24/01/2017

La moitié des rivières européennes devrait changer d'écotype d'ici 2050 (Laizé et al 2017)

Selon une étude venant de paraître, la moitié des masses d'eau de surface européennes devrait changer de régime hydrologique d'ici quelques décennies sous l'effet des changements climatiques et des usages humains associés. Avec d'inévitables conséquences sur les écosystèmes aujourd'hui en place. La France sera particulièrement concernée. Ce résultat repose une question intriguant déjà nombre de chercheurs en écologie des milieux aquatiques: pourquoi donc la directive cadre européenne sur l'eau s'est-elle construite sur l'idée qu'il existerait un "état de référence" intangible de chaque rivière?

Le travail de Cédric Laizé, Mike Acreman et Ian Overton s'inscrit dans le projet SCENES (water SCenarios for Europe and for NEighbouring States) visant à anticiper les évolutions hydrologiques du Vieux Continent ainsi que de ses voisins anatolien et méditerranéen. Deux modèles climatiques de circulation globale ont été mobilisés, IPSL-CM4, de l'Institut Pierre Simon Laplace (France) ; MIROC3.2, du Centre de recherche sur le système climatique (Japon). Les chercheurs ont comparé les données de référence 1961-1990 (Climate Research Unit, Royaume-Uni) avec le projections 2040-2069 des modèles.

Les auteurs rappellent l'importance du régime hydrologique des débits dans la caractérisation écologique des rivières. "Bien que beaucoup de facteurs influencent le type et la condition des écosystèmes d'eaux douces, incluant la lumière, la température de l'eau, les nutriments et les interactions entre espèces (Moss et al 2009), dans les rivières c'est le débit (c'est-à-dire l'écoulement mesuré comme volume par unité de temps) qui est considéré comme le facteur clé (…) le paradigme du régime de débit naturel (Poff et al 1997) pose que le caractère dynamique du débit naturel d'un cours d'eau - caractérisé par son amplitude, sa fréquence, sa durée, sa période et son rythme de changement – est central pour soutenir la biodiversité et l'intégrité de l'écosystème (Lytle et Poff 2004)".

Laizé et ses collèges ont donc créé des indicateurs de débit (Monthly Flow Regime Indicators MFRIs) avec 14 métriques d'intérêt pour leur influence sur les écosystèmes de rivière. Par une analyse en partitionnement (clustering), 13 écotypes d'écoulement ont été définis (10 existant aujourd'hui et 3 n'existant pas actuellement en Europe). Ces types éco-hydrologiques se différencient par la saisonnalité des hautes eaux (hiver, printemps), par l'ampleur et la variabilité des régimes (basses eaux, hautes eaux), par la fréquence des extrêmes.



Changement des régimes hydrologiques autour de 2050 selon le modèle IPCM4 EcF, en vert pas de changement, en bleu changement dans un régime déjà existant, en rouge apparition d'un nouveau régime inexistant sur la zone. On voit que les bassins français devraient être massivement concernés par des évolutions hydroclimatiques.  Extrait de Laizé et al 2017, art cit, droit de courte citation.

Résultats (fourchettes basses et hautes des deux modèles):
  • 30 à 49% des rivières ne changent pas de type de débit;
  • 42 à 55% des rivières changent de type, pour un type connu;
  • 9 à 18% des rivières entrent dans un type encore inconnu (plutôt des régimes à dominante hivernale avec peu de variabilité et d'extrêmes).
Conclusion des scientifiques : "il est donc raisonnable de dire que si une rivière change d'un type éco-hydrologique de débit pour un autre, il existe un potentiel pour de nouveaux écosystèmes, particulièrement si cela résulte en une perte d'espèces existantes. Cependant, l'écosystème qui se dévelopera réellement dépendra de la capacité des nouvelles espèces qui arrivent à exploiter des niches disponibles".

Discussion
Les prévisions des modèles mobilisés par Cédric Laizé et ses collègues se réaliseront-elles? C'est incertain, car les modèles hydroclimatiques appliquées aux échelles régionales donnent encore des résultats divergents (ce qui est le cas, dans le détail, des 2 modèles ici mobilisés). Le climat fonctionne par couplage dynamique océan-atmosphère, avec des oscillations naturelles et des évolutions stochastiques, donc savoir comment les forçages anthropiques vont altérer ces mécanismes et leur téléconnexions restent un champ assez ouvert pour la modélisation climatique.

Cette réserve étant posée, la plupart des climatologues et hydrologues pensent que le régime des rivières sera bel et bien modifié de manière substantielle par les changements climatiques annoncés au cours du siècle. S'il est encore difficile de prédire avec précision l'avenir de chaque grand bassin, des évolutions thermiques et hydrologiques sont à peu près inévitables. Et cela à relativement court terme – quelques décennies, ce qui est peu pour le vivant.

Comme le relèvent Cédric Laizé et ses collègues, les changements hydrologiques impliqueront des évolutions écosystémiques. Cela rend quelque peu problématique l'approche choisie par l'Union européenne dans la directive cadre sur l'eau : définir des "états de référence" biologiques et physico-chimiques afin de déterminer quels peuplements et écoulements "naturels" sont attendus sur des cours d'eau, et forment donc l'objectif de la conservation ou de la restauration de ceux-ci. En effet, en prenant comme base des statistiques d'observation de la fin du XXe siècle, nous avons de bonnes chances de poser des référentiels de qualité ou d'intégrité qui deviendront automatiquement désuets à mesure que le vivant s'adaptera aux conditions nouvelles. Ce malentendu fondateur de la DCE 2000, déjà souligné par des chercheurs dubitatifs sur l'approche choisie par les gestionnaires (voir Bouleau et Pont 2015), gagnerait à être éclairci au plus vite.

Mais la Direction générale Environnement de la Commission de Bruxelles est-elle davantage ouverte aux nuances, incertitudes et réserves des débats scientifiques en écologie que ne le sont nos bureaucraties nationales? Au regard de la genèse de la directive cadre (voir Loupsans et Gramaglia 2011), il y a quelques craintes à avoir…

Référence : Laizé C et al (2017), Projected novel eco-hydrological river types for Europe, Ecohydrology & Hydrobiology DOI: 10.1016/j.ecohyd.2016.12.006

22/01/2017

Pragmatisme et discernement dans la gestion de l'eau: une proposition sénatoriale

Nous avions évoqué le rapport très critique du sénateur Rémy Pointereau sur la mise en oeuvre de la politique de l'eau, notamment dans le domaine de la continuité écologique qui nous intéresse au premier chef. Dans la suite de son action, l'élu a déposé au Sénat une proposition de résolution. Elle est articulée autour de 4 axes: la gestion qualitative de l'eau, la gestion quantitative de l'eau, la simplification des procédures et l'allègement des normes,la planification et la gouvernance. Plusieurs articles concernent la question des ouvrages hydrauliques. Nous en publions ci-dessous des extraits et nous invitons nos lecteurs à en informer instamment leurs sénateurs afin qu'ils soutiennent cette proposition lors de son prochain examen.

Cette proposition de résolution, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à agir avec pragmatisme et discernement dans la gestion de l'eau, peut être consulté à ce lien. Elle n'a pas de force législative, mais son adoption indiquerait au gouvernement (actuel, futur) la ferme volonté du Sénat d'engager une réforme de la loi sur l'eau, 10 ans après son adoption.

Cette réforme est plus que nécessaire : mauvais résultats dans la mise en oeuvre de la directive sur l'eau DCE 2000 et probabilité quasi-nulle d'atteindre le bon état écologique et chimique de 100% des masses d'eau en 2027 ; confiscation des décisions par une oligarchie administrative lointaine et de plus en plus décriée ; prolifération réglementaire qui assomme les riverains, usagers, propriétaires dans un maquis illisible de normes et d'obligations ; gabegie d'argent public dans des mesures violentes (destructions d'ouvrages) à l'efficacité non démontrée ; indifférence aux attentes nombreuses (patrimoine, paysage, loisir, économie, etc.) et blocage du dialogue environnemental au profit d'une écologie punitive et autoritaire ; analyse coût-bénéfice et analyse en services rendus par les écosystèmes absentes, alors que les riverains n'ont nul sentiment que les milliards dépensés chaque année leur apportent des changements concrets et utiles, et alors qu'on s'apprête de surcroit à lever une nouvelle taxe GEMAPI...

La proposition du sénateur Pointereau ne soulève qu'une partie de ces problèmes et, dans le détail, nous ne souscrivons pas forcément à chacune de ces orientations. Mais elle va globalement dans la bonne direction, en particulier sur la question des ouvrages hydrauliques. Il y a eu depuis 5 ans une accumulation de rapports critiques sur la politique de l'eau, sur ses acteurs institutionnels et sur ses résultats (Cour des comptes, CGEDD, Commission européenne, OCDE, rapport Lesage, rapport Levraut, rapport Dubois-Vigier, rapport Pointerau...). Il est impensable que la prochaine législature et le prochain gouvernement ne placent pas la réforme de cette politique au programme de leurs actions prioritaires.

Motifs (extraits)
Dix ans après l'entrée en vigueur de la loi, la commission de l'aménagement du territoire et du développement du Sénat a considéré qu'il était naturel que la Haute Assemblée se penche sur l'application de la « LEMA », sur l'impact qu'elle a eu sur les collectivités territoriales mais également sur les différents acteurs de la politique de l'eau et sur les difficultés qui sont apparues dans la mise en oeuvre des changements et des principes portés par le texte. C'est à titre qu'un débat a été tenu au Sénat le 19 octobre 2016 sur les conclusions du rapport d'information : « Eau : urgence déclarée » (demande de la délégation sénatoriale à la prospective) et sur les conclusions du rapport d'information sur le bilan de l'application de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable).

Cette proposition de résolution trouve ainsi son origine dans les conclusions et propositions du dernier rapport, qui dresse un bilan mitigé de l'application des principales dispositions de ce texte de loi. En effet, si la quasi-totalité des acteurs du monde de l'eau sont attachés aux grands principes posés par la loi, beaucoup regrettent une mise en oeuvre concrète problématique.

C'est pourquoi la proposition de loi identifie, à travers quatre pans de la loi de 2006 (1 - la gestion qualitative de l'eau, 2 - la gestion quantitative de l'eau, 3 - la simplification des procédures et l'allègement des normes et 4 - la planification et la gouvernance), plusieurs solutions de simplification, concrètes et pragmatiques dans le domaine de la gestion de l'eau, dont les acteurs de l'eau mesurent chaque jour le degré de complexité.

Ainsi, la présente proposition de résolution suggère de veiller à ce que les normes applicables s'en tiennent au strict respect des directives européennes, de simplifier les procédures de nettoyage des rivières et des fossés ; de raccourcir les procédures et alléger les contraintes d'autorisation de pompage, mais également de raccourcir les délais d'instruction pour les dossiers de création de réserves en eau. Il faut donner à la simplification la priorité qu'elle mérite.

Il convient également de doter la politique de l'eau des moyens matériels, humains et financiers nécessaires à sa mise en oeuvre. Une politique dont l'efficacité dépendra des acteurs qui y seront associés. (...)



Résolution

Pour une meilleure gestion qualitative de l'eau :

  • Veiller à ce que les normes applicables s'en tiennent au strict respect des directives européennes et fixer des objectifs réalistes, pragmatiques et stables, afin de pouvoir mesurer les progrès réels effectués en matière de politique de l'eau;
  • Interdire tout prélèvement par l'État sur le fonds de roulement des agences de l'eau, afin de garantir un financement stable de la politique de l'eau et d'atteindre les objectifs de qualité de l'eau fixés au niveau européen; appliquer le principe de « l'eau paye l'eau »;
  • Favoriser les solutions au cas par cas, acceptables économiquement et socialement, ainsi que la combinaison de différentes techniques pour restaurer la continuité écologique ; inscrire les modifications de seuils dans le cadre d'actions plus globales de restauration du milieu aquatique dans son ensemble;
  • Mieux utiliser les moyens du fonds de garantie boues mis en place par la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques;
  • Renforcer les moyens financiers pour les collectivités locales dans la protection des captages, des réseaux d'assainissement et stations d'épurations.

Pour une meilleure gestion quantitative de l'eau :

  • Soutenir financièrement les collectivités pour lutter contre les fuites d'eau sur les réseaux d'eau potable et mettre en place un plan d'action visant à acquérir une connaissance plus approfondie de ces réseaux, rechercher et réparer les fuites ou renouveler les conduites;
  • Sécuriser juridiquement les organismes uniques de gestion collective (OUGC) en clarifiant les liens entre les OUGC et les irrigants;
  • Renforcer la présence des acteurs et professionnels concernés au sein des comités d'orientation des organismes uniques de gestion;
  • Promouvoir le développement de contrats avec les agriculteurs pour effectuer des prestations de services environnementaux;
  • Définir des plans d'action qui concilient protection de la qualité de l'eau et potentiel de production et qui prennent mieux en compte l'évaluation des risques (inondations, sécheresse, etc.) en favorisant par exemple des bassins d'écrêtement des crues;
  • Favoriser la recharge des nappes phréatiques en dehors des périodes d'étiages ou lorsque la situation le permet;
  • Favoriser les retenues de substitution et collinaires avec la possibilité de remplissage dès lors que les niveaux d'eau sont suffisants ou excédentaires en période de crue;
  • Encourager la recherche en matière de techniques d'accroissement de la ressource en eau ;
  • Réutiliser les captages d'eau potable abandonnés pour des usages non alimentaires (irrigation, arrosage public, etc.).

Pour une simplification des procédures et l'allégement des normes applicables à l'eau :

  • Simplifier les procédures de nettoyage des rivières et des fossés;
  • Raccourcir les procédures et alléger les contraintes d'autorisation de pompage, et de mise en oeuvre des organismes uniques de gestion collective, notamment les obligations en matière d'études préalables pour l'obtention de l'autorisation unique de prélèvement;
  • Raccourcir les délais d'instruction pour les dossiers de création de réserves en eau et les sécuriser juridiquement;
  • Compléter l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui concerne les obligations relatives aux ouvrages, afin de préciser que le classement des cours d'eau en liste , c'est-à-dire dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, doit permettre de concilier le rétablissement de la continuité écologique avec les différents usages de l'eau, et en particulier le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable;
  • Agir avec pragmatisme et discernement pour un arasement non systématique des seuils et préserver le fonctionnement des moulins qui font partie du patrimoine national.

Pour une meilleure gouvernance et planification de l'eau :

  • Revoir le contenu des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux en y intégrant notamment un volet prospectif sur l'anticipation au changement climatique et en les simplifiant;
  • Rééquilibrer la composition des instances de bassin sur la base d'une répartition prévoyant un tiers de consommateurs et associations agrées par l'État, un tiers de collectivités et un tiers d'utilisateurs industriels et agricoles;
  • Reconnaître les propriétaires ruraux comme des acteurs environnementaux;
  • Attribuer la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) à une collectivité correspondant davantage à un bassin versant (département ou syndicat de rivière) à condition de leur transférer les moyens financiers pour en assurer la mise en oeuvre en lien étroit avec les agences de l'eau.

20/01/2017

Le potentiel hydro-électrique de la France, victime des bureaucraties et des lobbies

On ne cesse de répéter que le changement climatique est la première menace sur l'équilibre des sociétés et des milieux à échelle du siècle, que tout doit être fait pour sortir rapidement de notre dépendance à l'énergie fossile, qu'agir trop tard placera les générations futures devant le fait accompli de déséquilibres planétaires. Et pourtant, malgré un potentiel de développement de plusieurs milliers de MW très bas carbone, l'hydro-électricité française stagne depuis quinze ans. La principale raison? La pression conjointe des lobbies antibarrages et des administrations tatillonnes en charge de l'eau a gelé les initiatives et alourdi tous les coûts de développement. Pire encore, la France a massivement engagé un processus de destruction des seuils et barrages qui permettraient de produire un peu partout sur le territoire. Pour obtenir des gains écologiques modestes et limités à quelques espèces, quand ce n'est pas pour satisfaire les exigences dérisoires de pêcheurs de truites, notre pays se prive de la plus ancienne, de la plus régulière et de la mieux répartie de ses énergies renouvelables. Cette dérive n'a que trop duré: il faut libérer l'énergie de nos rivières!

Lors des vagues de froid, et alors que plusieurs réacteurs nucléaires sont en maintenance, l'énergie hydraulique a été mobilisée tant pour contribuer à la base en journée que pour répondre aux besoins de pointe en matinée et soirée. Cela malgré les conditions défavorables du gel et de la forte sécheresse hivernale que connaît la France. L'hydro-électricité a ainsi pu produire sur le réseau jusqu'à l'équivalent de 10 réacteurs nucléaires.

Pourtant, cette énergie hydro-électrique est en berne. On peut le constater sur ce graphique extrait du récent rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE 2017, pdf) consacré à la transition énergétique en France.


On observe que depuis 2000, les capacités hydro-électriques françaises restent bloquées entre 25.000 et 25.400 MW.

L’AIE est sceptique sur la capacité la France à garantir sa sécurité d’approvisionnement en électricité alors qu’elle entend réduire à 50% la part du nucléaire tout en avançant très lentement dans la mise en service de nouvelles capacités de production. Le constat de l'Agence revient ainsi à souligner que les pouvoirs publics promettent, mais n'agissent pas en conformité à leurs promesses. Un travers auquel nous ne sommes que trop habitués et qui contribue au discrédit de la parole institutionnelle.

Les capacités hydro-électriques françaises ne sont nullement saturées
Pourquoi l'hydro-électricité en particulier peine à se développer? Contrairement à une idée reçue et fausse véhiculée par ses adversaires, ce n'est nullement parce que les capacités de développement sont saturées :
  • le rapport de convergence (très conservateur et non complété dans toutes les régions) UFE-Ministère 2013 fait état de 2476 MW de potentiel (8950 GWh de production) en nouveaux sites;
  • le même rapport conclut à 261 MW (921 GWh) en équipement de seuils et barrages existants;
  • ces travaux de 2013 ignorent (volontairement) les puissances de moins de 100 kW, qui sont certes individuellement modestes, mais très nombreuses puisqu'elles forment une majorité des 80.000 ouvrages hydrauliques recensées dans le référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (les forges et moulins produisaient pour la plupart de l'énergie voici 100 ans, ils pourraient le faire de nouveau sans grande difficulté, voir cette synthèse sur la petite hydro-électricité);
  • il faut ajouter l'approche multi-usages et la possibilité d'installer des turbines hydro-électriques sur des infrastructures dédiées à d'autres fins (réseau d'adduction, retenues collinaires, réservoirs d'écrêtement de crue, d'irrigation ou d'eau potable,  étangs piscicoles, etc.).
Ce ne sont donc pas les perspectives de développement qui font défaut, et ceux qui répètent sans cesse que "le potentiel est déjà réalisé à 95%" trompent l'opinion.

Outre l'attachement au choix électronucléaire des années 1970 encourageant l'inertie sur les autres sources d'énergie, le problème de l'hydro-électricité en France tient à l'opposition virulente de certains groupes de pression. On peut en lire un rappel dans les actes du séminaire Hydroélectricité, autres usages et reconquête de la biodiversité (2016), récemment mis en ligne par le CGEDD. Les pêcheurs (FNPF) et les environnementalistes (FRAPNA-FNE) se montrent invariablement opposés à tout développement de l'hydro-électricité (particulièrement en rivière et fleuve), en dehors au mieux de quelques grands barrages EDF en stations de pompage-turbinage.

Des lobbies minoritaires très actifs, mais surtout très entendus au ministère de l'Environnement
Après tout, nous sommes habitués à ces voix contestataires qui ne sont d'accord avec rien, voient midi à leur porte, refusent telle ou telle énergie "dans leur jardin" et mettent un point d'honneur à rejeter tout compromis au nom de la pureté de leur idéal. Hélas, pour minoritaires que soient les plus farouches opposants à l'hydro-électricité, ils ont trouvé en France une oreille attentive au sommet de l'Etat. Le potentiel hydro-électrique le plus important (petite et moyenne hydrauliques) a en effet été placé sous l'autorité de la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'Environnement, et non pas de la direction énergie et climat. Or, il est notoire que la DEB fait preuve depuis 15 ans d'une forte hostilité aux moulins et usines à eau, ainsi que d'une non moins forte porosité aux positions radicales des lobbies précédemment cités. Il en résulte un découragement des initiatives et une explosion peu réaliste des exigences environnementales imposées à chaque projet, même quand ces exigences correspondent à des gains écologiques faibles, voire non démontrés. Vu les délais (plusieurs années) et l'issue imprévisible des dossiers soumis au bon vouloir de l'administration, sans compter d'incessantes modifications réglementaires en ce domaine, les investisseurs comme les particuliers préfèrent se détourner.

Non seulement la France ne développe pas son potentiel hydro-électrique pour satisfaire quelques lobbies minoritaires jouant habilement leurs cartes dans les commissions opaques des bureaucraties environnementales, mais notre pays a même entrepris de détruire ce potentiel sous couvert de continuité écologique. Le cas de la Sélune est exemplaire : alors que 99% des citoyens de la vallée veulent conserver les barrages et leurs lacs, alors que ces ouvrages représentent 18% des énergies renouvelables du département, l'Etat a décrété qu'il fallait les détruire, à un coût public de près de 50 millions d'euros, cela pour gagner quelques milliers de saumons sur quelques dizaines de km d'une rivière par ailleurs polluée (tout en perdant la diversité des espèces inféodées aux deux retenues)... Pour ces deux barrages intéressant plus que d'habitude les médias car Ségolène Royal y a fait des déclarations intempestives (et de bon sens), on compte des milliers d'autres ouvrages hydrauliques menacés d'une destruction silencieuse et honteuse.

Prioriser selon le bilan carbone des filières énergétiques, réviser la politique des rivières
Cette politique est un non-sens complet au plan énergétique. Contrairement au solaire, au biocarburant ou à d'autres filières massivement soutenues par les choix publics (et l'argent du contribuable), l'énergie hydraulique a un bon bilan carbone en région tempérée, tout particulièrement au fil de l'eau. Or, c'est bien ce bilan carbone qui forme le premier critère de décision de nos choix climatiques et énergétiques, ainsi que la justification pour les contribuables d'une énergie plus chère. Le charbon, le gaz et le pétrole ont beaucoup d'avantages : on choisit de s'en priver pour ne pas aggraver l'effet de serre, donc pour le bilan carbone. Chaque partie par million de CO2 atmosphérique forme un enjeu pour nos sociétés, c'est cela qui compte.

Outre son empreinte carbone favorable, quand l'hydro-électricité se développe sur des ouvrages déjà existants, elle n'aggrave pas l'impact morphologique sur les milieux ; quand de nouveaux sites sont construits, ils peuvent intégrer dans le cahier des charges des objectifs sédimentaires ou piscicoles (en petite ou moyenne hydraulique, car les impacts des grands barrages sont difficiles voire impossibles à corriger). Par ailleurs, cette énergie contribue bien sûr à restaurer ou entretenir le patrimoine hydraulique en place, à créer des revenus et des emplois pour les territoires, particulièrement dans les zones rurales ayant aujourd'hui le sentiment d'être la périphérie délaissée de la France.

Qu'il s'agisse de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) ou du paquet énergie-climat 2020, notre pays accuse retards et échecs sur ses politiques de l'environnement et de l'énergie. L'OCDE le lui a récemment rappelé, donc le scepticisme de l'Agence internationale de l'énergie n'est pas un phénomène isolé.

Dans le cas de l'hydraulique, il est particulièrement navrant de voir qu'une partie de ces retards peut être imputée à une idéologie hors-sol qui passe son temps à dire "non", une idéologie dont les exigences mal placées détournent notre pays de ses enjeux essentiels: réduire la charge en pollution dans l'eau, l'air, le sol ; réfréner l'usage des énergies fossiles et fissiles pour atténuer le changement climatique, tout en assurant notre indépendance énergétique et en créant des emplois non délocalisables. La France connaîtra une transition politique d'ici quelques mois. Quel que soit le pouvoir issu des urnes, on attend de lui une révision en profondeur de notre politique de l'eau et de l'énergie.

A lire en complément
Sur le taux d'équipement énergétique des rivières
Idée reçue #07 : "Un moulin produit moins qu'une éolienne, inutile de l'équiper"
Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres

19/01/2017

Loire-Bretagne, doublement en huit ans des rivières en état mauvais ou médiocre

Entre 2006 et 2013, le nombre de rivières du bassin Loire-Bretagne en état écologique médiocre ou mauvais a été multiplié par deux, alors que le nombre de rivières en état excellent a été divisé par deux. Imperturbable, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne nous assure tout de même que "la mobilisation est payante". Loire-Bretagne, c'est aussi un bassin pilote des politiques les plus extrêmes en matière de continuité écologique, là où la doctrine du rapport Malavoi 2003 faisait la promotion de la destruction systématique des ouvrages sans usage. On voit le brillant résultat des choix opérés par les gestionnaires publics… 

En éditorial de la dernière livraison de L'Eau en Loire-Bretagne (janvier 2017), Martin Gutton, directeur général de l'Agence de l'eau, affirme : "Notre bassin affiche aujourd’hui 30 % de ses cours d’eau en bon ou très bon état et il ambitionne d’atteindre l’objectif de 61 % à l’échéance 2021. Cela pourrait être décourageant si le suivi de la qualité de l’eau ne montrait pas que là où l’on agit de façon éclairée et concertée, la mobilisation est payante et les résultats sont là."

Le tableau de synthèse est le suivant:

On constate qu'entre 2006 et 2013:
  • le nombre rivière en état mauvais a doublé
  • le nombre de rivière en état médiocre a doublé
  • le nombre de rivière en bon état a stagné
  • le nombre de rivière en état excellent a été divisé par deux
Quant à l'état chimique des eaux du bassin, déjà absent lors de l'adoption du Sdage 2016-2021, le mystère plane encore. "À côté de l’état écologique, nous dit la publication, l’état chimique des eaux de surface s’appuie sur 56 substances prioritaires et prioritaires dangereuses retenues au niveau européen. Ce sont des substances qui posent un problème globalement en Europe, certaines pouvant ne pas être retrouvées en quantité importante en France. L’Union européenne permet de séparer les substances dites ubiquistes (contamination générale de l’environnement) des autres substances.Un suivi spécifique des substances prioritaires a été lancé sur la période 2015-2017. En 2015, les suivis ont été effectués sur 105 stations du réseau de contrôle de surveillance (RCS). Pour les substances non ubiquistes, 87 stations sont en bon état chimique et 3 en mauvais état. Pour les 15 dernières stations, l’état chimique n’a pas pu être déterminé".

Mais la même publication nous dit qu'il y a 837 stations dans le réseau de contrôle de surveillance: pourquoi les mesures sont-elles faites dans 105 d'entre elles, soit 12,5% seulement? On l'ignore. Et comme la plupart des rivières sont polluées par des substances ubiquistes (comme les HAP, hydrocarbures aromatiques polycycliques) ainsi que par un cocktail de centaines de micro-polluants échappant aux obligations de surveillance de la DCE, on suppose que le bilan n'est pas fameux et que très peu de rivières du bassin peuvent afficher un bon état écologique et chimique (l'obligation européenne concernant ces deux dimensions).

Le bilan est donc celui d'un échec flagrant. Loin de répondre à la question que tout le monde se pose – à savoir l'utilité des centaines de millions d'euros dépensés chaque année pour atteindre le bon état écologique et chimique des eaux –, le magazine de l'Agence de l'eau se contente d'énumérer les problèmes par sous-bassins et de se décerner quelques satisfecit de-ci de-là. Mais pourquoi ce qui n'a pas fonctionné depuis 2006 aurait des effets demain? Et qui paiera les amendes à l'Europe si cette tendance se poursuit?

16/01/2017

Etangs de Marrault: quand le patrimoine historique enrichit la biodiversité

Les étangs de Marrault, non loin d'Avallon, sont aujourd'hui gérés par une association de pêche en réserve de deuxième catégorie piscicole. Créés à des fins alimentaires sous l'Ancien Régime, les plans d'eau fragmentent un petit affluent du Cousin et sont donc défavorables à la truite fario, espèce élective des cours d'eau de la tête de bassin morvandelle. Et pourtant, les étangs sont classés en ZNIEFF (zone nationale d'intérêt écologique, faunistique et floristique) en raison de leur biodiversité. Le patrimoine hydraulique produit aussi des habitats accueillants pour le vivant. 

Les étangs de Marrault, vue aérienne actuelle et carte d'état-major du XIXe siècle (IGN)

La commune de Magny, à laquelle Marrault est rattaché, est citée dès 864 (Magniacus). Marrault est à l'origine un domaine rural formé aux dépens de la forêt, sans doute par un nommé Marrault, nom ancien et commun dans l'Avallonnais. Le lieudit est cité dès 1275 (Marraulx à cette époque, Marraux en 1335 et Marrault en 1521, parfois Mareau plus tard, comme sur la carte d'état-major du XIXe siècle ci-dessus). Les Jaucourt de Villarnoux bâtissent un château-fort sur un rocher dominant le vallon, ouvrage cité en 1372. Le château est attaqué six fois et pris quatre fois pendant la guerre de Cent-Ans. Il est ruiné par Louis XI en 1478, hors le donjon qui sera démoli en 1782. Le château actuel a été bâti par de Ganay, 1720.

Au XVIIIe siècle, brochets, tanches et perches aux marchés de la région
Concernant les étangs, l'Abbé Alexandre Parat note dans la région de Marrault : "étang de la côte des Granges, étang des Chicard, étang du Château servant au moulin du Gros-Fort; quatre petits étangs sur le ru de la Lie, dit des Fiottes, pour l'alevin. Tous disparus, restent deux grands étangs récents, dits de Marrault, qui seraient du XVIIe siècle, élevage du poisson, jadis fournissaient des sangsues." (in Nouveau répertoire archéologique de l'Avallonnais, Bulletin de la société des sciences historique et naturelle de l'Yonne, 1920, 74, 126). Le fait est que l'examen des cartes d'Ancien Régime montre une multitude de mares et étangs dans les vallées du Morvan, chaque rû ou presque nourrissant sa succession de plans d'eau (à fin piscicole souvent, parfois aussi pour le flottage du bois).

Le même Abbé Parat rappelle l'importance des étangs piscicoles dans les sociétés anciennes: "A l'existence des étangs se rattache la question de l'alimentation par le poisson au temps passé. On constate par mille traits des archives quelle grande place tenait le poisson dans la nourriture du peuple, et quel profit le commerce en retirait. Alors que le carême se faisait sévère pour l'abstinence de la viande et que les jours maigres, comme on disait, étaient nombreux dans le courant de l'année, le poisson devenait une des principales ressources pour l'artisan comme pour le bourgeois. (…) Deux échevins (1724) assistent à la pêche de l'étang de Marrault, afin de 'voir et examiner la qualité du poisson, en faire un essai, compter le nombre des brochets, tanches et perches qui se sont trouvés dans le dit étang, afin de pouvoir donner aux bouchers un taux proportionné à la dite qualité du poisson'. On voit en 1704 et 1725 que la marchandise est taxée avant l'achat : 'Carpe ovée (avec des oeufs) 6 sous la livre, laitée (avec du lait) 7 sous, la tanche 7 sous, le brochet ové 9 sous, laite 10 sous, de une livre à quatre livres.' Une fois, les bouchers refusent de vendre à ce prix, et un homme de Saulieu s'oblige à fournir tout le poisson nécessaire jusqu'à Pâques au prix fixé.Les produits de ces nombreux étangs se vendaient frais et même salés, comme il en est fait mention pour les marchés d'Avallon et de Montréal où 'le poisson d'eau douce salé et non salé' était offert. Sans être raisonnée comme aujourd'hui, la pisciculture était suffisamment pratiquée pour le but à atteindre." (in Notices archéologiques villageoises de l'Avallonnais, Bulletin de la Société d'études d'Avallon, 1919, 76).

Les digues des étangs de Marrault (étang du haut), le moulin en pied de l'étang du bas.

Des étangs classés en raison de leur intérêt pour la biodiversité
S'ils ont perdu leur vocation alimentaire, les étangs de Marrault et leurs abords sont aujourd'hui classés en zone nationale d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF continentale de type 1, identifiant 260014889). Voici ce que dit la fiche du Museum à ce sujet :

"Ce site est d'intérêt régional pour ses zones humides, avec leur faune et leur flore. L'étang de Marrault et l'étang du Haut sont des étangs de pêche au niveau d'eau faiblement variable. Il présentent des berges marécageuses, elles-mêmes en contact avec des prairies et des bois humides. Au niveau des étangs, des boisements, des prairies et des cours d'eau, une grande diversité d'habitats a été observée :
- herbiers aquatiques des cours d'eau, d'intérêt européen,
- divers herbiers aquatiques des plans d'eau, d'intérêt régional à européen,
- végétations amphibies vivaces des grèves sableuses exondées, d'intérêt européen,
- ourlets humides à hautes herbes, d'intérêt européen,
- prairies de fauche à Fromental (Arrhenatherum elatius), d'intérêt européen,
- prairies paratourbeuses, localisées en amont de l'étang du Haut, d'intérêt européen,
- végétations amphibies annuelles à bidents (Bidens sp.) des vases exondées, d'intérêt régional,
- végétations amphibies des berges de cours d'eau, d'intérêt régional,
- sources d'eau acides, d'intérêt régional,
- caricaies à Laîche vésiculeuse (Carex vesicaria), d'intérêt régional,
- prairies humides Jonc acutiflore (Juncus acutiflorus), d'intérêt régional,
- chênaies-frênaies sur terrains argileux humides, d'intérêt régional,
- différents types de roselières,
- saulaies marécageuses à Saule cendré (Salix cinerea).

Ces différents milieux abritent les espèces déterminantes pour l'inventaire ZNIEFF suivantes :
- nénuphar blanc (Nymphea alba),
- bident radié (Bidens radiata),
- pâturin de chaix (Poa chaixii).

D'autres espèces déterminantes pour l'inventaire ZNIEFF, observées avant 1991, mériteraient d'être recherchées sur le site : utriculaire citrine (Utricularia australis), littorelle à une fleur (Littorella uniflora) et pavot du pays de Galle (Meconopsis cambrica). La guifette noire (Chlidonias niger), oiseau inféodé aux milieux d'eau douce et migrateur rare en Bourgogne, a été observé ponctuellement sur ce site.

Des mares prairiales bocagères, présentes en périphérie des étangs, accueillent également la Rainette verte (Hyla arborea). Cet amphibien est en régression dans plusieurs régions de Bourgogne du fait de la conversion des prairies en cultures, ainsi que de la destruction des mares et autres zones humides."

Guifette noire (Andrej Chudý, CC BY-SA 2.0)

Dans les mammifères, on note également le campagnol amphibie (Arvicola sapidus) et le putois d'Europe (Mustela putorius). Pour les oiseaux la grande aigrette (Ardea alba), le martin-pêcheur (Alcedo atthis) ou encore la huppe fasciée (Upupa epops) peuplent les rives des plans d'eau. Et cet inventaire est loin d'être complet ! Les promeneurs observent par exemple, lors des chaudes soirées estivales, un ballet incessant de nombreux Chiroptères se régalant des insectes de chaque retenue.

Sortir des idées reçues sur les continuités et discontinuités écologiques
Les étangs de Marrault sont créés par des digues qui barrent un modeste cours d'eau typique de la tête de bassin morvandelle. Ce rû naît près de Charmolin (où il alimente déjà un petit étang), passe au moulin Jaillard (qui menace ruine), prend les noms de ruisseau des Prés du Meix, ruisseau des Etangs, et enfin ruisseau de la Forêt (avant sa confluence avec la rivière Cousin).

On peut voir dans les photographies ci-dessous le profil naturel d'écoulement de ces ruisseaux, assez typique du Morvan : rives boisées et faible lumière, pente prononcée, lit étroit, alternance de petits plats, de radiers et de seuils formant des cascades, eau vive et froide. C'est un habitat à truites et espèces d'accompagnement au plan icthyologique.

Le ruisseau de la forêt entre Marrault et la confluence avec le Cousin. 

Si l'on devait en croire la doxa actuelle de la continuité écologique, les retenues d'eau (comme les étangs de Marrault) sur des cours lotiques de tête de bassin n'auraient que des effets négatifs: fragmentation et banalisation des habitats, réchauffement de l'eau, isolement génétique, infranchissabilité piscicole et sédimetaire, etc. Il faudrait revenir au "niveau typologique théorique" (voir cette critique) de chaque écoulement, cette "renaturation" étant posée comme le sens véritable de la biodiversité ou de "l'intégrité biotique" des milieux aquatiques.

Les étangs de Marrault racontent une toute autre histoire. Certes, ils sont incontestablement défavorables à l'optimum de la truite fario, dont les habitats sont fragmentés et dont l'eau est réchauffée. Mais pour autant, ce patrimoine hydraulique abrite une importante biodiversité acquise au fil du temps, une biodiversité probablement plus importante que ne le serait celle de la rivière laissée à son écoulement naturel (un petit ruisseau en tête de bassin oligotrophe est assez pauvre en vivant, même s'il héberge des espèces spécialisées en eaux froides). Le débat s'impose donc pour les aménagements d'autres rivières de la région. La Fédération de pêche de l'Yonne et le Parc du Morvan ont par exemple annoncé la destruction de l'étang de Bussières sur la Romanée, alors que ce plan d'eau possède des zones humides d'intérêt et n'a pas fait l'objet d'un inventaire complet de biodiversité à notre connaissance. Ce projet risque de conduire à un appauvrissement local de la diversité du vivant au bénéfice d'un objectif centré sur quelques espèces pisciaires déjà présentes dans le bassin du Cousin (voir cet article), ce qui pose la question des finalités réelles de nos actions écologiques en rivière.

Sortons un peu des oeillères de la continuité, de la "renaturation" et de la "rivière sauvage" qui désignent l'ouvrage hydraulique comme ennemi du vivant, tout en ignorant la valeur patrimoniale et paysagère de nos héritages historiques. Avant de faire disparaître des plans d'eau présents depuis plusieurs siècles au nom d'une mode très récente, la prudence, la concertation, l'examen attentif des réalités biologiques et des valeurs patrimoniales de chaque site s'imposent.