20/06/2017

Parc du Morvan: un joli petit film, de vilains petits oublis...

Le Parc du Morvan et le Parc des Ballons des Vosges ont profité du financement du programme Life+ Continuité écologique pour produire un film sur les travaux de restauration des milieux aquatiques sur leurs territoires. On y trouve de belles images, des points d'accord sur la nécessité de préserver les patrimoines naturels et culturels, mais aussi une dissimulation peu glorieuse de ce qui se passe sur le terrain et l'entretien de certaines idées fausses. L'écologie des rivières et milieux humides ne pourra pas progresser sur la négation des réalités et sans l'ouverture d'un véritable dialogue environnemental. 



Précisons tout d'abord nos points de convergence :

  • le Morvan et les Vosges disposent de territoires d'exception pour leurs patrimoines naturels, culturels et paysagers, dont la préservation est d'intérêt général;
  • les têtes de bassin sont des milieux écologiquement riches, et la préservation de certaines espèces menacées (comme la moule perlière) comme de certains biotopes fragiles est un enjeu légitime de mobilisation;
  • nous apprécions la volonté affichée dans cette vidéo de conciliation entre les activités humaines (dont leurs héritages) et la conservation des espaces naturels;
  • nous considérons le Parc du Morvan comme un animateur territorial tout à fait légitime, avec de beaux enjeux à faire valoir pour les générations présentes et futures.

En revanche, le film est trompeur pour le public car il évacue tous les problèmes concrets de gouvernance observés depuis plusieurs années dans le cas particulier et conflictuel de la continuité écologique (nous parlons ici du Morvan, notre territoire d'implantation, et non des Vosges).

En voici quelques rappels dans le domaine de la gouvernance :
  • la plupart des propriétaires de moulins et étangs subissent depuis 5 ans une pression constante en vue de détruire (araser, déraser) leurs ouvrages, seule solution qui est aujourd'hui financée par l'Agence de l'eau Seine-Normandie dans la plupart des cas. Le déni de ce chantage économique et de l'attitude brutale de l'administration a abouti à une rupture catastrophique de la concertation, qui est toujours impossible aujourd'hui faute d'une reconnaissance claire des problèmes et d'une proposition de solutions viables;
  • lors du programme Life + sur la zone Nature 2000 d'Avallon, plusieurs propriétaires étaient volontaires pour des passes à poissons, mais cette solution leur a été refusée alors qu'elle a été acceptée pour d'autres. Beaucoup perçoivent cela comme un arbitraire pur et simple des agents instructeurs;
  • malgré l'abondant financement public pour les trois passes à poissons finalement réalisées (plusieurs bureaux d'études!), l'une s'est révélée défaillante dès la première année (moulin Cayenne) et l'autre se trouve être un piège à embâcles dont le choix (passe à plots) et la conception sont peu adaptés à l'hydrologie du site (moulin Cadoux);
  • les représentants du Parc du Morvan, de la DDT, de l'Agence de l'eau, de l'AFB ont toléré ou engagé diverses dérives sur le bassin Yonne-Cure-Cousin au cours des années passées: refus de reconnaître qu'un moulin non connecté au réseau et en autoconsommation a un intérêt à garder son ouvrage (Cussy-les-Forges), refus d'admettre qu'une retenue très appréciée des riverains et inscrite au patrimoine communal a un intérêt de conservation (Bessy-sur-Cure); acharnement à essayer de casser des droits d'eau sans enjeu écologique ni riverain (Chastellux-sur-Cure), information insuffisante d'un propriétaire l'ayant conduit  à perdre l'essentiel de son droit d'eau et à échouer dans la vente de son moulin à des acquéreurs qui voulaient avant tout produire de l'énergie verte (Avallon), etc.

Par ailleurs, le film donne une image imprécise et partielle des enjeux écologiques :
  • on présente les étangs, les lacs, les retenues et les biefs comme des hydrosystèmes que l'on peut éventuellement tolérer en tant qu'héritages culturels ou lieux d'usages particuliers, mais qui en soi ont des impacts forcément négatifs sur le plan écologique. Or, c'est inexact. Des plans d'eau artificiels comme les étangs de Marrault, l'étang Taureau de Saint-Brisson (où est la Maison du Parc), les lacs de Saint-Agnan, de Chaumeçon, de Pannecière ont aussi un intérêt propre comme milieux récepteurs de certaines espèces (même s'ils ont un effet adverse sur d'autres espèces). Certains font d'ailleurs l'objet d'un classement pour leur intérêt faunistique et floristique; 
  • la biodiversité n'est pas un musée figé où chaque population de chaque espèce patrimoniale doit se répéter à l'identique dans le temps, c'est une réalité qui évolue, et qui évolue en particulier sous l'influence des activités humaines depuis plusieurs millénaires (par exemple les phases de boisement, déboisement, reboisement du Morvan, la construction des systèmes d'énergie et de flottage, etc.), dans une logique de "rivières hybrides", comme les a joliment appelées une équipe de chercheurs français;
  • il manque à la démarche du Parc du Morvan des éléments essentiels sur l'histoire et l'avenir de la diversité biologique. Multiplier des monographies descriptives de certains tronçons des milieux aquatiques actuels est une démarche d'observation intéressante, mais insuffisante pour ce qu'on attend en premier lieu de la science, à savoir des modèles explicatifs et prédictifs qui correspondent aux données observées et permettent d'anticiper avec un degré raisonnable de certitude l'effet des actions envisagées. Par exemple, sur la population repère de truite (indispensable au cycle de vie de la moule perlière), nous n'avons à notre connaissance aucune donnée fiabilisée sur les abondances passées, sur la variabilité interannuelle et interdécennale des peuplements, sur la pondération des nombreux facteurs pouvant expliquer une (éventuelle) tendance, sur le potentiel truiticole total des masses d'eau, sur l'évolution de ce potentiel en situation de réchauffement climatique, sur le coût et l'efficacité relative des différentes actions envisageables (dont les moulins et étangs, mais pas seulement : les ripisylves, les pollutions, les charges sédimentaires venant des versants et apportant ou non la bonne granulométrie de frayères, les connexions de ruisseaux pépinières, les pratiques de pêche, la dynamique des espèces prédatrices ou concurrentes, etc.). 

Enfin, le Parc du Morvan doit répondre avec davantage de précision de ses actions. Ainsi, le 15 octobre 2016, un responsable du PNR avait affirmé à la presse (Yonne républiciane) :
Sur le plan écologique, « normalement, c'est plutôt long d'obtenir des résultats. Mais on a déjà mesuré les impacts des travaux menés en 2013 et 2014 ( N.D.L.R. : sur des ouvrages privés). Le milieu s'est considérablement amélioré en une année. Au niveau de l'ouvrage Michaud, en amont du camping, où il y a eu un arasement partiel, on constate le retour des perlas, une espèce bioindicatrice. Les truites sont aussi revenues au moulin des Templiers ».
Depuis cette date, nous demandons sans succès la transmission des études démontrant le résultat avancé (et son caractère significatif). Après 8 mois de tergiversation (et toujours pas de document disponible), le responsable du Parc nous dit que ces analyses ne concernent finalement pas la truite… alors que la déclaration aux médias affirmait le contraire (et que la truite fait l'objet d'empoissonnement par les pêcheurs, ce qui pose de toute façon la question du sens de ces observations par rapport à une "naturalité" pisciaire). Ce n'est certainement pas en procédant ainsi que l'on va instaurer des rapports de confiance avec les riverains ni démontrer de bonne foi que les dépenses écologiques sur les ouvrages hydrauliques correspondent à des gains proportionnés pour les milieux aquatiques.

14/06/2017

Franchissement piscicole des ouvrages hydrauliques: un cahier des charges trop complexe pour les petits sites

L'Agence française pour la biodiversité et les Agences de l'eau viennent de publier une trame de cahier des charges pour accompagner collectivités et hydroélectriciens dans leur projet de mise en conformité d’un site classé en liste 2 au titre de la continuité écologique. Quelques commentaires sur la complexité des demandes en rapport aux capacités et aux impacts des projets de relance des moulins et autres ouvrages très modestes.


Ce guide venant de paraître est consacré à la définition des équipements de franchissabilité en montaison et dévalaison (passes à poissons, rivières de contournement, grilles) pour les propriétaires ayant un projet hydro-électrique. Il rassemble les éléments que l'administration estime nécessaires: données administratives et réglementaires, connaissance des usages et caractéristiques techniques de l'ouvrage, données sur l'hydrologie et le fonctionnement hydraulique, évaluation des impacts de l'ouvrage sur la continuité écologique, diagnostic de la continuité biologique, diagnostic de la continuité sédimentaire, justifications techniques des choix de franchissabilité, etc.

Nous attirons l'attention sur le caractère trop complexe et donc décalé de ce guide par rapport aux réalités de la très petite hydro-électricité des moulins et anciennes usines à eau. Ce que des grands barragistes peuvent intégrer dans le cadre de projets industriels, ou ce que des constructions de nouveaux sites peuvent planifier dans le génie civil de l'ouvrage à bâtir, n'est pas à portée de projets de réhabilitation de sites anciens et modestes. La seule mobilisation d'un bureau d'études pour répondre à la totalité du cahier des charges proposé dans le guide représenterait pour ces petits sites l'équivalent d'une à cinq années de production – cela sans parler de la réalisation matérielle des passes, grilles, goulottes de dévalaison et autres besoins. Ce qui est manifestement disproportionné. Se pose donc la question du financement de ces demandes : la très haute exigence environnementale a du sens, mais elle ne peut se déployer sans un soutien public à hauteur du niveau d'ambition imposé.

Par ailleurs, la question de la mortalité des poissons sur les petites turbines n'a jamais été explorée de manière satisfaisante. L'administration se fonde sur des travaux anciens concernant  (là encore) les grosses unités de production. Nous souhaitons donc que l'Agence française pour la biodiversité mène des travaux sur des sites de production de 5 à 250 kW, avec un spectre représentatif de hauteur et débit, afin de modéliser plus finement la question. Notre association et plusieurs de ses consoeurs sont disposées à aider l'administration à trouver des sites pilotes volontaires pour répondre à ce besoin, en particulier chez les très petits producteurs de 5 à 50 kW. Il n'est pas possible de faire des prescriptions sur la base de simples présomptions, sans disposer au préalable d'étude scientifique et technique sur l'objet de ces prescriptions. Or à notre connaissance, le CSP, l'Onema puis l'AFB n'ont jamais publié le moindre travail de recherche sur le comportement d'approche, d'évitement ou de piégeage des poissons dans les très petits sites de production (moulins).

Enfin, sur le plan du droit, le guide a été conçu avant les évolutions récentes de la loi. On rappellera que le nouvel article L 214-18-1 Code de l'environnement exonère les moulins producteurs des obligations du II de l'article L 214-17 du même code, c'est-à-dire concrètement des contraintes de franchissement piscicole et sédimentaire. Les hauts fonctionnaires du ministère de la Transition écologique n'ont toujours pas produit une circulaire d'application de cette disposition, comme de plusieurs autres votées depuis un an.

Référence : Eléments techniques pour la rédaction d’un cahier des charges (CCTP) pour les équipements et dispositifs dédiés au franchissement piscicole (montaison & dévalaison) et/ou au transit sédimentaire (janvier 2017).

Illustration : une rivière de contournement au droit d'une chaussée de moulin sur le Cousin (Méluzien). Sans le financement Life+, Agence de l'eau et Parc du Morvan, ce projet aurait été hors de portée du maître d'ouvrage.

09/06/2017

Evaluer le préjudice écologique lié à la destruction des retenues, biefs et étangs

La loi sur la biodiversité a introduit dans le Code civil de nouvelles dispositions sur le préjudice écologique, concernant soit des composantes d'un écosystème soit les services collectifs qu'il procure. Le ministère de la Transition écologique et solidaire vient de publier un guide pour évaluer ce préjudice dans le cas des petits chantiers à impact de moindre gravité. Nous exposons ici que les chantiers de continuité écologique, amenant parfois à perturber les équilibres en place, à supprimer des annexes hydrauliques et à diminuer globalement la surface offerte au vivant aquatique, doivent fournir dans leur justification réglementaire une évaluation sérieuse de la biodiversité locale (qui ne se limite pas aux poissons) et des impacts parfois négatifs du chantier sur cette biodiversité. Dans le cas contraire, tout riverain ou toute association est fondé à requérir auprès du juge administratif une annulation de l'arrêté autorisant le chantier.



La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, votée en 2016, a modifié le livre III du Code civil. Deux nouvelle dispositions sont ainsi formulées:
Art. 1246 – Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer.
Art. 1247 – Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement.
Le ministère de l'Environnement (aujourd'hui Transition écologique et solidaire) a publié un document sur la question, concernant le chantiers de faible impact et intitulé Comment réparer des dommages écologiques de moindre gravité ? (pdf, mai 2017).

Comme l'observent les auteurs de ce travail, "réparer au mieux un préjudice écologique nécessite tout d'abord d'évaluer correctement le dommage subi. C'est sur la base de cette évaluation que la réparation pourra ensuite être envisagée."

Malheureusement, dans le cas particulier des travaux concernant les milieux aquatiques et en particulier la continuité écologique, le document est insatisfaisant par la généralité de ses préceptes et par la mise en avant de présupposés discutables (confusion entre biodiversité, qui est une diversité mesurable de gènes, d'espèces, de fonctions ou d'habitats, et naturalité ou intégrité biotique, qui est un état de référence d'un milieu non modifié).

Rappelons que la continuité écologique longitudinale consiste à traiter les obstacles à l'écoulement en rivière (seuils, barrages) afin de limiter leur entrave à la circulation de poissons ou au transit de sédiments. Elle représente aujourd'hui plusieurs centaines de chantiers en rivière chaque année (objectif : plus de 20.000 ouvrages), avec une priorité accordée à la solution de destruction de l'ouvrage, soit l'un des enjeux de programmation publique les plus importants affectant l'équilibre en place des rivières françaises au plan de leur morphologie et de leur diversité biologique perdue ou acquise au fil des siècles.

Chaque hydrosystème doit être étudié, chaque chantier doit être évalué
Il serait erroné de penser a priori qu'un habitat anthropisé (modifié par l'homme) est forcément dégradé ou défavorable à la biodiversité : on rencontre au contraire des cas de sites classés pour leur intérêt faunistique ou floristique (voir cet exemple) ou encore des cas de canaux de dérivation qui alimentent de tels sites d'intérêt, comme des zones humides (voir cet exemple). Les chercheurs soulignent aussi la diversité des cas, comme des canaux pouvant servir de refuge à des espèces menacés (Aspe et al 2014), des étangs piscicoles hébergeant une faune d'intérêt autre que les poissons (Wezel et al 2014), une végétation riveraine qui peut répondre défavorablement à une modification de l'écoulement (Depoilly et Dufour 2015).

Un chantier se réclamant de l'écologie ne peut donc pas s'appuyer sur des idées trop générales ou abstraites, particulièrement s'il se veut exemplaire et bénéficie de fonds publics : il s'agit d'étudier la réalité et la diversité du vivant sur chaque site, afin de prendre les décisions les mieux informées.

Un porteur de projet de continuité écologique doit donc évaluer l'impact de ses travaux sur le vivant. Cet impact ne se limite pas à la variation attendue d'une population de poissons ou à la variation de micro-habitats sur le périmètre de la retenue du barrage ou du seuil. Il convient en effet d'évaluer :
  • l'ensemble de la biodiversité inféodée au système en place (typiquement, les oiseaux ou les amphibiens sont aussi des espèces d'intérêt, pouvant profiter des retenues, mais ne sont presque jamais prises en compte),
  • le risque d'espèces indésirables ou porteuses de pathogènes présentes à l'aval et pouvant se répandre plus facilement vers l'amont, en concurrence éventuelle avec des espèces patrimoniales (voir cet exemple récent de barrages limitant des proliférations et ce texte de synthèse),
  • la perte pour les espèces aquatiques que représente la disparition d'une certaine surface en eau hors du lit mineur de la rivière (le bief supérieur et inférieur, les rigoles de déversoir, les éventuelles zones humides alimentées par le détournement d'eau, les plans d'eau de type étangs, mares, lacs).
Les associations gagneront à effectuer ce rappel aux services administratifs, aux syndicats de rivière et aux bureaux d'études, afin que chaque projet liste les espèces susceptibles d'en bénéficier ou d'en souffrir, avec indication sur le degré de certitude de la connaissance du milieu, sur l'objectif de résultat du chantier et sur les éventuelles compensations à prévoir.

En cas de refus de procéder ainsi, les riverains peuvent documenter la diversité biologique des hydrosystèmes concernés (eux-mêmes ou en faisant appel à des naturalistes), et s'il apparaît qu'il existe des espèces d'intérêt pour la biodiversité locale, saisir le juge administratif pour faire stopper le chantier, en mettant en avant le défaut d'estimation du préjudice écologique.

Enfin, il convient de rappeler que l'article 1247 Code civil mentionne aussi les "bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement". Cette expression renvoie à la notion de services rendus par les écosystèmes, qui est de plus en plus mise en avant en gestion de l'environnement depuis une quinzaine d'années. En ce domaine également, les bénéfices divers que les riverains retirent des hydrosystèmes aménagés doivent être intégrés dans le diagnostic préparatoire au chantier (par exemple rehausse de nappe à l'amont, agrément paysager, plus-value culturelle, réserve d'eau en été, loisirs, etc.).

Illustrations : quelques exemples d'invertébrés observés à proximité immédiate d'un hydrosystème artificiel (ruisseau créé par le déversoir d'un moulin dans le Morvan, prairie humide en partie alimentée par les fuites de son bief), parmi des dizaines d'autres espèces colonisant cet habitat. Une mise à sec de ce ruisseau et de ce bief par suppression du seuil amont qui les alimente représenterait un impact pour les espèces présentes. Ce genre d'enjeu demande une bonne évaluation des avantages-inconvénients de chaque chantier au plan de la biodiversité locale. Notre association appelle tous les propriétaires et riverains de moulins, d'étangs, de lacs à s'intéresser aux espèces qui peuplent ces biotopes, y compris en travaillant à améliorer la capacité d'accueil écologique des sites (exemple LPO), et à mener des campagnes d'observation.

A lire également :
Diagnostic écologique de chaque rivière: le travail que nous attendons des gestionnaires

02/06/2017

26/05/2017

Non, madame la sénatrice, relancer l'énergie d'un moulin ne coûte pas 600.000 euros!

Informée par l'Association des moulins du Morvan et de la Nièvre des problèmes rencontrés par les ouvrages hydrauliques et de la nécessité de les préserver pour faciliter la relance énergétique de certains d'entre eux, Anne Emery-Dumas (sénatrice de la Nièvre) répond que le coût moyen de leur ré-équipement s'élèverait à 600 k€, selon une information reçue lors d'une réunion en préfecture. Ce chiffre est fantaisiste, car la majorité des moulins bourguignons (et français) sont de dimensions modestes : hors passe à poissons, on peut en général équiper un moulin pour quelques milliers d'euros du kilowatt de puissance (donc quelques dizaines de milliers d'euros au total). En revanche, trois phénomènes alourdissent les coûts de certains chantiers: les attentes sans réalisme économique des agents de l'Etat en charge de l'environnement, raisonnant comme si les moulins étaient des grands barrages industriels; les subventions qui rehaussent la complexité du cahier des charges et poussent les entreprises à saler la facture sur les marchés publics; les excès de certains équipementiers qui, profitant de l'ignorance des particuliers, font parfois payer bien trop cher les turbines ou l'électrotechnique. Aujourd'hui, les moulins ne demandent pas à l'Etat d'engager des dépenses d'argent public pour les équiper au plan énergétique, ce qui relève d'un choix et d'un financement privés. Mais les procédures doivent être simplifiées, en particulier pour l'autoconsommation, et les investissements écologiques doivent être pris en charge par les Agences de l'eau, car ils sont d'intérêt général et leur entretien représente déjà une servitude lourde pour le particulier.




Anne Emery-Dumas, sénatrice (PS) de la Nièvre, avait été saisie par l'Association des moulins de Morvan et de la Nièvre, dans le but de traduire en acte les souhaits parlementaires de protection des ouvrages hydrauliques aujourd'hui menacés de destruction par les choix administratifs (voir cette lettre aux préfets déjà envoyée par de nombreuses associations en France).

Dans sa réponse à l'association, la sénatrice évoque une "réunion du comité départemental pour le développement des énergies renouvelables", tenue en préfecture, d'où elle a retenu le point suivant:
"les moulins ont été abordés concernant la production d'hydro-életricité, en rappelant que Madame Ségolène Royal, alors ministre de l'Ecologie, y est favorable. Les difficultés sont liées essentiellement aux coûts d'implantation de ces unités, estimés en moyenne à 600.000 € (dont 200.000 € pour les passes à poissons) pour une rentabilité nécessitant une longue période de fonctionnement (50 à 100 ans)"
Cette assertion est tout à fait inexacte.

Passes à poissons : leur coût est plutôt entre 50 et 150 k€, leur nécessité est indépendante de l'énergie
Concernant les passes à poissons, le coût moyen estimé est de 50 k€ par mètre de chute selon l'observatoire des coûts de l'Agence de l'eau rhodanienne. Les moulins ayant des chutes modestes (la moitié des ouvrages du référentiel des obstacles à l'écoulement font moins de 1 mètre), le coût probable se situe entre 50 et 150 k€. C'est confirmé par les données du rapport CGEDD 2016 montrant que le coût moyen d'un chantier de continuité depuis 2007 (toutes solutions confondues) est de 100 k€. Ajoutons qu'il existe (dans certaines configurations favorables) des solutions moins chères que les passes à poissons : simple gestion des vannes, pré-barrage, rivière de contournement.

Cette dépense de continuité écologique concerne les ouvrages avec ou sans production d'énergie, et elle est de toute façon hors de portée des particuliers, des petits exploitants et des collectivités rurales modestes. Donc il n'y aura pas de continuité écologique réussie sans un financement public massif de ces travaux très coûteux en rivière. Au moins l'existence d'une production d'énergie permet-elle de mettre des revenus en face des dépenses, et surtout de soutenir la transition bas-carbone choisie par l'Etat français.

Pour finir, soulignons que le nouvel article L 214-18-1 du code de l'environnement exempte les moulins producteurs d'électricité d'obligation de continuité écologique en liste 2. Donc dans ces cas-là, l'objection de madame la sénatrice n'est plus d'actualité.

Production d'électricité : moins de 100 k€ pour la majorité des moulins
Concernant la production hydro-électrique elle-même, le coût d'un chantier est très variable, car il va dépendre des éléments suivants :
  • état du génie civil (tenue de la chaussée ou du barrage, longueur et état du bief),
  • hauteur de chute (plus c'est haut, moins c'est cher en coût de revient),
  • distance au raccordement (si injection réseau),
  • complexité administrative (reconnaissance du droit d'eau),
  • niveau des exigences environnementales (prescriptions complémentaires),
  • capacité du maître d'ouvrage à assumer lui-même une partie du dossier et des travaux (plus on délègue et plus c'est coûteux).
On ne peut donner qu'une fourchette de coût, très large : celle-ci va de 2000 à 10.000 euros du kW installé. Les moulins ont une puissance brute comprise entre 5 et 100 kW, mais la médiane est basse, à 10-15 kW. Cela signifie que l'essentiel des moulins a des coûts de relance qui se situeront entre 10.000 et 100.000 euros.

A titre d'exemple, la relance la moins chère parmi nos adhérents est un moulin de 6 kW à 12.000 euros d'investissement en autoconsommation, avec un temps de retour sur investissement (économie de fioul) de moins de 4 ans (à l'époque où le combustible était plus cher, ce serait 6 ans aujourd'hui).

Donc en réalité, si l'on prend le parc des moulins réellement présents dans le Morvan et en Bourgogne comme ailleurs en France sur les petites rivières, le coût moyen de relance énergétique d'un moulin hors passe à poissons sera de 60.000 euros et non pas 600.000 euros, un ordre de grandeur en dessous de l'estimation donnée à madame la sénatrice !

Pourquoi les coûts sont-ils parfois élevés ? Trois excès à corriger
Notre expérience associative nous amène à observer trois types de coûts anormalement élevés pour certains chantiers de relance énergétique :
  • les dérives de certains installateurs privés qui, abusant de la crédulité des propriétaires, proposent des solutions nettement trop coûteuses. Tout propriétaire devrait contacter une association pour avoir un avis critique sur les devis, ou se renseigner sur le forum de la petite hydro-électricité (forum très dynamique où des dizaines de projets de petite puissance ont déjà été aidés dans leur relance);
  • les dérives de certains services administratifs en charge de l'environnement, qui demandent parfois des prescriptions dont le coût représente plusieurs années de chiffres d'affaire (ou équivalent monétaire de production). Cet irréalisme et cette attitude anti-économique ne concernent que les moulins, jamais on ne demanderait à une exploitation agricole ou industrielle de dépenser des sommes aussi disproportionnées par rapport aux revenus;
  • la dépendance aux subventions publiques qui renchérit tous les coûts (à la fois parce que le subventionneur pose des cahiers des charges très ambitieux en échange de son aide, et parce que les entreprises – des bureaux d'études aux travaux publics – avancent des prix plus élevés dans les marchés publics que dans les négociations avec des acteurs privés).

Pour relancer les moulins: simplifier la réglementation, proportionner les mesures environnementales, laisser agir les acteurs privés
Il existe probablement entre 50.000 et 80.000 moulins en France, répartis dans tous les départements, sur toutes les rivières. Même si leur production est individuellement modeste, elle représente une opportunité de déployer des sources d'énergie bas-carbone et de redonner sens aux ouvrages en rivières (qui sont de toute façon présents, et exercent donc un impact écologique même sans production électrique).

Mais du fait de leurs modestes dimensions, impacts et productibles, la relance de ces moulins ne pourra pas se faire à travers des politiques publiques conçues pour des industriels ayant au minimum plusieurs centaines de kW de puissance potentielle à équiper, souvent plusieurs MW.  L'Etat français doit impérativement redimensionner ses programmes dans le cas de la petite hydraulique, qu'il s'agisse du volet écologique ou du volet énergétique. Plus généralement, le rôle premier de l'action publique est d'assister les citoyens dans la réalisation de leurs projets, et non de faire grimper les coûts, de multiplier les contrôles et d'additionner les complications. A partir du moment où l'hydro-électricité fait partie des énergies retenues en Europe pour remplacer des sources fossile et fissile, l'administration en charge de la transition écologique et solidaire doit l'accélérer, pas la freiner.

Pour notre part :
  • nous sommes favorables à la limitation des subventions publiques à l'énergie en dehors du tarif d'achat garanti tel qu'il se pratique pour tout le secteur renouvelable (de toute façon, les nouveaux contrats H16 de la petite hydro-électricité interdisent de cumuler les avantages, et c'est plus clair ainsi);
  • nous sommes favorables à la prise en charge publique des coûts des passes à poissons, qui sont des dispositifs d'intérêt général et non d'intérêt privé, imposant déjà des contraintes lourdes de surveillance et d'entretien au particulier ou à l'exploitant;
  • pour les plus petits moulins majoritaires (5 à 15 kW), même si chaque cas est à étudier, nous encourageons plutôt les propriétaires à réfléchir à l'autoconsommation (avec injection du surplus si disponible), quitte à ne pas utiliser toute la puissance brute présente (ce qui laisse davantage de débit pour la rivière), ce choix étant dicté par la simplicité (plus grande autonomie, pas de dossier EDF-OA, pas de contrainte de raccordement et de sécurité réseau, pas d'obligation de créer une société pour des revenus industriels et commerciaux généralement très modestes, etc.) ;
  • sur chaque rivière, nous appelons le gestionnaire à procéder à une évaluation du taux d'équipement afin de débattre démocratiquement du potentiel énergétique sur la base de chiffres exacts;
  • nous rappelons qu'avant d'équiper énergétiquement les moulins, le premier enjeu est de cesser immédiatement leur destruction à la chaîne. La politique de continuité écologique doit proposer en première intention des équipements environnementaux respectant la consistance légale et le potentiel énergétique de chaque site.
Illustration : une ancienne turbine Fontaine dans un moulin de Côte d'Or, sur l'Armançon. Souvent, les moulins ont encore leur turbine ancienne en chambre d'eau et les propriétaires peuvent tout à fait envisager de les ré-utiliser, car ces mécanismes, adaptés à la hauteur et au débit, subissent assez bien l'usure du temps. Sinon, il existe des modèles contemporains à coût raisonnable.