02/06/2017
26/05/2017
Non, madame la sénatrice, relancer l'énergie d'un moulin ne coûte pas 600.000 euros!
Informée par l'Association des moulins du Morvan et de la Nièvre des problèmes rencontrés par les ouvrages hydrauliques et de la nécessité de les préserver pour faciliter la relance énergétique de certains d'entre eux, Anne Emery-Dumas (sénatrice de la Nièvre) répond que le coût moyen de leur ré-équipement s'élèverait à 600 k€, selon une information reçue lors d'une réunion en préfecture. Ce chiffre est fantaisiste, car la majorité des moulins bourguignons (et français) sont de dimensions modestes : hors passe à poissons, on peut en général équiper un moulin pour quelques milliers d'euros du kilowatt de puissance (donc quelques dizaines de milliers d'euros au total). En revanche, trois phénomènes alourdissent les coûts de certains chantiers: les attentes sans réalisme économique des agents de l'Etat en charge de l'environnement, raisonnant comme si les moulins étaient des grands barrages industriels; les subventions qui rehaussent la complexité du cahier des charges et poussent les entreprises à saler la facture sur les marchés publics; les excès de certains équipementiers qui, profitant de l'ignorance des particuliers, font parfois payer bien trop cher les turbines ou l'électrotechnique. Aujourd'hui, les moulins ne demandent pas à l'Etat d'engager des dépenses d'argent public pour les équiper au plan énergétique, ce qui relève d'un choix et d'un financement privés. Mais les procédures doivent être simplifiées, en particulier pour l'autoconsommation, et les investissements écologiques doivent être pris en charge par les Agences de l'eau, car ils sont d'intérêt général et leur entretien représente déjà une servitude lourde pour le particulier.
Anne Emery-Dumas, sénatrice (PS) de la Nièvre, avait été saisie par l'Association des moulins de Morvan et de la Nièvre, dans le but de traduire en acte les souhaits parlementaires de protection des ouvrages hydrauliques aujourd'hui menacés de destruction par les choix administratifs (voir cette lettre aux préfets déjà envoyée par de nombreuses associations en France).
Dans sa réponse à l'association, la sénatrice évoque une "réunion du comité départemental pour le développement des énergies renouvelables", tenue en préfecture, d'où elle a retenu le point suivant:
Passes à poissons : leur coût est plutôt entre 50 et 150 k€, leur nécessité est indépendante de l'énergie
Concernant les passes à poissons, le coût moyen estimé est de 50 k€ par mètre de chute selon l'observatoire des coûts de l'Agence de l'eau rhodanienne. Les moulins ayant des chutes modestes (la moitié des ouvrages du référentiel des obstacles à l'écoulement font moins de 1 mètre), le coût probable se situe entre 50 et 150 k€. C'est confirmé par les données du rapport CGEDD 2016 montrant que le coût moyen d'un chantier de continuité depuis 2007 (toutes solutions confondues) est de 100 k€. Ajoutons qu'il existe (dans certaines configurations favorables) des solutions moins chères que les passes à poissons : simple gestion des vannes, pré-barrage, rivière de contournement.
Cette dépense de continuité écologique concerne les ouvrages avec ou sans production d'énergie, et elle est de toute façon hors de portée des particuliers, des petits exploitants et des collectivités rurales modestes. Donc il n'y aura pas de continuité écologique réussie sans un financement public massif de ces travaux très coûteux en rivière. Au moins l'existence d'une production d'énergie permet-elle de mettre des revenus en face des dépenses, et surtout de soutenir la transition bas-carbone choisie par l'Etat français.
Pour finir, soulignons que le nouvel article L 214-18-1 du code de l'environnement exempte les moulins producteurs d'électricité d'obligation de continuité écologique en liste 2. Donc dans ces cas-là, l'objection de madame la sénatrice n'est plus d'actualité.
Production d'électricité : moins de 100 k€ pour la majorité des moulins
Concernant la production hydro-électrique elle-même, le coût d'un chantier est très variable, car il va dépendre des éléments suivants :
A titre d'exemple, la relance la moins chère parmi nos adhérents est un moulin de 6 kW à 12.000 euros d'investissement en autoconsommation, avec un temps de retour sur investissement (économie de fioul) de moins de 4 ans (à l'époque où le combustible était plus cher, ce serait 6 ans aujourd'hui).
Donc en réalité, si l'on prend le parc des moulins réellement présents dans le Morvan et en Bourgogne comme ailleurs en France sur les petites rivières, le coût moyen de relance énergétique d'un moulin hors passe à poissons sera de 60.000 euros et non pas 600.000 euros, un ordre de grandeur en dessous de l'estimation donnée à madame la sénatrice !
Pourquoi les coûts sont-ils parfois élevés ? Trois excès à corriger
Notre expérience associative nous amène à observer trois types de coûts anormalement élevés pour certains chantiers de relance énergétique :
Pour relancer les moulins: simplifier la réglementation, proportionner les mesures environnementales, laisser agir les acteurs privés
Il existe probablement entre 50.000 et 80.000 moulins en France, répartis dans tous les départements, sur toutes les rivières. Même si leur production est individuellement modeste, elle représente une opportunité de déployer des sources d'énergie bas-carbone et de redonner sens aux ouvrages en rivières (qui sont de toute façon présents, et exercent donc un impact écologique même sans production électrique).
Mais du fait de leurs modestes dimensions, impacts et productibles, la relance de ces moulins ne pourra pas se faire à travers des politiques publiques conçues pour des industriels ayant au minimum plusieurs centaines de kW de puissance potentielle à équiper, souvent plusieurs MW. L'Etat français doit impérativement redimensionner ses programmes dans le cas de la petite hydraulique, qu'il s'agisse du volet écologique ou du volet énergétique. Plus généralement, le rôle premier de l'action publique est d'assister les citoyens dans la réalisation de leurs projets, et non de faire grimper les coûts, de multiplier les contrôles et d'additionner les complications. A partir du moment où l'hydro-électricité fait partie des énergies retenues en Europe pour remplacer des sources fossile et fissile, l'administration en charge de la transition écologique et solidaire doit l'accélérer, pas la freiner.
Pour notre part :
Anne Emery-Dumas, sénatrice (PS) de la Nièvre, avait été saisie par l'Association des moulins de Morvan et de la Nièvre, dans le but de traduire en acte les souhaits parlementaires de protection des ouvrages hydrauliques aujourd'hui menacés de destruction par les choix administratifs (voir cette lettre aux préfets déjà envoyée par de nombreuses associations en France).
Dans sa réponse à l'association, la sénatrice évoque une "réunion du comité départemental pour le développement des énergies renouvelables", tenue en préfecture, d'où elle a retenu le point suivant:
"les moulins ont été abordés concernant la production d'hydro-életricité, en rappelant que Madame Ségolène Royal, alors ministre de l'Ecologie, y est favorable. Les difficultés sont liées essentiellement aux coûts d'implantation de ces unités, estimés en moyenne à 600.000 € (dont 200.000 € pour les passes à poissons) pour une rentabilité nécessitant une longue période de fonctionnement (50 à 100 ans)"Cette assertion est tout à fait inexacte.
Passes à poissons : leur coût est plutôt entre 50 et 150 k€, leur nécessité est indépendante de l'énergie
Concernant les passes à poissons, le coût moyen estimé est de 50 k€ par mètre de chute selon l'observatoire des coûts de l'Agence de l'eau rhodanienne. Les moulins ayant des chutes modestes (la moitié des ouvrages du référentiel des obstacles à l'écoulement font moins de 1 mètre), le coût probable se situe entre 50 et 150 k€. C'est confirmé par les données du rapport CGEDD 2016 montrant que le coût moyen d'un chantier de continuité depuis 2007 (toutes solutions confondues) est de 100 k€. Ajoutons qu'il existe (dans certaines configurations favorables) des solutions moins chères que les passes à poissons : simple gestion des vannes, pré-barrage, rivière de contournement.
Cette dépense de continuité écologique concerne les ouvrages avec ou sans production d'énergie, et elle est de toute façon hors de portée des particuliers, des petits exploitants et des collectivités rurales modestes. Donc il n'y aura pas de continuité écologique réussie sans un financement public massif de ces travaux très coûteux en rivière. Au moins l'existence d'une production d'énergie permet-elle de mettre des revenus en face des dépenses, et surtout de soutenir la transition bas-carbone choisie par l'Etat français.
Pour finir, soulignons que le nouvel article L 214-18-1 du code de l'environnement exempte les moulins producteurs d'électricité d'obligation de continuité écologique en liste 2. Donc dans ces cas-là, l'objection de madame la sénatrice n'est plus d'actualité.
Production d'électricité : moins de 100 k€ pour la majorité des moulins
Concernant la production hydro-électrique elle-même, le coût d'un chantier est très variable, car il va dépendre des éléments suivants :
- état du génie civil (tenue de la chaussée ou du barrage, longueur et état du bief),
- hauteur de chute (plus c'est haut, moins c'est cher en coût de revient),
- distance au raccordement (si injection réseau),
- complexité administrative (reconnaissance du droit d'eau),
- niveau des exigences environnementales (prescriptions complémentaires),
- capacité du maître d'ouvrage à assumer lui-même une partie du dossier et des travaux (plus on délègue et plus c'est coûteux).
A titre d'exemple, la relance la moins chère parmi nos adhérents est un moulin de 6 kW à 12.000 euros d'investissement en autoconsommation, avec un temps de retour sur investissement (économie de fioul) de moins de 4 ans (à l'époque où le combustible était plus cher, ce serait 6 ans aujourd'hui).
Donc en réalité, si l'on prend le parc des moulins réellement présents dans le Morvan et en Bourgogne comme ailleurs en France sur les petites rivières, le coût moyen de relance énergétique d'un moulin hors passe à poissons sera de 60.000 euros et non pas 600.000 euros, un ordre de grandeur en dessous de l'estimation donnée à madame la sénatrice !
Pourquoi les coûts sont-ils parfois élevés ? Trois excès à corriger
Notre expérience associative nous amène à observer trois types de coûts anormalement élevés pour certains chantiers de relance énergétique :
- les dérives de certains installateurs privés qui, abusant de la crédulité des propriétaires, proposent des solutions nettement trop coûteuses. Tout propriétaire devrait contacter une association pour avoir un avis critique sur les devis, ou se renseigner sur le forum de la petite hydro-électricité (forum très dynamique où des dizaines de projets de petite puissance ont déjà été aidés dans leur relance);
- les dérives de certains services administratifs en charge de l'environnement, qui demandent parfois des prescriptions dont le coût représente plusieurs années de chiffres d'affaire (ou équivalent monétaire de production). Cet irréalisme et cette attitude anti-économique ne concernent que les moulins, jamais on ne demanderait à une exploitation agricole ou industrielle de dépenser des sommes aussi disproportionnées par rapport aux revenus;
- la dépendance aux subventions publiques qui renchérit tous les coûts (à la fois parce que le subventionneur pose des cahiers des charges très ambitieux en échange de son aide, et parce que les entreprises – des bureaux d'études aux travaux publics – avancent des prix plus élevés dans les marchés publics que dans les négociations avec des acteurs privés).
Pour relancer les moulins: simplifier la réglementation, proportionner les mesures environnementales, laisser agir les acteurs privés
Il existe probablement entre 50.000 et 80.000 moulins en France, répartis dans tous les départements, sur toutes les rivières. Même si leur production est individuellement modeste, elle représente une opportunité de déployer des sources d'énergie bas-carbone et de redonner sens aux ouvrages en rivières (qui sont de toute façon présents, et exercent donc un impact écologique même sans production électrique).
Mais du fait de leurs modestes dimensions, impacts et productibles, la relance de ces moulins ne pourra pas se faire à travers des politiques publiques conçues pour des industriels ayant au minimum plusieurs centaines de kW de puissance potentielle à équiper, souvent plusieurs MW. L'Etat français doit impérativement redimensionner ses programmes dans le cas de la petite hydraulique, qu'il s'agisse du volet écologique ou du volet énergétique. Plus généralement, le rôle premier de l'action publique est d'assister les citoyens dans la réalisation de leurs projets, et non de faire grimper les coûts, de multiplier les contrôles et d'additionner les complications. A partir du moment où l'hydro-électricité fait partie des énergies retenues en Europe pour remplacer des sources fossile et fissile, l'administration en charge de la transition écologique et solidaire doit l'accélérer, pas la freiner.
Pour notre part :
- nous sommes favorables à la limitation des subventions publiques à l'énergie en dehors du tarif d'achat garanti tel qu'il se pratique pour tout le secteur renouvelable (de toute façon, les nouveaux contrats H16 de la petite hydro-électricité interdisent de cumuler les avantages, et c'est plus clair ainsi);
- nous sommes favorables à la prise en charge publique des coûts des passes à poissons, qui sont des dispositifs d'intérêt général et non d'intérêt privé, imposant déjà des contraintes lourdes de surveillance et d'entretien au particulier ou à l'exploitant;
- pour les plus petits moulins majoritaires (5 à 15 kW), même si chaque cas est à étudier, nous encourageons plutôt les propriétaires à réfléchir à l'autoconsommation (avec injection du surplus si disponible), quitte à ne pas utiliser toute la puissance brute présente (ce qui laisse davantage de débit pour la rivière), ce choix étant dicté par la simplicité (plus grande autonomie, pas de dossier EDF-OA, pas de contrainte de raccordement et de sécurité réseau, pas d'obligation de créer une société pour des revenus industriels et commerciaux généralement très modestes, etc.) ;
- sur chaque rivière, nous appelons le gestionnaire à procéder à une évaluation du taux d'équipement afin de débattre démocratiquement du potentiel énergétique sur la base de chiffres exacts;
- nous rappelons qu'avant d'équiper énergétiquement les moulins, le premier enjeu est de cesser immédiatement leur destruction à la chaîne. La politique de continuité écologique doit proposer en première intention des équipements environnementaux respectant la consistance légale et le potentiel énergétique de chaque site.
Illustration : une ancienne turbine Fontaine dans un moulin de Côte d'Or, sur l'Armançon. Souvent, les moulins ont encore leur turbine ancienne en chambre d'eau et les propriétaires peuvent tout à fait envisager de les ré-utiliser, car ces mécanismes, adaptés à la hauteur et au débit, subissent assez bien l'usure du temps. Sinon, il existe des modèles contemporains à coût raisonnable.
21/05/2017
Continuité écologique : rien n'est réglé, ce que nous attendons du nouveau gouvernement
Les élections ont renouvelé la présidence de la République et le gouvernement, en attendant l'Assemblée nationale en juin et le Sénat en septembre. Parmi les dossiers les plus chauds de l'environnement, on cite les cas médiatisés de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, de centre d'enfouissement de déchets nucléaires de Bure ou de la centrale de Fessenheim. C'est oublier une bombe à retardement: la réforme catastrophiquement menée de continuité écologique, qui est l'une des plus contestées dans la politique française de l'eau, touche des centaines de milliers de riverains des ouvrages hydrauliques menacés et pourrait coûter plus de 2 milliards d'euros aux contribuables, outre la disparition du patrimoine paysager et du potentiel énergétique de nombreuses rivières. Cette réforme a déjà connu plusieurs audits parlementaires et administratifs, dont le récent rapport critique du CGEDD publié en mars 2017. Il est désormais temps de passer de l'évaluation aux actes, pour mettre fin au divorce entre l'écologie des rivières et les citoyens. Voici les 3 mesures d'urgence dont nous souhaitons la mise en oeuvre par le gouvernement pour la dimension réglementaire, et le futur parlement pour la dimension législative.
La France a un nouveau président et un nouveau gouvernement, notre pays renouvellera bientôt son parlement. Le dossier de la continuité écologique figure parmi les premiers à traiter dans le domaine de l'eau : de nombreux rapports ont constaté ses problèmes et retards depuis 5 ans, les récentes réformes législatives n'ont apporté que des corrections superficielles, toujours pas traduites en décrets ou circulaires d'application par l'administration. Le coût estimé de la continuité écologique (de l'ordre de 2 milliards d'euros) et la menace persistante de disparition d'un grand nombre d'ouvrages équipables en hydro-électricité en font une urgence au regard des autres ambitions environnementales du pays (priorité à la transition énergétique) et de la nécessité largement reconnue d'un meilleur usage de l'argent public.
Délai irréaliste à revoir : 20665 ouvrages à traiter, 85% des ouvrages non mis en conformité
Le rapport du CGEDD fait apparaître que 20.665 ouvrages sont classés en rivières de liste 2 avec obligation de mise en conformité (effacement ou aménagement). Ce programme n'est pas ambitieux, il est irréaliste : aucun pays au monde, y compris ceux qui se dotent d'orientations en ce domaine (Etats-Unis, Pays-Bas), n'a imposé des mesures sur un si grand nombre d'ouvrages en si peu de temps.
Le résultat logique est un retard considérable : 85% des ouvrages ne sont pas mis en conformité alors que le premier délai de 5 ans est échu ou sur le point de l'être. Le nouveau délai de 5 ans, qui a été voté dans le cadre de la loi de biodiversité en 2016, ne disposait pas de ces informations et se révèle à son tour irréaliste. En effet, les Agences de l'eau ne parviennent à traiter qu'entre 300 et 400 chantiers par an, ce qui demanderait donc 50 ans pour les 20.000 ouvrages classés.
Notre première attente : l'article L 214-17 CE doit être modifié soit en supprimant la notion même de délai en liste 2 (en ce cas, les mises en conformité se feront au gré des opportunités de chaque gestionnaire et maître d'ouvrage sur chaque bassin) soit en élargissant considérablement le délai (20 ans paraît un minimum). Sans ce réalisme, on se condamne à entretenir une urgence artificielle et à reproduire les mêmes problèmes qu'aujourd'hui dans quelques années, au lieu de consolider et pacifier une fois pour toutes la réforme de continuité écologique en lui donnant un rythme raisonnable
Supprimer la prime à l'effacement des ouvrages : dérive par rapport aux lois, blocage des chantiers
Le rapport du CGEDD relève que les agences de l'eau accordent un surfinancement à la destruction des ouvrages, avec des subventions allant de 80 à 100 %. Pour les autres solutions (passes à poissons, rivière de contournement, changement et ouverture de vanne), le financement va de 0 à 60% selon les cas, en général 40% seulement. Le même rapport révèle que le coût moyen des chantiers (toutes solutions confondues) dépasse les 100 k€ par ouvrage, une somme évidemment inaccessible pour les particuliers, petits exploitants ou modestes collectivités rurales.
La préférence accordée à la destruction du patrimoine hydraulique a été à l'origine d'une bonne part des polémiques et conflits entourant la continuité écologique. Elle pose en effet trois problèmes graves:
Mieux prendre en compte les dimensions multiples des rivières, indexer la dépense publique aux services rendus par les écosystèmes
Le rapport du CGEDD comme les échanges parlementaires lors des lois récentes (biodiversité, patrimoine architecture et création, autoconsommation d'énergie) ont montré que la continuité écologique se situe à la rencontre de beaucoup d'enjeux différents : le franchissement piscicole et le transit sédimentaire bien sûr, mais aussi les cadres de vie, les paysages, les différents usages de l'eau autour des retenues, canaux ou biefs, notamment la transition énergétique et la stratégie bas-carbone.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de la continuité écologique sur les quelques milliers d'ouvrages traités, ainsi que le rapport Dubois-Vigier de 2015, montrent que les enjeux écologiques sont d'importance variable : parfois ils concernent des grands migrateurs menacés et effectivement disparus des zones amont de la rivière, parfois ils visent des espèces plus communes, encore présentes sur le bassin, ayant des besoins moindres de migration à longue distance et subissant d'autres pressions plus impactantes que les petits ouvrages hydrauliques.
Il en résulte que pour pondérer le choix parmi diverses solutions, et pour prioriser les actions les plus bénéfiques à la nature, il faut impérativement mener une analyse coût-avantage et évaluer les services rendus par les écosystèmes avant / après le chantier. En posant ce principe dans la loi ou dans un nouveau décret d'application, on garantit les bonnes pratiques sur tout le territoire et on rappelle le nécessaire respect des dispositions de la gestion équilibrée et durable de l'eau.
Il est à noter que cette démarche doit être sincère et sérieuse : on ne peut comme aujourd'hui prétendre que l'on procède à des analyses coût-avantage alors qu'il n'existe dans les rapports préparatoires aucune enquête de riveraineté, aucun engagement sur des résultats écologiques précis, aucune analyse des autres pressions environnementales susceptibles de limiter ou annuler l'effet attendu, aucune mobilisation d'expertise sur les dimensions historiques et paysagères, aucune estimation économique des services rendus par les écosystèmes aménagés ou désaménagés, etc.
Notre troisième attente : la mise en oeuvre de l'article L 214-17 CE doit être amendée d'une disposition posant que toute mise en conformité à la continuité écologique fait l'objet d'une analyse coût-avantage menée sous l'autorité administrative, analyse pluridisciplinaire incluant la biodiversité et la fonctionnalité des milieux, l'attente précise de résultat écologique et les modalités de son suivi, le patrimoine, l'énergie, les usages locaux et droits des riverains, les services rendus par les écosystèmes, en fonction de différentes hypothèses d'aménagement.
Ces propositions sont loin d'épuiser tous les problèmes rencontrés dans la politique de l'eau et des ouvrages hydrauliques (dialogue environnemental au point mort, manque de représentation des citoyens dans les instances de décision et concertation, faiblesse des bases scientifiques de la politique environnementale, excès de certaines représentations radicales et minoritaires de l'écologie, impréparation économique et sociologique de la programmation publique nourrissant l'espoir puis l'amertume, incapacité à traiter efficacement les impacts reconnus comme majeurs sur les bassins versants) et nous y reviendrons dans un article plus programmatique. Mais les réformes que nous proposons ici forment une base minimale pour déminer les problèmes les plus urgents et prendre le temps de chercher des solutions durables.
En attendant l'évolution de ce dossier, notre association appelle ses consoeurs et partenaires ainsi que tous les propriétaires et riverains à maintenir la même position de principe : refus de tout chantier de destruction non consenti et non respectueux des droits des tiers ou des équilibres écologiques locaux, contentieux judiciaire si l'administration et le gestionnaire restent sourds aux souhaits de conserver les ouvrages et d'assurer un financement correct des charges très élevées du chantier de continuité.
Illustration : Emmanuel Macron (CC BY-SA 3.0, gouvernement français). Le nouveau président de la république a exprimé sa préférence pour une action publique fondée sur l'optimisme, la confiance et le dépassement des antagonismes au service d'une vision plus intégrative des enjeux. La continuité écologique sera un test intéressant pour mettre à l'épreuve ces convictions, en vérifiant que l'on peut faire avancer en même temps la protection des milieux naturels et le respect des patrimoines humains.
La France a un nouveau président et un nouveau gouvernement, notre pays renouvellera bientôt son parlement. Le dossier de la continuité écologique figure parmi les premiers à traiter dans le domaine de l'eau : de nombreux rapports ont constaté ses problèmes et retards depuis 5 ans, les récentes réformes législatives n'ont apporté que des corrections superficielles, toujours pas traduites en décrets ou circulaires d'application par l'administration. Le coût estimé de la continuité écologique (de l'ordre de 2 milliards d'euros) et la menace persistante de disparition d'un grand nombre d'ouvrages équipables en hydro-électricité en font une urgence au regard des autres ambitions environnementales du pays (priorité à la transition énergétique) et de la nécessité largement reconnue d'un meilleur usage de l'argent public.
Délai irréaliste à revoir : 20665 ouvrages à traiter, 85% des ouvrages non mis en conformité
Le rapport du CGEDD fait apparaître que 20.665 ouvrages sont classés en rivières de liste 2 avec obligation de mise en conformité (effacement ou aménagement). Ce programme n'est pas ambitieux, il est irréaliste : aucun pays au monde, y compris ceux qui se dotent d'orientations en ce domaine (Etats-Unis, Pays-Bas), n'a imposé des mesures sur un si grand nombre d'ouvrages en si peu de temps.
Le résultat logique est un retard considérable : 85% des ouvrages ne sont pas mis en conformité alors que le premier délai de 5 ans est échu ou sur le point de l'être. Le nouveau délai de 5 ans, qui a été voté dans le cadre de la loi de biodiversité en 2016, ne disposait pas de ces informations et se révèle à son tour irréaliste. En effet, les Agences de l'eau ne parviennent à traiter qu'entre 300 et 400 chantiers par an, ce qui demanderait donc 50 ans pour les 20.000 ouvrages classés.
Notre première attente : l'article L 214-17 CE doit être modifié soit en supprimant la notion même de délai en liste 2 (en ce cas, les mises en conformité se feront au gré des opportunités de chaque gestionnaire et maître d'ouvrage sur chaque bassin) soit en élargissant considérablement le délai (20 ans paraît un minimum). Sans ce réalisme, on se condamne à entretenir une urgence artificielle et à reproduire les mêmes problèmes qu'aujourd'hui dans quelques années, au lieu de consolider et pacifier une fois pour toutes la réforme de continuité écologique en lui donnant un rythme raisonnable
Supprimer la prime à l'effacement des ouvrages : dérive par rapport aux lois, blocage des chantiers
Le rapport du CGEDD relève que les agences de l'eau accordent un surfinancement à la destruction des ouvrages, avec des subventions allant de 80 à 100 %. Pour les autres solutions (passes à poissons, rivière de contournement, changement et ouverture de vanne), le financement va de 0 à 60% selon les cas, en général 40% seulement. Le même rapport révèle que le coût moyen des chantiers (toutes solutions confondues) dépasse les 100 k€ par ouvrage, une somme évidemment inaccessible pour les particuliers, petits exploitants ou modestes collectivités rurales.
La préférence accordée à la destruction du patrimoine hydraulique a été à l'origine d'une bonne part des polémiques et conflits entourant la continuité écologique. Elle pose en effet trois problèmes graves:
- d'abord, aucune loi française (LEMA 2006 Grenelle 2009) ni aucun texte européen (DCE 2000, Blue print 2012) ne demande l'effacement des ouvrages, ces textes citant au contraire des solutions de gestion, entretien ou équipement. Le choix des Agences de l'eau est perçu comme un excès de pouvoir administratif, avec des velléités normatives contraires à l'esprit et au texte des lois;
- ensuite, la prime à l'effacement est accordée au prétexte qu'elle est la solution écologiquement la meilleure. Mais cet argument est contraire au principe de gestion équilibrée et durable de l'eau (défini en droit français dans l'article L 211-1 CE) qui demande de prendre en compte toutes les dimensions de l'eau : l'écologie bien sûr, qu'il s'agit d'améliorer, mais aussi l'énergie, le patrimoine, le stockage d'eau à l'étiage, la valorisation de la ressource, etc. Détruire un ouvrage est (parfois) l'optimum pour l'écologie, mais c'est aussi parfois la pire solution pour tous les autres aspects. Il n'y a donc aucune raison que les Agences de l'eau surexpriment un seul élément d'appréciation en négligeant le reste;
- enfin, tout le monde convient que la gestion des ouvrages relève du cas par cas car chaque rivière, chaque espèce, chaque ouvrage, chaque biotope local est différent. Parfois, des retenues ou des étangs abritent une biodiversité d'intérêt et les détruire pour faire revenir certaines espèces de poissons n'a pas un bon bilan écologique global. Poser une prime de principe pour une solution au niveau d'un bassin entier n'est donc pas avisé : la programmation publique doit laisser le gestionnaire local définir la meilleure solution à chaque fois, en concertation avec le maître d'ouvrage et les riverains.
Mieux prendre en compte les dimensions multiples des rivières, indexer la dépense publique aux services rendus par les écosystèmes
Le rapport du CGEDD comme les échanges parlementaires lors des lois récentes (biodiversité, patrimoine architecture et création, autoconsommation d'énergie) ont montré que la continuité écologique se situe à la rencontre de beaucoup d'enjeux différents : le franchissement piscicole et le transit sédimentaire bien sûr, mais aussi les cadres de vie, les paysages, les différents usages de l'eau autour des retenues, canaux ou biefs, notamment la transition énergétique et la stratégie bas-carbone.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de la continuité écologique sur les quelques milliers d'ouvrages traités, ainsi que le rapport Dubois-Vigier de 2015, montrent que les enjeux écologiques sont d'importance variable : parfois ils concernent des grands migrateurs menacés et effectivement disparus des zones amont de la rivière, parfois ils visent des espèces plus communes, encore présentes sur le bassin, ayant des besoins moindres de migration à longue distance et subissant d'autres pressions plus impactantes que les petits ouvrages hydrauliques.
Il en résulte que pour pondérer le choix parmi diverses solutions, et pour prioriser les actions les plus bénéfiques à la nature, il faut impérativement mener une analyse coût-avantage et évaluer les services rendus par les écosystèmes avant / après le chantier. En posant ce principe dans la loi ou dans un nouveau décret d'application, on garantit les bonnes pratiques sur tout le territoire et on rappelle le nécessaire respect des dispositions de la gestion équilibrée et durable de l'eau.
Il est à noter que cette démarche doit être sincère et sérieuse : on ne peut comme aujourd'hui prétendre que l'on procède à des analyses coût-avantage alors qu'il n'existe dans les rapports préparatoires aucune enquête de riveraineté, aucun engagement sur des résultats écologiques précis, aucune analyse des autres pressions environnementales susceptibles de limiter ou annuler l'effet attendu, aucune mobilisation d'expertise sur les dimensions historiques et paysagères, aucune estimation économique des services rendus par les écosystèmes aménagés ou désaménagés, etc.
Notre troisième attente : la mise en oeuvre de l'article L 214-17 CE doit être amendée d'une disposition posant que toute mise en conformité à la continuité écologique fait l'objet d'une analyse coût-avantage menée sous l'autorité administrative, analyse pluridisciplinaire incluant la biodiversité et la fonctionnalité des milieux, l'attente précise de résultat écologique et les modalités de son suivi, le patrimoine, l'énergie, les usages locaux et droits des riverains, les services rendus par les écosystèmes, en fonction de différentes hypothèses d'aménagement.
Ces propositions sont loin d'épuiser tous les problèmes rencontrés dans la politique de l'eau et des ouvrages hydrauliques (dialogue environnemental au point mort, manque de représentation des citoyens dans les instances de décision et concertation, faiblesse des bases scientifiques de la politique environnementale, excès de certaines représentations radicales et minoritaires de l'écologie, impréparation économique et sociologique de la programmation publique nourrissant l'espoir puis l'amertume, incapacité à traiter efficacement les impacts reconnus comme majeurs sur les bassins versants) et nous y reviendrons dans un article plus programmatique. Mais les réformes que nous proposons ici forment une base minimale pour déminer les problèmes les plus urgents et prendre le temps de chercher des solutions durables.
En attendant l'évolution de ce dossier, notre association appelle ses consoeurs et partenaires ainsi que tous les propriétaires et riverains à maintenir la même position de principe : refus de tout chantier de destruction non consenti et non respectueux des droits des tiers ou des équilibres écologiques locaux, contentieux judiciaire si l'administration et le gestionnaire restent sourds aux souhaits de conserver les ouvrages et d'assurer un financement correct des charges très élevées du chantier de continuité.
Illustration : Emmanuel Macron (CC BY-SA 3.0, gouvernement français). Le nouveau président de la république a exprimé sa préférence pour une action publique fondée sur l'optimisme, la confiance et le dépassement des antagonismes au service d'une vision plus intégrative des enjeux. La continuité écologique sera un test intéressant pour mettre à l'épreuve ces convictions, en vérifiant que l'on peut faire avancer en même temps la protection des milieux naturels et le respect des patrimoines humains.
05/05/2017
"Il était temps d'arrêter la destruction de ce patrimoine" (Ségolène Royal)
Au cours des trois années passées à la tête du ministère de l'Ecologie, Ségolène Royal a clairement ré-orienté la politique gouvernementale en faveur du développement de la petite hydro-électricité, avec une condamnation de la destruction du patrimoine hydraulique au nom de la continuité écologique. Sa position vient encore d'être rappelée sans ambiguïté. Bilan de cette évolution, qui reste inachevée.
La ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, a dévoilé la semaine dernière la liste des dix-neuf projets lauréats du premier appel d'offres "petite hydro-électricité" lancé en 2016 parmi lesquels des moulins anciens. S'emportant quelque peu dans le lyrisme, la ministre a déclaré: "pour la première fois dans l'Histoire de France, quatre moulins vont être identifiés et reconnus producteurs d'énergie"(source). En réalité, nombre de moulins étaient devenus des petites centrales hydro-électriques dès la fin du XIXe siècle, la houille blanche (en montagne) et la houille verte (en plaine) ayant accompagné l'électrification d'une France plus pauvre en charbon que ses voisins anglais et allemands.
Ségolène Royal a également déclaré : "Les 19 projets lauréats que je désigne aujourd'hui illustrent, malgré les résistances rencontrées, que l'on peut tout à fait concilier développement de l'hydroélectricité, défense du patrimoine que représentent nos anciens moulins, et préservation des continuités écologiques" (source). Et elle a ajouté: "Il était temps d'arrêter la destruction de ce patrimoine" (source)
Les barrages de la Sélune ont nourri le scepticisme de Ségolène Royal
Depuis sa nomination à la tête du ministère de l'Ecologie le 2 avril 2014, Ségolène Royal a porté la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la loi sur la biodiversité et les négociations de la COP 21. Sensible aux questions climatiques et énergétiques, elle s'est montré nettement plus dubitative sur d'autres aspects de l'écologie valorisés par ses prédécesseurs. C'est le cas en particulier de la continuité écologique.
Ségolène Royal a découvert l'enjeu de la continuité écologique avec le dossier des barrages de la Sélune (voir nos articles). Elle a refroidi certaines ardeurs en déclarant d'entrée de jeu à propos du projet de destruction des ouvrages: "Il faut que le rapport qualité-prix soit raisonnable. On ne met pas 53 millions d'euros pour faire passer les poissons" (source). Rapidement détestée par certains milieux pêcheurs et environnementalistes qui jouissaient jusqu'alors d'un soutien politique et financier de l'Etat sans aucun esprit critique sur ce dossier, Ségolène Royal n'a fait que constater la réalité :
Des prises de position répétées contre la destruction des ouvrages, ayant entraîné un flottement dans l'administration de l'eau
Par la suite, et au-delà de la question particulière des grands chantiers sur les barrages normands, Ségolène Royal a exprimé à de nombreuses reprises son scepticisme sur la politique de destruction des ouvrages hydrauliques, en particulier des moulins (voir ses prises de positions en 2015-2016). A la fin de l'année 2015, la ministre a écrit une lettre d'instruction aux préfets leur demandant de cesser ces effacements lorsqu'ils rencontrent de l'incompréhension. Elle a dans le même temps demandé un audit de la politique de continuité écologique par le CGEDD, qui vient de rendre public son rapport (très critique) sur le sujet. Au cours des années 2016 et 2017, quatre réformes législatives ont modifié directement ou indirectement le régime de la continuité écologique, avec principalement un délai de 5 ans supplémentaires pour la mise en conformité des seuils et barrages en rivière classée, ainsi qu'une exemption pure et simple de continuité pour les moulins producteurs d'électricité. Ces réformes – quoique peu compréhensibles pour l'exemption – ont eu l'aval du gouvernement.
Alors que Ségolène Royal s'apprête à quitter ses fonctions ministérielles, où en sommes-nous? La situation est loin d'être clarifiée:
Le futur gouvernement et le futur parlement héritent donc d'un dossier où des arbitrages et des évolutions sont encore nécessaires. Ce n'est évidemment pas l'abandon de la continuité écologique qui est en jeu, mais une manière plus réaliste, plus concertée et plus efficace de la mettre en oeuvre.
La ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, a dévoilé la semaine dernière la liste des dix-neuf projets lauréats du premier appel d'offres "petite hydro-électricité" lancé en 2016 parmi lesquels des moulins anciens. S'emportant quelque peu dans le lyrisme, la ministre a déclaré: "pour la première fois dans l'Histoire de France, quatre moulins vont être identifiés et reconnus producteurs d'énergie"(source). En réalité, nombre de moulins étaient devenus des petites centrales hydro-électriques dès la fin du XIXe siècle, la houille blanche (en montagne) et la houille verte (en plaine) ayant accompagné l'électrification d'une France plus pauvre en charbon que ses voisins anglais et allemands.
Ségolène Royal a également déclaré : "Les 19 projets lauréats que je désigne aujourd'hui illustrent, malgré les résistances rencontrées, que l'on peut tout à fait concilier développement de l'hydroélectricité, défense du patrimoine que représentent nos anciens moulins, et préservation des continuités écologiques" (source). Et elle a ajouté: "Il était temps d'arrêter la destruction de ce patrimoine" (source)
Les barrages de la Sélune ont nourri le scepticisme de Ségolène Royal
Depuis sa nomination à la tête du ministère de l'Ecologie le 2 avril 2014, Ségolène Royal a porté la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la loi sur la biodiversité et les négociations de la COP 21. Sensible aux questions climatiques et énergétiques, elle s'est montré nettement plus dubitative sur d'autres aspects de l'écologie valorisés par ses prédécesseurs. C'est le cas en particulier de la continuité écologique.
Ségolène Royal a découvert l'enjeu de la continuité écologique avec le dossier des barrages de la Sélune (voir nos articles). Elle a refroidi certaines ardeurs en déclarant d'entrée de jeu à propos du projet de destruction des ouvrages: "Il faut que le rapport qualité-prix soit raisonnable. On ne met pas 53 millions d'euros pour faire passer les poissons" (source). Rapidement détestée par certains milieux pêcheurs et environnementalistes qui jouissaient jusqu'alors d'un soutien politique et financier de l'Etat sans aucun esprit critique sur ce dossier, Ségolène Royal n'a fait que constater la réalité :
- la continuité écologique coûte cher au sein du budget dédié à l'eau (sans doute plus de 2 milliards d'euros sur 5 ans si le programme était appliqué),
- elle est souvent impopulaire chez les riverains, qui y voient des chantiers publics inutiles, imposés, détruisant un cadre de vie apprécié,
- elle a des bénéfices écologiques parfois limités, et parfois confondus avec le seul bénéfice halieutique du loisir pêche (ce qui pose problème quand on prétend à un intérêt général limité en fait à des intérêts particuliers, et à des services rendus par les écosystèmes à peu près inexistants pour les citoyens non pêcheurs).
Des prises de position répétées contre la destruction des ouvrages, ayant entraîné un flottement dans l'administration de l'eau
Par la suite, et au-delà de la question particulière des grands chantiers sur les barrages normands, Ségolène Royal a exprimé à de nombreuses reprises son scepticisme sur la politique de destruction des ouvrages hydrauliques, en particulier des moulins (voir ses prises de positions en 2015-2016). A la fin de l'année 2015, la ministre a écrit une lettre d'instruction aux préfets leur demandant de cesser ces effacements lorsqu'ils rencontrent de l'incompréhension. Elle a dans le même temps demandé un audit de la politique de continuité écologique par le CGEDD, qui vient de rendre public son rapport (très critique) sur le sujet. Au cours des années 2016 et 2017, quatre réformes législatives ont modifié directement ou indirectement le régime de la continuité écologique, avec principalement un délai de 5 ans supplémentaires pour la mise en conformité des seuils et barrages en rivière classée, ainsi qu'une exemption pure et simple de continuité pour les moulins producteurs d'électricité. Ces réformes – quoique peu compréhensibles pour l'exemption – ont eu l'aval du gouvernement.
Alors que Ségolène Royal s'apprête à quitter ses fonctions ministérielles, où en sommes-nous? La situation est loin d'être clarifiée:
- la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère, dont les dérives dans l'interprétation radicale des lois de 2006 et 2009 sont à l'origine des problèmes, a été clairement désavouée mais elle reste silencieuse;
- les DDT-M connaissent un certain flottement, faute d'avoir reçu des circulaires d'application claires sur les nouvelles orientations du ministère de tutelle et les nouvelles dispositions de la loi;
- les agences de l'eau persistent dans leurs arbitrages actuels qui donnent la priorité financière au seul effacement des ouvrages hydrauliques, rendant de ce fait insolvables les autres solutions dans la plupart des cas;
- l'Onema a été intégré dans l'Agence française pour la biodiversité au 1er janvier 2017 et ne modifie pas substantiellement les éléments de connaissance publiés depuis 2006 sur le thème de la continuité écologique;
- les associations de riverains, moulins, étangs, protection de patrimoine et les syndicats de petite hydro-électricité ont salué les avancées réalisées depuis 3 ans, mais soulignent que rien n'a concrètement changé sur les problèmes de fond (coût trop élevé des aménagements, nombre trop important d'ouvrages classés) et que la continuité doit être encore réformée si l'on veut sortir des blocages sur les 17.000 ouvrages toujours orphelins de solution.
Le futur gouvernement et le futur parlement héritent donc d'un dossier où des arbitrages et des évolutions sont encore nécessaires. Ce n'est évidemment pas l'abandon de la continuité écologique qui est en jeu, mais une manière plus réaliste, plus concertée et plus efficace de la mettre en oeuvre.
Illustration : Ségolène Royal en visite dans le bassin de la Sélune avec les élus normands, DR.
27/04/2017
Quelques millénaires de dynamique sédimentaire en héritage (Verstraeten et al 2017)
Une équipe de chercheurs belges montre, à travers trois ensembles hydrographiques en Belgique, en Turquie et aux Etats-Unis, que les dynamiques sédimentaires répondent à des modifications humaines sur une échelle de temps pluricentenaire à plurimillénaire. Ces évolutions, qui ne sont généralement pas à l'équilibre aujourd'hui, ne peuvent être comprises que par des analyses au cas par cas et ont des issues difficilement prédictibles compte-tenu du caractère complexe, non linéaire de la réponse du milieu à l'impact humain. Ainsi, les conclusions de l'hydro-écologie et l'hydromorphologie sont assez différentes des prescriptions génériques et "recettes" interchangeables que certains gestionnaires prétendent aujourd'hui promouvoir sous leur autorité. Cela incite à souhaiter, plus que jamais, une véritable analyse écologique de chaque rivière en son bassin versant, afin de cerner la nécessité et de clarifier la portée de nos actions par rapport à la dynamique à long terme des milieux concernés.
Presque partout à travers le monde, l'érosion, le transport et le stockage sédimentaires ont été modifiés par l'expansion progressive des activités humaines. Ces processus, déjà soumis à la variabilité naturelle du climat, de la couverture végétale et de la tectonique, font également l'objet d'un forçage anthropique, c'est-à-dire d'une variation résultant de l'occupation des vallées par les sociétés humaines.
Pour comprendre ces phénomènes, Gert Verstraeten et ses collègues (Université et Centre des sciences archéologiques de Louvain) comparent les travaux menés sur la Dilje (rivière belge dans la ceinture de loess centre- et nord-européenne), les bassins du Bügdüz et Gravgaz (monts Taurus, chaîne calcaire du sud-ouest de la Turquie occupée depuis l'Antiquité) et plusieurs rivières des Etats-Unis (analyses de l'impact de la colonisation européenne et du développement de l'agriculture).
Nous exposons ici plus en détail l'exemple de la Dilje, bassin versant de 758 km2 et de faible altitude (max 168 m, min 75 m), avec une couverture de loess déposée à partir du Pléistocène. Les chercheurs analysent l'histoire de ce bassin à la lumière de l'analyse fine des dépôts sédimentaires et des pollens.
Cette première illustration montre l'évolution estimée du bilan sédimentaire sur trois périodes. En haut, l'érosion du bassin versant produit 69 Mt (mégatonnes) sur 7 millénaires. Le mouvement s'accélère avec l'occupation des vallées et le développement de l'agriculture: 209 Mt en l'espace de 3000 ans. Le mouvement se poursuit et s'intensifie sur le dernier millénaire: 534 Mt depuis l'An 1000.
Cette seconde illustration montre l'évolution des styles fluviaux et occupation des sols de la Dilje, dans les zones à lit majeur étroit (gauche) ou large (droite). La forme "naturelle" (au sens de spontanée en interglaciaire et préalable à une influence anthropique significative) de l'écoulement est en anastomose (lit ramifié en plusieurs bras, pas de lit mineur incisé drainant l'essentiel de l'écoulement). La connexion avec le flux de charge sédimentaire venu des versants tend à s'accentuer à mesure que les formations boisées (forêts de feuillus) se raréfient. Le style méandriforme et incisé de la rivière, avec une plaine d'inondation dépourvue de forêts (aulne dominant), s'impose tardivement. Les formations tourbeuses, de prairies ou forêts humides, régressent régulièrement au long de cette période.
Sans détailler les autres études de cas, on voit sur ce troisième graphique que les évolutions des taux de sédimentation ont été très différentes en Belgique (courbe continue), en Turquie (courbe en tirets) et aux Etats-Unis (courbe en pointillés). Les chercheurs soulignent notamment :
Discussion
Les travaux de Gert Verstraeten et de ses collègues rejoignent ceux menés par l'équipe de Laurent Lespez sur les rivières de l'Ouest de la France, que nous avions commentés (voir Lespez 2015). Nous nous contenterons ici de quelques réflexions générales en lien aux orientations de la gestion publique de l'eau en France, qui a récemment mis en avant les dimensions morphologiques par rapport à la lutte classique contre les pollutions chimiques de l'eau.
Ces recherches nourrissent plusieurs réserves que nous avons mises en avant:
Référence : Verstraeten G et al (2017), Variability in fluvial geomorphic response to anthropogenic disturbance, Geomorphology, doi:10.1016/j.geomorph.2017.03.027
Illustrations : extraites de l'article cité, droit de courte citation.
Presque partout à travers le monde, l'érosion, le transport et le stockage sédimentaires ont été modifiés par l'expansion progressive des activités humaines. Ces processus, déjà soumis à la variabilité naturelle du climat, de la couverture végétale et de la tectonique, font également l'objet d'un forçage anthropique, c'est-à-dire d'une variation résultant de l'occupation des vallées par les sociétés humaines.
Pour comprendre ces phénomènes, Gert Verstraeten et ses collègues (Université et Centre des sciences archéologiques de Louvain) comparent les travaux menés sur la Dilje (rivière belge dans la ceinture de loess centre- et nord-européenne), les bassins du Bügdüz et Gravgaz (monts Taurus, chaîne calcaire du sud-ouest de la Turquie occupée depuis l'Antiquité) et plusieurs rivières des Etats-Unis (analyses de l'impact de la colonisation européenne et du développement de l'agriculture).
Nous exposons ici plus en détail l'exemple de la Dilje, bassin versant de 758 km2 et de faible altitude (max 168 m, min 75 m), avec une couverture de loess déposée à partir du Pléistocène. Les chercheurs analysent l'histoire de ce bassin à la lumière de l'analyse fine des dépôts sédimentaires et des pollens.
Cette première illustration montre l'évolution estimée du bilan sédimentaire sur trois périodes. En haut, l'érosion du bassin versant produit 69 Mt (mégatonnes) sur 7 millénaires. Le mouvement s'accélère avec l'occupation des vallées et le développement de l'agriculture: 209 Mt en l'espace de 3000 ans. Le mouvement se poursuit et s'intensifie sur le dernier millénaire: 534 Mt depuis l'An 1000.
Cette seconde illustration montre l'évolution des styles fluviaux et occupation des sols de la Dilje, dans les zones à lit majeur étroit (gauche) ou large (droite). La forme "naturelle" (au sens de spontanée en interglaciaire et préalable à une influence anthropique significative) de l'écoulement est en anastomose (lit ramifié en plusieurs bras, pas de lit mineur incisé drainant l'essentiel de l'écoulement). La connexion avec le flux de charge sédimentaire venu des versants tend à s'accentuer à mesure que les formations boisées (forêts de feuillus) se raréfient. Le style méandriforme et incisé de la rivière, avec une plaine d'inondation dépourvue de forêts (aulne dominant), s'impose tardivement. Les formations tourbeuses, de prairies ou forêts humides, régressent régulièrement au long de cette période.
Sans détailler les autres études de cas, on voit sur ce troisième graphique que les évolutions des taux de sédimentation ont été très différentes en Belgique (courbe continue), en Turquie (courbe en tirets) et aux Etats-Unis (courbe en pointillés). Les chercheurs soulignent notamment :
- aucun concept global d'évolution de la sédimentation après une perturbation anthropique ne peut être proposé;
- la connectivité entre les pentes des versants et le chenal définit des points de basculement (tipping points) au-delà desquels se déclenchent des effets significatifs dans la dynamique sédimentaire;
- les propriétés géomorphorlogiques et tectoniques des bassins et la rétroaction des sols à l'érosion compliquent encore la nature non-linéaire de la réponse à l'impact;
- les systèmes ne sont pas forcément à l'équilibre, on doit donc développer des modèles spécifiques de la réponse fluviale aux usages humains des milieux, et la prédiction de la réponse future aux pressions actuelles reste un défi majeur pour l'hydromorphologie.
Discussion
Les travaux de Gert Verstraeten et de ses collègues rejoignent ceux menés par l'équipe de Laurent Lespez sur les rivières de l'Ouest de la France, que nous avions commentés (voir Lespez 2015). Nous nous contenterons ici de quelques réflexions générales en lien aux orientations de la gestion publique de l'eau en France, qui a récemment mis en avant les dimensions morphologiques par rapport à la lutte classique contre les pollutions chimiques de l'eau.
Ces recherches nourrissent plusieurs réserves que nous avons mises en avant:
- le nouveau paradigme de "gestion écologique" des bassins (voir Morandi et al 2016) doit être cohérent avec son ambition et s'inspirer réellement de la recherche écologique contemporaine, au lieu d'une version parfois un peu simpliste, superficielle ou dépassée;
- les prescriptions génériques (à échelle nationale ou de grand bassin de gestion) ne sont guère adaptées à la dynamique toujours singulière des milieux que l'on entend préserver ou restaurer, le maillon faible de la gestion étant aujourd'hui la qualité du travail préparatoire à échelle de chaque bassin versant (là où il faut être rigoureux sur le diagnostic et les priorités d'action);
- la valorisation de principe du "transit des sédiments" (comme élément de continuité) ne fait pas sens si l'on ne s'interroge pas sur la trajectoire sédimentaire concernée, la nature de ce que l'on veut faire transiter, l'effet à l'aval des bassins, etc. C'est particulièrement vrai dans notre période (100 dernières années) marquée par des variations rapides d'emprise et déprise agricoles, ainsi que de notables changements d'intensité dans l'aménagement des sols (mécanisation, urbanisation) ;
- au regard de la longue modification des versants européens par une implantation humaine dense et précoce, la promotion d'une "renaturation" ou d'une "restauration morphologique" ne peut faire l'économie d'un débat sur la "nature" que l'on prétend rétablir ou sur l'état que l'on veut "restaurer". Par exemple, les styles méandriformes (promus un peu partout au lieu des chenaux récemment rectifiés, voir Hiers et al 2016) sont déjà des héritages tardifs de l'occupation humaine des sols et leur rétablissement, assez coûteux, doit d'abord justifier d'un intérêt écologique propre, sans que la référence à un modèle passé n'ait de sens au point de vue de "la naturalité" ou de "l'intégrité" du style fluvial.
Référence : Verstraeten G et al (2017), Variability in fluvial geomorphic response to anthropogenic disturbance, Geomorphology, doi:10.1016/j.geomorph.2017.03.027
Illustrations : extraites de l'article cité, droit de courte citation.
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