La rivière Lippe est un affluent du Rhin, en Westphalie. Elle a fait l'objet de nombreux travaux d'aménagement depuis 1815 et perdu environ le cinquième de sa longueur initiale par des recalibrages. Des travaux de restauration ont été exécutés dans les années 1990 sur un tronçon de 2 km et une surface de 1,3 km2: suppression des soutiens de berge, élargissement du lit de 18 à 45 m et surélévation de 2 m, création de petites îles, introduction de bois mort, aménagement d'annexes et mares en lit majeur. La dimension morphologique du chantier est considérée comme un succès : le transport des matériaux variés est assuré, les berges s'érodent, le lit majeur est inondé au moins une fois dans l'année.
Stefanie Höckendorff et ses collègues ont suivi ce chantier. Ils observent que "la compréhension de l'efficacité des restaurations de rivière est souvent détériorée par le manque de données de qualité à long terme". Et que trop peu de restaurations cherchent à comprendre la réponse des milieux à partir des caractéristiques des espèces.
Abondance et diversité des poissons sur le tronçon restauré (vert) par rapport aux conditions de référence avant restauration (noir), art cit, droit de courte citation. L'abondance montre un effet rebond et une forte diversité interannuelle. Les conditions restaurées ont des résultats durablement meilleurs sur les 17 premières années de suivi.
- l'abondance totale des poissons a connu un rebond (overshooting) après la restauration suivi d'un retour à des résultats plus variables, mais toujours plus élevés qu'avant la restauration (gain de 27% à 571% selon les années);
- dans le détail, 17 espèces ont montré une hausse, 6 espèces une baisse et 15 espèces aucune réponse;
- la diversité totale des poissons n'a pas montré d'effet rebond, mais une hausse régulière qui s'est stabilisée à environ le double de la diversité avant travaux, après 7 ans;
- la corrélation avec les traits biologiques et fonctionnels des assemblages de poissons reste faible (rho de Spearman à 0.15 maximum), avec comme association plus marquée la longévité, la morphologie, la stratégie de fraie et la maturité des femelles;
- ce sont les espèces dites à stratégie opportuniste (vie courte, reproduction précoce, plusieurs fraies annuels) qui montrent l'effet le plus marqué (able de Heckel, épinoche, vairon).
Discussion
Comme l'observent les auteurs, les résultats des restaurations sont très variables. On considère qu'elles sont une fonction du temps (Stoll et al 2014, Tonkin et al 2014) mais avec réponses pouvant être non linéaires (Schmutz 2016), parfois contrariées par d'autres dégradations du bassin (Leps et al 2016) et parfois avec une reconvergence du peuplement vers les conditions antérieures (Kail et al 2015, Thomas et al. 2015). Les chercheurs soulignent donc la nécessité de faire un suivi rigoureux (plusieurs années avant, pour estimer la variabilité) et long voire continu après, mais aussi de travailler à comprendre les facteurs de réussite ou d'échec, notamment la réponse des espèces cibles sur leurs traits de vie. Nous ajouterons plusieurs observations.
D'abord, il est manifeste dans la littérature scientifique que la restauration de rivières est encore considérée comme une démarche expérimentale. Elle doit être présentée ainsi dans le débat public et dans les choix gestionnaires, au lieu des effets rhétoriques de certitude voire de suffisance qui l'entourent trop souvent. Il est notamment indispensable que le suivi soit réalisé sérieusement et en vue d'un retour d'expérience réellement scientifique, pas cosmétique (on voit fréquemment des campagnes avec une seule année de mesure pour l'état initial, ce qui est insuffisant, des analyses à N+1 et N+3 pas forcément significatives car il y a tantôt des effets rebond tantôt des dépressions dans les années suivant le chantier, des mesures biologiques limitées et donnant lieu à peu de modélisation, etc.).
Ensuite, l'ambition du projet (l'ampleur des modifications opérées) sur la Lippe est sans doute un des facteurs de réussite, ce qui implique des coûts et des bouleversements des usages, avec une concentration de moyens. La restauration physique est un engagement long et complexe. Associé au caractère expérimental donc non garanti en résultats, cela indique qu'il vaut mieux réaliser moins de chantiers en rivière, mais avec un plus fort investissement dans la gouvernance et dans le suivi. Soit le contraire des stratégies actuelles de restauration en France, où l'on tend à multiplier des petites interventions pas toujours bien coordonnées, relevant plus d'un "catalogue des bonnes actions" que de projets mûris et cohérents.
Enfin, le travail de Stefanie Höckendorff et ses collègues concerne une restauration de continuité latérale (avec des réaménagements du lit mineur). Dans un travail à l'époque programmatique sur la restauration morphologique de rivière à partir d'observations dans l'aire danubienne (Ward et al 1999), on pouvait remarquer que la biodiversité des rivières non-fragmentées et fragmentées longitudinalement est sensiblement équivalente, mais que celle de rivières canalisées (coupées des lits majeurs) est nettement plus faible que celle des rivières à divagation libre. On a beaucoup insisté en France sur la continuité, mais on l'a fait sur la dimension longitudinale, surtout en réplique des anciennes lois halieutiques sur les échelles à poissons. Il serait nécessaire d'analyser la réponse de la biodiversité aux différentes formes de discontinuités, pour affiner les enjeux prioritaires en restauration.
Référence : Höckendorff S et al (2017), Characterizing fish responses to a river restoration over 21 years based on species traits, Conservation Biology, doi: 10.1111/cobi.12908