Une équipe de chercheurs a étudié 110 projets de restauration de rivière menés entre 1980 et 2015 en France, dont le coût médian approche les 200.000 euros. Leur but était d'en faire une typologie selon les motivations, mais aussi de mener une comparaison des actions menées en zone urbaine et en zone rurale. On peut observer dans leurs résultats que le facteur humain dans la motivation (améliorer la qualité de vie des habitants) est totalement absent des projets ruraux, alors qu'il est présent dans le tiers des projets urbains. Tout pour les poissons, les insectes et les sédiments, rien pour les riverains? C'est l'impression qu'ont beaucoup d'habitants des zones rurales pour la question de la réhabilitation physique des cours d'eau, notamment dans le cadre de la continuité écologique qui accapare une bonne part des fonds publics en hydromorphologie depuis 5 ans. Autres observations notables : les projets français sont centrés sur l'habitat aquatique par rapport à la zone riveraine qui intéresse davantage les gestionnaires en Europe ou dans le monde ; la restauration des peuplements de poissons domine les autres motivations, même ceux de la directive cadre européenne sur l'eau.
La "restauration de rivière", parfois appelée réhabilitation ou renaturation, recouvre des chantiers qui visent à améliorer la qualité de l'eau et des milieux, souvent par l'intervention sur les propriétés physiques de l'écoulement, de l'érosion ou de la sédimentation (hydromorphologie). Des actions nombreuses sont concernées. Comme le remarque Aude Zingraff-Hamed et ses trois collègues (UMR CNRS 7324 CITERES, Université François Rabelais, Université de Munich), "l'utilisation d'un seul terme pour une telle variété d'activités de restauration peut amener des incompréhensions, des biais de comparaison entre projets, et elle peut compromettre la fécondation réciproque des projets".
Les chercheurs ont donc essayé de clarifier les typologies de ces chantiers, à la fois selon leurs motivations et selon les zones concernées. Ils ont analysé 110 projets de restauration de rivières réalisés entre 1980 et 2015, dont 78 provenant de la base de l'Onema et les autres de leurs propres travaux de recherche. Chaque projet a été classé comme urbain ou rural (URR, RRR) selon la densité de population, la zone urbaine étant définie à partir de 300 habitants/km2 ou une population de plus de 5000 habitants sur la commune concernée.
Ces 110 projets de restauration concernent 465 kilomètres linéaires de rivières. Le coût médian est de 198.700 € par projet.
La plupart des projets de restauration ont plusieurs objectifs. Une analyse factorielle multiple hiérarchique a permis de dégager cinq types de chantier : Fish (migration de poissons), Blue (restauration d'habitats), WFD (mise en oeuvre de la directive cadre européenne sur l'eau), Floodprotection (gestion des crues et inondations), Human (qualité de vie des citoyens).
Répartition des motivations principales des 110 projets analysés. Art. cit., droit de courte citation.
Parmi leurs résultats sur la comparaison des projets urbains et ruraux :
les projets urbains combinent plus souvent des buts à la fois écologiques et sociaux que les ruraux (60,5% versus 24,6%),
les projets ruraux dominent dans la motivation poisson (53% versus 14%),
le facteur humain comme motivation principale est absent des projets ruraux (0% versus 32% pour les villes),
le facteur protection des crues et inondations suit la même répartition (0% versus 14%).
la France se distingue par l'insistance sur les habitats aquatiques par rapport à la qualité de l'eau ou la zone riveraine (berge, ripisylve, lit majeur),
la bonne qualité des eaux au sens de la DCE est parmi les motifs les moins fréquemment invoqués.
Discussion
"Les résultats montre que la restauration de rivières urbaines représente une tendance vers la restauration socio-écologique. Elle donne donc un exemple de la "culture rivière" (Wantzen et al. 2016), c'est-à-dire harmoniser le besoin de rétablir la biodiversité et les services écosystémiques avec les intérêts des populations humaines locales, et créer des sites pour vivre dans et apprendre avec la nature", commentent les scientifiques. On ne peut en dire autant des projets ruraux.
Notre action associative, essentiellement conduite en zone rurale, a permis d'observer la déconnexion manifeste entre les enjeux écologiques et les enjeux sociaux, en particulier dans le domaine de la restauration de continuité écologique qui préempte une large part des financements publics en morphologie depuis 2012. Les services instructeurs de l'Etat (Agences de l'eau, DDT-M, Agence française pour la biodiversité ex-Onema, Dreal de bassin) tiennent des discours presqu'entièrement centrés sur les questions écologiques, considérant comme négligeables d'autres aspects de la gestion de l'eau, en particulier les attentes des riverains relatives au patrimoine, au paysage, au loisir, à la permanence de plans d'eau en été, au maintien des berges. Dans les zones rurales, les syndicats ou parcs assurant la gestion (EPTB, Epage), qui devraient être au plus proche des populations, sont prisonniers d'une absence de fonds propres conséquents (faible population, faibles moyens) et donc d'une forte dépendance aux agences de l'eau, qui tiennent un discours vertical, relativement uniforme et déconnecté des enjeux locaux.
50 ans de restauration de rivières par les Agences de l'eau (Morandi et al 2016)
Ce travail montre le passage chez les agences de l'eau du paradigme de la restauration hydraulique et paysagère, anthropocentrée et partant des besoins humains, à celui de la restauration écologique, biocentrée et visant un certain état des milieux aquatiques. Un excès est-il en train d'en chasser un autre? On peut douter de l'avenir de politiques publiques incapables de concilier des améliorations écologiques et des attentes sociologiques ou économiques.
Alors que les casseurs d'ouvrages hydrauliques continuent leurs méfaits en toute indifférence aux protestations des parlementaires et aux révisions des lois, les collectifs riverains et propriétaires se mobilisent. Nous reproduisons ci-dessous le communiqué de 5 associations (Association de valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie VPH Normandie – Association de sauvegarde des moulins hauts-normands SM 27-76)- Association pour la sauvegarde de la Dives - Association des moulins et riverains du Perche ornais AMRPO - Association des amis des moulins 61) et de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM). Le document complet avec ses annexes est téléchargeable à ce lien. Nous conseillons aux associations locales de publier des communiqués similaires et de les adresser aux députés élus en juin dernier, ainsi qu'aux sénateurs. Mais également d'engager des contentieux et des occupations de site sur les projets de destruction les plus problématiques. La casse des moulins, étangs et usines hydrauliques doit cesser, comme l'ont déjà demandé à de nombreuses reprises les élus de la République.
Ces dernières années en Normandie, et spécialement dans le département du Calvados, plus de 100 retenues de moulins ont été détruites. Des dizaines d’autres moulins sont contraints de maintenir leurs vannes ouvertes, vidant les plans d’eau traditionnels, asséchant les cours d’eau et empêchant la production d’énergie.
Le coût de destruction de ce patrimoine séculaire s’élève déjà à plus de 13 millions d’euros à fin 2015 en Basse-Normandie (chiffres communiqués par l’Agence de l’eau).
Parmi ces dizaines de moulins détruits, certains produisaient de l’énergie, autrement appelés «microcentrales hydroélectriques». Cinq d’entre elles ont déjà été détruites, 6 autres doivent l’être dans les mois à venir (cf Annexe 1). Trois ont été rachetées par les Fédérations de Pêche du Calvados et de la Manche avec des fonds provenant intégralement de l’Agence de l’eau. L’Agence de l’eau est ainsi devenue, via les Fédérations de Pêche, le premier acheteur de microcentrales hydroélectriques de la région normande aux fins... de les détruire. Les fonds qu’elle engage dans ces opérations proviennent d’une taxe prélevée sur chacune de nos factures de consommation d’eau.
Destruction d'un ouvrage de la Sienne.
Ces rachats et destructions de microcentrales hydroélectriques normandes coûteront in fine près de 10 millions d’euros supplémentaires. Elles produisaient l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 4 000 à 5 000 foyers en énergie verte et renouvelable. Ces opérations sont menées alors même qu’a été votée au mois d’août 2015 la loi de transition énergétique qui promeut le développement de la petite hydroélectricité en France...
Cette politique de destruction est aujourd’hui totalement assumée et encouragée par les pouvoirs publics locaux dont principalement la direction territoriale de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, l’ONEMA* (intégrée dorénavant à l’AFB*), les Fédérations de Pèches départementales avec le soutien des services de la Préfecture du Calvados notamment.
Cette chasse aux sorcières « anti-moulins » est justifiée par une volonté de restaurer le « libre-écoulement des eaux » afin notamment de favoriser la remontée des poissons migrateurs. Pourtant l’article L214-17 du Code de l’Environnement qui encadre les obligations de continuité écologique ne prévoit pas la destruction des retenues de moulins traditionnels comme moyen d’assurer la circulation des poissons migrateurs mais bien «leur équipement ».
Devant l’émoi que suscite cette débauche d’argent public visant à détruire un patrimoine séculaire et une production d’énergie renouvelable traditionnelle, une table ronde a récemment été organisée à l’Assemblée Nationale le 23 novembre 2016 dernier en présence de nombreux députés. A cette occasion, les 5 scientifiques français auditionnés ont mis en exergue l’absence complète d’études sérieuses permettant de justifier ces destructions et les dangers qu’elles représentent pour l’écologie de nos rivières. Ils ont courageusement dénoncé une mainmise de certains lobbies écologistes jusqu’au-boutistes.
Destruction d'un ouvrage de la Rouvre.
Voilà des années que nos différentes associations ont dénoncé cette politique et exigé sans succès de recevoir les études qui démontreraient les effets positifs de ces destructions. Surtout, nous avons fait connaitre à ces institutions les données historiques, techniques et scientifiques indiscutables prouvant les multiples effets bénéfiques de la présence des retenues des moulins sur nos rivières au delà même de leur aspect patrimonial. Et notamment que les retenues formées par les moulins :
- améliorent la qualité des eaux en les épurant notamment en nitrates et phosphores,
- préservent la ressource en eau,
- atténuent les phénomènes de crue et d’érosion des terres,
- participent à la préservation et au développement des milieux aquatiques,
- favorisent les usages dont le tourisme, le canotage, la pêche et le développement de la production d’énergie verte et renouvelable.
Cette politique, soi-disant « écologiste », menée au prix d‘un gaspillage d’argent public exorbitant issu de nos taxes, se révèle ainsi dramatiquement « anti-écologique » pour nos rivières et alors que chacun sait que le problème réside dans la pollution excessive de nos eaux et non dans la présence multiséculaire des moulins (7 à 9 siècles d’ancienneté pour l’immense majorité des moulins normands).
A la suite de la table ronde et des propos des 5 scientifiques auditionnés, nos parlementaires ont réagi face à la dérive administrative constatée, et ont sanctionné l’article L214-17 en votant l’article L214-18-1 qui dégage partiellement les moulins «équipés pour produire de l’électricité» ou qui le seront, des obligations de «continuité écologique». Nous saluons notamment les parlementaires de notre région dont : M. Poniatowski, M. Lenoir, M. Huet, M. Revet, M. Bas, M. Loncle, M. Le Maire qui y ont activement participé avec d’autres.
Les pouvoirs publics locaux n’ont malheureusement pas pour autant renoncé à cette politique. De très nombreux moulins et microcentrales sont en ce moment même voués à la destruction.
Barrage de moulin et barrage de castor. Un impact fonctionnellement équivalent lorsque le seuil est modeste et comporte des voies de passage. Mais les barrages de castor sont protégés par la loi, tandis que l'administration française, les gestionnaires de rivière et le lobby de la pêche s'acharnent à détruire les chaussées de moulin.
Afin de permettre aux médias, aux élus, aux riverains, et plus largement aux citoyens de se faire leur propre opinion à ce sujet, ce communiqué comporte 9 annexes justifiant nos propos notamment sur le rôle bénéfique incontestable des retenues de moulins dans le cadre de la gestion de nos eaux et des milieux aquatiques (cf Annexe 6, annexe 7 et annexe 8) et l’inanité complète de cette politique.
Nos 6 associations demandent, au vu de ces données qui déterminent que la destruction des retenues de moulins est parfaitement contraire aux principaux enjeux légaux établis ainsi qu’à l’intérêt général que :
- les projets de destruction de moulins en cours soient suspendus
- les projets de destruction de 6 nouvelles microcentrales hydroélectriques soient abandonnés et
que ces installations soient remises en service pour produire de l’énergie verte et renouvelable
conformément à la loi de transition énergétique d’août 2105
- des études d’incidence complètes sur les principaux enjeux légaux établis soient
systématiquement menées avant d’autoriser la destruction d’une retenue de moulin, ce qui n’est pas le cas à ce jour.
Nous souhaitons qu’un débat régional puisse se tenir à ce sujet avec ceux qui encouragent ces destructions, afin que nos élus et nos concitoyens intéressés par cette question puissent se faire leur avis et nous l’espérons trancher en faveur de la conservation des moulins normands plutôt qu’à la poursuite de leur destruction.
Les rivières subissent des stress multiples qui affectent la qualité de leurs eaux et leurs milieux. Mais ce constat ne suffit plus : les chercheurs visent à comprendre en détail le poids relatif et l'effet conjugué des impacts, notamment pour orienter les choix prioritaires des politiques publiques. Deux chercheurs allemands, analysant les invertébrés de rivières de plaine d'Europe centrale (Allemagne, Pologne, Pays-Bas), montrent que les premiers facteurs de dégradation sont les accumulations de sédiments fins et la diffusion des polluants, avec comme principaux prédicteurs les usages agricoles et urbains des sols. Les barrages n'ont qu'un poids mineur. En France, ni les agences de l'eau, ni l'Agence pour la biodiversité ni les gestionnaires ne recourent à ce type de modélisation des bassins versants. L'argent public est dépensé dans le plus grand désordre et dans une méconnaissance de la dynamique réelle des milieux, parfois au bénéfice disproportionné de modes lancées par des lobbies (comme la continuité écologique).
Jan U. Lemm et Christian K. Feld (université de Duisbourg et Essen) ont exploité 125 jeux de données (2002-2002) assez complets pour disposer d'informations sur l'usage des sols, l'hydromophologie, la physico-chimie, la qualité sédimentaire et des co-variables naturelles, cela sur des rivières de plaine à fond sableux de Pologne, d'Allemagne et des Pays-Bas. Parmi les variables biologiques, les macro-invertébrés ont été retenus comme indicateurs de qualité de l'eau (échantillonnage sur sites à raison de 20 unités représentatives de micro-habitats ; analyse des cycles reproductifs, stages aquatiques, résistance des oeufs, divers traits de vie).
Sur cette base, les chercheurs ont procédé à une analyse statistique (composantes principales) pour définir les stresseurs significatifs parmi les 16 mesures d'impact disponibles. Une analyse de graphe a également été réalisée (voir ci-dessous) ainsi qu'une modélisation à régression linéaire généralisée pour analyser la réponse de 14 traits biologiques aux stresseurs.
Quelles sont les principales conclusions des chercheurs ?
Le premier axe de l'analyse en composante principale montre l'influence de l'agriculture (axe 1, 31% de variance expliquée) et de la morphologie (axe 2, 18% de variance).
L'analyse de graphe montre que quatre stresseurs principaux sont co-occurrents : taux de champs cultivés, de superficie urbaine, de sédiments fins et d'orthophosphate.
Le modèle linéaire montre que 20% des pressions ne sont pas additives (elles sont soit synergistiques, ie se renforçant, soit antagonistes, ie s'annulant). Les interactions additives concernent au premier chef les zones urbaines et les sédiments fins ainsi que les zones agricoles et les orthophosphates. Pour les non additives, c'est l'association des zones agricoles et des sédiments fins qui ressort le plus clairement.
Analyse en graphe. Les points ou noeuds représentent les impact (plus le noeud est de taille importante, plus l'effet est marqué), les liens entre les points représentent la force de l'association statistique. On observe notamment le rôle plutôt mineur des barrages("dams"). Extrait de Lemm et Feld 2017, art cit, droit de courte citation.
Discussion
Il manque de nombreux stresseurs dans l'analyse de Jan U. Lemm et Christian K. Feld, en particulier les pollutions autres que les nutriments (reprotoxiques, neurotoxiques, génotoxiques, perturbateurs endocriniens, etc.), dont la charge est souvent forte dans les plaines alluviales et dont certains chercheurs pensent que l'effet est aujourd'hui sous-estimé (voir par exemple Stehle et Schulz 2015). Il y a donc quelques raisons d'estimer que la variance de la qualité des milieux, en particulier des invertébrés, est davantage liée à des facteurs chimiques ici écartés faute de données.
Les chercheurs concluent : "Notre approche est utile pour visualiser une structure de stresseurs co-occurrents et les pressions au sein, par exemple, d'un bassin versant spécifique et pour quantifier les interactions possibles entre ces impacts humains. Elle peut aussi aider à avoir une idée des impacts humains qui sont d'importance mineure".
Hélas, aucune approche de ce type n'est développée en France. Plusieurs centaines de millions d'euros d'argent public sont dépensés chaque année par les Agences de l'eau dans des programmes qui ne sont pas fondés sur des modèles scientifiques de discrimination et pondération des impacts, mais sur des approches très sommaires ne possédant quasiment aucun pouvoir descriptif, explicatif et prédictif. Quant à l'Agence française pour la biodiversité (que l'Onema a intégré depuis le 1er janvier 2017), elle ne témoigne d'aucune rigueur dans les prescriptions de terrain visant à faire entrer la politique des rivière dans un âge scientifique, en procédant à des modélisations hydro-écologiques avancées qui permettrait d'avoir une vue globale du bassin au lieu de multiplier des actions sur site, selon des méthodes parfois datées et discutables d'écologie de la conservation. La France prétend ainsi faire de l'écologie sans procéder par la base de toute action sérieuse en ce domaine, à savoir l'acquisition, la bancarisation et l'interprétation de données de bonne qualité sur les milieux que l'on veut restaurer ou conserver.
Enfin, on observe que l'analyse multi-impacts de Lemm et Feld ne fait pas particulièrement ressortir les barrages comme un impact majeur sur la qualité des rivières de plaines telle que mesurée par les invertébrés : les ouvrages hydrauliques ne concernent ici qu'une partie des 18% de variance du second axe de l'ACP. Cette conclusion rejoint celles d'autres travaux ayant procédé, non pas à des analyses de sites sur des variations locales des espèces, mais à des analyses d'hydro-écologie quantitative sur des bassins ou des groupes de bassins (lire par exemple nos recensions de Wang et al 2011, Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015, Radinger et Volter 2015, Cooper et al 2016). Cela implique que l'on doit développer une politique des ouvrages hydrauliques plus différenciée, au lieu de l'actuel discours simpliste ou dogmatique selon lequel tout ouvrage en rivière serait un problème grave pour les milieux. On voit également que le mot d'ordre des gestionnaires français de la "circulation des sédiments" n'a pas d'intérêt particulier dans les bassins qui sont soumis au problème d'érosion des sols agricoles et de dépôts de sédiments fins qui vont de toute façon affecter les substrats. Le choix de restauration de la continuité en long a une bonne probabilité d'aggraver le problème de cette gestion sédimentaire au niveau des plaines alluviales et des estuaires.
Un temps valorisée comme la meilleure solution pour améliorer l'écologie des rivières, la destruction des barrages est de plus en plus contestée : coût élevé, résultats pas toujours démontrés ni surtout à hauteur des investissements, forte opposition des riverains, persistance des besoins en eau et en énergie, nécessité de conserver des outils de gestion des niveaux et débits en vue de s'adapter au changement climatique. Aussi les scientifiques et gestionnaires en écologie sont-ils à la recherche de solutions plus intelligentes et plus ouvertes aux besoins sociaux. Parmi elles, la gestion écologique des débits suscite le plus grand intérêt.
Construit en 1964 sur le Drac, le barrage EDF de Notre-Dame-de-Commiers ne laissait que 1,5 m3/s au lit naturel. Ce "débit réservé", aujourd'hui appelé débit minimum biologique, n’était pas suffisant pour la faune et la flore, avec 84 km du Drac qui se retrouvaient quasiment sans eau plus de 300 jours par an. Après plusieurs années d'études, le débit réservé vient d’être augmenté à 5,5 m3/s (voir cet article et la vidéo ci-dessous).
Le cas n'est pas isolé. Un peu partout dans le monde, on cherche à mieux concilier les ouvrages hydrauliques et les besoins des milieux naturels. Dans un article du New Scientist (1er juillet 2017), Terri Cook expose une nouvelle tendance des gestionnaires de rivières : la gestion écologique des débits de barrage plutôt que leur destruction.
Au cours des 130 dernières années, il s'est construit chaque jour dans le monde un barrage de plus de 15 m de haut, plus de 7000 aux Etats-Unis et 9000 en Europe. Ce mouvement a été associé à la hausse de la démographie, au développement économique, à la recherche de source d'énergie et d'eau pour la consommation ou l'irrigation.
Si les nations industrialisées n'ont quasiment plus de projet de construction de grands barrages, plus de 3200 sont en chantier dans les pays en développement – Asie, Afrique ou Amérique latine. On réfléchit donc à ne pas reproduire dans ces travaux les mêmes erreurs qui ont pu être faites lors du siècle précédent.
Outre l'ennoiement de vallées entières et l'obligation de déplacer leure habitants, ces grands ouvrages ont eu des impacts écologiques désormais connus : barrière à la migration des poissons, rétention des sédiments, baisse des débits naturels du tronçon de rivière court-circuité quand le barrage alimente une conduite forcée et ne restitue l'eau que très loin à l'aval.
A partir des années 1970 et 1980, d'abord aux Etats-Unis puis en Europe, des voix se sont élevées en vue de faire disparaître les barrages et de "renaturer" totalement l'écoulement des eaux. Ces solutions ont cependant des problèmes. Les barrages ont des usages et leurs retenues sont souvent appréciées des riverains. Le coût de leur démantètelement est considérable : aux Etats-Unis, la suppression des deux barrages de l'Elwha a déjà coûté 26,9 millions de $, le coût total de la restauration de la rivière étant estimé à 320 millions de $. En France, le projet de destruction des ouvrages de la Sélune a été gelé en raison de son coût considérable et de la forte opposition des milliers de riverains des deux lacs. Le bilan est donc très mitigé et l'effacement de barrages est devenu une solution conflictuelle, y compris aux Etats-Unis où le mouvement avait été amorcé (voir Magilligan et al 2017, ainsi que Lespez et Germaine 2016 sur la comparaison France, Etats-Unis, Royaume-Uni).
Mais la destruction est-elle une si bonne idée? Les écologues proposent aujourd'hui une solution plus originale, "utiliser les barrages eux-mêmes comme des outils de conservation".
Le premier impact d'un barrage concerne la modification du régime du débit. Une rivière et sa plaine d'inondation vivent normalement au rythme des flots, avec des étiages et des crues. Le barrage va lisser le débit sortant en faisant perdre ces variations hydrologiques et le "régime naturel du débit" (natural flow regime), comme on le nomme en hydro-écologie. Mais ce n'est pas une fatalité : le barrage peut très bien reproduire des variations de débit.
Cette hypothèse a été testée en grandeur nature aux Etats-Unis sur le fleuve Colorado, qui a été massivement artificialisé par des grands barrages. Au niveau du barrage de Morelos, près de la frontière mexicaine, un lâcher d'eau de 132 millions de m3 a été réalisé en mars 2014. Les chercheurs ont observé dans l'année suivante une régénération de la végétation native sur les rives aval asséchées de longue date. Mais l'effet n'a pas duré plus d'un an : un lâcher d'eau ne suffit pas, il faut imiter plus durablement les variations naturelles.
Une expérience plus approfondie est menée en Suisse sur la rivière Spöl, fragmentée de deux barrages construits dans les années 1960. Des arbres ont commencé à pousser dans le lit ancien ne recevant que le débit réservé, et des groupes rares dans les rivières alpines, comme les gammares, s'y sont installés. Les chercheurs suisses, en accord avec les hydro-électriciens et les riverains, ont donc travaillé sur le débit optimum pour éviter la trop forte croissance des crustacés invasifs et retrouver des populations invertébrées d'intérêt. Au final, l'organisation de 20 torrents dans l'année permet de restaurer des habitats et peuplements plus conformes à la rivière. D'autres tests sont déjà menés sur la Sarine, et les autorités suisses de l'environnement envisagent de généraliser l'expérience à 40 installations dans les 13 prochaines années.
Mieux gérer les ouvrages hydrauiques selon la nature de leurs impacts : cette solution a certainement un avenir. Elle gagnerait à être promue en France, en lieu et place des pressions de plus en plus impopulaires pour détruire les seuils et barrages.
Des chercheurs suisses montrent que l'effet de la fragmentation des rivières sur la différenciation génétique des poissons (ici chevesnes) dépend de la taille des obstacles à l'écoulement. Une rivière fragmentée par 35 ouvrages de dimension modeste peut produire une structure génétique comparable à une autre à écoulement libre, la franchissabilité des obstacles assurant un mélange des géniteurs. Inversement, des rivières plus lourdement fragmentées montrent des effets génétiques observables de réduction de la diversité allélique. Les lacs apparaissent quant à eux comme des réservoirs de diversité s'ils ont une dimension suffisante. Les auteurs en appellent à un "pragmatisme informé" sur chaque rivière.
Alexandre Gouskov et Christoph Vorburger ont examiné 3 rivières suisses de piémont en fonction de leur fragmentation : le Thur, libre de toute barrière sur plus de 80 km; le Glatt, fortement fragmenté par 35 barrières; la Broye, lui aussi fragmenté par des seuils de petites dimensions (chutes de 40-50 cm) et une chute naturelle.
Le chevesne (Squalius cephalus) a été choisi comme animal-témoin. C'est un assez bon nageur, il est capable de se répandre sur une aire large, il est assez tolérant à la pollution et à des habitats variés (lentiques comme lotiques). La structure génétique des populations de chevesnes peut donc refléter un effet spécifique de la fragmentation, les autres facteurs n'étant pas limitant.
Le génotypage de microsatellites a été effectué sur 1726 poissons répartis sur 28 sites des rivières. Il en ressort que :
les chevesnes du Thur montrent la plus grande diversité allélique et peu d'effet d'isolement par la distance, avec une petite baisse non significative de diversité vers l'aval,
les chevesnes du Glatt sont les moins divers génétiquement, avec un effet d'isolement par distance, une moindre diversité aval et amont, un effet observable du lac présent sur la rivière,
les chevesnes de la Broye n'ont pas montré de variations génétiques en sous-population, suggérant que les barrières à la migration de petite dimension, même lorsqu'elles sont nombreuses, n'affectent pas la connectivité des populations,
les lacs agissent comme de réservoirs de biodiversité en raison de leur dimension.
Une petite réserve est émise par les auteurs : le Thur est plus large, avec un débit 5 fois supérieur au Glatt, donc ce dernier peut présenter des tendances à la dérive génétique locale du fait de la moindre disponibilité d'habitats.
La figure ci-dessus montre la différenciation génétique (Fst/[1-Fst]) selon la distance (km) dans le Glatt (noir), le Thur (gris) et la Broye (blanc). Seul le Glatt montre une tendance significative.
Enfin, les auteurs concluent leur article en rappelant que la défragmentation des rivières conduit aussi à la colonisation des têtes de bassin par des espèces invasives : "cette possibilité demandera des choix difficiles aux gestionnaires de rivière et exige un pragmatisme informé face des objectifs contradictoires de la conservation de rivière".
Discussion
L'effet génétique de la fragmentation ne vient pas comme une surprise, puisque ce même effet est l'un des mécanismes à l'origine de l'apparition d'espèces dans l'évolution, par isolement des reproducteurs de sous-populations séparées par des accidents géologiques ou des événements historiques. On considère que la moindre diversité des populations est associée à une moindre résilience face au changement. Il serait toutefois utile que la recherche appliquée produise une appréciation de la gravité relative de tels résultats en terme de conservation, puisque les analyses génétiques se sont démocratisées et vont produire de plus en plus de données exploitables pour les milieux aquatiques (voir notamment le potentiel immense de l'ADN environnemental et du metabarcoding pour le screening des rivières).
Le principal résultat des chercheurs suisses concerne la nécessité d'évaluer l'effet génétique en fonction de la nature de la fragmentation et des espèces concernées sur chaque rivière. On ne peut qu'apprécier leur appel au "pragmatisme informé", qui devrait inspirer la politique des rivières au lieu de la précipitation et de la confusion sans analyse scientifique solide des données propres à chaque hydrosystème.