03/12/2017

La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)

La biodiversité aquatique se limite-t-elle aux poissons des rivières courantes? Le grand public le pense parfois et les agences de l'environnement (notamment Onema, aujourd'hui Agence française pour la biodiversité) ont fait en France de la petite rivière à écoulement rapide le paradigme du milieu naturel à protéger ou à restaurer. Mais il n'en est rien, car les prémisses de ce raisonnement sont fausses. Un travail mené par 5 chercheurs anglais dans un paysage agricole ordinaire a montré que les mares, les lacs et les étangs abritent autant et parfois davantage d'espèces de plantes et d'insectes, notamment des espèces plus rares. Même les fossés ne sont pas à négliger comme zones de refuge ou de croissance de certaines espèces. Ce travail, qui a eu le mérite d'être la première étude comparative systématique des masses d'eau sur ce type de paysage, est loin d'être isolé dans la littérature scientifique. Il doit conduire à repenser la manière dont la biodiversité aquatique est aujourd'hui analysée et gérée, avec notamment une prise en compte plus systématique des espèces autres que les poissons, et des milieux aquatiques autres que les rivières à écoulement lotique. On attend notamment de l'AFB qu'elle s'affranchisse définitivement du centrage halieutique sur quelques espèces d'intérêt, qui a biaisé trop longtemps en France l'exercice diagnostique et pronostique sur la biodiversité des masses d'eau.

B. R. Davies et ses quatre collègues ont étudié une zone de 13x11 km en Angleterre (limite de l'Oxfordshire, du Wiltshire, du Gloucestershire). L'usage dominant des sols est agricole avec 75% de terres arables, 9% de forêts, 7% de prairies, 2% de zones urbaines. Le but de leur recherche était notamment de comprendre comment, dans un usage des sols agricoles connu pour son impact négatif sur la biodiversité (pollution, érosion, eutrophisation, etc.), le vivant aquatique se maintient et se répartit dans les différentes catégories de milieux aquatiques.

Les auteurs ont étudié cinq types de masse d'eau :
  • les lacs (naturels ou artificiels, plus de 2 ha de superficie), 
  • les mares et étangs (ponds, naturels ou artificiels, entre 25 m2 et 2 ha), 
  • les rivières (écoulement lotiques de plus de 8,25 m de large), 
  • les petites rivières et ruisseaux (streams, moins de 8,25 m de largeur),
  • les fossés (à usage généralement agricole, ou routier). 
Ils ont collecté des plantes et insectes, selon une méthodologie comparable pour chacune des masses d'eau : 20 sites de collecte sur chaque type de milieu, d'une surface de 75m2 chacun.

Les données retenues sont la richesse totale (nombre d'espèces) et la rareté (Species Rarity Index SRI, indice évaluant si les espèces sont rares ou menacées dans l'écorégion).

Les graphiques ci-dessous donnent les résultats.


Richesse spécifique des 5 milieux analysés (macrophytes, macro-invertébrés). Les mares et étangs sont les milieux les plus riches. Les rivières et ruisseaux ont un profil équivalent aux lacs.


Indice de rareté spécifique dans les 5 milieux.  On observer que les rivières petites ou grandes ne sont pas les mieux notées, en particulier pour les invertébrés.

A propos des fossés, mares et étangs et autres plans d'eau de petites dimensions, les auteurs soulignent : "Ces types de petites masses d'eau ont souvent été oubliées dans la protection de biodiversité et bénéficient rarement des statuts de protection accordés à des masses d'eau plus importantes. Les résultats de cette étude, confortés par d'autres travaux de biodiversité comparative incluant des petites masses d'eau, suggèrent que cela peut être un oubli considérable et une opportunité manquée. En particulier, la contribution remarquable des petites masses d'eau à la biodiversité aquatique régionale signifie qu'ils peuvent avoir un rôle dans la stratégie de protection des biotes aquatiques".

Discussion
Le travail de ces chercheurs anglais a eu le mérite de comparer de manière assez systématique la biodiversité de masses d'eau sur un même territoire. Mais les monographies plus ciblées montrant l'importance des petites zones lentiques pour la biodiversité ordinaire sont innombrables.

Cette approche est malheureusement mal représentée en France, où l'approche de la biodiversité aquatique est dominée par les rivières et leurs poissons, ainsi que par des zones humides souvent limitée à des vestiges d'habitats naturels ou à des plans d'eau de grandes dimensions, au lieu d'intégrer aussi les milieux ordinaires des paysages anthropisés.

Notre association l'a observé à diverses reprises dans son principal domaine d'intervention à ce jour, la mise en oeuvre de la continuité écologique. Non seulement les porteurs de projets, mais aussi les agents de l'environnement en charge des suivis, développent des grilles d'analyse où l'on compare seulement des peuplements attendus en zone lentique et lotique, le plus souvent sur des poissons (parfois aussi des insectes), cela en partant du principe que les espèces lotiques (rhéophiles, lithophiles) sont d'un intérêt majeur en biodiversité ou relèvent une "naturalité" qui serait désirable (un état antérieur figé dans l'histoire). Mais cela peut conduire à des choix aberrants, comme des propositions de mises à sec de milliers de mètres de milieux aquatiques (biefs canaux zones humides attendantes) et des disparitions de retenues sans même avoir pris la précaution de réaliser des inventaires de biodiversité.

Ces pratiques doivent changer, non seulement parce qu'elles sont insatisfaisantes au plan de la rigueur scientifique dans l'examen de la biodiversité réelle des milieux aquatiques et ripariens, mais aussi parce qu'elles sont en décalage croissant par rapport aux attentes du droit de l'environnement. Nous avons ainsi demandé à l'AFB les conditions d'analyse d'un étang avant son éventuelle disparition, et nous jugerons à la réponse la capacité de l'Agence à traiter pleinement les enjeux de biodiversité.

Référence : Davies BR et al (2008), A comparison of the catchment sizes of rivers, streams, ponds, ditches and lakes: implications for protecting aquatic biodiversity in an agricultural landscape, Hydrobiologia, 597, 1,7–17

01/12/2017

Modèle de réponse à une DDT-M qui refuse de définir les règles de gestion de continuité écologique

Notre association a proposé diverses lettres-types de réponse à l'administration concernant la mise en conformité à la continuité écologique (voir cet article). Certains correspondants nous signalent des réponses de DDT-M refusant les termes de ces courriers et demandant aux propriétaires d'engager eux-mêmes des travaux de diagnostic de leur bien par un bureau d'étude privé. Nous faisons ici une nouvelle réponse-type, que chacun adaptera au mieux. Nous insistons sur l'urgente nécessité dans un tel cas de saisir votre député et votre sénateur afin qu'ils informent Nicolas Hulot. C'est à force d'être interpellée au Sénat et à l'Assemblée nationale par les représentants élus des citoyens que Ségolène Royal a dû convenir des mauvaises pratiques de son administration et demander qu'elles soient rectifiées. Il en ira de même aujourd'hui et demain, outre la saisine du tribunal administratif si besoin. Nicolas Hulot ayant été encore peu informé de ces questions (voire ayant été désinformé par certains lobbies qui entendent casser les ouvrages au profit de leur activité), il importe que le ministre soit désormais saisi le plus souvent possible des problèmes. Vous ne défendrez pas seulement votre bien en faisant cet effort d'informer vos élus et de demander leur intervention, mais tout le patrimoine aujourd'hui menacé en France. 



Rappel : tout courrier s'envoie en recommandé AR.

Lettre-type de réponse à une administration qui refuse de présenter une étude de continuité écologique justifiant les règles de gestion, équipement, entretien d'un ouvrage en rivière classée liste 2

J'ai bien reçu votre courrier du XX [préciser date] et vous me trouvez en désaccord avec ses termes.

L'Etat n'assure pas la maîtrise d'ouvrage directe sur le domaine privé mais, conformément aux termes de la circulaire d'application du 18 janvier 2013, les missions interservices de l'eau et  de la nature, ou parfois les DDT-M seules, ont assuré en France l'examen des ouvrages en association avec les établissements de bassin (EPTB, EPAGE), les collectivités, parfois les organismes agréés de protection des milieux aquatiques.

Cette démarche répond aux termes de la circulaire suggérant d'informer le cas échéant le propriétaire de "l’existence d’une maîtrise d’ouvrage publique et d’une démarche collective relative à la restauration du cours d’eau concerné susceptible de prendre en charge une partie de leurs obligations, notamment des études préalables à leurs projets de mise en conformité"

C'est le bon sens : d'une part, il ne revient pas à chaque citoyen de décider isolément comment il interprète la loi ni de se transformer en expert de l'écologie des milieux aquatiques; d'autre part, comme son nom l'indique, la continuité écologique ne concerne pas un site en particulier, mais tous les sites d'une rivière ou d'un tronçon, avec une démarche publique cohérente d'aménagement des bassins. 

Je tiens à votre disposition, et si besoin à celle du juge administratif, de nombreux exemples de chantiers où les propriétaires ont reçu une étude diagnostique et une proposition d'aménagement de leur bien, cela sans débourser d'argent et sans avoir à faire la démarche de leur chef. D'autres cas où les travaux eux-mêmes, pas seulement l'étude, ont été pris en charge entre 95 et 100%.

C'est donc ce que je vous demande à nouveau de faire si vous l'estimez nécessaire sur mon ouvrage, dont rien ne démontre a priori que sa gestion actuelle forme un problème pour les poissons ou pour les sédiments. 

Il me paraîtrait évidemment incompréhensible que les DDT-M représentant l'Etat et garantissant l'égalité des citoyens devant lui adoptent des politiques différentes selon les départements, les bassins, voire les propriétaires. 

Outre qu'il n'a pas à se substituer à la carence de l'administration dans sa mission, un bureau d'étude privé demande une somme allant de 10 à 20 k€ pour la seule étude du site (diagnostic écologique, étude réglementaire, étude de faisabilité, avant-projets sommaires et détaillés, plans de projet retenu), et cela sans même parler de l'exécution des travaux dont le coût est plus élevé encore.

Je ne connais pas une seule réforme en France où l'on demande à un particulier d'engager une telle dépense, juste pour interpréter la loi!

Cette dépense relève d'une "charge spéciale et exorbitante" dont l'article L 214-17 CE a précisé qu'elle ouvre droit à indemnisation. Donc, à supposer que vous ayez raison et que j'ai tort sur le point précédent, je ne saurais de toute façon faire cette démarche sans que vous vous engagiez préalablement à prendre en charge la totalité des coûts d'un prestataire privé et à me préciser comment vous avancez ce financement. 

J'attends donc sur ce dossier le respect de la loi et de l'égalité des citoyens devant la loi. Si vous estimez que mon ouvrage appelle aménagement, je souhaite comme d'autres en France recevoir une étude le démontrant et un plan de financement public des travaux de mise en conformité.

politesse

PS : je mets M. le Député (Mme la Députée) et M. le Sénateur (Mme la Sénatrice) en copie de la présente, car nos échanges témoignent des lourds problèmes sur les ouvrages de petite hydraulique, dont plusieurs ministres ont pourtant souhaité qu'ils cessent depuis déjà 3 ans. Je me permettrai de leur demander d'interroger M. le Ministre de la Transition écologique et solidaire à propos de ces pratiques incompréhensibles où de simples particuliers sont menacés de dépenses totalement déraisonnables et de pratiques inégalitaires. 



Lettre-type pour les député.e.s et sénateurs-trices

Monsieur / Madame le Député(e)
Monsieur / Mme le Sénateur / la Sénatrice,
[conserver la mention correcte]

Je me permets de vous transmettre ci-joint mes échanges avec l'administration. Et au-delà de mon cas, de vous saisir du problème des ouvrages hydrauliques : il s'en détruit un par jour en moyenne en France, et ceux qui refusent la destruction se voient accablés de menaces de dépenses exorbitantes. Mon cas en est un exemple. 

Pour résumer la situation le plus simplement possible : alors que la loi sur l'eau de 2006, contrairement à la loi pêche de 1984, avait prévu d'indemniser les travaux de continuité écologique (vannes, passes à poissons, rivières de contournement, etc.), l'Etat refuse aujourd'hui de tenir ses promesses et demande aux citoyens de payer de leurs poches.  Mais les simples études peuvent atteindre voire dépasser 20 k€, et les travaux coûtent dix à vingt fois plus. C'est évidement impossible, et je suis désespéré de ce harcèlement administratif sans aucune proportion aux enjeux écologiques concernés. 

Y a-t-il une seule autre loi en France qui assomme une catégorie de particuliers de dépenses aussi énormes? 

Mon cas n'est pas isolé, puisque le rapport national d'audit CGEDD 2016 a montré qu'un peu plus de 20.000 ouvrages hydrauliques sont concernés en France, très peu ayant trouvé une solution à date.

Je sollicite votre intervention urgente auprès de M. Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, afin de le questionner sur les mesures qu'il souhaite engager pour éviter les blocages et respecter l'engagement de l'Etat à financer la continuité écologique. 

Etant donné la fin de l'échéance règlementaire de 5 ans sur notre bassin comme sur la plupart des autres en France, étant donné les enjeux de patrimoine, de paysage, d'énergie, de riveraineté et de biodiversité attachés aux moulins, aux étangs, aux forges et autres éléments historiques de nos rivières, cette question est tout à fait urgente. Et pour mon cas comme pour celui de bien d'autres particuliers dépourvus de toute solution, elle est brûlante!

Par avance, je vous remercie des démarches que vous voudrez bien entreprendre pour que l'administration en charge de l'eau propose des solutions viables et durables. Je ne vois pas d'autre issue qu'une intervention directe du ministre, comme Mme Ségolène Royal avait su le faire en décembre 2015 par un courrier aux préfets, déjà pour les mêmes problèmes. 

29/11/2017

Faut-il détruire les lacs et barrages de la Sélune pour un retour hypothétique de 1314 saumons?

Dès le début des années 2000, le retour du saumon  été présenté comme l'enjeu écologique majeur du projet de destruction des lacs et barrages de la Sélune. Après 18 mois d'attente, nous avons finalement reçu le travail de 2014 formant à ce jour la seule base scientifique d'estimation de ce retour. Au regard du modèle employé, sur lequel nous faisons ici de premières remarques critiques, on estime que la destruction du site pourrait augmenter de 1314 le nombre de saumons adultes remontant. A titre de comparaison, c'est 2 à 3 fois moins que le nombre de saumons tués par les pêcheurs d'eau douce chaque année en France. Cela pour un coût définitif de travaux sur l'ensemble du bassin qui devrait s'établir quelque part entre 50 et 150 millions €, alors que le saumon est déjà présent dans les autres rivières de la baie du mont Saint-Michel et leurs affluents, comme à l'aval de la Sélune. L'Etat doit clarifier et justifier ses objectifs car ces informations suggèrent que nous sommes devant une dépense totalement disproportionnée au regard des enjeux saumon sur le bassin atlantique et, sur un autre plan, des nuisances sociales induites par ce projet. 

Les chercheurs et ingénieurs Inra-Onema (Forget G., Nevoux M., Richard A., Marchand F., Baglinière J-L.) resituent d'abord l'enjeu :
"Les travaux de démantèlement de deux barrages sur la Sélune constituent un cas d’étude unique en regard de l’ampleur des ouvrages hydrauliques concernés (16 et 36 m), au linéaire de rivière actuellement ennoyé (20 km) et au verrou qu’ils représentent pour la circulation des poissons sur le réseau hydrographique. La Sélune (91 km, 1040 km ) est un des quatre cours d’eau de la Baie du Mont Saint-Michel avec la Sée (estuaire commun), le Couesnon et la Sienne. La Sélune est fréquentée par la communauté de poissons diadromes (saumon, truite de mer, anguille, lamproies et aloses) sur un linéaire réduit de son cours principal (14 km) en raison de la présence de ces deux grands barrages depuis 1919. "
Au passage, il est dit que les saumons de la baie du Mont Saint-Michel forment une seule unité : "des études récentes ont montré que les populations de saumon des quatre rivières de la Baie du Mont Saint-Michel appartiennent au même groupe génétique (Perrier et al., 2011) impliquant un certain taux de dispersion et donc d’échanges entre rivières (Perrier et al., 2012)."

Les auteurs rappellent aussi que la destruction d'un barrage n'est pas seulement à analyser comme une restauration, mais aussi comme une perturbation des écosystèmes, cycles biogéochimiques et écoulements en place :
"l’enlèvement des barrages est un outil potentiel fort pour la restauration écologique des cours d’eau, permettant un retour à une hétérogénéité des habitats et à la libre circulation des flux hydro-sédimentaires et des espèces migratrices. Les conséquences globales d’une telle opération sur le milieu peuvent cependant être difficiles à prévoir et à généraliser, qu’elles soient bénéfiques ou non souhaitables (modification des communautés en place, augmentation de la vulnérabilité d’espèces en danger) d’un point de vue écologique. Ainsi, lors de l’arasement du barrage de Fulton sur la rivière Yahara (Wisconsin, USA), des graminées de prairies humides ont remplacé les espèces de roseaux et de carex (American Society of Civil Engineers, 1997), entraînant le déclin des populations de canards et de rats musqués inféodées à ces espèces végétales. L’enlèvement de barrages constitue donc, au même titre que leur installation, une perturbation écologique importante" (nous soulignons).
La décision publique implique donc d'avoir une estimation des coût et des bénéfices écologiques. Leur travail propose d'évaluer le bénéfice pour l'espèce-repère du projet qu'est le saumon.

Le modèle utilisé est fondé sur l'habitat : certains habitats (équivalents radiers/rapides EQRR), formés de radiers, rapide et plats, sont considérés comme favorables à la colonisation et reproduction du saumon.

Les auteurs construisent des "Unités de production de juvéniles de saumon" (UPSAT) forméss par des tronçons de 100 m de ces équivalents radiers/rapides. C'est une unité théorique à deux titres : il faut d'abord estimer combien d'EQRR vont être restaurées dans les zones ennoyées des barrages, et il faut ensuite estimer quelle sera la productivité du saumon sur ces zones.

Le modèle est paramétré à partir d'observations faites dans le bassin de la Sélune (l’Oir, un affluent) et dans d'autres rivières de l'Ouest (l’Orne, le Scorff, la Sée, la Sienne). La paramétrisation d'un modèle signifie que, dans certains équations, on pose des coefficients empiriques (calés sur estimations de terrain) qui sont censés approcher au mieux la réalité. Une variation dans ce coefficient implique bien sûr des variations de résultats dans le calcul du modèle.

Le modèle prend la forme d'une matrice où le nombre de saumon pouvant potentiellement revenir en amont des barrages est fonction des unités de production (UPSAT) puis de la survie en mer entre le stade smolt et le stade adulte.


Estimation des UPSAT, des smolts et des adultes in Forget et al 2014, art cit, cliquer pour agrandir.

La Sélune aujourd'hui compte 907 UPSAT, il est estimé que ce chiffre montera à 3422 UPSAT après effacement (873 sur le retenues, 1642 sur le bassin amont). On observe au passage que le gain sur les lacs est assez faible (moins d'habitat que dans la partie aval actuellement libre) par rapport aux gains dans les affluents et les zones plus amont du lit principal.

La Sélune aurait à terme un potentiel équivalent à la somme de la Sée (1527 UPSAT) et de la Sienne (1808 UPSAT).

Concernant les saumons, le modèle suggère que la zone aval actuelle produit déjà 474 adultes. L'effacement pourrait ajouter 1314 adultes.

Mais les auteurs prennent soin de préciser que la valeur réelle dépend des paramètres du modèle, notamment de l'estimation de survie de l'adulte : "Il faut, cependant, garder à l’esprit que le taux de survie de l’adulte en mer est plutôt en baisse actuellement à cause des modifications du milieu marin liées au changement climatique et à la dégradation des cours d’eau (ICES, 2013). En effet, le taux de survie moyen observé chez le saumon adulte entre 2006 et 2012 est de 5,3 % sur le Scorff donc assez loin de la valeur utilisée (8,4 %). Avec cette valeur, le nombre total de saumons adultes ne serait plus alors que de 760 adultes produits par la zone rouverte."

Discussion
JF Baglinière nous a précisé lors d'échanges que cette première estimation avait été affinée, qu'une publication en journal scientifique revu par les pairs est en cours et que l'incertitude notamment sera mieux quantifiée dans cette future recherche.

Nous faisons les observations suivantes sur le modèle pour l'instant disponible :
  • c'est un raisonnement déterministe assez simple (un type d'habitat donnera un volume de production) et dépendant des coefficients que l'on choisit pour le nourrir,
  • il ignore la dynamique du bassin versant en dehors du facteur barrages (en particulier les effets du changement climatique sur la température et le débit, la dégradation sédimentaire et pollution chimique des eaux et des sols du bassin versant, l'évolution des peuplements autres que le saumon y compris les prédateurs de leurs oeufs et juvéniles, etc.),
  • la dynamique du cycle global du saumon n'est pas couplée à ce modèle, en particulier l'évolution de sa phase maritime et les interrogations que l'on a aujourd'hui sur son avenir en Atlantique Nord. 
Pour l'instant, nous constatons que la meilleure estimation pour le gain en saumon adulte remontant serait de 1314 poissons. Cela sans compter les autres espèces amphihalines, mais c'est le saumon qui a été mis en avant pour justifier les travaux (cf Germaine et Lespez 2017).

Selon d'où les acteurs du dossier parlent, ce gain pourra être jugé conséquent, modeste ou insignifiant. Nous avons publié un précédent article essayant d'objectiver ce gain par comparaison avec d'autres statistiques sur le saumon. il nous paraît très faible au retard du coût du chantier et des nuisances nombreuses à la population riveraine.

Nous jugeons indispensable avant tout engagement de travaux que l'Etat produise les données suivantes pour ce qui concerne le cas particulier du saumon:
  • une estimation consolidée des retours d'adultes avec leur fourchette d'incertitude,
  • une comparaison du gain salmonicole avec les chantiers de même type dans le monde (incluant la dépense économique par unité de saumon remontant),
  • une comparaison des gains de l'effacement avec les gains que procurerait une solution de type prélèvement aval et lâcher amont (hypothèse maintien du barrage), puisque les UPSAT à l'amont des zones ennoyées sont plus importantes que celles des zones ennoyées,
  • une garantie raisonnable que le saumon atlantique fréquentera toujours son aire méridionale en situation de changement climatique.
Sur un autre plan, nous demanderons à l'Etat d'engager une réflexion sur l'interdiction de la pêche au saumon atlantique sur l'ensemble des bassins français, comme cela se fait déjà en Loire-Allier. La Fédération du saumon atlantique, alarmée par la baisse des retours sur l'Atlantique Ouest (Groendland, Etats-Unis, Canada), a appelé cet été 2017 à un débat urgent sur la nécessité de réguler davantage ou interdire le prélèvement de pêche de loisir et vivrière, au regard notamment des problèmes du saumon dans sa phase océanique. Ce questionnement doit aussi concerner la France. Continuer à prélever pour un simple loisir une espèce menacée (en particulier dans sa zone méridionale, où elle risque de disparaître en premier au cours de ce siècle) et une espèce faisant l'objet de lourds investissements publics ne paraît pas une position très justifiable, tant pour l'écologie du saumon que pour l'équité des efforts demandés aux usagers des rivières.

Référence : Forget G. et al (2014), Estimation des capacités de production en saumon du bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit, 8 p., non publié.

27/11/2017

L'introuvable étude sur le potentiel saumon de la Sélune

Depuis un an et demi, l'association Hydrauxois tente sans succès d'obtenir l'étude scientifique ayant estimé le potentiel de retour du saumon sur la Sélune, citée dans le rapport d'expertise CGEDD-CGE sur lequel s'appuie le ministère de la Transition écologique et solidaire. Pourquoi cette entrave dans l'accès aux informations, alors que le retour du saumon est censé être le premier intérêt de la destruction des barrages et que le débat démocratique a été confisqué depuis 2005 sur ce dossier? Au regard de l'échec relatif des travaux de restauration sur les autres fleuves à saumons de la baie du Mont Saint-Michel et du coût majeur du chantier de la Sélune, quels sont exactement les bénéfices écologiques attendus?

[edit 29-11_2017 : suite à la parution de cet article, nous avons enfin reçu l'étude... 18 mois après la première demande! Nous la rendons accessible à tous à ce lien]

Le 7 avril 2016, dans le cadre de la rédaction de ses premiers articles sur le dossier de la Sélune, l'association Hydrauxois a écrit le message suivant au laboratoire ayant étudié le potentiel salmonicole de la rivière.
"Votre laboratoire a publié en 2014 une étude sur le potentiel salmonicole de la Sélune, mais, sauf erreur, cette étude est impossible à télécharger sur le site INRA et n'a pas été versée sur les portails eaufrance.fr. 
Référence :FORGET, G. NEVOUX, M. RICHARD, A. MARCHAND, F. BAGLINIERE, J.-L., 2014. Estimation des capacités de production en saumon du Bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de La Roche-Qui-Boit. Projet Sélune - Pôle Gest-Aqua 
Serait-il possible d'en avoir copie ou lien d'accès ?"
Notre interlocuteur nous explique que la publication est en diffusion restreinte, que ses données ne sont pas complètement validées et qu'une publication scientifique dans une revue internationale indexée est attendue pour les prochains mois.

Nous prenons acte. Le temps passe, aucune publication ne paraît, et Nicolas Hulot annonce brutalement la prochaine destruction des barrages de la Sélune. Nous relançons donc les auteurs pour avoir des nouvelles : il nous est répondu que la publication est non disponible et ne le sera pas dans un proche avenir.

Nous demandons donc de nouveau à recevoir l'étude de 2014, qui est après tout la seule citée dans les documents publics. Sans succès à ce jour.



Pourquoi cette étude est-elle importante ? 

D'une part, dans le rapport d'expertise CGEDD-CGE 2015 sollicité par le ministère de l'écologie, ce travail de 2014 est la seule référence citée en appui de l'intérêt salmonicole des effacements, (p. 92). Il est étonnant que l'Etat s'appuie sur des données non disponibles au public.

D'autre part, et nous y reviendrons de manière plus détaillée, le public ignore qu'il y a en réalité 4 rivières à saumon se jetant dans la baie du Mont-Michel: la Sienne (92,6 km), la Sée (78,1 km), le Couesnon (97,8 km) et la Sélune (84,7 km). Non seulement la Sélune n'est pas le fleuve le plus long, mais d'autres rivières ont fait l'objet de tentatives de restauration pour le saumon qui ont donné des résultats mitigés, malgré des alevinages massifs des pêcheurs. Il est donc important de comprendre les raisons pour lesquelles la Sélune aurait un intérêt particulier et un potentiel important.

Enfin, ces études sont réalisées sur fonds publics et tout citoyen devrait y avoir accès, même si les résultats sont provisoires.

Il apparaît donc urgent que l'on dispose de toutes les pièces pour juger de l'intérêt du projet. Nous constatons pour le moment que les établissements de recherche et les services publics ne permettent pas l'accès à l'information, ce qui déroge aux conditions démocratiques normales du débat sur l'environnement.

A lire également
Vallée de la Sélune en lutte (3) : le gain réel pour les saumons
Hybridation génétique des saumons de la Sélune (Le Cam et al 2015) : quand la pêche provoque des polluions génétiques 

26/11/2017

Cévennes : les riverains veulent préserver le lac des Pises

Au nom de la "restauration écologique" (comme d'habitude optimisée pour quelques truites sans égard particulier pour les autres espèces et pour les usages humains), le parc national des Cévennes menace d'abaisser le niveau du lac des Pises et de se désengager de sa gestion. Le coût serait trop élevé, argument pour le moins spécieux quand on voit les centaines de millions € d'argent public que les Agences de l'eau distribuent dès qu'il s'agit de détruire des ouvrages hydrauliques (ou encore de construire des bassines artificielles pour des irrigants privés). Les riverains cévenols sont vent debout contre ce projet, qui a été opaque et coupé des citoyens de bout en bout. L'Association Causses-Cévennes d'action citoyenne appelle à défendre ce site et diffuse une pétition, reproduite ci-dessous. Leur combat est le nôtre. L'Etat français comme les établissements administratifs en charge de l'eau et de l'environnement doivent urgemment changer leurs arbitrages politiques et financiers sur les ouvrages hydrauliques. Et les riverains doivent être intégrés dans la construction des projets dès leurs premières phases de réflexion, au lieu de se voir imposer des solutions technocratiques.



Il faut sauver le lac des Pises... 

La hauteur actuelle de cet ouvrage doit être respectée.
Seul le scénario de confortement est envisageable.

Le parc national des Cévennes est classé comme aire protégée de catégorie V3 par la Commission mondiale des aires protégées de l'Union internationale pour la conservation de la nature. Le parc est également reconnu réserve de biosphère par l'Unesco depuis 1985.

Le massif de l'Aigoual fait l'objet d'une classification au titre de l'UNESCO, de la réserve de la biosphère des Cévennes et se situe dans un parc national.

Le tourisme est l'activité principale de notre très belle région. Comment expliquer que l'un des sites les plus fréquenté de notre massif de l'Aigoual ne soit pas restauré comme il se doit.

Il est inacceptable que le Parc National des Cévennes, propriétaire de l'ouvrage, n'assume pas ses responsabilités et se défausse sur la toute petite communauté Causses-Aigoual-Cévennes.

Il n'y a eu aucune concertation avec la société civile. Les réunions du conseil d'administration du Parc ne sont pas publiques. Au 21e siècle ces pratiques sont inacceptables.

Dans la charte du Parc National des Cévennes, tout doit tendre à protéger la nature, préserver le patrimoine, les paysages, gérer, préserver l'eau et les milieux aquatiques, les cours d'eau, et à préserver les paysages, les milieux remarquables, conforter la population et les activités humaines. Les principes fondamentaux, orientations, axes, objectifs, en application de la Charte.

L'administration du Parc National des Cévennes est-elle à la hauteur de ses engagements ?

Signer la pétition