21/02/2017

Sauvegarde de la Boivre: ce que les juges administratifs exigent d'un projet de restauration de rivière

Dans le projet annulé de restauration physique de la Boivre (voir cet article), les juges administratifs de Poitiers ont produit une décision très intéressante. Nous en détaillons ici les moyens juridiques, qui peuvent le cas échéant servir pour s'opposer à d'autres projets présentant les mêmes défauts de construction — car si l'administration devait persister dans sa position agressive et destructrice vis-à-vis des moulins et étangs, le maximum de chantiers futurs devraient faire l'objet de contentieux de la part des associations, propriétaires et riverains. Pour la Boivre, la préfecture a annoncé qu'elle ne ferait pas appel de ce jugement et le président du nouveau syndicat (Clain aval) a dit vouloir "retravailler en concertation". Dont acte, mais le principal enjeu de la concertation est simple: vu le coût inaccessible de la restauration physique  de rivière pour les particuliers et les petites collectivités, le financement maximal de l'Agence de l'eau (80-100%) a vocation à soutenir désormais les projets qui concilient le plus efficacement écologie, patrimoine, paysage, énergie et autres usages entrant dans la gestion équilibrée et durable de l'eau. La doctrine de la renaturation comme primauté programmatique des milieux aquatiques sur toute autre considération doit être abandonnée au profit d'une écologie plus inclusive, ouverte à la diversité et la complexité des situations locales, ainsi qu'à des diagnostics du vivant non limités à certains poissons. 

Nécessité d'une étude d'impact plus solide qu'une étude d'incidence
Un chantier ne peut pas être programmé sur la base d'études futures qui en détailleront les conditions et les effets, l'étude d'impact doit être complète lors du dépôt du dossier d'autorisation.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, dans sa version alors en vigueur : « I. ― Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. Ces projets sont soumis à étude d'impact en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement.»; qu’aux termes de l’article R. 122-2 du même code, dans sa version alors en vigueur : « I.-Les travaux, ouvrages ou aménagements énumérés dans le tableau annexé au présent article sont soumis à une étude d'impact soit de façon systématique, soit après un examen au cas par cas, en fonction des critères précisés dans ce tableau. » ; qu’à l’article 2 de l’arrêté attaqué, le préfet a délivré l’autorisation de réaliser des travaux visés aux rubriques 3.1.1.0 (obstacles à la continuité écologique), 3.1.2.0 (modification de profils en long ou en travers du lit mineur), 3.2.1.0 (entretien), 3.3.1.0 (assèchement ou remise en eau de zones humides), 3.1.5.0 (destructions de zones de frayères ou de croissance de la faune piscicole) ; qu’aux termes des dispositions précitées, le pétitionnaire était tenu de diligenter une étude d’impact sur ces travaux ; que l’étude d’incidence produite par le Syndicat d’aménagement de la vallée de la Boivre ne peut en tenir lieu, dès lors qu’elle renvoie à des études ultérieures, portant notamment sur « certains cas d’aménagement lourd », les « risques potentiels » liés au départ de fines lors des travaux, les incidences des travaux et des actions en elles mêmes sur les zones d’intérêt écologique et les actions concernant l’effacement ou l’aménagement des ouvrages hydrauliques, à diligenter lorsque les travaux autorisés seront définis avec plus de précision. 

Nécessité d'une demande de travaux complète et motivée
Même motif que précédemment mais sur la base d'un autre article du code de l'environnement.
Considérant qu’aux termes de l’article R. 214-6 du code de l’environnement, dans sa version applicable : « I.-Toute personne souhaitant réaliser une installation, un ouvrage, des travaux ou une activité soumise à autorisation adresse une demande au préfet du département ou des départements où ils doivent être réalisés. II.-Cette demande, remise en sept exemplaires, comprend : (...) 2° L'emplacement sur lequel l'installation, l'ouvrage, les travaux ou l'activité doivent être réalisés ; 3° La nature, la consistance, le volume et l'objet de l'ouvrage, de l'installation, des travaux ou de l'activité envisagés, ainsi que la ou les rubriques de la nomenclature dans lesquelles ils doivent être rangés ; (...) » ; 4° Un document : a) Indiquant les incidences directes et indirectes, temporaires et permanentes, du projet sur la ressource en eau, le milieu aquatique, l'écoulement, le niveau et la qualité des eaux, y compris de ruissellement, en fonction des procédés mis en oeuvre, des modalités d'exécution des travaux ou de l'activité, du fonctionnement des ouvrages ou installations, de la nature, de l'origine et du volume des eaux utilisées ou affectées et compte tenu des variations saisonnières et climatiques ; (...) d) s’il y a lieu, les mesures correctives ou compensatoires envisagées (...) ». Considérant que le dossier établi par le pétitionnaire ne fournit les informations requises par l’article précité que de façon très imprécise, comme il ressort de ses termes mêmes, selon lesquels : « la définition précise des travaux n’est pas l’objet du présent dossier. Il donne le cadre global des aménagements. Ces travaux seront précisés (sous la forme de scenarii) par l’intermédiaire d’études complémentaires » 

Nécessité d'une nouvelle délibération quand l'enquête publique a donné un avis défavorable
Un point souvent négligé (ce fut le cas à Tonnerre), quand le commissaire enquêteur donne un avis défavorable, il ne suffit pas de l'ignorer superbement en Coderst, il faut encore que les collectivités concernées (par la maîtrise d'ouvrage) procèdent à une nouvelle délibération à la lumière de l'avis du commissaire enquêteur. 
Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-16 du code de l’environnement : «Tout projet d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale ayant donné lieu à des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête doit faire l'objet d'une délibération motivée réitérant la demande d'autorisation ou de déclaration d'utilité publique de l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement de coopération concerné. » ; qu’en méconnaissance de ces dispositions, l’organe délibérant du Syndicat d’aménagement de la vallée de la Boivre n’a pas délibéré pour réitérer sa demande après l’avis défavorable rendu le 21 avril 2014 par le commissaire enquêteur sur la demande de travaux au titre de la législation sur l’eau 

Nécessité de fouilles archéologiques préventives lorsque la DRAC a souligné une présomption d'intérêt sur des sites
Point rarement rencontré : l'avis de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) doit faire l'objet de prescriptions en sauvetage archéologique si nécessaire.
Considérant qu’aux termes de l’article R. 523-17 du code du patrimoine: « Lorsque des prescriptions archéologiques ont été formulées ou que le préfet de région a fait connaître son intention d'en formuler, les autorités compétentes pour délivrer les autorisations mentionnées à l'article R. 523-4 les assortissent d'une mention précisant que l'exécution de ces prescriptions est un préalable à la réalisation des travaux. Lorsque l'aménageur modifie son projet en application du 3° de l'article R. 523-15, les modifications de la consistance du projet indiquées par le préfet de région ont valeur de prescription. Si celles-ci ne sont pas de nature à imposer le dépôt d'une nouvelle demande d'autorisation, ou d'une demande de modification de l'autorisation délivrée, l'aménageur adresse au préfet de région une notice technique exposant le contenu des mesures prises. » ; qu’aux termes de l’article R. 214-16 du code de l’environnement, concernant les autorisations requises pour des opérations au titre de la loi sur l’eau : « Lorsque l'autorisation se rapporte à des ouvrages, travaux ou activités qui sont subordonnés à une étude d'impact, elle mentionne en outre que, dans le cas où des prescriptions archéologiques ont été édictées par le préfet de région en application du décret du 3 juin 2004 précité, la réalisation des travaux est subordonnée à l'accomplissement préalable de ces prescriptions. » ; que par sa lettre du 4 mars 2014, le directeur régional des affaires culturelles a relevé six ouvrages en zone A de présomption de prescriptions archéologiques où une autorisation de travaux du service régional de l’archéologie est nécessaire, et notamment les marais bordant le Moulin du Roy susceptibles d’avoir été occupés à l’époque préhistorique ; que, dès lors, l’arrêté du 5 août 2014 ne pouvait valoir autorisation au titre de la loi sur l’eau sans comporter des dispositions précisant que les travaux ne peuvent être entrepris avant l’achèvement des opérations relatives à l’archéologie préventive ; que le défaut de cette mention entache sa légalité ;

Nécessité d'une déclaration d'utilité publique pour divertir les eaux d'un chenal ancien
Moyen très intéressant : le juge considère que le chenal de dérivation (bief) étant ancien, il est assimilable à un cours d'eau non domanial et demande une déclaration d'utilité publique pour en altérer le cours (pas seulement une déclaration d'intérêt général). Donc les administrations qui classent aujourd'hui les biefs comme cours d'eau dans leur cartographie s'exposent à des contraintes fortes si elles veulent en modifier le débit.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 215-13 du code de l’environnement : « La dérivation des eaux d'un cours d'eau non domanial, d'une source ou d'eaux souterraines, entreprise dans un but d'intérêt général par une collectivité publique ou son concessionnaire, par une association syndicale ou par tout autre établissement public, est autorisée par un acte déclarant d'utilité publique les travaux. » ; que, compte tenu de l’ancienneté du chenal d’amenée des eaux au Moulin du Roy, datant de l’époque médiévale, la distraction d’une partie de ses eaux vers le marais des Ragouillis constitue une « dérivation » au sens de l’article précité ; que dès lors, les travaux ne pouvaient être autorisés sans avoir été déclarés d’utilité publique ; que l’absence de cette déclaration entache la légalité de l’arrêté attaqué

Nécessité de maintenir un débit minimum biologique dans un bief hébergeant la vie 
Même logique que le moyen précédent : si le bief héberge du vivant, alors on ne peut pas l'assécher et empêcher d'y garantir les conditions de la vie en permanence (principe du débit minimum biologique). 
Considérant, par ailleurs, qu’aux termes de l’article L. 214-18 du code de l’environnement : « I.-Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite. (...) » ; qu’en méconnaissance de ces dispositions, l’arrêté attaqué autorise la dérivation d’une partie indéterminée des eaux de la Boivre du chenal d’alimentation du Moulin du Roy vers le marais des Ragouillis, sans prescriptions permettant de garantir la permanence de la vie dans ce chenal

Nécessité d'une conformité au PLU pour les affouillements et exhaussements
Si le plan local d'urbanisme prohibe les exhaussements ou affouillements du sol sur certaines zones, un chantier de "renaturation" (qui mobilise des sédiments et modifie des profils à l'engin mécanique) sera tout aussi bien concerné qu'un chantier de construction. 
Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-5 du code de l’urbanisme, relatif aux plans locaux d’urbanisme : « Le règlement et ses documents graphiques sont opposables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, plantations, affouillements ou exhaussements des sols, pour la création de lotissements et l'ouverture des installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan. » ; que le marais des Ragouillis, où l’arrêté attaqué autorise des travaux d’affouillements, se trouve en zone N du plan local d’urbanisme de Montreuil-Bonnin, où sont interdits tous exhaussement ou affouillement du sol qui ne sont pas autorisés par un permis de construire ou d’aménager, et où ne sont autorisés que les aires de stationnement, les ouvrages nécessaires à l’irrigation, certains aménagements légers et les aménagements de constructions existantes, sous de nombreuses conditions ; que les travaux de remise en eau du marais des Ragouillis, n’entrant pas dans le champ de ces exceptions, ont été autorisés par l’arrêté attaqué en méconnaissance des dispositions du plan local d’urbanisme de la commune de Montreuil-Bonnin

Nécessité de justifier la non-atteinte aux intérêts entrant dans la gestion équilibrée et durable de l'eau
Ce considérant est rarement retenu: l'article L 211-1 CE fixant l'ensemble des usages de l'eau entrant dans sa "gestion équilibrée et durable", l'arrêté du préfet doit montrer que les intérêts liés à ces usages ne sont pas lésés. A noter que cet article L 211-1 CE a été récemment modifié et qu'outre l'agriculture, l'hydro-électricité, la pêche et divers usages, il inclut désormais également le stockage de l'eau et le respect du patrimoine hydraulique.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 214-3 du code de l’environnement : «I.-Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. Les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1, les moyens de surveillance, les modalités des contrôles techniques et les moyens d'intervention en cas d'incident ou d'accident sont fixés par l'arrêté d'autorisation et, éventuellement, par des actes complémentaires pris postérieurement. » ; que l’autorisation de l’article 2 de l’arrêté attaqué ayant été donnée au titre de l’article précité, devait fixer les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement ; que l’absence de ces prescriptions entache sa légalité.

20/02/2017

Défiguration de la Boivre: le tribunal administratif annule le projet contesté

Le tribunal administratif de Poitiers vient d'annuler pour de multiples motifs le projet de destruction des ouvrages et de reprofilage du lit de la Boivre. Cette excellente nouvelle rappelle aux associations de propriétaires et de riverains la nécessité de porter sur le terrain judiciaire la défense des rivières et de leurs héritages. Améliorer la transparence piscicole et sédimentaire est légitime. Détruire le patrimoine hydraulique, le potentiel énergétique et le cadre de vie ne l'est pas. Aux syndicats, agences de l'eau et préfectures de proposer et financer désormais des choix constructifs, capables de concilier les enjeux et de susciter l'adhésion. 

La Boivre est une rivière d'une quarantaine de kilomètres qui naît dans les Deux-Sèvres et se jette dans le Clain au niveau de Poitiers. En mars 2014, l'enquête publique sur le contrat territorial "milieux aquatiques de la Boivre et de ses affluents" avait déjà soulevé une participation sans précédent au plan local.

L'Association de protection des propriétaires riverains de la Boivre avait souligné ses motifs d'inquiétude et de colère face à une modification massive du profil de la vallée et à la lourdeur des aménagements prévus : démantèlement de nombreux ouvrages, dérivation du cours actuel, aménagement d'abreuvoirs, recharge en granulats, création de passes à poissons, etc. Le coût, estimé à plus de 1,1 M€, avait aussi soulevé la colère des citoyens et de nombreux élus, face à des bénéfices écologiques paraissant pour le moins abstraits.

Finalement, une requête en annulation du projet avait été déposée au tribunal administratif de Poitiers par l'association et par la propriétaire du moulin du Roy, à Montreuil-Bonnin. Les juges viennent de donner raison aux plaignants. Parmi les points relevés :

  • les travaux à entreprendre ne sont pas détaillés assez précisément,
  • l'intérêt général est insufisamment caractérisé,
  • des opérations d'archéologie préventive auraient dû être prescrites sur certains sites,
  • la dérivation du moulin du Roy aurait dû faire l'objet d'une déclaration d'utilité publique,
  • les travaux dans le marais de Ragouillis sont incompatibles avec le plan local d'urbanisme,
  • plusieurs prescriptions fixées par le code de l'environnement ont été ignorées.

Comme souvent lorsqu'un dossier va en justice, on s'aperçoit que des obligations procédurales sont négligées par les syndicats et la préfecture... bien qu'ils prétendent évidement à la parfaite qualité de leur projet et au caractère rétrograde de ceux qui le contestent.

En dépit des innombrables conflits et protestations observés depuis 2009 comme de l'absence du moindre retour scientifiquement validé sur l'évolution globale de la biodiversité aquatique, un certain nombre de falsificateurs persistent à affirmer que la continuité écologique serait une franche réussite et qu'elle rencontrerait un large assentiment chez les propriétaires et riverains. Sur la Boivre, démonstration est faite qu'il n'en est rien pour ce qui est de la qualité de la gouvernance et de la rigueur du projet.

A lire : article dans la Nouvelle République

Pour vous défendre
Vade-mecum de l'association pour garantir le respect du droit lors des effacements d'ouvrages en rivière

19/02/2017

Pont-Audemer: l'Agence de l'eau Seine-Normandie fait-elle pression pour fermer une centrale hydro-électrique en production?

Le gouvernement, les parlementaires et les territoires sont mobilisés pour la transition énergétique bas-carbone, y compris d'origine hydraulique comme l'a montré le vote récent d'une loi pour protéger et valoriser les ouvrages en rivière. Mais l'administration en charge de l'eau suit-elle le mouvement? Un média en ligne nous apprend que l'Agence de l'eau Seine-Normandie serait prête à financer une opération visant à la fermeture d'une centrale hydro-électrique à Pont-Audemer (Eure), avec arrêt de la production pour rendre un barrage franchissable aux poissons. Certains évoquent une dépense d'argent public de l'ordre d'un million d'euros, sans compter le manque à gagner lié à la disparition de l'activité et le futur chantier. Cela alors qu'un industriel était disposé à reprendre le site. Ces informations sont-elles exactes? Comment justifier ces choix? Où peut-on lire l'analyse coût-bénéfice complète de cette opération appelée à être payée par les citoyens? Pourquoi ne pas concilier continuité écologique, énergie propre et activité économique, ce qui est le souhait massivement exprimé par les députés et sénateurs? L'Agence de l'eau Seine-Normandie doit garantir toute la transparence sur cette affaire. Nous vous communiquons les coordonnées des députés et sénateurs de l'Eure à cette fin. Merci de les interpeller: la vigilance citoyenne sera le seul moyen de clarifier les éventuels décalages entre arbitrages administratifs et choix démocratiques. 



La centrale de la Madeleine est la propriété de la société d'économie mixte Gédia. Elle est alimentée par un ouvrage autorisé, que l'Agence de l'eau Seine-Normandie souhaite néanmoins voir disparaître. Un industriel (Spepa) exploitant déjà des ouvrages dans la région s'est dit intéressé par la reprise de cette centrale, parfaitement fonctionnelle, et par la mise en conformité du barrage (passe à poisson). La centrale produirait 1,5 GWh à l’année pour 110 000 € de chiffre d’affaires. C'est la plus puissante du bassin, qui en comporte d'autres en activité. Rappelons que l'énergie hydraulique est une énergie locale très bas-carbone, en particulier quand les installations existent (pas de coût carbone de chantier).

Selon les informations données par Paris-Normandie, l'industriel aurait été écarté au profit d'un montage entre la mairie de Pont-Audemer et l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Il proteste : "Quand j’ai entendu parler de cette vente, j’ai fait une offre de 1,20 M€ pour conserver l’activité. Quand la mairie de Pont-Audemer a été au courant, une offre supérieure de 50 000 € à la mienne a été formulée par la commune. Elle est entièrement financée par de l’argent public, les subventions de l’Agence de l’eau, bref, l’argent de nos impôts".

Déclaration d'André Berne, directeur territorial Seine Aval à l'Agence de l'eau: "La Risle a un potentiel extraordinaire en termes de poissons migrateurs. Sauf qu’un barrage fait encore obstacle à leur circulation. Comme le précédent propriétaire ne pouvait pas l’équiper d’une passe à poissons, qui était obligatoire, le choix fait par la collectivité a été celui du rachat et de l’enlèvement de l’ouvrage. Il s’agit d’une obligation réglementaire (...) Certes, cette énergie renouvelable n’émettait pas de CO2 mais il s’agit d’une toute petite centrale. Sa perte est un inconvénient mais nous allons améliorer la Risle de façon considérable."

Déclaration de Michel Leroux, maire de Pont-Audemer : "Ce rachat a été effectué en partenariat avec l’Agence de l’eau pour débloquer ce point de la Risle. Actuellement, il bloque l’accès de la totalité du bassin de la Risle aux poissons migrateurs mais aussi ses affluents : la Tourville, la Véronne, la Charentonne... En aval de ce barrage, l’espace de reproduction est surpeuplé (…) je trouve scandaleux que le privé ait gardé ce qui pouvait rapporter, les turbines, tout en redonnant au public, à la mairie, ce qui ne rapportait rien : les barrages. Sans doute y a-t-il besoin de retrouver des équilibres dans tout cela…"

Assez de belles paroles, de la clarté sur les faits et les chiffres !
Pour éclaircir cette situation qui paraît opaque, nous appelons donc nos lecteurs à saisir les élus de l'Eure, afin d'exiger la pleine transparence sur :
  • le coût du rachat de la centrale et le montage,
  • le coût lié à la cessation d'activité,
  • le coût lié à l'aménagement du barrage à fin de continuité,
  • le bilan carbone du projet,
  • l'estimation exacte du potentiel piscicole du chantier (sur le linéaire libéré entre ce barrage et le prochain barrage amont infranchissable, puisqu'en matière de continuité les coûts s'accumulent sur chaque ouvrage et un chantier ne libère qu'un tronçon, pas une rivière entière)
  • l'analyse coût-bénéfice de la solution retenue, en comparaison d'une solution alternative de passe avec maintien de la centrale.
Et en complément, il serait opportun d'obtenir de l'Agence de l'eau :
  • les sommes déjà dépensées pour les ouvrages hydrauliques du bassin de la Risle,
  • le nombre total d'ouvrages du bassin encore à aménager,
  • l'estimation du coût global de rétablissement de la continuité sur ce secteur (chantiers achevés et chantiers à venir).
Les belles paroles sur les potentiels extraordinaires nous intéressent nettement moins que des faits et des chiffres offerts au débat public en toute clarté et toute honnêteté.

Merci d'avance de prendre quelques minutes pour écrire aux parlementaires:
Lien pour écrire aux députés de l'Eure (aller au département et consulter l'adresse électronique)
Lien pour écrire aux sénateurs de l'Eure (aller au département et consulter l'adresse électronique)

Les élections approchent : les citoyens sont en ce moment intéressés par la capacité des élus à sortir de certains jeux de pouvoir et de la langue de bois qui les accompagne parfois, ainsi qu'à apporter les réponses au souci démocratique du bon usage de l'argent public.

Vous pouvez également écrire à la direction de l'AESN Seine-Aval. Dans le cadre du droit d'accès aux informations relatives à l'environnement, notre association va requérir les pièces complètes du dossier.

Nota : il se trouve que M. Ladislas Poniatowski, sénateur de l'Eure, siégeait à la commission mixte paritaire et a pris une part active dans le vote de l'article 3bis de la loi d'autonconsommation énergétique, incitant à préserver les ouvrages. Il sera certainement intéressé, comme les autres parlementaires, par les explications sur une dépense d'argent public éventuellement destinée à fermer une centrale hydro-électrique en production.

A savoir : en Bourgogne, la même Agence de l'eau Seine-Normandie a également exercé des pressions pour faire arrêter la production d'un moulin en autoconsommation sur le Cousin (Yonne), alors que le site n'est pas raccordé au réseau. De la tête à l'exutoire du bassin versant, une politique de pression en vue de détruire préférentiellement certaines catégories d'ouvrages serait-elle à l'oeuvre? Pourquoi l'Agence propose-t-elle 0% de subvention pour les passes à poissons ou rivières de contournement lorsqu'il a été montré qu'une destruction est "techniquement possible"? Cette politique très orientée et très variable de subvention respecte-t-elle l'égalité des citoyens devant les charges nées de l'exécution de la loi? L'association Hydrauxois a déjà prévenu les représentants de l'Agence : tous nos adhérents contraints à un chantier de continuité feront une demande écrite de subvention et tout refus de l'Agence fera l'objet d'un contentieux. Nous incitons nos consoeurs du bassin à faire de même, avec copie à leurs parlementaires.

Sur le même thème (autre rivière normande)
Touques : comment le lobby de la pêche à la mouche a survendu les bénéfices de la continuité écologique

17/02/2017

Protection des moulins: les parlementaires ont été très clairs... l'administration devra l'être aussi!

Nous publions ci-dessous les extraits des débats parlementaires lors du vote de la loi sur l'autoconsommation énergétique portant exemption de continuité écologique en liste 2. Les élus de tous les groupes sont clairs et consensuels dans leur motivation: ils veulent la protection et la valorisation, et non plus la destruction, des ouvrages hydrauliques anciens, produisant ou ayant un potentiel de production. Sous réserve d'un recours en annulation de la loi, l'administration doit maintenant respecter la volonté générale exprimée par les élus. Ce qui signifie : la Direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'Environnement doit intégrer la protection des moulins dans des textes d'application non ambiguës, sans chercher à multiplier les exceptions, les complications, les interprétations douteuses visant à réveiller la guerre avec les riverains ; les Agences de l'eau ne doivent plus donner priorité aux effacements quand ils concernent ce patrimoine hydraulique, donc financer d'autres solutions de continuité si nécessaire et travailler avec les comités de bassin pour redéfinir une doctrine programmatique en direction des ouvrages et de l'hydro-électricité ; les DDT(-M) doivent informer les propriétaires concernés de l'évolution de la loi et envisager avec eux les conditions réglementaires d'une reprise de la production; les établissement publics intercommunaux ou de bassins versants (syndicats, parcs) doivent intégrer cette perspective de valorisation dans leurs programmes de gestion et dans l'information du public. Nous avons déjà subi une grave dérive d'interprétation de la loi sur l'eau de 2006, ayant obligé à de multiples corrections législatives depuis un an. Nous n'accepterions pas qu'une nouvelle fois l'administration en charge de l'eau persiste dans une interprétation dévoyée de la continuité écologique, au mépris de la volonté si clairement affichée par les représentants élus des citoyens. 


Sénat
La source de ces extraits est ici.

Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat  - Je me félicite du travail mené par le Sénat, en particulier sur les moulins, qui sont au coeur de l'identité rurale française. Le Sénat, très attaché à la préservation de ce patrimoine, a su concilier les intérêts en jeu. J'attribuerai prochainement le résultat de l'appel d'offres petit électrique avec un lot spécialement réservé aux anciens moulins.

M. Jean-Claude Requier (groupe RDSE) - Enfin, la question des anciens moulins à eau : le Sénat est allé plus loin que la loi Montagne pour les préserver. La CMP a clarifié le dispositif. Nous sommes satisfaits ; le groupe RDSE approuve à l'unanimité les conclusions de la CMP.

Mme Anne-Catherine Loisier (groupe UDI-UC) - La CMP a aussi traité la question des moulins à eau, à la satisfaction de tous, pêcheurs comme associations de sauvegarde du patrimoine : elle a assouplit la règle de continuité écologique pour les moulins sur des cours d'eau classés en liste 2. Plusieurs milliers de petits ouvrages appartenant à notre patrimoine historique seront ainsi préservés qui, équipés, pourraient produire une puissance cumulée de près de 300 mégawatts. Il conviendrait néanmoins de clarifier la situation des moulins situés sur les cours d'eau classés dans la liste 1, ceux-ci ne présentant pas toujours une qualité ou un intérêt écologique qui mérite leur classement et une protection administrative accrue. On peut également s'interroger sur l'intérêt d'intégrer à cette liste des cours d'eau considérés comme réservoirs biologiques dont la définition est appliquée par l'administration de manière très extensive. À quand une révision de cette liste 1 ? Nous optimiserions le potentiel de ces moulins qui ont une utilité socio-économique tout en répondant aux défis écologiques. Le groupe UDI-UC, très attaché aux énergies renouvelables, votera naturellement en faveur de ce texte. 

M. Hervé Poher (groupe écologiste) -  L'article 3 bis était indispensable, incontournable, inévitable. Ayant longtemps fréquenté une agence de l'eau, j'ai connu des gens qui se battaient contre les moulins (Sourires) et d'autres, plus nombreux, qui les défendaient. Leurs arguments s'équilibraient... Le texte s'inscrit dans le prolongement naturel de la loi pour la transition énergétique. Le groupe écologiste votera pour.

Mme Delphine Bataille (groupe socialiste et républicain) - Je ne reviens pas sur le régime des moulins à eau, consensuel, qui concilie biodiversité, souci patrimonial et développement de la micro-hydroélectricité. (…) On ne peut qu'adhérer à ce texte qui marque des avancées sur le chemin de la transition énergétique. 

M. Daniel Chasseing (groupe Les Républicains) - Je suis bien sûr très favorable à ce projet de loi qui soutient l'autoconsommation, qui est favorable à la ruralité et qui crée un système énergétique mixte. Le Sénat avait voté un amendement sur les moulins contre l'avis du Gouvernement et du rapporteur. Depuis, le rapporteur a beaucoup travaillé et a fait adopter sa rédaction par la commission mixte paritaire. Des milliers de moulins, pour un potentiel de plus de 280 mégawatts (…) seront ainsi conservés. Ils subissaient l'hostilité -le mot est peut-être fort- de l'administration. Tous les moulins équipés pourront ainsi produire de la micro-électricité. 

M. Bruno Sido (groupe Les Républicains) - À mon tour de me féliciter de la préservation de milliers de petits moulins. À l'heure où l'on s'interroge sur l'application des lois, je m'étonne toutefois qu'il ait fallu réaffirmer qu'ils n'étaient pas un obstacle à la continuité écologique : nous l'avions déjà voté dans de précédents textes, notamment la loi sur l'eau.

Assemblée nationale
La source de ces extraits est ici.

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission mixte paritaire - Seule une disposition, adoptée au Sénat, ne faisait pas consensus à l’Assemblée nationale. La commission mixte paritaire a permis de trouver un accord – c’est sa raison d’être – dans l’article 3 bis du projet de loi. La disposition initiale du Sénat permettait aux moulins produisant de l’électricité de s’affranchir de toute règle administrative, ce qui remettait en cause le maintien de la continuité écologique et la défense de la biodiversité. Nous avons donc adopté, en commission mixte paritaire, une mesure limitant la dispense de règle aux moulins situés sur certains cours d’eaux. Il est en effet nécessaire de continuer à imposer des règles administratives aux moulins situés sur les cours d’eau présentant une qualité écologique et une richesse biologique particulièrement importantes.

M. Patrice Carvalho (Gauche démocrate et républicaine) - Nous nous réjouissons également du vote, au Sénat, d’une disposition sur les anciens moulins à eau situés en milieu rural, qui lève concrètement l’obligation de construire des passes à poissons. C’est une mesure de bon sens, qui, sans réellement nuire aux continuités écologiques, épargnera aux propriétaires des coûts exorbitants. On s’apprêtait à faire disparaître de petites surélévations, de quelques dizaines de centimètres, existant depuis trois siècles, et avec elles la biodiversité qui s’y était installée. Pour nous, il est primordial de préserver ces éléments essentiels de notre patrimoine culturel, plutôt que de les faire disparaître ou de les effacer, comme le souhaite l’administration.

M. Romain Colas (Socialiste, écologiste et républicain) - Le seul vrai problème résidait dans l’article 3 bis, relatif aux moulins à eau, qui vient encore d’être évoqué par notre collègue Carvalho. Mais, là encore, les parlementaires se sont entendus pour trouver un équilibre entre le développement de la micro-électricité et la continuité écologique des cours d’eau. L’élaboration de ce texte a été en tout point exemplaire.

M. Pascal Thévenot (Les Républicains) - Seul l’article 3 bis a donné lieu à un débat approfondi. Adopté au Sénat, cet article supprimait l’obligation de classement des moulins à eau. Les pêcheurs, notamment, ont fait part de leurs préoccupations quant aux conséquences de la suppression de toute réglementation. La CMP a entendu ces inquiétudes et est parvenue à une rédaction consensuelle. Ainsi, le champ d’application du texte voté par le Sénat est-il limité aux moulins situés sur des cours d’eau classés en liste 2, aux termes de l’article L. 214-17 du code de l’environnement. Les moulins situés sur les autres cours d’eau continueront d’être réglementés pour le maintien de la continuité écologique et la défense de la biodiversité.

16/02/2017

Pêcheurs : libérez-vous de vos oligarques !

La récente évolution de la réforme de continuité écologique, comme les précédentes, a été accompagnée par un intense lobbying de la pêche pour tenter de l'empêcher. Sans succès, le consensus politique en faveur de la préservation des moulins à eau est désormais massif. Les représentants officiels de la pêche, séduits par certaines sirènes intégristes des rivières sauvages, donnent une bien mauvaise image de leur loisir en persistant à promouvoir la casse, à dénigrer le patrimoine ou l'énergie, à se montrer agressifs envers d'autres usages de l'eau que le leur, à défendre finalement les positions les plus dogmatiques. Nombre de sociétés locales de pêche s'en désolent. Nous les appelons à saisir leurs fédérations départementales ou nationale, et à faire évoluer le discours de la pêche vers des positions moins intolérantes. Nous avons un avenir commun sur nos rivières, mais il sera fondé sur le respect mutuel.


Dans son intervention au Sénat le 15 février 2017, évoquant la nécessité de concilier des visions et des intérêts divergents, Mme Ségolène Royal a parlé des "préoccupations des pêcheurs" et non pas des "enjeux de la continuité écologique". Ce glissement lexical est révélateur. La continuité écologique a été portée avant tout par le lobby de la pêche, les élus sont les premiers à le savoir.

De fait, quatre représentants de la pêche et un représentant d'ERN-SOS Loire vivante (animateur du lobby Rivières sauvages) ont écrit au président du Sénat pour lui demander de ne pas adopter l'article 3bis de la loi sur l'autoconsommation énergétique. Le texte de ce courrier peut être consulté à ce lien

Ce courrier contient tous les poncifs du genre : développer des sources modestes d'énergie ne sert à rien (beau message en période de transition énergétique), les signataires seraient les seuls défenseurs de l'intérêt général (malgré l'écrasant consensus des parlementaires pour valoriser le patrimoine hydraulique comme atout des territoires), la réforme de continuité écologique se passerait formidablement bien (malgré les preuves accumulées du contraire depuis 5 ans), casser les ouvrages à la pelleteuse ou construire de coûteuses passes à poissons créerait forcément de la valeur et de la réussite (malgré l'absence généralisée d'analyse coût-bénéfice et d'évaluation en services rendus par les écosystèmes, et des retours critiques d'universitaires ayant étudié des cas concrets), etc.

Cette démarche illustre une réalité : la fédération nationale de pêche (FNPF) et une partie de ses fédérations départementales sont engagées dans une vision agressive, militante, biaisée de la continuité écologique. Leur objectif prioritaire est de détruire les ouvrages hydrauliques. Ils n'ont jamais exprimé le moindre intérêt pour la protection du patrimoine historique des rivières ou la promotion de l'énergie hydraulique au fil de l'eau. Ils n'ont jamais dit clairement que la casse des ouvrages, des retenues et des cadres de vie devait être abandonnée dès qu'elle rencontre une opposition des riverains concernés. Ils ont accompagné les plus modestes corrections de la réforme de continuité écologique par des communiqués tour à tour plaintifs et vindicatifs.

Ces instances officielles de la pêche ne veulent pas la concertation, mais la coercition ; elles ne veulent pas le dialogue, mais le monopole sur l'appréciation des enjeux ichtyologiques, voire écologiques (malgré des méthodologies douteuses) ; elles ne veulent pas une "gestion équilibrée et durable" de l'eau dans les conditions prévues par l'article L 211-1 de notre code de l'environnement, c'est-à-dire dans le respect des héritages et des usages attachés à la rivière, mais le sacrifice de tous les usages qu'elles estiment contraires à leurs propres intérêts, à leurs propres convictions, à leurs propres préjugés.


Cette dérive de la pêche est le fait de ses instances, nullement de sa base.

Il se vend 1,5 million de cartes de pêche en France chaque année, les adeptes de ce loisir populaire sont très loin d'être des enragés de la continuité écologique. Bien au contraire, les fédérations gèrent tout un patrimoine de plans d'eau artificiels (étangs, lacs) créés par des ouvrages hydrauliques. Les pêcheurs de "blancs" (cyprins) apprécient particulièrement les retenues de moulins et usines à eau. De nombreuses associations locales de pêche se désolent de la destruction des ouvrages hydrauliques qui menace parfois leur existence même en faisant disparaître les meilleurs coins (des exemples dans l'actualité sur la Moselle à Saint-Amé et à Bussang, sur l'Armançon, sur l'Yon).

Les plus lucides des pêcheurs observent sans grande difficulté que la pollution des eaux et des sédiments comme la baisse tendancielle de leur niveau forment les causes les plus évidentes de la raréfaction des poissons. Nombre d'anciens témoignent de leur abondance passée et ont vu de leurs yeux le déclin à partir de 30 glorieuses, comme sur ces rivières comtoises vidées en quelques décennies. La faute aux moulins déjà là depuis des siècles? Allons donc, quelques idéologues y croient ou feignent d'y croire, mais ce discours fumeux ne convainc personne. Il y a bien évidemment des cours d'eau à fort enjeu migrateur amphihalin, comme les fleuves côtiers. Il y a des défis reconnus et partagés comme le sauvetage de la souche unique du saumon Loire-Allier et de sa migration de 1000 km dans les terres. Il reste que sur l'immense majorité des rivières, la petite hydraulique n'est pas la cause de la raréfaction des poissons depuis quelques décennies et, pour certains assemblages pisciaires, les retenues et les biefs ont au contraire des effets positifs.

En raison des dérives des oligarques qui prétendent les représenter, ces pêcheurs sont aujourd'hui assimilés malgré eux à des casseurs. Ils s'en plaignent, et cela se comprend.

Mais il faut voir la réalité : tant que les instances de la pêche n'appelleront pas à développer une vision constructive de la continuité écologique, tant que ces instances se laisseront dériver vers les délires intégristes de la "rivière sauvage", tant que l'image sera donnée de certaines personnes prêtes à tout sacrifier pour avoir un peu plus de truites ou de saumons, cette assimilation des pêcheurs à des casseurs continuera. Et elle prendra même de l'ampleur.


Outre l'image négative de la casse, les pêcheurs doivent supporter celle de la dilapidation d'argent public en temps de crise. Les sommes de la continuité écologique ne sont pas anodines, surtout pas dans des territoires ruraux appauvris où l'argent manque pour tout. A notre connaissance, la pêche elle-même manque chroniquement de moyens pour les garderies, l'entretien des parcours et des berges, le suivi qualitatif des peuplements de poissons, l'évolution vers une gestion patrimoniale, l'animation en direction des jeunes et d'autres activités autrement plus légitimes que la propagande en faveur de la destruction du patrimoine, voire la maîtrise d'ouvrage de cette destruction.

Les pêcheurs sont aujourd'hui à la croisée des chemins. Leurs instances ont fait le pari d'une version maximaliste de la continuité écologique : c'est un échec, malgré le soutien d'une partie de l'administration de l'eau en faveur de cette orientation si peu consensuelle. Sortir de cette impasse impose de reconnaître clairement la légitimité de la petite hydraulique et de chercher ensemble des solutions constructives pour l'amélioration des populations piscicoles.