuves et rivières de Bourgogne, L'Escargot Savant, 448 pages, 35 €
Référence : Ménager Philippe (2016), Fleuves et rivières de Bourgogne, L'Escargot Savant, 448 pages, 35 €
24/12/2016
Sur les "grands tueurs" de la biodiversité (Maxwell et al 2016)
Quatre chercheurs ont utilisé la liste rouge des espèces menacées (IUCN) pour quantifier l'importance relative des menaces pesant aujourd'hui sur la biodiversité, à l'échelle planétaire. Les menaces traditionnelles (surexploitation, agriculture, urbanisation, invasion, pollution) arrivent très largement en tête, et les scientifiques suggèrent que l'on adresse ces impacts dominants au lieu de mettre en avant des phénomènes plus périphériques. Alors que la création de l'Agence française de la biodiversité le 1er janvier 2017 vient d'être officialisée, il faut souhaiter que les mesures environnementales de notre pays soient fondées sur des diagnostics scientifiques sérieux et partagés par la communauté des chercheurs, et non sur la capacité des lobbies à dissimuler ou au contraire exagérer des menaces, ni sur des stratégies d'établissements administratifs à la programmation peu rigoureuse. Dans le domaine de l'eau, on en est encore loin...
Observant que la couverture médiatique de la biodiversité est souvent centrée sur certaines menaces (comme le réchauffement climatique), Sean L. Maxwell, Richard A. Fuller, Thomas M. Brooks et James E. M. Watson ont analysé la nature des pressions qui pèsent sur plus de 8000 espèces menacées de la liste rouge de l'IUCN, récemment mise à jour.
Leur résultat se retrouve dans ce tableau suivant:
Par ordre décroissant, les menaces sont:
Commentaire
Ce bilan est fait à l'échelle mondiale et, comme tel, il n'est pas applicable à la France ou à telle ou telle de ses écorégions. Il faut rappeler que les premières menaces sur la biodiversité planétaire concernent aujourd'hui les pays en développement ou récemment développés, parce qu'ils ont les réservoirs d'espèces le plus importants et parce que leur modernisation réplique en peu de temps ce que nous avons connu en Europe en quelques siècles. Inversement, les pays anciennement industrialisés et densément occupés (comme l'Europe) sont déjà très largement anthropisés, avec des peuplements et des habitats durablement modifiés.
Il n'empêche que la France a aussi des enjeux de biodiversité, et le Ministère de l'Environnement vient à ce sujet d'officialiser la création de l'Agence française de la biodiversité. Qui commence sur un mauvais départ : une partie seulement des établissements publics concernés, dont l'Onema, ont été rassemblés, cela pour des raisons de lobbying interne à l'administration, sans aucun rapport avec l'intérêt de la biodiversité.
Sur les ondes de France Inter (23/12/2016), on a pu entendre l'astrophysicien Huvert Reeves (président d'honneur de cette Agence française de la biodiversité) affirmer que "les êtres humains ont tué à peu près la moitié des espèces vivantes" au cours des dernières décennies. En fait, le dernier rapport IUCN dit que les vertébrés (et non les espèces en général) ont perdu la moitié de leurs effectifs (et non pas été éteints) en 50 ans. C'est déjà beaucoup, mais cela n'a rien à voir.
Anecdote? Certainement, mais elle ne soulève aucune objection critique de la part des médias ou des décideurs, elle est répliquée de manière moutonnière sur les réseaux sociaux, et elle est révélatrice d'un état d'esprit que nous déplorons: croire que l'écologie peut encore se permettre d'avancer par des approximations (immanquablement généreuses et immanquablement alarmistes), des annonces médiatiques et des choix dictés par le copinage en lieu et place du travail rigoureux que l'on attend dans n'importe quelle autre politique publique concernant un thème dont l'exploration relève, avant toute chose, de l'examen scientifique.
Observer, comprendre, prioriser, agir : c'est la séquence normale d'une action fondée sur l'évaluation rationnelle des besoins quand les moyens sont limités. Notre analyse plus détaillée des politiques publiques des milieux aquatiques montre que nous n'agissons pas vraiment ainsi: on intervient aujourd'hui sur les rivières de notre pays sans diagnostic de biodiversité (ou limité à une infime partie du vivant en lien à l'intérêt particulier de certains usagers), sans modèle pression-impact pour hiérarchiser les enjeux de chaque bassin, sans analyse des services rendus par les écosystèmes pour conjuguer bénéfices environnementaux et sociaux, etc (voir cet article détaillé). Donc avant même de proposer des mesures et de commencer la concertation, on manque déjà d'une compréhension de base des phénomènes à propos desquels il faut débattre et agir. Ce n'est pas durable, car ce n'est pas ainsi que les problèmes environnementaux seront correctement traités ni qu'une culture écologique sérieuse sera diffusée dans la société.
Référence
Maxwell SL et al (2016), Biodiversity: The ravages of guns, nets and bulldozers, Nature, 536, 143–145
A lire en complément
La biodiversité, la rivière et ses ouvrages
Ci-dessus : destruction d'un seuil de moulin ancien (Saint-Nicolas, Tonnerre) par le SMBVA à l'automne 2016. Une illustration de la bêtise ambiante en matière environnementale et dans la politique de l'eau. On décide de chantiers éparpillés par opportunités politiciennes ou jeux de lobbies, sans explication ni hiérarchisation des pressions sur le bassin, sans analyse approfondie de l'hydrosystème, sans connaissance des trajectoires environnementales locales, sans gain avancé ni mesuré de biodiversité, sans comparaison scientifiquement valide avant-après en populations cibles, sans étude des éventuels services rendus par les écosystèmes restaurés et, dans le domaine concerné de la continuité, sans modèle de connectivité ni projet solvable d'intervention sur d'autres fragmentations plus importantes de la rivière. Si l'objectif est de décrédibiliser l'écologie dans l'opinion, il faut certainement persister dans cette voie aberrante...
Observant que la couverture médiatique de la biodiversité est souvent centrée sur certaines menaces (comme le réchauffement climatique), Sean L. Maxwell, Richard A. Fuller, Thomas M. Brooks et James E. M. Watson ont analysé la nature des pressions qui pèsent sur plus de 8000 espèces menacées de la liste rouge de l'IUCN, récemment mise à jour.
Leur résultat se retrouve dans ce tableau suivant:
Maxwell et al 2016, droit de courte citation. On observe au passage que les grands barrages sont une cause réelle mais mineure d'altération de la biodiversité, quand on rapporte à l'ensemble des pressions.
- la surexploitation (6241 espèces menacées)
- l'agriculture (5407)
- le développement urbain (3014)
- les invasions et maladies (2298)
- la pollution (1901)
- les modifications des écosystèmes (1865)
- le changement climatique (1688)
- les perturbations humaines directes (1223)
- le transport (1219)
- la production d'énergie (913)
- les espèces les plus étudiées par les biologistes et écologues ne sont pas forcément les plus nombreuses, il y a un biais de sélection,
- les pressions tendent à s'accumuler et interagir (80% des espèces sont sous plusieurs contraintes),
- l'équilibre des pressions va certainement changer dans les décennies à venir (en lien au climat notamment).
Commentaire
Ce bilan est fait à l'échelle mondiale et, comme tel, il n'est pas applicable à la France ou à telle ou telle de ses écorégions. Il faut rappeler que les premières menaces sur la biodiversité planétaire concernent aujourd'hui les pays en développement ou récemment développés, parce qu'ils ont les réservoirs d'espèces le plus importants et parce que leur modernisation réplique en peu de temps ce que nous avons connu en Europe en quelques siècles. Inversement, les pays anciennement industrialisés et densément occupés (comme l'Europe) sont déjà très largement anthropisés, avec des peuplements et des habitats durablement modifiés.
Il n'empêche que la France a aussi des enjeux de biodiversité, et le Ministère de l'Environnement vient à ce sujet d'officialiser la création de l'Agence française de la biodiversité. Qui commence sur un mauvais départ : une partie seulement des établissements publics concernés, dont l'Onema, ont été rassemblés, cela pour des raisons de lobbying interne à l'administration, sans aucun rapport avec l'intérêt de la biodiversité.
Sur les ondes de France Inter (23/12/2016), on a pu entendre l'astrophysicien Huvert Reeves (président d'honneur de cette Agence française de la biodiversité) affirmer que "les êtres humains ont tué à peu près la moitié des espèces vivantes" au cours des dernières décennies. En fait, le dernier rapport IUCN dit que les vertébrés (et non les espèces en général) ont perdu la moitié de leurs effectifs (et non pas été éteints) en 50 ans. C'est déjà beaucoup, mais cela n'a rien à voir.
Anecdote? Certainement, mais elle ne soulève aucune objection critique de la part des médias ou des décideurs, elle est répliquée de manière moutonnière sur les réseaux sociaux, et elle est révélatrice d'un état d'esprit que nous déplorons: croire que l'écologie peut encore se permettre d'avancer par des approximations (immanquablement généreuses et immanquablement alarmistes), des annonces médiatiques et des choix dictés par le copinage en lieu et place du travail rigoureux que l'on attend dans n'importe quelle autre politique publique concernant un thème dont l'exploration relève, avant toute chose, de l'examen scientifique.
Observer, comprendre, prioriser, agir : c'est la séquence normale d'une action fondée sur l'évaluation rationnelle des besoins quand les moyens sont limités. Notre analyse plus détaillée des politiques publiques des milieux aquatiques montre que nous n'agissons pas vraiment ainsi: on intervient aujourd'hui sur les rivières de notre pays sans diagnostic de biodiversité (ou limité à une infime partie du vivant en lien à l'intérêt particulier de certains usagers), sans modèle pression-impact pour hiérarchiser les enjeux de chaque bassin, sans analyse des services rendus par les écosystèmes pour conjuguer bénéfices environnementaux et sociaux, etc (voir cet article détaillé). Donc avant même de proposer des mesures et de commencer la concertation, on manque déjà d'une compréhension de base des phénomènes à propos desquels il faut débattre et agir. Ce n'est pas durable, car ce n'est pas ainsi que les problèmes environnementaux seront correctement traités ni qu'une culture écologique sérieuse sera diffusée dans la société.
Référence
Maxwell SL et al (2016), Biodiversity: The ravages of guns, nets and bulldozers, Nature, 536, 143–145
A lire en complément
La biodiversité, la rivière et ses ouvrages
Ci-dessus : destruction d'un seuil de moulin ancien (Saint-Nicolas, Tonnerre) par le SMBVA à l'automne 2016. Une illustration de la bêtise ambiante en matière environnementale et dans la politique de l'eau. On décide de chantiers éparpillés par opportunités politiciennes ou jeux de lobbies, sans explication ni hiérarchisation des pressions sur le bassin, sans analyse approfondie de l'hydrosystème, sans connaissance des trajectoires environnementales locales, sans gain avancé ni mesuré de biodiversité, sans comparaison scientifiquement valide avant-après en populations cibles, sans étude des éventuels services rendus par les écosystèmes restaurés et, dans le domaine concerné de la continuité, sans modèle de connectivité ni projet solvable d'intervention sur d'autres fragmentations plus importantes de la rivière. Si l'objectif est de décrédibiliser l'écologie dans l'opinion, il faut certainement persister dans cette voie aberrante...
23/12/2016
Pourquoi la restauration écologique produit-elle des échecs? (Hiers et al 2016)
La restauration écologique des rivières est devenue la nouvelle religion du gestionnaire de bassin en France. Hélas, notre pays a très souvent une guerre de retard et, dans la littérature scientifique en écologie, l'heure est plutôt au retour critique sur les premières expériences menées à compter des années 1970. Cinq chercheurs pointent ainsi le problème dans une tribune récente. Ils soulignent que les objectifs excessivement précis des chantiers de conservation ou restauration sont fondés sur une image trop peu informée et trop statique des espèces et des écosystèmes, particulièrement dans la période d'évolution rapide induite par le changement climatique.
"La restauration et la conservation écologiques sont affligées par un paradoxe prenant une importance croissante : des cibles étroitement définies de conservation ou de restauration, conçues pour garantir des succès, mènent souvent à des efforts mal dirigés et même à des échecs complets".
C'est par ce constat très direct que s'ouvre l'article de J. Kevin Hiers et de 4 autres chercheurs travaillant sur ces questions aux Etats-Unis et en Australie.
L'un des problèmes que ces chercheurs soulignent concerne le reprofilage des rivières au nom de leur restauration physique (ou "morphologique") : "Les projets de restauration de rivière dans des écosystèmes de types fortement divergents convergent vers un spectre étroit de résultats qui interfère avec les buts sous-jacents de conservation. Une approche dominante utilisée en restauration de rivière dans le monde développé est la conception du chenal naturel (natural chanel design NCD), un processus utilisé pour recréer la dimension, la forme et le profil d'habitats de rivière dégradés en vue d'atteindre des formes, une sinuosité et une stabilité particulières du chenal. Les projets de NCD impliquent des déplacements extensifs et coûteux de sédiments et reconnectent les rivières avec leurs zones riveraines. Les agences gestionnaires posent souvent des contrôles stricts sur les critères et métriques de succès par lesquels ces projets sont évalués. La tendance à construire un chenal unique et sinueux dans quasiment tous les paysages, sans attention aux conditions des rivières moins dégradés alentour, a été jugée responsable d'importants échecs de gestion". Les chercheurs citent ici les travaux de Kondolf et al 2007, Smith et al 2005 et Wilcok et Parker 2006.
Quel est le problème mis en avant par J. Kevin Hiers et ses co-auteurs? L'excès de précision, qu'ils appellent ironiquement "précisonnisme". Ce travers frappe selon eux de nombreux gestionnaires qui, en compensation d'une faible base empirique à leurs travaux, développent des projets très locaux et spécialisés. Mais pas forcément durables. Car ces gestionnaires manquent plusieurs facteurs, selon les auteurs :
Les chercheurs en appellent à un nouveau dialogue entre la science, la politique et la gestion, afin de mieux comprendre les limites actuelles de certaines actions en écologie de la restauration, et d'élargir l'horizon des scénarios d'intervention.
Discussion
Nous avions recensé ici l'analyse de Lespez et al 2015 sur la méconnaissance des trajectoires sédimentaires dans la restauration des rivières de l'Ouest de la France, et rappelé plus généralement dans une synthèse les problèmes d'incertitude sur l'efficacité qu'affronte la restauration physique des rivières.
Ce topique est très répandu dans la littérature scientifique en écologie: il est quasiment absent des propos tenus par le législateur, l'administration et le gestionnaire en France. C'est un vrai problème. A la suite de la directive cadre européenne sur l'eau (2000), la politique publique des rivières s'est entichée d'un nouveau paradigme écologique dans la gestion des bassins (voir Morandi et al 2016). Et comme la lutte contre les pollutions chimiques diffuses se révèle beaucoup plus difficile et lente que prévu, on a mis en avant la restauration morphologique comme une autre manière de parvenir à une amélioration des milieux. Tout y paraît plus simple, et de surcroît spectaculaire car visible, contrairement à la lutte contre les contaminants : on reméandre le chenal, on diversifie l'habitat, on supprime des plans d'eau, on reconnecte des affluents… Mais en fait, l'action sur la morphologie est plus complexe que celle sur les pollutions. Et elle ne peut pas garantir ses résultats, ce qui est évidemment un problème tant au regard de son coût et de son acceptabilité sociale qu'au regard des délais courts – et passablement irréalistes – de la DCE (bon état physique, chimique et biologique de tous les cours d'eau en 2027).
L'écologisme comme idéologie est simple, voire simpliste: il faut sauver la nature. L'écologie comme pratique de gestion alimentée par la connaissance scientifique est redoutablement compliquée. Elle est bien sûr nécessaire, mais ses bonnes intentions affichées ne l'exonèrent pas d'une prudence très progressive dans ses réalisations et surtout d'une analyse rigoureuse des résultats obtenus, avant de préconiser à large échelle des solutions dont rien ne démontre que le bénéfice est réel et durable (voir le projet Reform de retours d'expérience en Europe, Muhar et al 2016, Friberg et al 2016 ; voir Nilsson et al 2016 sur les prérequis d'une restauration).
Tant que le volet connaissance et suivi scientifique sera aussi faiblement doté dans les choix financiers des Agences de l'eau, et tant que la programmation nationale ou par bassin sera planifiée avec une notable indifférence aux incertitudes et aux réserves de la recherche, nous n'aurons pas en France les conditions de cette rigueur. Car nous l'observons sur toutes les rivières où nous intervenons: on se hâte à préconiser et réaliser des mesures sur des bassins versants dont on ne connaît même pas au préalable les trajectoires environnementales, ni même parfois l'état actuel.
Référence
Hiers JK et al (2016), The Precision Problem in conservation and restoration, Trends in Ecology & Evolution, 31, 11, 820–830
Récemment paru sur ce thème
Restauration de rivière: l'avenir d'une illusion
Diagnostic écologique de chaque rivière: le travail que nous attendons des gestionnaires
Défragmenter les rivières? 25 enjeux pour le faire intelligemment
"La restauration et la conservation écologiques sont affligées par un paradoxe prenant une importance croissante : des cibles étroitement définies de conservation ou de restauration, conçues pour garantir des succès, mènent souvent à des efforts mal dirigés et même à des échecs complets".
C'est par ce constat très direct que s'ouvre l'article de J. Kevin Hiers et de 4 autres chercheurs travaillant sur ces questions aux Etats-Unis et en Australie.
L'un des problèmes que ces chercheurs soulignent concerne le reprofilage des rivières au nom de leur restauration physique (ou "morphologique") : "Les projets de restauration de rivière dans des écosystèmes de types fortement divergents convergent vers un spectre étroit de résultats qui interfère avec les buts sous-jacents de conservation. Une approche dominante utilisée en restauration de rivière dans le monde développé est la conception du chenal naturel (natural chanel design NCD), un processus utilisé pour recréer la dimension, la forme et le profil d'habitats de rivière dégradés en vue d'atteindre des formes, une sinuosité et une stabilité particulières du chenal. Les projets de NCD impliquent des déplacements extensifs et coûteux de sédiments et reconnectent les rivières avec leurs zones riveraines. Les agences gestionnaires posent souvent des contrôles stricts sur les critères et métriques de succès par lesquels ces projets sont évalués. La tendance à construire un chenal unique et sinueux dans quasiment tous les paysages, sans attention aux conditions des rivières moins dégradés alentour, a été jugée responsable d'importants échecs de gestion". Les chercheurs citent ici les travaux de Kondolf et al 2007, Smith et al 2005 et Wilcok et Parker 2006.
Image in Hiers et al, art cit, droit de courte citation. Le réamandrage est l'une des options favorites des aménageurs de rivière, et cette pratique se développe en France, sans beaucoup d'esprit critique hélas. Hiers et ses collègues montrent que l'on en arrive à des solutions standardisées et banalisées.
- sous-estimation (par défaut de connaissances du terrain et de son histoire) des conditions dans lesquelles des populations ou des écosystèmes peuvent se maintenir,
- simplification des procédures (pour des raisons de faisabilité politique et administrative) qui se trouvent décalées face à l'hétérogénéité du monde réel,
- défaut de distance par rapport aux évolutions temporelles, notamment au changement climatique risquant de rendre désuets les aménagements (soit parce qu'ils ne seront plus fonctionnels, soit parce que les espèces cibles ne seront plus là),
- fragilité de la vision traditionnellement statique des approches par espèces, habitats et stations, alors qu'il existe une reconnaissance croissante par la recherche du caractère rapidement changeant des milieux.
Les chercheurs en appellent à un nouveau dialogue entre la science, la politique et la gestion, afin de mieux comprendre les limites actuelles de certaines actions en écologie de la restauration, et d'élargir l'horizon des scénarios d'intervention.
Discussion
Nous avions recensé ici l'analyse de Lespez et al 2015 sur la méconnaissance des trajectoires sédimentaires dans la restauration des rivières de l'Ouest de la France, et rappelé plus généralement dans une synthèse les problèmes d'incertitude sur l'efficacité qu'affronte la restauration physique des rivières.
Ce topique est très répandu dans la littérature scientifique en écologie: il est quasiment absent des propos tenus par le législateur, l'administration et le gestionnaire en France. C'est un vrai problème. A la suite de la directive cadre européenne sur l'eau (2000), la politique publique des rivières s'est entichée d'un nouveau paradigme écologique dans la gestion des bassins (voir Morandi et al 2016). Et comme la lutte contre les pollutions chimiques diffuses se révèle beaucoup plus difficile et lente que prévu, on a mis en avant la restauration morphologique comme une autre manière de parvenir à une amélioration des milieux. Tout y paraît plus simple, et de surcroît spectaculaire car visible, contrairement à la lutte contre les contaminants : on reméandre le chenal, on diversifie l'habitat, on supprime des plans d'eau, on reconnecte des affluents… Mais en fait, l'action sur la morphologie est plus complexe que celle sur les pollutions. Et elle ne peut pas garantir ses résultats, ce qui est évidemment un problème tant au regard de son coût et de son acceptabilité sociale qu'au regard des délais courts – et passablement irréalistes – de la DCE (bon état physique, chimique et biologique de tous les cours d'eau en 2027).
L'écologisme comme idéologie est simple, voire simpliste: il faut sauver la nature. L'écologie comme pratique de gestion alimentée par la connaissance scientifique est redoutablement compliquée. Elle est bien sûr nécessaire, mais ses bonnes intentions affichées ne l'exonèrent pas d'une prudence très progressive dans ses réalisations et surtout d'une analyse rigoureuse des résultats obtenus, avant de préconiser à large échelle des solutions dont rien ne démontre que le bénéfice est réel et durable (voir le projet Reform de retours d'expérience en Europe, Muhar et al 2016, Friberg et al 2016 ; voir Nilsson et al 2016 sur les prérequis d'une restauration).
Tant que le volet connaissance et suivi scientifique sera aussi faiblement doté dans les choix financiers des Agences de l'eau, et tant que la programmation nationale ou par bassin sera planifiée avec une notable indifférence aux incertitudes et aux réserves de la recherche, nous n'aurons pas en France les conditions de cette rigueur. Car nous l'observons sur toutes les rivières où nous intervenons: on se hâte à préconiser et réaliser des mesures sur des bassins versants dont on ne connaît même pas au préalable les trajectoires environnementales, ni même parfois l'état actuel.
Référence
Hiers JK et al (2016), The Precision Problem in conservation and restoration, Trends in Ecology & Evolution, 31, 11, 820–830
Récemment paru sur ce thème
Restauration de rivière: l'avenir d'une illusion
Diagnostic écologique de chaque rivière: le travail que nous attendons des gestionnaires
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