Dans un article paru en septembre 2015, nous avions souligné ce problème de la puissance hydraulique, problème que le Conseil d'Etat vient de trancher en choisissant la solution (claire) que nous préconisions à l'époque. On ne peut donc que se féliciter de cette nouvelle jurisprudence.
Quel est l'enjeu?
Lorsque vous souhaitez relancer un ouvrage hydraulique fondé en titre (c'est-à-dire existant avant 1789 sur les cours d'eau non domaniaux et 1566 sur les cours d'eau domaniaux), il fait l'objet d'un porté à connaissance de l'administration (article R 214-18-1 CE), parfois d'une règlementation administrative (un nouveau règlement d'eau, qui ne peut s'opposer à l'exploitation du fondé en titre mais peut en spécifier certaines règles). Ce processus demande de définir la puissance hydraulique du site.
Quel est le problème?
Profitant de ce qu'il n'existe pas de définition légale claire de la puissance hydraulique fondée en titre, le ministère de l'Environnement a publié le 11 septembre 2015 un arrêté bavard et confus permettant plusieurs interprétations (voir l'arrêté, voir cet article). Dès avant cet arrêté, certains services administratifs essayaient de brider la puissance des droits d'eau fondés en titre — une situation très variable selon les départements en raison de l'arbitraire interprétatif et donc du parti-pris prévalant au sein de chaque préfecture. Plusieurs conflits ont été signalés avec des DDT(-M) souhaitant que la puissance du site soit celle des anciens états statistiques (fiscaux) du XIXe siècle ou du XXe siècle, voire celle estimée à partir des équipements anciens (roues, chambres d'eau).
Que vient de poser le Conseil d'Etat ?
Il existait un conflit entre la société SJS et l'administration du Doubs concernant un site hydraulique fondé en titre à Bourguignon. Le pétitionnaire estimait la puissance du site à 3358 kW, l'administration n'en a reconnu que 180 kW. Le tribunal administratif de Besançon et la cour administrative d'appel ont donné raison à l'usinier contre l'administration. Le ministère de l'Environnement a porté l'affaire au Conseil d'Etat.
Le Conseil d'Etat vient de confirmer les jugements de première instance et d'appel (arrêt n°393293 du 16 décembre 2016).
Voici le considérant essentiel de cet arrêt :
Considérant qu'un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine ; qu'à défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle ; que celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ; que si, en vertu des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions de son livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique ", leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur ; que la cour, en faisant usage de cette formule pour déterminer la puissance maximale, n'a ainsi entaché son arrêt sur ce point d'aucune erreur de droitConcrètement, cela signifie :
- tout ouvrage fondé en titre peut revendiquer sa "puissance maximale théorique",
- celle-ci est le produit de la hauteur de chute (entre prise d'eau et restitution d'eau) par le débit maximum de la dérivation (en entrée du canal d'amenée ou au fil de l'eau) par l'intensité de la pesanteur (g, force de gravité),
- il en résulte que les équipements anciens ou les puissances mentionnées dans des documents antérieurs ne peuvent être opposés au porteur de projet pour brider la puissance fondée en titre,
- il en résulte aussi que la puissance fondée en titre n'est pas une puissance "moyenne" (par exemple au débit du module ou au débit d'équipement), mais bien "maximale" (le meilleur cas de figure du site) et "théorique" (même si ce cas de figure ne sera pas la puissance équipée),
- l'état actuel d'un ouvrage antérieur à 1789/1566 est présumé fondé en titre, sauf preuve contraire apportée par l'administration.
Que faire ?
Les porteurs de projets de restauration énergétique de sites fondés en titre doivent désormais citer cette jurisprudence dans leur dossier de porté à connaissance de l'administration. Leur dossier comportera un relevé topographique et altimétrique montrant les valeurs physiques essentielles (hauteur de chute, débit maximum) mesurées sur les ouvrages fondés en titre (attention, cela ne concerne pas d'éventuelles modifications plus récentes). Toute tentative de pinaillage sur des valeurs de puissance issues de données anciennes ou d'équipements anciens doit se voir opposer une fin de non-recevoir ferme, le cas échéant un contentieux si le préfet valide l'attitude de ses services instructeurs.
Conclusion
Par sa volonté de vider les droits d'eau fondés en titre de leur substance, par son incitation à détruire les ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique et par la complexité et/ou le coût disproportionné des dossiers et compensations demandés en cas de relance énergétique, une partie de l'administration avait clairement déclaré la guerre aux moulins et usines à eau. Cette dérive est un échec qui a produit de la défiance et du découragement au bord des rivières. Engagés dans la transition énergétique et en retard sur nos objectifs, nous avons besoin au contraire d'encourager fortement les sources de production bas-carbone et de simplifier grandement le parcours des porteurs de projets. L'arrêt du Conseil d'Etat va en ce sens.
Illustration: équipement ancien d'un moulin (scierie de Vénarey-les-Laumes sur la Brenne). La puissance d'un moulin en projet énergétique doit être définie par les grandeurs physiques dérivées de son génie civil fondé en titre, et non par des valeurs historiques ou technologiques passées.