01/03/2017

Cartographie des cours d'eau: qui a intérêt à entretenir le flou?

Le magazine Reporterre a consacré un long article à la cartographie des cours d'eau, présentée de manière assez univoque et tendancieuse comme une stratégie des agriculteurs pour avoir le droit de polluer librement. En fait, cette cartographie est la fille naturelle de la complexité et de la sévérité réglementaires dans le domaine de l'eau: sur tout sujet (pas seulement l'environnement), plus on élargit le champ du contrôle par les règles administratives, plus on soulève des problèmes d'exécution ou d'interprétation, plus on doit re-préciser le détail des règles ou de leurs exceptions. Bienvenue dans le monde merveilleux des bureaucraties où les codes doublent de volume tous les dix ans ! Davantage que la pollution, la question de la cartographie a été liée au curage, à l'entretien et au risque inondation, avec des conflits autour de la distinction fossé-cours d'eau et de l'intermittence de l'écoulement. Il y a plus de 500.000 km de rûs, ruisseaux, rivières et fleuves en France, la plupart en territoires ruraux avec un dense chevelu de tête de bassin, cela sans compter les fossés, drains et autres ravines. Donc ceux qui jettent la pierre aux agriculteurs sont les bienvenus pour proposer une solution économiquement viable d'entretien de cet immense réseau, et une solution juridiquement responsable quand un problème survient en cas de défaillance de cet entretien. Les têtes de bassin sont des lieux qui peuvent être riches en biodiversité. Leur préservation morphologique et chimique est donc d'intérêt sur le principe, mais ce sont également des surfaces considérables, représentant un vrai problème de réalisme dans leur gestion.  


Le magazine Reporterre publie un article en deux volets (ici et ici) sur la cartographie des cours d'eau. Cette démarche est présentée comme une action de la FNSEA visant à "en faire déclasser le maximum" et à "échapper aux règles sur la lutte contre la pollution". Par ailleurs, des associations environnementalistes se plaignent de ne pas avoir été entendues en Préfecture. Si c'est le cas, elles ont bien entendu raison de s'en plaindre. Et elles ne sont pas seules, puisque les associations de moulin n'ont pas été spontanément invitées par les préfectures à la concertation, alors qu'elles sont concernées par le statut des canaux et biefs. Le dialogue environnemental est comme toujours restreint: pas assez de moyens et de personnels en rapport à l'abondance des normes adoptées, des objectifs ambitieux et souvent irréalistes fixés par les politiques, il faut donc aller vite au lieu de prendre le temps d'argumenter, exposer ses accords ou désaccords, chercher des solutions raisonnables.

Le magazine écrit à propos de la définition des cours d'eau : "La fameuse instruction du 3 juin 2015 retient trois critères cumulatifs : la présence et permanence d’un lit naturel à l’origine, un débit suffisant une majeure partie de l’année, et l’alimentation par une source. Une définition « très restrictive », selon nombre d’experts, mais qui figure désormais dans la loi biodiversité. À la demande de la FNSEA : «Nous voulions que les choses soient claires, et cet article de la loi n’a presque pas été retouché : il y a eu un consensus», indique M. Thirouin. C’est donc sur ces critères désormais officiels que s’appuient les chambres d’agriculture et nombre de DDT."

Ce propos de Reporterre est inexact. Ce n'est pas la FNSEA ni la circulaire de 2015 qui a inventé ces critères repris dans la loi biodiversité, mais le Conseil d'Etat dans son arrêt du 21 octobre 2011. Que l'administration suive la décision de la plus haute cour de justice administrative paraît assez logique : l'aurait-elle ignorée que les contentieux auraient fleuri et auraient de toute façon été perdus par l'Etat (ou des ONG environnementalistes) si l'écoulement concerné n'avait pas les attributs posés par cette jurisprudence récente. De surcroît, on ne sait pas qui sont au juste les nombreux "experts" jugeant que la définition d'un cours d'eau naturel par une source, un écoulement et une origine non humaine serait quelque chose de particulièrement restrictif. Une expertise est légitime quand elle est définie et argumentée ; ici, on se demande ce qui manque au droit comme attribut essentiel d'un cours d'eau. Cela peut difficilement être la présence du vivant, car un grand nombre de milieux artificiels (ornières, fossés routiers, bassins de rétention et décantation, etc.) sont colonisés par des espèces opportunistes, ce qui n'amène pas à demander pour autant des protections particulières.

Mais surtout, l'article de Reporterre ne donne pas l'ensemble de l'arrière-plan de cette cartographie :

  • le renforcement des dispositions réglementaires depuis les lois de 1992, 2004, 2006 sur l'eau a rendu de plus en plus complexe la moindre intervention en rivière, pour laquelle il faut déposer soit une déclaration motivée soit une demande d'autorisation en préfecture (régime IOTA, installations, ouvrages, travaux et activités),
  • beaucoup d'agriculteurs estiment qu'ils n'ont pas la possibilité de suivre de telles complications procédurières alors que le curage des fossés et des rûs obéit généralement à des logiques d'urgences (risque inondation d'un chemin, d'une route, d'une propriété par des dépôts d'embâcles et atterrissements) ou à des effets d'opportunités (curage ou faucardage réalisé quand on a le temps et la machine à disposition, sans planifier à l'avance ni attendre qu'un agent de l'AFB-Onema vienne examiner la faune et la flore pour donner son avis),
  • les choses se sont localement envenimées quand des agriculteurs (ou des maires) et des agents de l'Etat se sont trouvés en désaccord sur la définition d'un fossé (intervention libre) ou d'un cours d'eau (intervention a minima déclarée, parfois avec dossier complet d'autorisation). Il y a eu des procès – certes rares, mais avec un fort retentissement local – et de manière générale une accentuation des contrôles et des antagonismes (exemples à Sainte-Florence, Laprade, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Salency, etc.),
  • ces distinctions entre fossé et cours d'eau ne sont donc pas toujours claires, de même que les distinctions entre actions en cours d'eau appelant précaution particulière et celles qui sont moins problématiques (voir cette fiche de l'Onema aujourd'hui AFB, d'où il ressort qu'avant d'agir il faudrait vérifier à chaque fois si des poissons ou des amphibiens ne sont pas présents, si un dépôt de 20 cm n'est pas créé car ce serait un obstacle à la continuité, si enlever un atterrissement relève ou non d'une modification du gabarit du lit, etc.)
  • par ailleurs et en tête de bassin versant, les naissances de petits cours d'eau se confondent parfois avec des zones humides aux frontières mal définies, et au regard de la tendance actuelle à imposer de fortes contraintes sur certains types de milieux, les propriétaires n'ont nulle envie de se retrouver du jour au lendemain en responsabilité d'un conservatoire d'espace naturel intouchable (surtout sans compensation pour les contraintes créées).


Aujourd'hui, un moyen d'échapper à ces incertitudes, complications et sources de conflit est donc la solution du classement en "cours d'eau" et "non cours d'eau". Ce qui peut paraître radical ou simpliste, mais il faut cependant rappeler plusieurs choses :
  • cours d'eau ou non cours d'eau ne sont pas pour le moment des catégories à valeur réglementaire opposable, simplement des indications de la manière dont l'administration instruira a priori des dossiers (la nuance est cependant un peu hypocrite, un adhérent de notre association est par exemple en pré-contentieux pour un étang qui est alimenté par un soi-disant cours d'eau devenu bel et bien opposable, écoulement pour lequel il faudrait faire de la continuité écologique malgré l'assec 6 mois dans l'année et l'absence manifeste de migrateurs)
  • le processus est itératif et les catégories sont réputées révisables, donc l'Etat n'a pas fermé la porte à une concertation dans le temps
  • on ne sait pas au juste (l'article de Reporterre n'apporte aucune précision factuelle validée) combien de présumés cours d'eau auraient été déclassés comme non cours d'eau. On croit comprendre que certains voudraient tout classer et tout contrôler, d'autre rien classer et rien contrôler, ce qui laisse probablement une marge de manoeuvre entre les deux pour chercher un juste milieu. A condition d'y être disposé et de ne pas refuser d'avance toute concession au nom de postures intégristes...
Les chevelus de tête de bassin sont des lieux qui peuvent être riches en biodiversité. Leur préservation morphologique et chimique est donc d'intérêt sur le principe, l'analyse motivée au cas par cas des potentialités biologiques étant cependant nécessaire. Mais ce sont également des surfaces considérables et cela représente donc un vrai problème.

Une solution cohérente pourrait être que l'Etat (ou une collectivité territoriale ou des associations à agrément public) décide de protéger ces espaces, de faire l'acquisition du foncier agricole / forestier nécessaire et d'en assumer la gestion conformément au souhait de haute qualité environnementale. Mais ce serait évidemment un gigantesque coût économique vu le nombre d'écoulements concernés, et une source inépuisable de contentieux dès que des écoulements débordent chez les riverains pour cause de non-entretien. Il apparaît que des zonages de protection comme les Natura 2000 ont déjà une gestion très défaillante (voir cet article), cela rend assez peu crédible l'hypothèse d'une soudaine avalanche de moyens humains et financiers pour faire les choses correctement et durablement en sanctuarisant la gestion des têtes de bassin. On est donc finalement assez soulagé que cette gestion revienne aux propriétaires privés, le plus souvent agriculteurs ou forestiers. Mais dans ce cas, on ne voit guère comment on échapperait à la demande des principaux intéressés: une définition précise de ce qu'est un cours d'eau et ce qui ne l'est pas, de ce qui est autorisé et non autorisé, afin de ne plus subir l'incertitude réglementaire et le risque judiciaire.

Illustrations : en haut, quoique réduit à des flaques éparses, cet écoulement de bas de thalweg à Montigny (21) est considéré comme un cours d'eau par la préfecture, qui réclame à un propriétaire d'étang de quelques centaines d'ares en aval d'assurer la continuité écologique et le débit minimum biologique à toute saison. La cartographie est née de ce genre de demandes absurdes ou disproportionnées. Ci-dessous, modélisation d'un chevelu de tête de bassin (source Territ'eau - Agro-transfert Bretagne, droits réservés).

28/02/2017

Dérives sur la Dives: des pompes électriques pour des biefs transformés en marigots

La revue associative Le Pays d'Auge publie un témoignage sur la destruction du patrimoine hydraulique de la Dives. Avec la Sée, l'Andelle ou encore la Sélune, ce petit côtier normand fait partie des cibles privilégiées du lobby pêcheur associé aux bureaucraties engagées dans la casse des ouvrages. Extraits de ce récit qui reflète bien la pression subie par les propriétaires et riverains sur toutes les rivières classées au titre de la continuité écologique. Une pression désormais insupportable...



La DCE invoquée par le bureau d'études -  Dans son étude pour la restauration de la continuité écologique sur la Dives, le cabinet ARTELIA écrivait en introduction : «C’est ainsi qu’aujourd’hui 17 sites hydrauliques sont présents sur la Dives dans le département du Calvados. L’ensemble de ces sites est à l’origine soit de blocages sédimentaires, soit de blocages piscicoles, soit des deux. La Directive Cadre sur l’Eau européenne impose à l’ensemble de ses Etats membres d’atteindre le bon état écologique d’ici 2015. Ce bon état écologique concerne différents paramètres tels que les paramètres chimiques et physico-chimiques, mais il fait également référence à la continuité écologique qui consiste en le libre transit sédimentaire et la libre circulation piscicole.»

Rollon a-t-il vu des saumons? - Et si promouvoir la remontée des poissons migrateurs n’a rien de choquant, est-ce nécessaire là où leur présence n’a jamais été attestée ? Sait-on seulement si Rollon, chef viking, a vu un saumon à Saint-Pierre-sur-Dives en 911? La consternation des propriétaires d’ouvrages ou de riverains est forte quand ils découvrent les conséquences sur le niveau de l’eau et surtout le coût des travaux réalisés en cette période de disette budgétaire. On peut douter que le coût et l’efficacité de la politique d’arasement soient à la hauteur des attentes en matière d’amélioration de la qualité de l’eau.

Paysage saccagé ? Dégât collatéral inévitable - Le Président du syndicat mixte du bassin de la Dives a eu l’occasion de déclarer : «C’est bon pour l’écologie et la qualité de l’eau mais ce n’est pas sans impact sur le paysage car les niveaux d’eaux sont très sensiblement abaissés ! Pour des propriétaires habitués à voir leur moulin se refléter dans l’eau, le choc est grand.» Les conséquences pour les riverains sont ainsi présentées comme un dégât collatéral inévitable. Le rapport d’un commissaire enquêteur, lors d’une enquête publique dans une région voisine, va dans le même sens. Les remarques de riverains regrettant l’écoulement paisible et les larges retenues d’eau de leur rivière sont réfutées au motif que la conception que chacun a du paysage est subjective.

Promesse de concertation non tenue de la préfecture - Les travaux sont saucissonnés par ouvrage. Qu’en est-il de la vision d’ensemble et de la nécessaire obligation d’information ? Et pourtant, dans une lettre du 19 janvier 2015, la préfecture du Calvados en réponse aux inquiétudes exprimées par l’Association pour la Sauvegarde de la Dives déclarait : «Cependant, je tiens à vous rassurer sur le fait qu’une fois les travaux de restauration arrêtés, les projets devraient faire l’objet d’une enquête publique dans le cadre de la procédure loi sur l’eau où l’ensemble des acteurs concernés pourront se manifester». A ce jour, aucun riverain n’a été consulté.

Menaces de l'Agence de l'eau, pas de soumission, pas de subvention - On évoque des commissions ou comités de pilotage lointains, sans que l’on sache précisément quel rôle y jouent l’Agence de l’Eau Seine Normandie, les instances régionales au travers de la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du logement), et la DDTM (Direction Départementale des territoires et de la mer). On se garde bien d’y associer des associations de riverains ou des propriétaires d’ouvrage. De fait, l’Agence de l’Eau y joue un rôle primordial par le financement qu’elle accorde directement aux propriétaires (à Thiéville, par exemple). Et pour preuve, les propriétaires qui refuseraient les modalités des travaux envisagés sont menacés de perdre toute possibilité de subvention : la concertation a ses limites. L’eau est un patrimoine commun. Quel contrôle exercent les autorités régionales sur ces relations bilatérales ?

Grotesque compensation, une pompe électrique pour le bief asséché - Le barrage sur la Dives à Crocy a été supprimé, conduisant à l’assèchement des roues du moulin faute d’alimentation par le bief. Mais une pompe électrique a néanmoins été installée dans la Dives pour maintenir un filet d’eau dans le bief transformé en une succession de flaques d’eau croupie. Pourquoi condamner l’alimentation du bief transformé en marigot pour la remplacer par une pompe électrique même d’un débit très réduit ? L’actuel propriétaire du moulin a d’ailleurs fait combler une partie du bief en amont du moulin pour ne pas en subir les nuisances du fait du manque de circulation des eaux stagnantes.

Référence : Serrat J (2017), Principe de restauration de la continuité écologique des rivières quand les « apprentis sorciers » s’en mêlent !, Le Pays d'Auge, 1, 30-32

Illustration : le bief asséché de Crocy, tous droits réservés.

A lire en complément
Pont-Audemer: l'Agence de l'eau Seine-Normandie fait-elle pression pour fermer une centrale hydro-électrique en production?
Non seulement l'Agence de l'eau Seine-Normandie dilapide l'argent public à détruire le patrimoine des moulins et le paysage des plans d'eau, mais elle serait prête à financer la fermeture de centrales hydro-électriques en activité. Qui va stopper les dérives de ces bureaucraties polluées par le dogmatisme, poursuivant un objectif idéologique de plus en plus éloigné de la gestion durable et équilibrée de l'eau telle que la définit la loi française?

27/02/2017

Mauvaise gestion du réseau Natura 2000: le manque de rigueur des politiques environnementales menace leur crédibilité

La Cour des comptes européenne vient de publier un rapport pointant la mauvaise gestion des zones Natura 2000 par les Etats-membres. Au coeur des critiques des magistrats: les politiques de la biodiversité ne fixent pas d'objectifs clairs de conservation et ne mettent pas en place des indicateurs rigoureux de performance, de sorte que l'argent public est dépensé sans certitude sur la nature des bénéfices écologiques et sans progrès des connaissances sur la réponse des milieux aux mesures. Ce problème de sous-information de la programmation publique en écologie est chronique: on préfère multiplier des annonces de mesures plutôt qu'allouer le budget nécessaire à la connaissance sur chacune d'elles, ce qui est moins spectaculaire mais beaucoup plus nécessaire. Cela pose un sérieux problème d'efficacité et de crédibilité des politiques environnementales, comme on l'observe aussi bien dans le domaine de l'eau. 

Les directives européennes "Oiseaux" (2009/147/CE) et "Habitats" (1992/43/CEE) ont institué le réseau Natura 2000, conçu comme "réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation". C'est la pierre angulaire de la stratégie de l'UE en matière de biodiversité. Au total, 230 types d'habitats naturels et près de 1200 espèces animales et végétales bénéficient de cette protection. Concernant le zonage, 46 % du réseau Natura 2000 sont constitués de forêts, 38 % d'agro-écosystèmes, 11 % d'écosystèmes prairiaux, 16 % d'écosystèmes de landes et de fourrés, 11 % de zones humides et d'écosystèmes lacustres. Le réseau comprend également des écosystèmes fluviaux et côtiers.


L'audit de la Cour des comptes européenne visait à répondre à la question suivante: "Le réseau Natura 2000 a-t-il été mis en œuvre de manière appropriée?". Avec trois angles : la gestion, le financement et le suivi.

Nous publions ci-dessous quelques extraits du rapport de la Cour des comptes sur la question du suivi, qui apparaît avec la gestion comme le maillon faible du dispositif. C'est un phénomène que nous observons dans d'autres politiques environnementales, en particulier celle de l'eau : le législateur et l'administration dressent un catalogue de mesures allant dans toutes les directions (greensplashing), mesures auxquelles il manque souvent l'armature préalable d'un diagnostic scientifiquement rigoureux et l'accompagnement d'un suivi sur l'ensemble des paramètres d'intérêt (ceux visés par les mesures, mais aussi d'éventuels effets imprévus et indésirables).

L'écologie a été portée depuis 50 ans par un mouvement d'opinion (ONG, associations) fondé sur le sentiment diffus que la nature s'altère, parfois de manière irrémédiable, que le cadre de vie se dégrade s'il n'intègre pas la qualité de l'air, de l'eau, du sol et de leurs habitants. Mais l'écologie est aussi une science qui doit décrire avec précision les mécanismes d'évolution des milieux. Et quand elle devient une politique de conservation ou de restauration, elle a rapidement des coûts importants au regard desquels le résultat devient une nécessité, pas une option. Si l'on veut que l'environnement reste un objet important de la programmation publique, il faut faire la pédagogie de cette réalité et ré-équilibrer les budgets en faveur de la connaissance (diagnostic, suivi, compréhension) qui en est le parent pauvre par rapport aux immenses besoins de données et de travail sur ces données. Les bonnes intentions et belles déclarations ne suffisent pas à faire des choix efficients pour l'environnement:  ceux-ci se construisent sur des faits, des preuves et des modèles, comme toutes les politiques inspirées par la science.

Extraits de la synthèse de la Cour des comptes européenne :

"Les États membres n'ont pas suffisamment bien géré le réseau Natura 2000. La coordination entre les autorités compétentes, avec les parties prenantes et avec les États membres voisins n'a pas été suffisamment développée. Trop souvent, l'adoption des mesures de conservation nécessaires a été remise à plus tard ou ces mesures n'ont pas été définies de manière appropriée. Dans les États membres visités, l'évaluation des projets ayant une incidence sur les sites Natura 2000 n'a pas été effectuée de manière satisfaisante. Certes, la Commission supervisait activement la mise en œuvre de Natura 2000 par les États membres, mais la diffusion de ses orientations auprès de ces derniers n'a pas été optimale. La Commission a traité de nombreuses plaintes concernant Natura 2000. Dans la plupart des cas, une solution a été trouvée avec les États membres, mais la Commission a également diligenté des procédures d'infraction lorsque cela s'est avéré nécessaire.

Les systèmes utilisés pour assurer le suivi du réseau et établir des rapports le concernant n'étaient pas propres à fournir des informations complètes sur son efficacité, et aucun système d'indicateurs de performance spécifique de l'utilisation des Fonds de l'UE au profit de Natura 2000 n'avait été défini. Il existait des indicateurs au niveau du programme de financement (par exemple le Feader), mais ceux-ci portaient sur des objectifs généraux en matière de biodiversité et visaient davantage les réalisations que les résultats obtenus dans le domaine de la conservation grâce au réseau Natura 2000. Au niveau des sites, des plans de surveillance faisaient souvent défaut dans les documents de gestion des sites et, quand tel n'était pas le cas, les plans n'étaient pas suffisamment détaillés ou n'étaient pas assortis de délais et d'échéances. Les formulaires standard des données, qui contiennent des informations de base sur les caractéristiques des sites, n'ont généralement pas été mis à jour à la suite des activités de surveillance. Les données communiquées par les États membres en vue de l'établissement du rapport périodique de la Commission sur l'état de la nature ont apporté des indications sur les tendances en matière d'état de conservation, mais elles étaient trop souvent incomplètes et leur comparabilité était loin d'être assurée."

Concernant en particulier la question du suivi des indicateurs écologiques, le rapport souligne :

"Les systèmes de suivi et de surveillance ainsi que d'établissement de rapports visent à tenir la Commission et les États membres au courant de l'état d'avancement du réseau Natura 2000 et à fournir une base pour la prise de mesures de gestion appropriées. Plusieurs activités de suivi, de surveillance et d'établissement de rapports sont utiles dans le cadre de la mise en œuvre de Natura 2000. En ce qui concerne les fonds de l'UE, le suivi au niveau du programme devrait fournir des informations sur la mise en œuvre et les axes prioritaires de celui-ci: les indicateurs de performance devraient apporter des données fiables et à jour sur la question de savoir si les mesures de soutien du réseau Natura 2000 produisent les réalisations, les résultats et l'impact escomptés. Au niveau du site, un suivi des mesures de conservation devrait être effectué afin d'évaluer leur efficacité et leurs résultats. (…) 

Aucun système d'indicateurs de performance spécifique du réseau Natura 2000 n'avait été défini (…) n système consolidé pour assurer le suivi des réalisations et résultats liés à Natura 2000 dans le cadre des instruments de financement en gestion partagée au cours de la période de programmation 2007-2013 a fait défaut. En matière d'indicateurs, aucune approche commune aux différents programmes et Fonds n'a été adoptée au niveau des États membres ni à celui de l'UE. Pour la période de programmation 2014-2020 – hormis dans le cas du FEAMP, pour lequel deux indicateurs spécifiques de Natura 2000 ont été définis –, les éventuels indicateurs en rapport avec Natura 2000 seront «noyés» dans les indicateurs relatifs à la biodiversité. De ce fait, assurer le suivi des réalisations et des résultats spécifiquement attribuables au réseau Natura 2000 dans l'ensemble des Fonds comportera des difficultés.

Au niveau national, seuls trois des cinq États membres visités disposaient de plans détaillés pour assurer la surveillance de l'état de conservation de certains habitats naturels et espèces. Or, en France, la mise en œuvre de ces plans était restée incomplète ou avait été différée en raison de son coût élevé. En Roumanie, la seule mesure de surveillance spécifique dont notre audit ait permis d'établir l'existence concernait la population d'ours.

Au niveau des sites, nous avons constaté que des indicateurs, des valeurs cibles et des échéances appropriés faisaient défaut dans les plans de gestion. Cette absence est source de difficultés pour assurer efficacement le suivi de la mise en œuvre des mesures de conservation et s'avère donc préjudiciable à la réalisation des objectifs de conservation. Les plans de gestion présentés par quatre États membres visités comportaient des activités de surveillance, mais celles-ci n'étaient souvent ni suffisamment détaillées (par exemple, les plans ne précisaient pas comment l'impact des mesures envisagées sur les espèces et les habitats visés serait mesuré) ni assorties de délais et d'échéances (par exemple, la fréquence des activités de surveillance n'était pas indiquée)."

Il en résulte une recommandation finale :

"Recommandation n° 3 – Mesurer les résultats obtenus grâce au réseau Natura 2000
En ce qui concerne le système d'indicateurs de performance relatifs aux programmes de financement de l'UE, les États membres devraient, en vue de la prochaine période de programmation (qui débutera en 2021):
a) intégrer, au niveau des différents Fonds, des indicateurs et des valeurs cibles spécifiques de Natura 2000 et faire en sorte de permettre un suivi plus exact et plus précis des résultats obtenus grâce au financement de Natura 2000;
et la Commission devrait, pour la prochaine période de programmation:
b) définir des indicateurs Natura 2000 communs à tous les Fonds de l'UE.
En ce qui concerne les plans de surveillance des habitats, des espèces et des sites, les États membres devraient, d'ici à 2020:
c) pour pouvoir mesurer les résultats des mesures de conservation, élaborer des plans de surveillance au niveau des sites, les mettre en œuvre et actualiser régulièrement les formulaires standard des données."
Référence : Cour des comptes européenne (2017), Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour exploiter pleinement le potentiel du réseau Natura 2000, Rapport spécial n° 1/2017, 77 pages.

26/02/2017

Moulins producteurs et continuité écologique: un courrier-type pour vérifier la position de l'administration sur la nouvelle loi

La loi exemptant les moulins producteurs de mise en conformité à la continuité écologique au titre du classement en liste 2 vient de paraître au Journal officiel, et elle est donc applicable partout en France depuis le 26 février 2017. Il est utile de vérifier l'interprétation des administrations à ce sujet. Voici un courrier-type à envoyer. Vous pouvez nous communiquer copie de la réponse ou la publier sur le Forum de la petite hydro-électricité. Objectifs : faire circuler l'information de manière transparente au lieu de pressions opaques sur des maîtres d'ouvrage isolés; comparer rapidement les attitudes de chaque DDT-M sur le territoire français ; saisir les parlementaires (ainsi que les syndicats, associations et avocats) dans tous les cas où l'administration persiste à ignorer la volonté démocratique de redéfinir l'esprit de la continuité écologique dans un sens plus respectueux des ouvrages hydrauliques et plus incitatif vis-à-vis de leur relance énergétique. 

Les moulins producteurs ou en projet de production d'électricité peuvent envoyer le courrier suivant à l'administration en charge de l'eau. Le courrier, recommandé avec accusé de réception, s'adresse à la direction territoriale des territoires (DDT-M). L'administration dispose d'un délai de deux mois pour vous répondre.
Madame, Monsieur,
Au regard des dispositions nouvelles de l'article L 214-18-1 du code de l'environnement, créées par la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, il est posé depuis le 26 février 2017 (publication au JORF) :
"Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l’électricité, régulièrement installés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l’article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l’autorité administrative mentionnées au même 2°." 
Notre moulin produisant de l'électricité / étant en projet de production d'électricité [supprimer mention inutile], et la rivière étant classée en liste 2, pouvez-vous confirmer que les obligations de continuité écologique telles que prévues par l'article L 214-17 du code de l'environnement, et liées à cette liste 2, ne s'appliquent plus sur le site? Par avance, merci. 
Cette démarche concerne les maîtres d'ouvrage à titre individuel. Pour les associations, nous préparons un autre courrier-type à l'intention des mêmes administrations, courrier reprenant l'ensemble des dispositions votées depuis juillet 2016 et demandant que chaque propriétaire en soit informé de manière claire et complète. Les DDT-M avaient écrit en 2013 à tous les maîtres d'ouvrage pour leur signaler le classement des rivières et les obligations afférentes, il est indispensable qu'elles les informent également, et dans les mêmes conditions, des évolutions récemment apportées à ce classement.

A noter : si votre moulin est non pas producteur, mais en projet de production d'électricité, deux hypothèses. Soit il s'agit d'un simple entretien de machines existantes qui s'étaient par exemple arrêtées le temps de trouver les pièces de rechange, sans aucune autre modification notable du site ni de sa gestion, et cela n'appelle pas de démarches particulières. Soit il s'agit d'un projet réel de remise en service (pose de nouvelles machines, reprofilage du bief, reprise de l'ouvrage répartiteur,  etc.). Dans ce second cas, vous avez désormais obligation de faire une lettre de "porter à connaissance" au préfet en vertu de l'article R 21-18-1 code de l'environnement (ne pas confondre les articles, qui se distinguent avant leur numéro par le "L" pour la partie législative du code et "R" pour la partie réglementaire du même code). Cette démarche n'est pas une demande d'autorisation (l'ouvrage est déjà autorisé) mais une simple information, au terme de laquelle l'administration choisit ou non de vous demander des prescriptions complémentaires sur le site. Ces éventuelles prescriptions doivent être débattues dans le cadre d'une procédure contradictoire.

24/02/2017

Quand l'Agence de l'eau Loire-Bretagne confond dialogue environnemental et manipulation organisée

Les riverains ne partagent pas notre vision de la rivière, nous le savons mais nous allons les convaincre qu'ils sont dans leur tort par diverses stratégies de communication: telle est la philosophie d'un guide méthodologique édité par l'Agence de l'eau Loire-Bretagne en 2011 pour accompagner la restauration physique des rivières, et présenté aujourd'hui encore parmi les documents d'information de l'Agence en direction des gestionnaires de l'eau (syndicats, parcs). Sa lecture est édifiante. Elle traduit un problème majeur: le dialogue environnemental exige sincérité et équité, faute de quoi il dégénère en monologue autoritaire et produit le contraire de l'effet attendu. A l'heure où les projets inutiles et coûteux sont contestés un peu partout, où les citoyens tolèrent de moins en moins la confiscation du pouvoir réel de décision par des instances perçues comme lointaines et indifférentes, la puissance publique ne peut pas se comporter comme si la société était une variable passive d'ajustement à ses décisions intangibles. La restauration de rivière n'a d'avenir que dans la concertation vraie, qui inclut la co-construction des projets avec les intéressés, la capacité à reconnaître des erreurs et la volonté de concilier les attentes au bord des rivières.

En reconstruisant peu à peu l'histoire de la mise en oeuvre française de la continuité écologique, nous avions retrouvé la commande précoce par le bassin Loire-Bretagne d'un rapport sur les seuils en rivière, rapport à la tonalité très négative malgré sa construction assez superficielle en terme de données empiriques et de références scientifiques pertinentes pour la problématique des petits ouvrages (Malavoi 2003). La lecture d'une analyse critique de la restauration venue de la géographie et des sciences humaines (Germaine et Barraud 2013) nous a récemment conduit vers un autre texte, édité en 2011. Il s'agit cette fois d'un "guide méthodologique" de la même Agence de l'eau Loire-Bretagne intitulé "Restauration des cours d'eau: communiquer pour se concerter".

La date d'édition indique que ce guide accompagne le plan national d’action pour la continuité écologique (PARCE 2009), qui fut une sorte de répétition générale avant le classement des cours d'eau de 2012-2013, avec à l'échelle nationale 1200 ouvrages prioritaires à aménager à courte échéance. Le traitement de ces ouvrages hydrauliques du PARCE avait déjà été un échec ayant conduit à un rapport critique du CGEDD en 2012: loin de reconnaître le problème, l'administration est passée de 1200 à 20.000 ouvrages à traiter en 5 ans, véritable folie.

Une vision insincère de la concertation comme rapport de force et jeu d'influence
La lecture du guide de communication est édifiante. L'économie générale du texte consiste à reconnaître que la restauration physique des cours d'eau se heurte à des fortes résistances de la part des riverains et des usagers, mais que ces résistances doivent être surmontées par des stratégies de communication. Quand l'Agence de l'eau parle de "concerter", il ne s'agit donc pas de co-construire des projets avec les premiers intéressés : le but est de chercher le meilleur moyen pour imposer de manière verticale et descendante des orientations et des niveaux d'ambition déjà fixés à l'avance.

Cette gouvernance autoritaire et fermée, toutes les associations de moulins et riverains en ont ressenti le désagrément. Certaines d'entre elles l'ont exprimé dans une lettre ouverte à l'Agence Loire-Bretagne à l'occasion de la récente révision des SDAGE. Cette Agence de l'eau est d'autant moins fondée à  prétendre que ses orientations sont indiscutables que les résultats ne sont nullement à la hauteur des dépenses : absence de progrès de l'état écologique et chimique des rivières lors du SDAGE 2010-2015, voire régression des rivières en bon état ou en très bon état, pratiques antiscientifiques dans les commissions techniques et assertions fantaisistes sur les causes exactes de dégradation, stagnation dans lutte contre les nitrates, échec historique sur certains plans grands migrateurs portés depuis 40 ans par l'effort public… Ce n'est pas vraiment un bilan qui autorise à mépriser les riverains et usagers de l'eau ni à prétendre au caractère infaillible des choix programmatiques de l'Agence.

Mais il est vrai que les fonctionnaires des Agences de l'eau, qui représentent la voix de leur ministère de tutelle et qui sont les vrais artisans des programmations publiques, ont été encouragés dans cette brutalité et cette morgue par leurs supérieurs hiérarchiques. Un document de 2010 montrait déjà l'appel de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'Environnement à détruire 90% des ouvrages hydrauliques, à faire pression et à encercler les récalcitrants, soit évidemment une posture brutale aux antipodes des prétentions à la "concertation" (et allant très au-delà de ce que demandent les lois françaises en la matière). Avec le résultat que l'on sait: une réforme de continuité écologique devenue la plus contestée de toute la politique de l'eau.  Que les responsables de ce naufrage soient encore en place en 2017 est un mystère...

Communiquer pour (ne surtout pas) concerter, extraits
Voici donc quelques morceaux choisis de la langue de bois de ce guide de communication, assortis de traductions en bon français de leur signification.

"Localement, la politique de restauration des cours d’eau est impulsée dans le cadre de contrats territoriaux. Elle se heurte à des difficultés diverses : structuration des maîtrises d’ouvrage, intervention en domaine privé, financement des actions... De nombreux acteurs témoignent aussi des résistances de propriétaires ou de riverains. L’attachement au profil actuel, la difficulté à se représenter le paysage futur, la crainte d’une perte de patrimoine, de ne plus avoir d’eau en été et plus de poisson, la crainte d’inondations plus fréquentes ou plus graves... sont exprimés tour à tour par des associations de riverains, les amis des moulins, ou les pêcheurs – et c’est légitime."
Traduction : notre réforme comporte beaucoup d'inconvénients, il va falloir faire passer la pilule.

"Comment obtenir l’adhésion des riverains aux projets de restauration des cours d’eau ? C’est à cette question des élus et des techniciens que l’agence de l’eau Loire-Bretagne souhaite apporter des éléments de réponse. L’obligation de résultats introduite par la directive cadre sur l’eau fait de la restauration physique des cours d’eau, c’est-à-dire de la restauration de leurs fonctions naturelles, un volet essentiel des nouveaux Sdage. Les objectifs sont désormais chiffrés et ils sont ambitieux. Nous sommes dans une évolution ou une révolution par rapport aux politiques héritées de l’histoire : il s’agit bien de "repenser" les aménagements des cours d’eau."
Traduction : l'inquiétude du riverain ne pèse rien face à l'ambition des bureaucraties qui ont déjà tout décidé.

"Inutile de déployer une démonstration serrée du bien fondé d’un aménagement si l’on ne s’est pas accordé sur une représentation un tant soit peu partagée de la rivière ! Inutile d’en appeler à la directive cadre, au Sdage et aux fonctionnalités des milieux aquatiques si l’on n’a pas vidé les malentendus sur la rivière d’hier, d’aujourd’hui et de demain !"
Traduction : le gens ne partagent pas notre vision, il s'agit non de les écouter, mais de les convertir.

"Sur le terrain, cette nouvelle logique est confrontée à des perceptions et des pratiques structurées par des décennies de politiques de maîtrise de la rivière. Au-delà du changement d’aspect que les projets de restauration induisent — une rivière plus sinueuse, moins large, avec un débit plus variable et des zones d’érosion latérales — ce sont les rapports de l’homme à la nature qui sont ici potentiellement remis en cause."
Traduction : on a décidé entre nous de changer d'un claquement de doigt 5 millénaires de rapport humain à la nature.

"L’un des leviers identifiés lors des enquêtes de terrain pour modifier les perceptions des riverains est la mise en évidence d’une amélioration du cadre de vie ou d’un gain pour l’aménagement du territoire. L’identification de ce gain doit être recherchée très en amont du projet et si possible dès sa conception. En termes de communication, il va falloir évoquer le paysage, les fonctions récréatives, le développement touristique, et pas seulement fournir des explications relatives aux fonctions écologiques de la rivière. On parlera de la coulée verte, de l’architecture, de l’embellissement du paysage, de l’ouverture de promenades…" 
Traduction : difficile de valoriser socialement notre action, faites cependant des promesses ronflantes.

"Les demandes et les opinions des riverains sont généralement bien connues des porteurs de projet. Mais il peut exister des demandes sociales, souvent non exprimées, sur lesquelles le projet pourrait s’appuyer pour mettre en évidence son intérêt territorial. Attachées à des fonctions non directement utilitaires, elles peuvent être plus difficiles à repérer. Des enquêtes qualitatives auprès des habitants et des principaux acteurs du territoire peuvent être le moyen de les approcher."
Traduction : cherchez bien, vous allez dénicher quelques besoins marginaux qui justifient votre action.

"Pour asseoir le projet dans le territoire, il va falloir montrer qu’une rivière restaurée n’est pas une rivière perdue pour l’homme ! On peut y parvenir en valorisant les gains pour la qualité de la vie développés ci-dessus (voir le § Mettre en valeur le gain pour la qualité de vie). On peut également identifier les gains en termes de capacité auto-épuratoire, de protection des eaux brutes pour l’alimentation en eau potable ou de protection contre les inondations. Les projets de restauration comprennent ainsi potentiellement plusieurs dimensions. On peut vouloir restaurer les fonctions naturelles des cours d’eau et travailler de façon utilitaire."
Traduction : sortez le joker destruction d'ouvrage = auto-épuration, manipulation certes grossière  mais plus c'est gros et plus ça passe.

"En restaurant l’autonomie de la rivière on accepte une part d’imprévisibilité de son comportement local. Il y a donc rarement de certitudes. La gestion des aléas (sécheresse ou au contraire crue importante) peut également s’avérer problématique. (…) En termes de communication, cette incertitude est une source de fragilité pour l’acceptation sociale du projet. Elle ouvre en effet facilement la voie au scepticisme, voire à la controverse. « On sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne ». « La rivière reprend toujours ses droits ». Cette incertitude est d’autant plus difficile à gérer si la rivière rend encore des services (pêche, prises d’eau d’irrigation, valeur paysagère…)."
Traduction : on fait prendre des risques aux gens et aux milieux, mais bien sûr ne le dites pas ainsi.

"Pour autant, il ne s’agit pas de nier l’incertitude, bien au contraire. Sa prise en compte incite au pragmatisme. Les porteurs de projet insistent sur la nécessité d’avancer pas à pas et de suivre régulièrement l’évolution de la rivière. « C’est la technique du pas à pas qui a été primordiale : faisons des essais (...). Les tests nous ont permis d’être plus sûrs de nous. » « Si cela ne marche pas, on reviendra en arrière.»"
Traduction : on ne sait pas vraiment ce qu'on fait, mais on promet (sans moyen humain et financier de tenir cette promesse) qu'on sera attentif sur chaque suivi.

"Du fait de cette incertitude, il est parfois dangereux de communiquer trop tôt sur l’exemplarité d’un projet, même si cet argument peut-être très mobilisateur. Cela nécessite a minima de consolider techniquement le projet et de s’entourer d’une expertise pointue. Et cette communication devra être articulée avec les messages relatifs aux risques naturels et aux gains pour le cadre de vie."
Traduction : ne vous vantez pas trop, le résultat sera peut-être nul.

"L’objectif est de montrer que l’évolution des politiques d’aménagement des cours d’eau n’est pas une mode qui reposerait sur un discours idéologique. Elle repose sur l’évolution des demandes sociales, des connaissances et des usages. Plus qu’un revirement par rapport au passé, la nouvelle approche entend corriger les excès des politiques passées."
Traduction : tout le monde fait de l'idéologie, sauf nous bien sûr.

"Le projet peut être une opportunité pour respecter la réglementation dans des conditions financières favorables, une partie des travaux pouvant être subventionnée de façon majorée, selon la nature du projet ou selon la date de prise de décision. Ce message est pertinent principalement auprès des élus et des propriétaires d’ouvrages."
Traduction : faites du chantage à la subvention, c'est très efficace.

"Eviter le débat idéologique sur l’hydroélectricité. Le projet de restauration peut remettre en cause l’usage « petite hydroélectricité ». Le porteur de projet peut alors être confronté à une argumentation plus générale basée sur des enjeux environnementaux : l’hydroélectricité est une énergie renouvelable et propre. Son développement participe à l’objectif national pour 2020 de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie  finale, contre 13 % en 2009. Pour éviter que la question des microcentrales soit traitée sur un plan idéologique — biodiversité contre énergie renouvelable — et afin de rester dans le cadre d’une concertation, il peut être utile de mobiliser l’analyse économique. Elle permettra de relativiser le gain de production d’énergie escompté et de le rapporter au coût et à l’impact du maintien de l’artificialisation du cours d’eau. Elle pourra également mettre en balance la répartition des coûts et des bénéfices entre acteurs privés et acteurs publics."
Traduction : découragez par tout moyen l'exploitation énergétique, sachant que ce n'est pas de l'idéologie puisque c'est notre vision, forcément vraie et objective (voir plus haut).

"La concertation avec les riverains, les propriétaires fonciers directement concernés par le projet, les élus, les représentants associatifs et tous ceux qui sont potentiellement intéressés, est un passage obligé pour favoriser l’acceptabilité du projet et les négociations locales. Cette concertation peut prendre des formes très variées, du travail en groupe restreint d’acteurs, par filière ou par secteur (ouvrage par ouvrage) jusqu’à la réunion publique. Elle intervient à différents moments de la conduite du projet : en amont, pendant la phase de conception, avant les travaux au moment des négociations avec les acteurs locaux, pendant le chantier, voire après les travaux. Si l’intérêt de la concertation est évident pour tous, le risque de perdre en route l’ambition et la cohérence globale du projet n’est pas exclu. La concertation ne doit pas aboutir à un projet réduit à des opérations pilotes, là où l’acceptabilité locale pose le moins de problème ! Pour éviter cette dérive, le porteur de projet doit pouvoir assumer et porter sa vision du projet."
Traduction : pas d'erreur, la concertation est à sens unique et ne doit en rien aboutir à changer le projet.

"Tant que le projet n’est pas bien défini et clairement porté politiquement, mieux vaut s’abstenir d’organiser une réunion publique. En revanche cette période de maturation technique et politique du projet se prête bien à un travail de sensibilisation. C’est le moment d’intervenir sur les perceptions de la rivière et de préparer le changement. On communiquera donc, non pas sur le projet, mais sur l’identité de la rivière et son histoire dans le territoire."
Traduction : surtout pas de débat dans la phase de définition du projet, vu que les gens pourraient exprimer des objections.

"Une fois que le projet est bien avancé, qu’il a son assise politique, il faut prévoir une ou des réunions publiques pour le faire connaître au-delà du cercle des acteurs directement concernés. Ces temps d’échanges avec les habitants représentent l’aboutissement du travail de concertation préalable au sein de la structure porteuse et avec les riverains. Les incompréhensions ou les réticences vis-à-vis du projet sont alors levées ou fortement réduites et l’on pourra bénéficier du soutien de ces acteurs pour faire face à d’éventuelles oppositions."
Traduction : faites quand même une réunion pour assommer les gens de vos arguments, sans tenir compte des leurs.

"Les acteurs institutionnels — services déconcentrés de l’Etat (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement-DREAL), direction départementale des territoires), Onema, agence de l’eau, voire les services des grandes collectivités — sont bien souvent impliqués dès l’émergence du projet. Ils incitent la structure porteuse à définir et porter le projet de restauration de cours d’eau. Ils l’accompagnent dans son initiative par un appui technique et financier."
Traduction : tout cela vient de nos bureaucraties administratives, il s'agit cependant de faire croire que cela vient de la société

"Si les arguments liés à la réglementation fonctionnent bien vis-à-vis des institutionnels, c’est rarement le cas avec la presse. Evoquer la directive cadre sur l’eau n’est pas opportun quand la presse stigmatise le discours des « bureaucrates » contre les intérêts de la population locale ! On citera donc le cadre réglementaire dans lequel s’inscrit le programme, mais on n’en fera pas la justification unique du projet de restauration. On évoquera la vocation écologique du projet, mais on l’inscrira dans la vision plus large d’un projet de territoire – de territoire de vie. On ne parlera pas d’hydromorphologie, mais de redonner vie au cours d’eau. On se projettera dans l’avenir en montrant concrètement les bénéfices attendus."
Traduction : grande prudence avec la presse, il paraît qu'elle est encore libre dans ce pays.

"Proche de ses lecteurs ou auditeurs, la presse s’engage volontiers dans la défense des spoliés et des « petits riverains » face à l’administration. Certes les négociations de gré à gré n’ont pas à être portées sur la place médiatique. Mais le porteur de projet doit revendiquer clairement sa volonté de garantir le maintien des usages à chaque fois que possible, de rechercher des solutions acceptables par tous et il peut montrer les solutions qui ont été trouvées."
Traduction : cette presse libre défend les faibles, c'est à peine croyable.

"L’intérêt public enfin, la solidarité de bassin, la responsabilité assumée des acteurs sont autant de valeurs, non catégorielles, que chacun souhaite partager. Elles donnent au projet sa dimension humaniste, elles parlent de l’avenir, et les journalistes les porteront fréquemment avec plaisir."
Traduction : le journaliste est un peu idiot, il sera séduit par des voeux pieux.

"Les mots qui fâchent. Les termes d’arasement, démolition, destruction, suppression... d’ouvrages (de barrages, de seuils, de moulins...) suscitent souvent des réactions bloquantes. On les retrouve déformés par exemple dans l’évocation d’un « dynamitage ». « Ecologie » est également un terme qui crée un clivage plus qu’il n’explique le projet. En dehors de ces quelques mots qui peuvent réellement fâcher sur le terrain, on recommandera d’éviter les discours perçus comme technocratiques, soit parce qu’ils relèvent d’un registre technique, soit parce qu’ils renvoient à des logiques administratives, éventuellement lointaines, ainsi de la référence à la directive européenne cadre sur l’eau."
Traduction : dites que vous respectez l'ouvrage en le détruisant, les gens n'y verront que du feu.

Référence: Agence de l'eau Loire-Bretagne (2011), Guide méthodologique. Restauration des cours d'eau: communiquer pour se concerter, 60 p.

A lire en complément
La continuité écologique en temps de post-vérité et faits alternatifs…
Mystérieusement, les mêmes qui reconnaissent les problèmes associés à la mise en oeuvre de la restauration morphologique des rivières rédigent en 2017 une lettre ouverte à l'intention des députés et sénateurs pour affirmer que tout se passe globalement bien et que la contestation est marginale. On est hélas coutumier de ces pratiques orwelliennes où les objections argumentées sont ignorées au profit de la répétition en boucle des mêmes messages lénifiants. Encore un effort et l'action publique aura définitivement perdu sa crédibilité et sa légitimité sur ce dossier.