Le Syndicat Mixte du Bassin de la Dives (SMBD) est créé le 1er janvier 2013. Il fonctionne avec son comité de pilotage composé d’élus des communes concernées du Calvados. A peine installé, suivant les préconisations de l’Agence de l’eau, le SMBD lance les études d’arasement de tous les barrages du bassin versant de la Dives par des agences spécialisées.
Crocy est une petite commune rurale de 300 habitants située le long de la Dives, au sud du Calvados à la limite de l’Orne. L’existence d’un important moulin à blé au Hameau des Moulins sur la commune de Crocy est attestée depuis le XVIIe siècle dans des documents aux Archives Départementales. Ce moulin a cessé son activité en 1984. Il était alors composé de :
- un barrage sur la Dives situé dans le hameau de Vitreseul constitué de 4 vannes métalliques d’un seul tenant en parfait état, installées au début des années 2000. Répartition des débits entre la Dives et le bief estimée respectivement à environ 30 % et 70 %, en moyenne,
- 50 m plus bas, un petit barrage sur le bief avec 2 vannes du même type et déversoir,
- le moulin installé au bord du bief à 2km en aval qui disposait d’une hauteur de chute de 4m,
- son équipement : une turbine, 8 cylindres de mouture, une génératrice électrique, etc.,
- la capacité de production de la minoterie : 80 quintaux par jour, ce qui en faisait un des moulins à blé et orge les plus importants de la région.
Le SMBD commande l’étude de l’arasement du barrage de Crocy / Vitreseul à la société Artelia en 2013. L’ensemble formé par le barrage, son long bief et le moulin appartenaient à la "Société Civile Immobilière (SCI) Le Moulin de Crocy" qui l’a acheté en 1992 à la famille Vauvrecy résidant à Montigny (14). Le SMBD informe cette SCI qu’elle doit mettre ses 2 barrages en conformité avec la réglementation : ils ne sont pas équipés de passes à poissons permettant la libre circulation des poissons migrateurs. De plus, pour assurer le transit des sédiments, le mieux serait l’arasement des barrages. Dans ce cas, les travaux seront pris en charge à 100 % par l’Agence de l’Eau. La SCI répond qu’elle n’est pas intéressée par ces travaux, qu’elle est prête à tout vendre. Son souhait de vendre arrange tout le monde.
La Fédération de pêche du Calvados se porte acquéreur mais uniquement des parcelles constituant le bief. Marché conclu. Mr B., propriétaire-riverain au niveau du barrage de Vitreseul, soutient le projet d’arasement avec vigueur car il n’arrive pas à s’entendre avec la SCI à propos de l’exploitation du vannage.
Les élections municipales de mars 2014 approchent avec une possibilité de changement pour une équipe municipale favorable à l'arasement. On préfère donc attendre le résultat des élections tout en continuant à travailler sur le dossier. Mme Clara Dewaele, jeune et récente résidente à Crocy (depuis 2012), brigue la mairie de Crocy. Sa liste est élue dès le premier tour. Mme B. entre au Conseil Municipal et est nommée 1ère adjointe.
Cette configuration favorable se prolonge autour de la Société de pêche : un concours de circonstances fait que le Président de la Société de pêche de Crocy souhaite passer la main. On propose alors le poste à Mr B. qui l’accepte volontiers bien qu’il ne soit pas pêcheur. Il sera nommé Président de la Société de pêche de Crocy en février 2015. Mme Clara Dewaele, une fois maire, est élue 8ème vice-présidente du Conseil départemental du Calvados en mars 2015. Elle est aussi une membre active de la Société de pêche de Crocy, élue à la commission de contrôle. On compte sur elle. Avec cet ancrage, l’opération peut être lancée, puis les travaux réalisés.
En juin 2014, la Fédération de pêche du Calvados achète le barrage, le bief et son droit d’eau à la "SCI Le Moulin de Crocy" pour 70 000 €. On ignore comment la Fédération a financé cet achat. Quant au moulin, il sera vendu séparément un an plus tard à un couple de particuliers.
Le rapport d’avant-projet d’Artelia est présenté au Conseil municipal par des techniciens spécialistes des rivières. Le barrage et son vannage seront supprimés, l’entrée du bief sera remblayée. L’eau dans le bief sera maintenue au même niveau qu’avant les travaux par un pompage électrique dans un puits à créer à proximité dans le lit de la rivière. Il est proposé en prime de supprimer les 2 ponts de Vitreseul, l'un sur le bief en bon état et l'autre sur la rivière un peu fatigué, et de les remplacer par un beau pont tout neuf sur la Dives. Coût de l’opération : 0,5 M €.
Le projet est "discutable mais non négociable" avec le rituel chantage financier: ou bien vous l’acceptez tel quel et il est financé à 100 % par l’Agence de l’Eau, ou bien vous le refusez, vous ne bénéficierez d’aucune subvention et le bief sera remblayé. Le Conseil municipal accepte le projet à la demande des riverains du bief qui souhaite le conserver en eau.
Il y eut aussi une réunion de présentation aux riverains à laquelle n’assistaient aucun des conseillers municipaux à l’exception de Mme Dewaele. Celle-ci n’a pas dit un seul mot pendant toute la réunion ce qui a parait-il, étonné les participants. Selon plusieurs témoignages, les présentateurs auraient surtout brillé par leurs certitudes et leur arrogance.
Dans le rapport général d'Artelia réf. 4-53-1224 de novembre 2013 - page 78, le débit mesuré dans le bief de Crocy est 0,4 % de celui de la Dives en amont. Or d'après plusieurs riverains, beaucoup d'eau coulait dans le bief avant les travaux, on y pêchait des truites. Une personne âgée s’y est même noyée, un soir. Il semblerait donc que la modélisation ait été pipée, en fermant les 2 vannes qui se trouvaient à l'entrée du bief. Cela reste à vérifier dans le rapport spécifique à Crocy auquel nous n'avons pas pu avoir accès.
Les travaux de destruction des ouvrages hydrauliques et de modification du bief sont commandés comme d’habitude à l’entreprise Lafosse, Sannerville (14) qui a le monopole des travaux sur la Dives. Ils sont réalisés tambour battant entre fin 2015 et début 2016. Nous rappelons ici que ces travaux sont payés par des fonds publics.
Aujourd’hui, l'entrée du bief est effectivement remblayée, le niveau d’eau y est maintenu artificiellement par une pompe de relevage de trop faible débit (25 m³/h) et par plusieurs petits barrages en béton répartis sur son parcours. La Municipalité gère le pompage assumant "les coûts inhérents" (sous-entendu l’alimentation électrique). L’eau dans le bief est pratiquement stagnante, elle n’atteint plus le moulin. Il n’y a plus de poissons, peut-être des grenouilles puisqu’on y a vu un héron l’été dernier.
Aux dernières nouvelles, la Fédération de Pêche céderait le marigot (ex-bief) à la Municipalité pour 1 € symbolique, charge à celle-ci d’en assurer l’entretien. Elle aurait donc une perte sèche de 70 000 €. La Fédération semble avoir joué ici un rôle de paravent afin de justifier "qu'il s'agit de travaux privés sur des biens privés" (réf. lettre du 03 janvier 2017 signée par la Mairie de Crocy, mais ostensiblement rédigée par le SMBD : même présentation, même police de caractères). La question posée portait sur la responsabilité des élus face à la politique de l’Agence de l’eau.
Les riverains rencontrés sont conscients que l'affaire n'est pas claire. Certains se plaignent du résultat. De plus, ils auraient préféré que les deniers publics soient utilisés pour installer un assainissement tel qu’un tout-à-l’égout. A noter que les propriétaires actuels du moulin auraient été d'accord pour l'équipement d'une micro-centrale hydroélectrique. Mais comme nous l’a dit un conseiller municipal : "Vous arrivez bien trop tard !"
Maintenant plutôt que maintenir un pompage ridicule et contraire aux économies d’énergie, il serait envisageable d'agencer une répartition naturelle des débits entre la Dives et le bief à l’aide de seuils convenablement dimensionnés. Dans son courrier cité plus haut, la Mairie de Crocy nous a écrit que les travaux réalisés "permettent dorénavant de limiter le débordement au droit de 2 habitations". Or parmi ces 2 habitations, se trouve celle de Mr et Mme B. Surprenant, non ?
Les questions de fond demeurent : pourquoi l’Agence de l’eau Seine-Normandie met-elle un tel acharnement dans l'arasement des barrages? Comment accepter qu’une agence publique utilise pour ce faire des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt collectif?