Comprendre et cartographier la variation spatiale de la condition biologique des cours d'eau est aujourd'hui un enjeu important pour l'évaluation, la conservation et la restauration des écosystèmes fluviaux. Compte-tenu des coûts importants de ces politiques, le gestionnaire public ne peut prendre des décisions sur la base de données imprécises et de compréhension inadéquate des impacts sur le vivant. Une équipe de chercheurs américains vient de produire un premier modèle prédictif de l'état écologique de l'ensemble des masses d'eau des Etats-Unis (états contigus), pour l'instant limité à l'indice invertébrés (MMI). De manière intéressante, les facteurs naturels restent les premiers prédicteurs de variation et, au sein des facteurs anthropiques, les barrages ne montrent pas de signal clair, avec des effets tantôt positifs et tantôt négatifs dans 4 régions sur 9, pas de signal clair ailleurs. L'agriculture et l'urbanisation restent pour leur part de forts prédicteurs (négatifs) de la qualité des masses d'eau, ainsi que les pressions du bassin versant et non du seul tronçon. Un clou supplémentaire, après tant d'autres, dans le couvercle du cercueil de la "continuité en long comme facteur décisif pour la qualité écologique des rivières", une hypothèse non démontrée que l'administration française et les officines halieutiques présentent indûment comme des certitudes.
Aux Etats-Unis, l'évaluation nationale des rivières et des cours d'eau 2008-2009 (National Rivers and Streams Assessment) a défini les linéaires de cours d'eau dans les États américains limitrophes qui se trouvent dans un état biologique bon, passable ou médiocre sur la base d'un indice multimétrique des assemblages d'invertébrés benthiques (MMI). Mais ces mesures ne fournissent pas un aperçu efficaces de la distribution spatiale des mêmes conditions dans les endroits non échantillonnés.
Pour pallier au défaut de mesures de terrain, Ryan A. Hill et collègues ont utilisé la technique d'apprentissage des forêts d'arbres de décision (ou forêts aléatoires, random forest) pour modéliser et prédire l'état probable de plusieurs millions de kilomètres de cours d'eau à travers les États-Unis contigus. Ce modèle a intégré les caractéristiques du bassin versant et des variations amont-aval, y compris les modifications anthropiques. À l'échelle nationale, leur modèle a correctement prédit la classe de condition biologique de 75% des sites NRSA.
Nous attacherons seulement ici à détailler les prédicteurs de ce modèle, reposant sur les corrélations assez robustes entre les données d'entrée et l'état biologique tel que mesuré par les invertébrés.
Parmi les dix prédicteurs les plus importants des neuf régions, 19 étaient des prédicteurs locaux et les 71 autres étaient des prédicteurs au niveau des bassins versants; cela souligne l'importance de comprendre le contexte global des bassins hydrographiques.
Les facteurs naturels représentaient plus de la moitié des prédicteurs les mieux classés. Dans de nombreuses régions, la superficie des bassins hydrographiques, les débits et l'indice d'humidité topographique figuraient parmi les facteurs naturels les plus importants. En général, les zones à grands bassins avaient une relation positive avec les probabilités de bon état. Les mesures liées au climat figuraient également parmi les paramètres naturels les plus importants dans tous les modèles. La température de l'air figure parmi les dix prédicteurs les plus importants dans six des neuf modèles régionaux (températures plus chaudes et déficits de précipitations ont abaissé la probabilité de bon état écologique dans la plupart des bassins).
Concernant les impacts anthropiques, les auteurs observent :
"L'urbanisation et l'agriculture étaient les indicateurs anthropiques les plus courants dans tous les modèles. Dans tous les cas, la relation entre ces mesures et la probabilité de bon état était négative (annexe S3), en cohérence avec d'autres études de ce type (par exemple, Carlisle et al 2009, Falcone et al 2010). L'urbanisation était importante pour tous les modèles et ces mesures d'urbanisation comprenaient divers paramètres (par exemple % du bassin hydrographique comprenant l'utilisation des terres urbaines, l'unité de logement ou la densité de population, le nombre de traversées de route pondérées par la pente du tronçon). De plus, une métrique composite de perturbation (soit l'agriculture et l'urbanisation dans le bassin versant ou dans la zone tampon riveraine) se classait parmi les dix prédicteurs les plus importants dans quatre des neuf modèles régionaux.
Diverses mesures de l'endiguement des rivières (c'est-à-dire la densité et le volume des barrages) étaient importantes dans quatre régions, mais la direction de la relation avec la condition biologique dépendait de la région. Les retenues d'eau étaient négativement associées à la probabilité de bon état dans les régions du nord des Appalaches et des zones xériques, mais positivement corrélées dans les régions des Plaines du Nord et des Plaines tempérées (annexe S3). Les régions du nord des Appalaches et des zones xériques sont des régions montagneuses et les types, tailles et par conséquent impacts des barrages diffèrent probablement de ceux trouvés dans les plaines et peuvent expliquer les différences de réponses entre ces régions."
Discussion
Grâce aux progrès des outils numériques et à l'accumulation des données, la modélisation des réseaux hydrographiques à différentes échelles spatiales devient un outil indispensable du gestionnaire public en charge de l'environnement. Elle ne peut évidemment décrire les rivières avec un niveau fin de granularité (échelle du site, de la station, du micro-habitat), mais elle permet en revanche de nourrir la réflexion sur les zones d'action prioritaire selon les finalités que se donnent les décideurs. Cette modélisation permet aussi, et surtout, de pondérer l'importance relative des différents facteurs naturels et anthropiques à l'oeuvre dans les variations biologiques observables.
Le processus est encore embryonnaire en France et, comme tout modèle sensible à la qualité de ses données d'entrée, la robustesse de l'exercice va dépendre de la précision des descripteurs : connaître et mesurer les impacts comme les variables biologiques sur un nombre suffisant de sites pour un bon apprentissage du modèle. Le retard pris sur l'acquisition de données et la construction de modèles est dommageable, et l'argent public de l'eau serait utilement consacré à financer des équipes de recherche dédiées à ces tâches au lieu d'être dilapidé dans divers travaux à l'utilité et à la cohérence souvent douteuses.
Par ailleurs, le travail de Ryan Hill et de ses collègues sur la base des invertébrés confirme ce qui est déjà observé dans de nombreuses études récentes (voir cette synthèse) : le poids des barrages et des discontinuités en long est assez faible dans la variance biologique, et peu prédicteur à lui seul de l'état des masses d'eau. Sur les invertébrés et sur les ouvrages de petites dimensions, la méta-analyse de Mbaka et Mwaniki 2015 n'avait déjà pas trouvé de signal clair. Ce signal était plus prononcé en France avec l'indicateur I2M2 chez Van Looy 2014, mais restait inférieur aux autres impacts chez Villeneuve 2015 (nous reviendrons sur une étude française récente à ce sujet).
L'affirmation française selon laquelle la continuité écologique longitudinale serait un enjeu de premier plan pour améliorer l'écologie des rivières ou pour atteindre le bon état écologique DCE reste donc à ce jour une hypothèse non démontrée, que l'on trouve davantage dans la littérature administrative visant à justifier des choix politiques ou dans la littérature halieutique sur le cas particulier des poissons migrateurs que dans les résultats chiffrés de la littérature scientifique en hydro-écologie quantitative. Tant que ce point n'est pas clarifié par une expertise scientifique collective et multidisciplinaire, il sera difficile d'asseoir cette politique de continuité sur une base légitime.
Référence : Hill RA et al (2018), Predictive mapping of the biotic condition of conterminous U.S. rivers and streams, Ecological Applications, 8, 2397–2415
Illustration : barrage EDF de La Palisse, sur la Loire (07).
12/02/2018
10/02/2018
L'Onema à travers ses mots: comment l'Office a surexprimé les enjeux poisson et continuité dans sa communication
Poissons et amphibiens endémiques de France vivent dans les milieux aquatiques et humides, ont un nombre similaire d'espèces (69 et 35) et une proportion identique d'espèces menacées selon l'IUCN (23% et 22%). Nous montrons ici que sur le site internet qui rassemble 11 ans de sa communication (2007-2017), l'Onema a mentionné 90 fois plus les poissons que les amphibiens. Ce n'est pas un biais tenant à ces deux mots puisque des espèces de poissons non menacées en France, comme la truite ou le chabot, sont également beaucoup plus citées par l'Office que les grenouilles, les tritons ou les salamandres. De même, la mention de la continuité dépasse largement celle de la pollution, du réchauffement climatique ou des espèces exotiques. Cette observation s'ajoute à bien d'autres pour montrer le biais manifeste de l'Onema en faveur des questions piscicoles et halieutiques, alors que la mission confiée par le gouvernement concernait tous les écosystèmes aquatiques. L'AFB (agence française pour la biodiversité) va-t-elle continuer cette approche manifestement déséquilibrée du vivant aquatique? Va-t-on enfin s'intéresser sans préjugé en France à la biodiversité observable des masses d'eau naturelles et artificielles comme des zones humides, au lieu de consacrer un temps et un argent disproportionnés à certaines espèces qui profitent à certains usages?
L'office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) a été créé par la loi sur l'eau de 2006 et a pris existence en 2007. Il remplaçait le conseil supérieur de la pêche. Il a été fusionné au 1er janvier 2018 au sein de l'agence française pour la biodiversité (AFB).
Pendant ses 11 années d'existence, l'Onema a communiqué vers ses publics sur le site onema.fr, qui est encore ouvert.
Une mission de connaissance de tous les écosystèmes aquatiques
Les fonctions de l'Onema étaient précisées par l'ancien article R. 213-12-2 du code de l’environnement, dont ce premier alinéa :
Nous avons fait un test lexical en comparant l'intérêt de l'Onema pour certains thèmes à travers quelques mentions de mots. Cette approche est purement quantitative, mais la répartition des mots reflète raisonnablement les préoccupations du locuteur.
Nous nous sommes intéressés au site onema.fr par le biais de la fonction de recherche de mot Google en filtrage par url. Cette fonction ne garantit pas de trouver l'intégralité des mentions (il peut y avoir des variations de l'ordre de 5% en test re-test), mais les algorithmes de fouille Google étant identiques sur un nom de domaine, les statistiques qui en résultent donne une approximation correcte sur le volume d'ensemble. (Une autre approche de contrôle, fondée sur l'analyse des pdf de 3 séries de médias Onema sur la période 2007-2016 par le linguisticiel Tropes®, produit des statistiques comparables en ordre de grandeur. Des résultats plus détaillés seront publiés).
Les poissons intéressent beaucoup l'Onema, les amphibiens nettement moins
Selon l'IUCN et ses listes rouges construites avec le Museum d'histoire naturelle, la France compte 35 espèces d'amphibiens endémiques en métropole et 69 espèces de poissons (ou agnathes) endémiques. Huit espèces d'amphibiens sont menacées (soit 23%), quinze espèces de poissons sont dans ce cas (soit 22%). Ces deux groupes d'espèces sont donc de même ordre de grandeur en nombre, et très similaire en niveau de menace.
L'item "poisson" donne 2060 résultats en recherche sur le site onema.fr. L'item "amphibien" donne 23 résultats.
Nous avons donc 90 fois plus de mentions des poissons que des amphibiens. La mention de ces derniers est marginale vu le volume du site.
Truite ou chabot, non menacés mais très mentionnés
Mais nous pourrions imaginer que cette recherche simple est biaisée, car il y a aussi des nomenclatures techniques comme le bio-indicateur "indice poisson rivière" (IPR) ou des dispositifs comme la "passe à poissons", faisant ressortir en excès le mot "poisson". (En soi cependant, le choix de cet indicateur ou de ce dispositif peut lui aussi être considéré comme faisant partie de l'haliocentrisme actuel de la gestion écologique de rivière.)
Pour en avoir le coeur net, nous avons fait une recherche sur la truite et le chabot, deux espèces non menacées et non objets de plans nationaux ou européens spécifiques (contrairement au saumon ou à l'anguille, par exemple).
L'item "truite" donne 463 résultats sur le site onema.fr. L'item "chabot" donne 146 résultats. En comparaison, les mentions de grenouille ont 50 résultats, de triton 21, de crapaud 19, de salamandre 8.
La continuité fut plus intéressante que la pollution ou le réchauffement…
Du point de vue des impacts et des enjeux, nous nous sommes demandés comment se plaçait la continuité par rapport à la pollution, au changement climatique et aux espèces exotiques dans les 11 années de communication de l'Onema.
L'item "continuité" donne 1730 résultats. L'item "pollution" donne 1340 résultats. L'item "changement climatique" donne 816 résultats. L'item "espèces exotiques" donne 377 résultats
La continuité n'est pourtant qu'un aspect de la morphologie des cours d'eau, elle-même n'étant qu'un compartiment des impacts possibles. Mais pendant 11 ans, cette continuité a davantage intéressé la communication de l'Onema vers ses publics que la pollution, le climat ou les invasives.
Conclusion : des biais réels, et peu acceptables
Le biais piscicole et halieutique de l'Onema n'est donc pas un mythe, mais une réalité observable dans la lexicométrie de sa communication. L'office avait une approche sélective des écosystèmes aquatiques et de leur biodiversité, donnant un large prépondérance aux poissons, même à des espèces non menacées.
A l"heure où les personnels de l'Onema travaillent dans le cadre de l'Agence française pour la biodiversité, il faut souhaiter que ces biais disparaissent, tant dans la connaissance que dans la surveillance et la gestion des milieux. Nous avons par exemple saisi l'AFB pour une destruction d'étang et zones humides (qui menace certainement davantage les amphibiens ou les oiseaux que les truites) : ce sera l'occasion de vérifier si ses agents s'intéressent désormais à toute la biodiversité, dont celle des systèmes lentiques. Ou s'ils continuent de donner carte blanche aux pêcheurs pour augmenter la biomasse des seules espèces qui les intéressent.
Illustration : (haut) crapaud sonneur à ventre jaune, espèce menacée en France. Sandra Velitchko, CC-ASA-4.0
A lire en complément
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes
Voir sur ce même thème
Contenus Onema 2007-2017 : pas davantage proportionnés à la littérature scientifique
L'office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) a été créé par la loi sur l'eau de 2006 et a pris existence en 2007. Il remplaçait le conseil supérieur de la pêche. Il a été fusionné au 1er janvier 2018 au sein de l'agence française pour la biodiversité (AFB).
Pendant ses 11 années d'existence, l'Onema a communiqué vers ses publics sur le site onema.fr, qui est encore ouvert.
Une mission de connaissance de tous les écosystèmes aquatiques
Les fonctions de l'Onema étaient précisées par l'ancien article R. 213-12-2 du code de l’environnement, dont ce premier alinéa :
"Au titre de la connaissance, de la protection et de la surveillance de l’eau et des milieux aquatiques, l’office mène en particulier des programmes de recherche et d’études consacrés à la structure et au fonctionnement des écosystèmes aquatiques, à l’évaluation des impacts des activités humaines, à la restauration des milieux aquatiques et à l’efficacité du service public de l’eau et de l’assainissement."L'Onema a-t-il rempli sa fonction de connaissance et information sur tous les écosystèmes aquatiques? A-t-il souffert, comme certains le suggèrent (dont notre association), d'un biais vers son ancienne spécialisation de pêche, donc vers l'approche halieutique des cours d'eau?
Nous avons fait un test lexical en comparant l'intérêt de l'Onema pour certains thèmes à travers quelques mentions de mots. Cette approche est purement quantitative, mais la répartition des mots reflète raisonnablement les préoccupations du locuteur.
Nous nous sommes intéressés au site onema.fr par le biais de la fonction de recherche de mot Google en filtrage par url. Cette fonction ne garantit pas de trouver l'intégralité des mentions (il peut y avoir des variations de l'ordre de 5% en test re-test), mais les algorithmes de fouille Google étant identiques sur un nom de domaine, les statistiques qui en résultent donne une approximation correcte sur le volume d'ensemble. (Une autre approche de contrôle, fondée sur l'analyse des pdf de 3 séries de médias Onema sur la période 2007-2016 par le linguisticiel Tropes®, produit des statistiques comparables en ordre de grandeur. Des résultats plus détaillés seront publiés).
Les poissons intéressent beaucoup l'Onema, les amphibiens nettement moins
Selon l'IUCN et ses listes rouges construites avec le Museum d'histoire naturelle, la France compte 35 espèces d'amphibiens endémiques en métropole et 69 espèces de poissons (ou agnathes) endémiques. Huit espèces d'amphibiens sont menacées (soit 23%), quinze espèces de poissons sont dans ce cas (soit 22%). Ces deux groupes d'espèces sont donc de même ordre de grandeur en nombre, et très similaire en niveau de menace.
L'item "poisson" donne 2060 résultats en recherche sur le site onema.fr. L'item "amphibien" donne 23 résultats.
Nous avons donc 90 fois plus de mentions des poissons que des amphibiens. La mention de ces derniers est marginale vu le volume du site.
Truite ou chabot, non menacés mais très mentionnés
Mais nous pourrions imaginer que cette recherche simple est biaisée, car il y a aussi des nomenclatures techniques comme le bio-indicateur "indice poisson rivière" (IPR) ou des dispositifs comme la "passe à poissons", faisant ressortir en excès le mot "poisson". (En soi cependant, le choix de cet indicateur ou de ce dispositif peut lui aussi être considéré comme faisant partie de l'haliocentrisme actuel de la gestion écologique de rivière.)
Pour en avoir le coeur net, nous avons fait une recherche sur la truite et le chabot, deux espèces non menacées et non objets de plans nationaux ou européens spécifiques (contrairement au saumon ou à l'anguille, par exemple).
L'item "truite" donne 463 résultats sur le site onema.fr. L'item "chabot" donne 146 résultats. En comparaison, les mentions de grenouille ont 50 résultats, de triton 21, de crapaud 19, de salamandre 8.
La continuité fut plus intéressante que la pollution ou le réchauffement…
Du point de vue des impacts et des enjeux, nous nous sommes demandés comment se plaçait la continuité par rapport à la pollution, au changement climatique et aux espèces exotiques dans les 11 années de communication de l'Onema.
L'item "continuité" donne 1730 résultats. L'item "pollution" donne 1340 résultats. L'item "changement climatique" donne 816 résultats. L'item "espèces exotiques" donne 377 résultats
La continuité n'est pourtant qu'un aspect de la morphologie des cours d'eau, elle-même n'étant qu'un compartiment des impacts possibles. Mais pendant 11 ans, cette continuité a davantage intéressé la communication de l'Onema vers ses publics que la pollution, le climat ou les invasives.
Conclusion : des biais réels, et peu acceptables
Le biais piscicole et halieutique de l'Onema n'est donc pas un mythe, mais une réalité observable dans la lexicométrie de sa communication. L'office avait une approche sélective des écosystèmes aquatiques et de leur biodiversité, donnant un large prépondérance aux poissons, même à des espèces non menacées.
A l"heure où les personnels de l'Onema travaillent dans le cadre de l'Agence française pour la biodiversité, il faut souhaiter que ces biais disparaissent, tant dans la connaissance que dans la surveillance et la gestion des milieux. Nous avons par exemple saisi l'AFB pour une destruction d'étang et zones humides (qui menace certainement davantage les amphibiens ou les oiseaux que les truites) : ce sera l'occasion de vérifier si ses agents s'intéressent désormais à toute la biodiversité, dont celle des systèmes lentiques. Ou s'ils continuent de donner carte blanche aux pêcheurs pour augmenter la biomasse des seules espèces qui les intéressent.
Illustration : (haut) crapaud sonneur à ventre jaune, espèce menacée en France. Sandra Velitchko, CC-ASA-4.0
A lire en complément
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes
Voir sur ce même thème
Contenus Onema 2007-2017 : pas davantage proportionnés à la littérature scientifique
09/02/2018
Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)
Deux chercheurs australiens ont procédé à un passage en revue de la littérature scientifique récente et internationale sur les masses d'eau artificielles, en milieu rural comme urbain. Il en résulte que l'origine artificielle des plans d'eau, canaux et autres hydrosystèmes issus de l'action humaine ne les empêche pas d'héberger de la biodiversité, en particulier de servir parfois de refuges à des espèces endémiques. Les auteurs appellent les gestionnaires à se montrer plus attentifs à ces masses d'eau et à identifier les propriétés qui favorisent leur rôle de refuge. Cette ré-orientation est nécessaire en France, où la politique publique reste presque entièrement guidée par un idéal de "renaturation" aux coûts importants pour des résultats incertains. Quand cette politique détruit des milieux aquatiques et humides d'intérêt pour le vivant, elle devient franchement contre-productive.
E.T. Chester et B.J. Robson (université de Murdoch, Australie) ont passé en revue la littérature scientifique décrivant le potentiel des masses d'eau douce anthropiques à agir comme des refuges pour le vivant face à des perturbations, notamment les changements hydroclimatiques.
Les auteurs observent que les études des masses d'eau artificielles se sont longtemps concentrées sur leur rôle négatif, notamment l'expansion d'espèces invasives ou l'homogénéisation de la faune. Mais récemment, observent-ils, "il y a davantage d'études qui analyses la biodiversité dans les masses d'eau anthropiques et les facteurs qui soutiennent la biodiversité en leur sein. (…) Les études se sont concentrées sur les oiseaux, les amphibiens, les poissons, les macro-invertébrés et les macrophytes aquatiques, avec peu d'études sur le plancton, bien que le zooplancton ait attiré l'attention".
Ils ajoutent : "Certains écosystèmes anthropiques sont reconnus dans la littérature comme refuges pour les espèces indigènes, mais d'autres pourraient potentiellement devenir des refuges avec des modifications dans leur gestion, malgré leur petite taille (Davies et al 2008a, Lundholm et Richardson 2010). Comme le concept de refuges face aux perturbations est relativement récent, cette revue se concentre nécessairement sur la littérature récente (c'est-à-dire l''ère électronique'). Cependant, il est important de noter que de nombreuses études sur les écosystèmes artificiels ont été publiées à l'ère pré-électronique, incluant des évaluations de la biodiversité et des impacts environnementaux, de sorte que les connaissances sur les écosystèmes artificiels sont plus vastes que celles citées ici dans Baxter 1977, Paul et Meyer 2001, Herzon et Helenius 2008 et Gopal 2013)".
Les chercheurs ont identifié 15 types de masses d'eau artificielles dans leur passage en revue de la littérature des années 2000 et 2010 : canalisations et canaux d'irrigation, fossés de drainage ruraux et urbains, canaux de navigation, bassins de rétention des eaux pluviales, zones humides agricoles et étangs, barrages de réserve incendie, mares et étangs urbains, lacs de golf, bassins industriels désaffectés, rizières, réservoirs de grande dimension, bassins de gravières et de carrières, mares de bordure routière, bassins d'abreuvement, parois et bords de rivière et lac artificiels.
Après avoir observé que les masse d'eau artificielles, courantes ou (plus souvent) stagnantes, hébergent elles aussi de la biodiversité (y compris des espèces endémiques de leurs régions), Chester et Robson énumèrent quelques attributs favorables.
Au niveau du site :
Enfin, les chercheurs énumèrent des points-clé en action de gestion et en question de recherche :
"Beaucoup de masses d'eau artificielles peuvent héberger des espèces particulières parce qu'elles n'ont pas un régime naturel, ou qu'elles varient de quelque manière des conditions naturelles. Par conséquent, l'utilisation d'actions de restauration traditionnelles doit être soigneusement examinée par les gestionnaires avant la mise en œuvre.
Il faudrait envisager d'améliorer la connectivité entre les refuges anthropiques et les plans d'eau environnants et les paysages terrestres
Les masses d'eau artificielles doivent être gérés en même temps que les plans d'eau naturels environnants en tant que mosaïque d'habitats pour les espèces d'eau douce. Il convient de prêter attention aux schémas de biodiversité bêta dans les masses d'eau.
L'hydropériode est plus facile à contrôler dans de nombreuses masses d'eau artificielles que dans les masses d'eau naturelles. L'hydropériode peut donc être gérée au profit d'espèces particulières ou de groupes d'espèces.
Il convient de prêter attention aux menaces potentielles pour les refuges anthropiques tels que le dragage, le busage, le drainage et l'utilisation de pesticides".
Discussion
La papier de Chester et Robson témoigne de l'évolution des approches écologiques depuis les années 2000. Longtemps, l'écologie a été centrée sur l'étude des systèmes naturels non ou peu perturbés par l'homme, dans la perspective de leur conservation. Mais on s'est progressivement aperçu que l'influence anthropique est bien plus ancienne qu'on ne le pensait initialement, des régions "vierges" ou "sauvages" portant en réalité la marque de plusieurs occupations humaines au fil de l'histoire. Le caractère désormais massif de cette influence (changement des cycles carbone, azote, eau, réchauffement climatique, explosion mondiale des espèces exotiques, etc.) a conduit à désigner notre époque comme l'Anthropocène, c'est-à-dire l'âge géologique où l'homme devient la première force de transformation de la nature, avec des effets à long terme non réversibles.
Par ailleurs, la distinction entre le naturel et l'artificiel perd son intérêt à mesure que l'écologie s'intéresse aux capacités évolutives et fonctionnelles des milieux : si une masse d'eau en place présente des propriétés d'intérêt pour le vivant, qu'elle ait été créée ou modifiée par l'homme ne fait pas spécialement disparaître ces propriétés.
On ne peut donc qu'espérer une généralisation de travaux d'étude des masses d'eau artificielles en France, en commençant déjà par leur diagnostic qui est à peu près inexistant (voir notre rapport en ce sens). Dans notre pays, la politique publique de l'eau est surtout inspirée par l'écologie dite de restauration ou de renaturation, consistant à essayer de revenir à un état antérieur des masses d'eau. Si cet angle peut être d'intérêt, à évaluer au cas par cas, il répond néanmoins à un paradigme ancien et désormais débattu de l'écologie (la nature pré-humaine comme référence à retrouver, voir Alexandre et al 2017 sur le fixisme en écologie). Ce choix produit aussi un certain nombre de déceptions dans les résultats observés et rate beaucoup d'options à moindre coût qui pourraient être bénéfiques à la biodiversité locale.
Référence : Chester ET, Robson BJ (2013), Anthropogenic refuges for freshwater biodiversity: Their ecological characteristics and management, Biological Conservation, 166, 64–75
Illustration : une zone humide au pied d'un déversoir sur la Seine, à Chamesson (21). Ce milieu est manifestement d'intérêt, mais sa composition faunistique et floristique n'est pas étudiée aujourd'hui, alors que le gestionnaire incite à faire disparaître l'hydrosystème au profit d'une "renaturation" optimisée pour les truites et espèces rhéophiles du lit mineur. Nous demandons aujourd'hui que l'Agence française pour la biodiversité remplisse son rôle, c'est-à-dire étudie les milieux aquatiques et humides sans préjugé sur leur origine artificielle et sans réductionnisme en faveur des seuls enjeux piscicoles à connotation halieutique.
A lire sur le même thème :
La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)
(Autre vue de l'hydrosystème en photo en haut.)
E.T. Chester et B.J. Robson (université de Murdoch, Australie) ont passé en revue la littérature scientifique décrivant le potentiel des masses d'eau douce anthropiques à agir comme des refuges pour le vivant face à des perturbations, notamment les changements hydroclimatiques.
Les auteurs observent que les études des masses d'eau artificielles se sont longtemps concentrées sur leur rôle négatif, notamment l'expansion d'espèces invasives ou l'homogénéisation de la faune. Mais récemment, observent-ils, "il y a davantage d'études qui analyses la biodiversité dans les masses d'eau anthropiques et les facteurs qui soutiennent la biodiversité en leur sein. (…) Les études se sont concentrées sur les oiseaux, les amphibiens, les poissons, les macro-invertébrés et les macrophytes aquatiques, avec peu d'études sur le plancton, bien que le zooplancton ait attiré l'attention".
Ils ajoutent : "Certains écosystèmes anthropiques sont reconnus dans la littérature comme refuges pour les espèces indigènes, mais d'autres pourraient potentiellement devenir des refuges avec des modifications dans leur gestion, malgré leur petite taille (Davies et al 2008a, Lundholm et Richardson 2010). Comme le concept de refuges face aux perturbations est relativement récent, cette revue se concentre nécessairement sur la littérature récente (c'est-à-dire l''ère électronique'). Cependant, il est important de noter que de nombreuses études sur les écosystèmes artificiels ont été publiées à l'ère pré-électronique, incluant des évaluations de la biodiversité et des impacts environnementaux, de sorte que les connaissances sur les écosystèmes artificiels sont plus vastes que celles citées ici dans Baxter 1977, Paul et Meyer 2001, Herzon et Helenius 2008 et Gopal 2013)".
Les chercheurs ont identifié 15 types de masses d'eau artificielles dans leur passage en revue de la littérature des années 2000 et 2010 : canalisations et canaux d'irrigation, fossés de drainage ruraux et urbains, canaux de navigation, bassins de rétention des eaux pluviales, zones humides agricoles et étangs, barrages de réserve incendie, mares et étangs urbains, lacs de golf, bassins industriels désaffectés, rizières, réservoirs de grande dimension, bassins de gravières et de carrières, mares de bordure routière, bassins d'abreuvement, parois et bords de rivière et lac artificiels.
Après avoir observé que les masse d'eau artificielles, courantes ou (plus souvent) stagnantes, hébergent elles aussi de la biodiversité (y compris des espèces endémiques de leurs régions), Chester et Robson énumèrent quelques attributs favorables.
Au niveau du site :
- berges végétalisées et peu abruptes
- végétation aquatique (submergée ou flottante)
- absence de poissons
- hydropériode (durée de l'eau présente en permanence)
- sols en sédiment naturel plutôt que sol artificiel
- proximité d'autres masses d'eau
- connectivité à d'autres masses d'eau
- proximité de zones terrestres arborées
Enfin, les chercheurs énumèrent des points-clé en action de gestion et en question de recherche :
"Beaucoup de masses d'eau artificielles peuvent héberger des espèces particulières parce qu'elles n'ont pas un régime naturel, ou qu'elles varient de quelque manière des conditions naturelles. Par conséquent, l'utilisation d'actions de restauration traditionnelles doit être soigneusement examinée par les gestionnaires avant la mise en œuvre.
Il faudrait envisager d'améliorer la connectivité entre les refuges anthropiques et les plans d'eau environnants et les paysages terrestres
Les masses d'eau artificielles doivent être gérés en même temps que les plans d'eau naturels environnants en tant que mosaïque d'habitats pour les espèces d'eau douce. Il convient de prêter attention aux schémas de biodiversité bêta dans les masses d'eau.
L'hydropériode est plus facile à contrôler dans de nombreuses masses d'eau artificielles que dans les masses d'eau naturelles. L'hydropériode peut donc être gérée au profit d'espèces particulières ou de groupes d'espèces.
Il convient de prêter attention aux menaces potentielles pour les refuges anthropiques tels que le dragage, le busage, le drainage et l'utilisation de pesticides".
Discussion
La papier de Chester et Robson témoigne de l'évolution des approches écologiques depuis les années 2000. Longtemps, l'écologie a été centrée sur l'étude des systèmes naturels non ou peu perturbés par l'homme, dans la perspective de leur conservation. Mais on s'est progressivement aperçu que l'influence anthropique est bien plus ancienne qu'on ne le pensait initialement, des régions "vierges" ou "sauvages" portant en réalité la marque de plusieurs occupations humaines au fil de l'histoire. Le caractère désormais massif de cette influence (changement des cycles carbone, azote, eau, réchauffement climatique, explosion mondiale des espèces exotiques, etc.) a conduit à désigner notre époque comme l'Anthropocène, c'est-à-dire l'âge géologique où l'homme devient la première force de transformation de la nature, avec des effets à long terme non réversibles.
Par ailleurs, la distinction entre le naturel et l'artificiel perd son intérêt à mesure que l'écologie s'intéresse aux capacités évolutives et fonctionnelles des milieux : si une masse d'eau en place présente des propriétés d'intérêt pour le vivant, qu'elle ait été créée ou modifiée par l'homme ne fait pas spécialement disparaître ces propriétés.
On ne peut donc qu'espérer une généralisation de travaux d'étude des masses d'eau artificielles en France, en commençant déjà par leur diagnostic qui est à peu près inexistant (voir notre rapport en ce sens). Dans notre pays, la politique publique de l'eau est surtout inspirée par l'écologie dite de restauration ou de renaturation, consistant à essayer de revenir à un état antérieur des masses d'eau. Si cet angle peut être d'intérêt, à évaluer au cas par cas, il répond néanmoins à un paradigme ancien et désormais débattu de l'écologie (la nature pré-humaine comme référence à retrouver, voir Alexandre et al 2017 sur le fixisme en écologie). Ce choix produit aussi un certain nombre de déceptions dans les résultats observés et rate beaucoup d'options à moindre coût qui pourraient être bénéfiques à la biodiversité locale.
Référence : Chester ET, Robson BJ (2013), Anthropogenic refuges for freshwater biodiversity: Their ecological characteristics and management, Biological Conservation, 166, 64–75
Illustration : une zone humide au pied d'un déversoir sur la Seine, à Chamesson (21). Ce milieu est manifestement d'intérêt, mais sa composition faunistique et floristique n'est pas étudiée aujourd'hui, alors que le gestionnaire incite à faire disparaître l'hydrosystème au profit d'une "renaturation" optimisée pour les truites et espèces rhéophiles du lit mineur. Nous demandons aujourd'hui que l'Agence française pour la biodiversité remplisse son rôle, c'est-à-dire étudie les milieux aquatiques et humides sans préjugé sur leur origine artificielle et sans réductionnisme en faveur des seuls enjeux piscicoles à connotation halieutique.
A lire sur le même thème :
La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)
08/02/2018
L'agence française pour la biodiversité, auxiliaire des pêcheurs de truites de l'Ource?
Notre association fait régulièrement observer que l'AFB (ex Onema, ex Conseil supérieur de la pêche) développe sur les rivières une expertise très centrée sur l'halieutisme, avec une ignorance de la plupart des enjeux autres que piscicoles (en particulier que les salmonidés et espèces de milieux lotiques). On en trouve encore un exemple dans l'avis de l'AFB sur la destruction de 3 ouvrages hydrauliques de l'Ource, un chantier récemment autorisé par un arrêté préfectoral dont Hydrauxois requiert l'annulation. L'AFB s'y intéresse essentiellement aux truites et fait comme si la disparition de plus de 2000 m de biefs et annexes en eau ne représente pas un enjeu local digne d'un diagnostic écologique avant intervention. De quelle "biodiversité" parlent au juste ces fonctionnaires? Pourquoi le lien d'une agence publique avec les enjeux d'intérêt pour les seuls pêcheurs est-il toujours aussi manifeste?
Après avoir subi un vote négatif en comité syndical du syndicat mixte Sequana le 6 septembre 2017, le projet absurde de destruction de 3 ouvrages hydrauliques sur l'Ource a malgré tout été acté par l'arrêté préfectoral n°792 du 13 décembre 2017. Notre association a déposé un recours amiable en annulation de cet arrêté et, en cas de refus de la préfecture, portera cette requête en annulation devant le tribunal administratif.
A cette occasion, nous avons eu accès à l'avis de l'Agence française pour la biodiversité accompagnant ce projet. Cette pièce émanant d'une administration et concernant l'environnement, donc pouvant être accessible à tout citoyen, nous la rendons publique à ce lien.
Pour ceux qui l'ignorent encore, l'Agence française pour la biodiversité a intégré l'ancien Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), qui était lui-même le successeur du Conseil supérieur de la pêche (CSP). L'AFB-Onema-CSP se caractérise par un traitement des questions écologiques en rivière centré sur les poissons des milieux lotiques, particulièrement des poissons qui se trouvent très appréciés de certains types de pêche (salmonidés). Ce qui est bien dommage, car la biodiversité aquatique dont cette agence est supposée être la garante est représentée dans 98% des cas par des espèces autres que les poissons (et dans 99,5% des cas par des poissons autre que spécialisés en eau courante). Si l'on ajoute la biodiversité rivulaire, le poisson est loin d'occuper la place centrale qu'il a aujourd'hui dans l'instruction des dossiers concernant les milieux aquatiques (voir ce rapport).
L'avis de l'AFB sur la destruction des ouvrages de l'Ource montre à nouveau ces biais :
On note par ailleurs une erreur de droit (qui n'est de toute façon pas la spécialité ni la mission de l'AFB, donc son intervention sur le sujet est étrange) : "Le projet présenté, avec un démantèlement des ouvrages transversaux, consiste en fait à une remise en état des lieux telle que définie par l’article L.214-3. De fait, l’opération projetée ne peut relever du régime de l’autorisation au sens de la rubrique liée aux ouvrages transversaux comme mentionné dans le dossier (p.8)." Or toute modification de plus de 100 mètres de profil de rivière impose une autorisation loi sur l'eau au titre du régime IOTA R 214-1 CE, que cette modification résulte du L 214-17 CE, du L 214-3 CE ou de tout autre article du code de l'environnement. L'AFB semble encore véhiculer la vue naïve selon laquelle un chantier dit de restauration écologique ne serait pas d'abord un chantier, donc une intervention en lit et berge susceptible de dégrader l'état actuel des milieux (ou de nuire aux droits des tiers, par ailleurs).
Comme celui déjà réalisé sur Tonnerre à l'époque de l'Onema (voir cet article), ce rapport sur l'Ource confirme donc que l'AFB cherche certainement à optimiser chaque mètre carré de rivière pour des espèces rhéophiles, mais ne travaille pas sérieusement sur la biodiversité aquatique en dehors de ce cadre étroit. C'est sans doute pour la même raison que l'Onema puis l'AFB n'ont jamais éprouvé la nécessité d'une estimation scientifique des impacts de la pêche sur les milieux, assortie de préconisations sur l'évolution des pratiques.
Ces biais halieutiques et excès de spécialisation piscicole / lotique de certaines instructions en écologie des rivières sont aujourd'hui anachroniques. Ils ont déjà été observés dans des travaux universitaires (par exemple Lespez et al 2015, Dufour et al 2017). L'agence française pour la biodiversité en tiendra-t-elle compte? Ou continuera-t-elle l'enfermement corporatiste qui a déjà caractérisé le CSP, puis l'Onema?
Illustration : bief d'un des ouvrages de Prusly-sur-Ource, milieu riche en vivant qui risque d'être asséché sur plusieurs milliers de mètres sans la moindre étude d'impact par le syndicat Sequana, la fédération de pêche ou l'AFB, alors que le commissaire enquêteur en a demandé le diagnostic. Mais tout ce qui contredit aujourd'hui le dogme de la continuité écologique "à la française" est écarté d'un revers de main : on rationalise les destructions d'ouvrages à la chaîne par des justifications répétitives, copiées-collées d'un site à l'autre, et d'une grande pauvreté de contenu.
Après avoir subi un vote négatif en comité syndical du syndicat mixte Sequana le 6 septembre 2017, le projet absurde de destruction de 3 ouvrages hydrauliques sur l'Ource a malgré tout été acté par l'arrêté préfectoral n°792 du 13 décembre 2017. Notre association a déposé un recours amiable en annulation de cet arrêté et, en cas de refus de la préfecture, portera cette requête en annulation devant le tribunal administratif.
A cette occasion, nous avons eu accès à l'avis de l'Agence française pour la biodiversité accompagnant ce projet. Cette pièce émanant d'une administration et concernant l'environnement, donc pouvant être accessible à tout citoyen, nous la rendons publique à ce lien.
Pour ceux qui l'ignorent encore, l'Agence française pour la biodiversité a intégré l'ancien Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), qui était lui-même le successeur du Conseil supérieur de la pêche (CSP). L'AFB-Onema-CSP se caractérise par un traitement des questions écologiques en rivière centré sur les poissons des milieux lotiques, particulièrement des poissons qui se trouvent très appréciés de certains types de pêche (salmonidés). Ce qui est bien dommage, car la biodiversité aquatique dont cette agence est supposée être la garante est représentée dans 98% des cas par des espèces autres que les poissons (et dans 99,5% des cas par des poissons autre que spécialisés en eau courante). Si l'on ajoute la biodiversité rivulaire, le poisson est loin d'occuper la place centrale qu'il a aujourd'hui dans l'instruction des dossiers concernant les milieux aquatiques (voir ce rapport).
L'avis de l'AFB sur la destruction des ouvrages de l'Ource montre à nouveau ces biais :
- appréciation de pure complaisance de la qualité du diagnostic ("le projet présenté s’appuie sur un état initial solide") alors qu'à peu près tout manque dans le dossier présenté par le syndicat Sequana (pas d'analyse des peuplements faune-flore de 2000 m de biefs et zones humides menacés, pas d'état initial correct des poissons avec mesure amont-retenue-aval et bief, absence de la moindre référence aux diverses mesures obligatoires de la directive cadre européenne sur l'eau, pas d'analyse chimique des sédiments, etc.),
- généralité sur les sédiments consistant à dire en termes savants et inutilement complexes que la rivière n'aura pas localement la même substrat avec ou sans ouvrage, sans qu'il soit précisé en quoi l'habitat lentique des retenues actuelles et leur fosse en aval de chute poseraient un problème pour le vivant (hors frayères à truite) et en quoi la fin des habitats aquatiques de biefs asséchés et de leurs annexes ne sera pas une perte plus impactante pour le vivant qu'un changement de faciès sur le lit mineur,
- centrage de tout le document sur les poissons (en particulier les rhéophiles, et bien sûr les truites) sans aucune considération pour d'autres espèces,
- même sur les poissons, aucune mise en contexte sur les peuplements du tronçon, aucune analyse des causes des densités observées (on cite des impacts de manière impressionniste, sans modèle explicatif), aucune projection de l'évolution de l'hydrosystème et de ses assemblages biologiques en changement climatique (alors les assecs de l'Ource sont signalés, sans que leur discontinuité hydrologique soit cartographiée et analysée), évocation d'un "potentiel piscicole" qui serait "fort" sans élément pour le démontrer (le rapport de la fédération de pêche cité en référence a utilisé des méthodologies datées et absentes de la littérature scientifique récente en écologie), le potentiel est "historiquement reconnu pour la truite fario", mais les ouvrages fondés en tire sont là depuis plusieurs siècles, donc il faut supposer qu'ils n'ont pas empêché "historiquement" la présence de ces truites, etc.
On note par ailleurs une erreur de droit (qui n'est de toute façon pas la spécialité ni la mission de l'AFB, donc son intervention sur le sujet est étrange) : "Le projet présenté, avec un démantèlement des ouvrages transversaux, consiste en fait à une remise en état des lieux telle que définie par l’article L.214-3. De fait, l’opération projetée ne peut relever du régime de l’autorisation au sens de la rubrique liée aux ouvrages transversaux comme mentionné dans le dossier (p.8)." Or toute modification de plus de 100 mètres de profil de rivière impose une autorisation loi sur l'eau au titre du régime IOTA R 214-1 CE, que cette modification résulte du L 214-17 CE, du L 214-3 CE ou de tout autre article du code de l'environnement. L'AFB semble encore véhiculer la vue naïve selon laquelle un chantier dit de restauration écologique ne serait pas d'abord un chantier, donc une intervention en lit et berge susceptible de dégrader l'état actuel des milieux (ou de nuire aux droits des tiers, par ailleurs).
Comme celui déjà réalisé sur Tonnerre à l'époque de l'Onema (voir cet article), ce rapport sur l'Ource confirme donc que l'AFB cherche certainement à optimiser chaque mètre carré de rivière pour des espèces rhéophiles, mais ne travaille pas sérieusement sur la biodiversité aquatique en dehors de ce cadre étroit. C'est sans doute pour la même raison que l'Onema puis l'AFB n'ont jamais éprouvé la nécessité d'une estimation scientifique des impacts de la pêche sur les milieux, assortie de préconisations sur l'évolution des pratiques.
Ces biais halieutiques et excès de spécialisation piscicole / lotique de certaines instructions en écologie des rivières sont aujourd'hui anachroniques. Ils ont déjà été observés dans des travaux universitaires (par exemple Lespez et al 2015, Dufour et al 2017). L'agence française pour la biodiversité en tiendra-t-elle compte? Ou continuera-t-elle l'enfermement corporatiste qui a déjà caractérisé le CSP, puis l'Onema?
Illustration : bief d'un des ouvrages de Prusly-sur-Ource, milieu riche en vivant qui risque d'être asséché sur plusieurs milliers de mètres sans la moindre étude d'impact par le syndicat Sequana, la fédération de pêche ou l'AFB, alors que le commissaire enquêteur en a demandé le diagnostic. Mais tout ce qui contredit aujourd'hui le dogme de la continuité écologique "à la française" est écarté d'un revers de main : on rationalise les destructions d'ouvrages à la chaîne par des justifications répétitives, copiées-collées d'un site à l'autre, et d'une grande pauvreté de contenu.
07/02/2018
Des zones humides permanentes plus riches en diversité (Gleason et Rooney 2018)
À l'échelle mondiale, de nombreux écosystèmes aquatiques connaissent une dessiccation périodique qui impose un stress sur le vivant. Jennifer E. Gleason (Université de Guelph) Rebecca C. Rooney (Uuniversité de Wterloo) ont étudié la région des cuvettes des prairies du Nord (PPPR) en Alberta (Canada), qui renferme d'abondantes zones humides sous forme de mares se remplissant lors de la fonte des neiges printanière, avant baisser de niveau en été. On peut leur assigner une classe de permanence selon la durée de présence de l'eau. Résultat : les zones humides permanentes sont plus riches en invertébrés, et les zones humides temporaires n'abritent pas de faune spécifique. De telles études seraient utiles à mener en France, afin d'éclairer la politique de restauration ou conservation de zones humides.
Les zones humides dynamiques, à hydropériode variable, abritent des communautés diverses macro-invertébrés. La question posée par les chercheurs est de savoir si la permanence des mares transforment les communautés de macro-invertébrés. Outre la composition taxonomique, ils ont caractérisé ces communautés par groupes fonctionnels afin de tester les associations entre la dessiccation des étangs, les typs alimentataires ou les guildes comportementales.
Les macroinvertébrés aquatiques ont été échantillonnés sur 87 milieux humides de la RPPN qui couvraient une gamme de classes de permanence des étangs, soit 600 prélèvements, 62 taxons plus plus de 2,25 millions d'individus. L'abondance moyenne par site était de 22,31 (± 7,61) taxons, et de 6776,19 (± 5617,31) individus au mètre carré. la profondeur moyenne des mares était de 0,51 ± 0.23 m. Des analyses multivariées ont visé à identifier les différences dans la composition et les groupes fonctionnels selon les classes de permanence.
Principaux résultats :
Nous ne connaissons pas d'étude en France de la biodiversité des zones humides selon le niveau de permanence en eau de leurs milieux (on trouve en revanche des travaux sur les rivières intermittentes). Il serait intéressant de mener ces analyses dans diverses hydro-écorégions. A l'heure où la préservation et la restauration de ces zones humides forment une politique publique, le gestionnaire gagne à faire les meilleurs choix pour optimiser la biodiversité, finalité de ces programmes.
Référence : Gleason JE et RC Rooney (2018), Pond permanence is a key determinant of aquatic macroinvertebrate community structure in wetlands, Freshwater Biology, 63, 3, 264–277
Illustration : une petite zone humide intermittente se formant en pied de bief d'un moulin du Morvan.
Les zones humides dynamiques, à hydropériode variable, abritent des communautés diverses macro-invertébrés. La question posée par les chercheurs est de savoir si la permanence des mares transforment les communautés de macro-invertébrés. Outre la composition taxonomique, ils ont caractérisé ces communautés par groupes fonctionnels afin de tester les associations entre la dessiccation des étangs, les typs alimentataires ou les guildes comportementales.
Les macroinvertébrés aquatiques ont été échantillonnés sur 87 milieux humides de la RPPN qui couvraient une gamme de classes de permanence des étangs, soit 600 prélèvements, 62 taxons plus plus de 2,25 millions d'individus. L'abondance moyenne par site était de 22,31 (± 7,61) taxons, et de 6776,19 (± 5617,31) individus au mètre carré. la profondeur moyenne des mares était de 0,51 ± 0.23 m. Des analyses multivariées ont visé à identifier les différences dans la composition et les groupes fonctionnels selon les classes de permanence.
Principaux résultats :
- la composition de la communauté de macro-invertébrés est statistiquement distincte selon les classes de permanence des étangs, les zones humides les plus extrêmes en caractère temporaire ou permanent différant le plus,
- les macro-invertébrés dans les zones humides temporaires ne sont pas des taxons uniques spécialement adaptés, mais un sous-ensemble de la communauté que l'on trouve dans les zones humides plus permanentes,
- la plupart des taxons sont plus abondants dans les zones humides plus permanentes. Seuls deux groupes taxonomiques (Culicidae et Anostraca) sur 62 sont plus abondants dans les milieux humides temporaires.
- étonnamment, la qualité de l'eau (conductivité, turbidité, cations dominants, phosphore, azote et carbone), n'est pas fortement associée aux principaux gradients de composition des communautés.
Nous ne connaissons pas d'étude en France de la biodiversité des zones humides selon le niveau de permanence en eau de leurs milieux (on trouve en revanche des travaux sur les rivières intermittentes). Il serait intéressant de mener ces analyses dans diverses hydro-écorégions. A l'heure où la préservation et la restauration de ces zones humides forment une politique publique, le gestionnaire gagne à faire les meilleurs choix pour optimiser la biodiversité, finalité de ces programmes.
Référence : Gleason JE et RC Rooney (2018), Pond permanence is a key determinant of aquatic macroinvertebrate community structure in wetlands, Freshwater Biology, 63, 3, 264–277
Illustration : une petite zone humide intermittente se formant en pied de bief d'un moulin du Morvan.
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