La rivière Derwent a un bassin versant d'environ 1200 km2 pour une longueur de 80 km jusqu'à sa confluence avec le Trent. Entre Cromford et Derby, la vallée des moulins du Derwent fait l'objet d'un classement au titre du patrimoine mondial de l'Unesco. Une série de moulins à coton des XVIIIe et XIXe siècles y préfigure la révolution industrielle et la naissance de l'usine. Outre les ouvrages hydrauliques dédiés au travail du textile, d'autres servaient à moudre la farine pour nourrir les ouvriers ou fabriquer du papier. Les ouvrages mesurent de 1,2 à 3 m et sont assez caractéristiques des différentes formes de seuils anciens, à pente aval plus ou moins douces (cf image ci-dessous).
Les moulins du Derwent étudié par Howard AJ et al 2017, art cit, droit de courte citation.
Les chercheurs ont utilisé un modèle hydromorphologique (CAESAR-Lisflood) pour simuler ce qui se passerait en cas de destruction des ouvrages sur un linéaire de 24 km. Leur résultat montre que si la reprise de l'érosion et du transport reste faible, elle suffit à remobiliser et diffuser des sédiments pollués, donc à poser des risques environnementaux voire sanitaires à l'aval. Le modèle montre en particulier que lors de crues morphogènes, les sédiments peuvent être transportés à longue distance: l'ensemble de l'hydrosystème est concerné, et non la seule station d'intervention.
Les chercheurs concluent que cette question de l'héritage sédimentaire va au-delà du site étudié à l'heure où l'on modifie les ouvrages anciens pour les détruire, les rendre franchissables aux poissons ou encore les équiper de dispositifs énergétiques : "toute modification des seuils ou autres structures dans le chenal peut potentiellement soulever des enjeux et des problèmes similaires. Dans les zones où les dispositifs de protection patrimoniale ne sont pas bien développés, les conséquences peuvent être particulièrement dommageables, en particulier s'il y a un héritage de pollution. Les problèmes soulevés dans cette recherche démontre le besoin pour les ingénieurs, les hydrologues et les professionnels du patrimoine de travailler ensemble pour considérer les ouvrages comme un ensemble au sein du cadre plus large du bassin versant, plutôt que de considérer leur modification ou effacement sur une base de cas par cas".
Discussion
La réforme de continuité écologique est aujourd'hui le principal motif d'effacement des ouvrages hydrauliques en France, à raison de plus de 20.000 sites concernés. Notre association a régulièrement rappelé à l'administration et au gestionnaire la nécessité d'une approche intégrée et dynamique par bassin versant, qu'il s'agisse des évolutions de crues et étiages, des espèces invasives, de l'épuration des nutriments et polluants dans les retenues. Le travail d'A.J. Howard et de ses collègues rappelle que cette approche intégrée est aussi nécessaire pour l'héritage sédimentaire dans les régions anciennement industrialisées aux alluvions potentiellement pollués. Effacer un ouvrage peut paraître un chantier modeste et bénin, mais quand 20, 30 ou 40 de ces ouvrages sont classés sur une rivière, la situation est différente et l'on engage en réalité une modification complète, substantielle, des écoulements et sédiments.
Des cas d'héritage sédimentaire problématique se présentent régulièrement en France, quand on prend la peine d'analyser les sédiments avant d'agir. Par exemple cet été, au moulin de Sailleville à Laigneville, sur la rivière Brêche, où des activités anciennes ont pollué le lit. Mais dans la plupart des cas, aucune suite n'est donnée à nos requêtes : soucieux de "faire du chiffre" pour respecter un délai irréaliste du classement des rivières, de "faire simple" pour prétendre que l'effacement est forcément la solution la moins coûteuse et de "ne pas faire de vague" pour préserver une réforme très contestée, on préfère travailler par cas isolés, sans vue d'ensemble de l'action, sans préparation scientifique et technique sérieuse. Nous avons par exemple demandé cet été au syndicat Sequana de procéder à des analyses de sédiments avant d'effacer des sites d'anciennes activités sidérurgiques du Châtillonnais sur l'Ource, le commissaire enquêteur a donné raison à nos requêtes mais le syndicat estime aujourd'hui que c'est inutile car la Dreal et l'AFB n'ont fait aucune remarque particulière à ce sujet… Ce n'est pas une bonne manière de faire de l'écologie de la restauration, et un nombre croissant de travaux scientifiques tirent la sonnette d'alarme sur la nécessité de la rigueur et de la prudence dans la planification de ce genre de travaux.
Référence : Howard AJ et al (2017), The potential impact of green agendas on historic river landscapes: Numerical modelling of multiple weir removal in the Derwent Valley Mills world heritage site, UK, Geomorphology, 293, A, 15, 37-52