Monsieur le Ministre d’Etat,
Sur tous les territoires de notre République, la destruction des ouvrages de moulins, forges, étangs, lacs, usines hydroélectriques, canaux d’irrigation, soulève une vive émotion et des contestations ouvertes. Des riverains sont déconcertés, des services de l’État interpellés, et des élus locaux désemparés.
Face à ce problème, nous avons lancé voici 2 ans un appel à moratoire sur la destruction des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique (voir annexe 1).
A ce jour, 1392 élus dont 36 parlementaires, 514 personnalités du monde économique, artistique, technique et scientifique, 349 associations représentant 110.000 adhérents directs l’ont signé, auxquels s'ajoutent 66 questions écrites de parlementaires.
Leur souhait ? Que le rétablissement du transit sédimentaire et de la circulation piscicole sur les rivières classées au titre de la continuité écologique se fasse dans le respect de l’art. L 211-1 du code de l’environnement, c'est-à-dire dans le respect de tous les usages au sein d’une «gestion équilibrée et durable de l’eau».
Les ouvrages hydrauliques ont un intérêt historique, économique, social, patrimonial et paysager. Beaucoup sont présents depuis des siècles et tous participent au cadre de vie des vallées françaises.
Mais nous tenons à rappeler que ces ouvrages concernent aussi des enjeux écologiques, qui ont été rappelés par divers travaux scientifiques ces dernières années :
- ils génèrent des zones humides (étangs, lacs, retenues, biefs, canaux), qui hébergent de nombreuses espèces, et alimentent l’hydrologie de la plaine alluviale;
- ils préservent, stockent et régulent l’eau à l’heure où le climat change, où les sécheresses deviennent fréquentes et les étiages sévères;
- ils contribuent souvent à l’épuration des nutriments et phytosanitaires circulant dans les masses d’eau;
- ils peuvent pour certains produire une énergie très bas-carbone à l’heure où il nous faut accélérer la transition énergétique sur tous les territoires.
La destruction pure et simple des seuils est, dans la majorité des cas, prioritairement préconisée par tous les services administratifs – DDT[M], Agences de l'Eau et AFB –à grand renfort de subventions bonifiées, alors que cela n'a jamais été inscrit dans la loi sur l'eau de 2006 qui demande uniquement que chaque ouvrage sur cours d'eau en liste 2 soient « équipé, géré et entretenu ». Ces arasements sont aussi contraires à de nombreuses autres politiques publiques.
Le rapport récent du CGEDD, demandé par Mme Royal, acte de nombreux dysfonctionnements dans la mise en œuvre de la continuité écologique. Vous en trouverez une synthèse en annexe de la présente (voir annexe 2). Un premier rapport du CGEDD en 2012 pointait déjà des problèmes, mais ses recommandations sont restées sans effet.
Le coût estimatif de l’application complète du classement au titre de la continuité écologique dépasserait les 2 milliards d’euros d’argent public, auxquels il faut ajouter la part de financement privé. Par ailleurs, au rythme actuel des opérations, il faudrait cinq décennies (et non les 5 ans du délai légal) pour respecter la mise en conformité du nombre manifestement déraisonnable de cours d’eau classés la plupart du temps sans justification avérée.
Ces données du CGEDD démontrent que la réforme de continuité écologique a été mal préparée, mal gérée et mal acceptée.
Nos demandes ont fait l’objet d’une écoute de la part de certains pouvoirs publics et de beaucoup d'élus. On a pu observer ces trois dernières années :
- des demandes des ministres de l’environnement et de la culture comme des parlementaires de cesser désormais la destruction du patrimoine ancien et/ou industriel ;
- le vote de la loi «création architecture et patrimoine» de 2016 introduisant une mesure de sauvegarde, mais seulement pour le patrimoine déjà classé ;
- le vote de la loi «biodiversité» de 2016, ajoutant un délai de 5 ans pour l’exécution des travaux demandés ;
- le vote loi de ratification des ordonnances sur l’autoconsommation énergétique de 2017 exemptant les moulins producteurs et encourageant leur équipement hydroélectrique.
Nous constatons, hélas, que certains services instructeurs (DDT-M), certains représentants de l’État au sein des Agences de l’eau et de l’Agence française pour la biodiversité prennent insuffisamment en compte ces nouvelles orientations.
En effet :
- certains services de l’État et des établissements administratifs ignorent les grilles multi-critères sur chaque chantier;
- des ouvrages et des plans d’eau sont effacés sans inventaire de leur biodiversité, au risque d’avoir un bilan écologique négatif;
- les riverains ne sont pas intégrés dans la concertation en amont, se trouvant mis en face d'une mise en œuvre opaque et autoritaire;
- même lorsque l’enquête publique émet des réserves ou conclut à un avis négatif, l’administration n’en tient pas compte;
- les sommes demandées pour des aménagements non destructeurs (passes à poissons, rivières de contournement) sont exorbitantes et l’État refuse de les indemniser alors qu’il s’y était engagé en 2006;
- les solutions les plus simples, comme la gestion des vannes sur les ouvrages modestes, ne sont quasiment jamais évoquées;
- les projets hydroélectriques font l’objet d’instructions très longues et de prescriptions complémentaires, aléatoires, la plupart du temps en logique de moyens et non de résultats, sans réelle évaluation du coût-bénéfice des mesures imposées, et sans prise en compte du diagnostic de l’état initial.
Monsieur le Ministre d’Etat, la France et l’Europe affrontent aujourd’hui des défis écologiques sans précédent.
La politique de destruction des ouvrages hydrauliques et de refus de leur équipement hydroélectrique néglige tous les enjeux autres que piscicoles et sédimentaires, tels que patrimoine, paysage, usages, biodiversité et énergie renouvelable. La transition énergétique ne peut réussir sans la capacité des ouvrages hydroélectriques à accompagner les autres énergies renouvelables intermittentes. Cette politique de destruction bafoue également la démocratie locale, en particulier dans des territoires ruraux qui souffrent aujourd’hui d’un manque d’écoute sur ce qu’ils estiment être leurs enjeux de développement.
C’est la raison pour laquelle, au nom de tous les signataires de notre appel, des plus de 110.000 adhérents qu’ils représentent et des 12 organisations nationales qui le portent, nous sollicitons un moratoire sur les effacements d’ouvrages hydrauliques, d'étangs et plans d’eau, le temps d'instaurer une vraie concertation sur une nouvelle manière d’envisager les enjeux piscicoles et sédimentaires des rivières françaises, en lien avec les autres usages de l’eau et les autres politiques publiques. Nos organisations se tiennent à disposition pour vous rencontrer rapidement et pour trouver la meilleure manière d’avancer sur cette question.
Signataires nationaux
Association des riverains de France (ARF)
Coordination rurale (CR)
Electricité autonome française (EAF)
Fédération des moulins de France (FMDF)
Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM)
France hydro électricité (FHE)
Fédération nationale des syndicats de forestiers privés (FRANSYLVA)
Maisons paysannes de France (MPF)
Observatoire de la continuité écologique et des usages de l’eau (OCE)
Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF)
Union nationale des syndicats et associations des aquaculteurs en étangs et bassins (UNSAAEB)
Vieilles maisons françaises (VMF)
Et 1392 élus, 349 associations, 514 personnalités