17/02/2018

Directive-cadre européenne sur l'eau, les raisons d'un échec programmé

La directive-cadre européenne sur l'eau, visant 100% des masses d'eau en bon état chimique et écologique dès 2015, est un échec majeur au regard de ses objectifs, tant en France que dans les autres Etats-membres. Cette directive devant connaître une révision substantielle à partir de 2019, il importe de faire le bon diagnostic de cet échec pour apporter les évolutions nécessaires. Nous pointons ici deux causes majeures de l'absence de progression rapide de la qualité des eaux : le manque de réalisme économique sur l'ampleur et le coût des interventions nécessaires; le choix du mauvais paradigme de l'état de référence, héritage d'une version datée de l'écologie. Il faut souhaiter que l'Etat français porte à Bruxelles le bon message en 2019. 

La directive-cadre européenne sur l'eau (DCE), promulgué en 2000, a été décrite comme la législation la plus ambitieuse au monde dans le domaine de l'eau. Elle se donnait pour objectif le bon état écologique et chimique de 100% des masses d'eau (nappe, rivière, plan d'eau, estuaire) à l'horizon 2015, avec possibilité de proroger deux fois cette date butoir (échéances 2021, 2017).

La notion de bon état s'apprécie à partir d'une batterie d'indicateurs normalisés à travers toute l'Europe, portant sur l'appréciation des milieux biologiques, les mesures d'état physique de l'eau ou les taux de concentration de substances polluantes (près de 80) qui y circulent. Un seul facteur dégradé implique la dégradation de toute la masse d'eau. Certaines masses d'eau fortement modifiées sont jugées selon un potentiel d'état plutôt qu'un état.

Au regard de ses objectifs, la DCE 2000 est un échec.



Les graphiques ci-dessus (cliquer pour agrandir) montrent la situation au dernier bilan officiel des mesures rapportées à l'Europe, soit en 2013, pour les eaux de surface (source CGDD). Au total sur les bassins français, 43,5 % seulement des masses d'eau sont en bon ou très bon état écologique, 48,5% en bon état chimique, beaucoup de mesures manquaient dans l'état chimique.

Non seulement nous n'avons pas atteint les 100% de masses d'eau en bon état en 2015, mais les progressions observées depuis les premières mesures des années 2000 sont très lentes (quelques %) voire stables à intervalle de quelques années. C'est-à-dire qu'à ce rythme et malgré les environ 2,5 milliards € injectés chaque année dans la qualité de l'eau par les Agences de bassin, nous n'avons aucune chance d'atteindre l'objectif de 100% en 2027.

A la décharge de la France, elle se situe dans la moyenne européenne et d'autres pays ont des situations beaucoup plus dégradées que la nôtre.

Le manque de réalisme économique : une directive conçue sans estimation de faisabilité
L'explication la plus simple, mais aussi la plus paresseuse, consiste à incriminer tous les usagers de l'eau et tous les Etats. Si nous sommes en retard, c'est la faute des céréaliers qui ne réduisent pas les intrants et les pesticides, des industriels qui continuent de polluer ou réchauffer, des collectivités et des particuliers qui ne mettent pas assez vite leur assainissement aux normes, des barragistes et des moulins qui ne veulent pas détruire ou équiper leur ouvrage hydraulique, des irrigants qui pompent encore une eau plus rare, des éleveurs qui dégradent les berges, des automobilistes qui envoient des particules polluantes dans l'air donc dans l'eau par lessivage, des pêcheurs qui alevinent tout et n'importe quoi, etc.

Certes, chacun doit faire des efforts er c'est bien le sens des politiques engagées. Mais les "yakafokon" qui se limitent à ce genre de critique oublient qu'en démocratie, une politique publique n'évaluant pas sa faisabilité économique et son acceptabilité sociale n'est jamais qu'une mauvaise politique. Les efforts que l'on demande à chacun, ce sont à chaque fois des coûts (d'évitement, de compensation, de substitution), cela dans une économie ouverte et dans divers engagements européens ou internationaux de la France où l'on flatte par ailleurs la baisse des coûts, l'avantage compétitif, la hausse des pouvoirs d'achat, etc. A un moment, cette équation ne peut plus fonctionner.  L'approche systémique et intégrée de l'eau comme hydrosystème relié à tout le bassin versant est intellectuellement correcte, mais elle est économiquement lourde puisqu'elle regarde désormais l'ensemble des usages.

Dans le cas de la DCE, des économistes français ont par exemple montré récemment que son analyse coût-bénéfice est mauvaise dans la majorité des cas, en particulier dans les zones rurales à faible population mais fort linéaire de cours d'eau (Feuillette et al 2016). Ce genre d'observation justifie que la politique de l'eau (comme la politique des biens communs environnementaux en général) soit à forte composante publique dans son financement, avec certains objectifs écologiques sans équivalent monétaire. Mais nous atteignons alors la question de la limite des revenus fiscaux de l'eau que l'on peut attribuer chaque année aux besoins d'amélioration de la ressource ou à des objectifs de biodiversité qui ne sont pas toujours partagés par le corps social.

Dans son Blueprint for Water, la Commission européenne avait pointé entre autres problèmes le manque de connaissance et d'utilisation des instruments économiques dans la gouvernance de l'eau. L'OCDE avait formulé la même critique (OECD 2012). Comme l'observe dans un papier récent J Berbel et A Exposito "la DCE et la politique de l'UE dans le domaine de l'eau ont principalement été élaborées par des décideurs ayant une formation en hydrologie, en génie civil ou en administration publique. Jusqu'à présent, l'économie a joué un rôle secondaire, mais la DCE révisée devrait placer l'économie, et donc les économistes et les connaissances économiques, au cœur de la politique de l'eau de l'UE et au service de ses objectifs sociaux et environnementaux" (Berbel et Exposito 2018).

Encore faut-il que les économistes s'accordent sur les modèles d'estimation des biens, services, externalités liés à l'eau et à échelle de la collectivité : alors que nous sommes à la veille de la révision DCE, ce consensus paraît très loin d'être constitué. Avec le risque de reproduire les approximations à l'oeuvre depuis 2000 et de reconduire des objectifs sans les financements qui les garantiraient.

Le paradigme failli de l'état de référence : négation de la nature hybride et dynamique
Si la DCE 2000 rencontre l'écueil de la faisabilité économique de ses ambitions, le problème de cette directive est aussi plus profond et plus structurel. Il réside dans le choix de l'état de référence écologique comme objectif systématisé à chaque masse d'eau.

Gabrielle Bouleau et Didier Pont en rappelaient ainsi le principe : "la DCE définit les conditions de référence d’un système écologique comme celui prévalant en l’absence ou la quasi-absence de perturbations anthropiques. Cela correspond à des caractéristiques hydromorphologiques, physicochimiques et biologiques 'non perturbées', des concentrations en polluants de synthèse proches de zéro et des teneurs relevant du 'bruit de fond' en polluants non synthétiques. La chimie de l’eau et la toxicologie permettent d’étalonner les concentrations en fonction des risques sanitaires associés. Du côté de l’écologie, l’étalonnage repose sur une typologie régionalisée des milieux aquatiques qui rend compte de la variation de biodiversité induite par les caractéristiques écorégionales (facteurs hydroclimatiques, habitat physique, facteurs trophiques et biotiques) sur des cours d'eau non perturbés de taille relativement similaire. Le bon état correspond à un écart à cette référence n’entraînant pas de distorsion notable des biocénoses. Un écart plus notable est interprété comme le signe d’une perturbation des facteurs-clés déterminant la biodiversité localement. Cette approche suppose un retour possible au bon état en cas de suppression de la perturbation, sous réserve que cette dernière n’ait pas engendré d’irréversibilité." (Bouleau et Pont 2015).

En d'autres termes, les hauts fonctionnaires ayant conçu la DCE 2000 se sont imaginés que les rivières européennes, modifiées par 5000 ans d'occupations humaines sur les bassins versants, pourraient retrouver un état "naturel" ou "quasi-naturel" avec très peu d'influence anthropique en l'espace de 25 ans seulement… On critique parfois des politiques et des administratifs "hors-sol", il faut admettre que la réalité donne quelques fondements à ce grief.

Autant les indicateurs chimiques relèvent la présence ou l'absence d'une substance, paramètre en soi modifiable à la source dans beaucoup de cas, autant les indicateurs biologiques ou morphologiques se révèlent plus problématiques dans leur interprétation et leur pronostic d'évolution. En voici quelques raisons :
  • les systèmes naturels sont non réversibles, rien ne laisse penser qu'on reviendrait à un état antérieur et notamment "avant l'homme",
  • les systèmes naturels sont dynamiques et ne se stabilisent pas sur un point d'équilibre (ancienne vision du "climax" abandonnée en écologie),
  • le changement climatique est en train de modifier les écotypes de nombreuses rivières à travers leurs conditions hydrologiques et thermiques,
  • la biodiversité acquise depuis plusieurs millénaires (plus encore depuis 100 ans) est déjà considérable et elle dévie des assemblages de la biodiversité endémique,
  • les influences de tout le bassin versant (et non du seul tronçon de lit mineur) sur les propriétés de l'eau et des milieux suggèrent qu'un état de référence pré-humain engagerait la reconfiguration de tout le bassin versant (et non quelques actions ponctuelles sur le lit et la berge),
  • le temps de réaction des hydrosystèmes à des impacts ou des restaurations est assez largement inconnu, mais on sait déjà qu'il superpose des influences à toutes échelles (de l'heure au millénaire), avec aucun espoir que le quart de siècle de la DCE soit une période pertinente pour atteindre puis conserver un état donné.
Revenir à l'état de référence non perturbé relève donc d'un paradigme déchu, destiné aux plus grandes difficultés et incertitudes sur ce qui surviendra réellement dans nos eaux au cours des prochaines décennies. Et développer des modèles pression-impact-réponse trop simplistes ne produira pas les résultats attendus.

Voici près de 10 ans, Simon Dufour et Hervé Piégeay observaient déjà : "Au cours des deux dernières décennies, la restauration des rivières est de plus en plus devenue un domaine de recherche posant une série de questions complexes liées non seulement à la science mais aussi à la société. Pourquoi devrions-nous restaurer les écosystèmes? La restauration est-elle toujours bénéfique? Quand est-ce bénéfique? Quels devraient être les états de référence cibles? Qu'est-ce que le succès et quand peut-il être évalué? (… ) Bien que le désir de recréer le passé soit tentant, la science a montré que les systèmes fluviaux suivent des trajectoires complexes qui rendent souvent impossible le retour à un état antérieur. (…) Nous soutenons que la stratégie fondée sur les références devrait être progressivement remplacée par une stratégie axée sur les objectifs qui reflète les limites pratiques du développement de paysages durables et l'importance émergente de la prise en compte des services à la personne rendus par l'écosystème cible." (Dufour et Piégeay 2009)

La révision de la DCE en 2019 doit être l'occasion de repenser sa construction économique et son assise écologique.

16/02/2018

Un guide AFB-Irstea irrecevable pour le calcul de la consistance légale d'un moulin

A défaut de pouvoir faire disparaître le régime des moulins fondés en titre, l'administration française a entrepris depuis 2014 de vider ce régime de sa substance, en multipliant par décrets et arrêtés les complexités de remise en service des ouvrages hydrauliques anciens. L'Agence française pour la biodiversité et l'Irstea viennent ainsi de publier un rapport dédié à la méthodologie de calcul du débit du droit d’eau fondé en titre. Sa vocation est de s'imposer aux propriétaires ou bureaux d'études qui travaillent sur la relance de moulin. Or ce guide va produire plus de problèmes qu'il n'apportera de services. Sa complexité inutile est inapplicable pour les petits sites se relançant en autoconsommation ou en production modeste. Mais surtout, ce guide se base sur une prétention déplacée à renverser la définition jurisprudentielle et légale de la puissance maximale brute fondée en titre, allant jusqu'à donner des leçons de droit au Conseil d'Etat. Explications sur cet enième dérive de l'arbitraire administratif dans le domaine des ouvrages hydrauliques.


La puissance maximale brute d'un site est définie par la loi et codifiée dans le L. 511-5 du code de l'énergie : "La puissance d'une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur".

Lors de la relance d'un moulin, il est d'usage de considérer que sa consistance légale correspond à cette puissance maximale brute. La jurisprudence en a été établie par l’arrêt Ulrich du Conseil d’État (28 juillet 1866), où un usinier ayant changé ses mécanismes et augmenté sa puissance a vu reconnaître qu'il n'avait pas besoin de demander une autorisation, car la donnée importante est la "force motrice brute qui résulte du volume, de la hauteur et de la pente de la chute d’eau". Par extension, la puissance fondée en titre (consistance légale exploitable du site) est calculée par le débit entrant dans la propriété après diversion des eaux et par la hauteur totale entre le point d'entrée et le point de restitution (en sortie de bief), sans considération sur ce que le propriétaire peut faire techniquement de cette eau dérivée.

Cet équilibre législatif et jurisprudentiel relève d'un certain bon sens : dès lors que le droit d'eau fondé en titre peut dériver un débit, il l'exploite à sa convenance à impact égal de diversion du lit mineur de la rivière.

C'est cet équilibre que l'administration en charge de l'eau tente aujourd'hui de rompre, fidèle à son habitude de décourager la relance des ouvrages hydrauliques par des surcroîts de complexité et des pinaillages disproportionnés aux enjeux. Le rapport Irstea-AFB tente de rationaliser cette rupture.

Voici quelques exemples de désaccords ou d'imprécisions.

"Tout moulin doté d’un titre authentique ou dont l’existence avérée est antérieure à l’Édit des moulins de 1566 pour les cours d’eau domaniaux et à l’abolition du régime féodal du 4 août 1789 pour les cours d’eau non-domaniaux bénéficie d’un droit fondé en titre (MEEDDM, 2010)." (p. 8) 

Le droit fondé en titre est établi pour un moulin existant avant l'instruction législative des 12-20 août 1790 dans les rivières non domaniales. En effet, cette loi de l'Assemblée constituante instaure le "libre cours des eaux" garanti par les autorités départementales, et donc l'obligation de recevoir une autorisation administrative pour édifier un moulin ou autre ouvrage. Les moulins établis entre août 1789 et août 1790 sont donc également fondés en titre.

"La consistance légale est la puissance hydraulique brute que le moulin était autorisé à utiliser à l’origine de ses droits." (p. 9)

Cette définition est inexacte. Elle ne correspond pas à la loi ni à la jurisprudence, mais à une des deux hypothèses avancées dans l’arrêté du 11 septembre 2015.
"Pour l'application du présent article aux ouvrages et installations fondés, la puissance autorisée, correspondant à la consistance légale, est établie en kW de la manière suivante :- sur la base d'éléments : états statistiques, tout élément relatif à la capacité de production passée, au nombre de meules, données disponibles sur des installations comparables, etc. ;- à défaut, par la formule P (kW) = Qmax (m3/s) × Hmax (m) × 9,81 établie sur la base des caractéristiques de l'ouvrage avant toute modification récente connue de l'administration concernant le débit dérivé, la hauteur de chute, la côte légale, etc."

L'arrêté pose arbitrairement que l'on peut se référer à des éléments anciens, alors que cette méthode n'est pas retenue dans le code de l'énergie ni dans la jurisprudence du Conseil d'Etat. Et le texte du même arrêté convient que la puissance maximale brute est aussi recevable.

"Dans ce jugement et dans quelques autres décisions [du conseil d'Etat], il est fait une interprétation erronée de l’arrêt Ulrich" (page 11). 

Le Conseil d'Etat interprète le droit, et en la matière ses décisions peuvent être contredites par une instance supérieure (cours européennes). Il ne revient donc pas à l'Irstea ni à l'AFB de sortir de leurs compétences et de donner des leçons de droit à la plus haute juridiction administrative ni de "démontrer" que la jurisprudence se tromperait depuis l'arrêté Ulrich de 1866. C'est un non-sens : l'expert technique doit s'adapter à ce que dit le droit, et non pas essayer de le transformer.

"Le jugement n°393293 du Conseil d’Etat du 16 décembre 2016 précise l’applicabilité de la méthode : "Le juge administratif peut tenir compte notamment des mesures de dé- bit réelles effectuées sur le site par l’administration, à la condition toutefois que celle-ci démontre que ces mesures sont pertinentes pour apprécier la puissance maximale théorique" (p. 20)

Cet extrait sort l'arrêt du Conseil d'Etat de son contexte. Les magistrats ont rappelé que le calcul du débit maximal équipable (et non du débit dérivé ancien) s'applique aux fondés en titre dans ce considérant:
"4. Considérant qu'un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine ; qu'à défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle ; que celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ; que si, en vertu des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions de son livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique ", leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur ; que la cour, en faisant usage de cette formule pour déterminer la puissance maximale, n'a ainsi entaché son arrêt sur ce point d'aucune erreur de droit"
Donc l'administration peut effectuer des mesures de débits réels sur site, mais elle doit le faire dans le respect des dispositions législatives citées du code de l'énergie, dont on rappellera qu'elle s'impose aux dispositions réglementaires dans la hiérarchie des normes (le ministère de l'écologie peut prendre des arrêtés et décrets, mais pas s'ils sortent des définitions de la loi validées par la jurisprudence).

Au plan technique, le guide soulève par ailleurs certains points intéressants pour le calcul du débit. Mais ses présupposés le rendent inutilisables.

Ce guide a déjà été opposé à des pétitionnaires, qui nous en ont informés. Nous avons saisi certains partenaires nationaux de cette question en attirant l'attention sur la nécessité de produire par des ingénieurs et juristes un guide alternatif, fidèle à la loi et à la jurisprudence, opposable au service instructeur et au juge administratif, proposant des règles hydrauliques simples et éprouvées de calcul. D'ici là, le guide Irstea-AFB et la manoeuvre administrative de réduction de la consistance légale seront refusés. Un argumentaire complet sera fourni par notre avocat aux adhérents s'ils sont obligés de saisir le juge administratif pour constater l'absence de fondement juridique des demandes.

Dernier point : les deux fédérations de moulins, les deux syndicats d'hydro-électriciens et le syndicat des énergies renouvelables ont souhaité que la petite hydroélectricité soit placée sous la compétence de la direction énergie et climat du ministère de l'écologie (comme tous les autres producteurs), et non pas de sa direction eau et biodiversité. Cette requête est légitime et nécessaire. Depuis 10 ans, la direction eau et biodiversité axe son action de continuité en rivière sur la destruction des ouvrages hydrauliques. Elle ne fait que complexifier les normes en contradiction avec les attentes du gouvernement qui a demandé à ses administrations de les simplifier. Elle a nourri une très vive animosité des riverains à l'encontre des politiques publiques de continuité et n'a montré aucun intérêt pour le potentiel hydraulique des rivières, ce qui la rend peu à même d'accompagner dans de bonnes conditions la relance des moulins dans le cadre de la transition énergétique. Quant à l'Agence française pour la biodiversité, elle entretient la confusion sur son objet et sa pertinence en apposant son logo à ce genre de guide technique, qui devrait relever de l'Ademe.

Référence : Irstea, AFB D. Dorchies (2017), Méthodologie de calcul du débit du droit d’eau fondé en titre, 100 p.

15/02/2018

Trame verte et bleue : intégrer la biodiversité dans le paysage

Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) vient de rendre public un rapport sur la mise en oeuvre par la France de la Convention européenne du paysage (2000), ratifiée en 2006. Parmi leurs constats : la Trame verte et bleue (corridors et continuités écologiques) a été pensée de manière parfois trop sectorisée et trop fermée par les acteurs de la biodiversité, en négligeant son intégration dans le paysage — ce dernier étant une notion plus large, bien perçue par les citoyens et plus fidèle à leurs attentes. Nous ne pouvons que souscrire à cette recommandation, et souhaiter sa mise en oeuvre pour l'aménagement du paysage des vallées françaises.


La Convention européenne du paysage (adoptée au Conseil de l’Europe le 19 juillet 2000) définit ainsi le paysage : "partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels ou humains et de leurs interrelations dynamiques". La définition est certes un peu technocratique, comme toujours avec l'Europe, mais l'élément essentiel y est : la perception par les gens. L'être humain n'habite pas la nature, il habite d'abord des paysages façonnés par la rencontre de la nature et de la culture au cours de l'histoire.

La France a ratifié en 2006 cette Convention européenne du paysage, ce qui l'engage à une amélioration de la qualité des paysages et une maîtrise de leur évolution. Le CGEDD vient de publier un rapport d'analyse des politiques paysagères de huit pays (Irlande, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Suisse, Italie et Espagne).

Le rapport du CGEDD formule huit recommandations dont la première et principale consiste à élaborer une stratégie nationale interministérielle du paysage.

Le rapport observe les résistances à la mise en œuvre des engagements européens de la France dans ce domaine, notamment les cloisonnements administratifs et disciplinaires, la faible incitation aux contributions citoyennes pour des actions locales, l'insuffisante sensibilité de certains gestionnaires à la reconquête qualitative du paysage.

Trame verte et bleue, une politique "sectorielle et verticale"
De manière intéressante, l'une des recommandations du CGEDD concerne la Trame verte et bleue, c'est-à-dire le réseau des continuités et corridors écologiques que la France met en place depuis le Grenelle de l'environnement de 2007.

Voici ce qu'observe le CGEDD à ce sujet :

"À la différence de l’Angleterre et de l’Allemagne, la France a choisi une conception restreinte du concept d’infrastructure verte essentiellement centrée sur la protection de la biodiversité : la Trame verte et bleue (TVB).

Les lois Grenelle de 2009 et 2010 auraient pu faire des continuités écologiques un enjeu pour l’aménagement durable du territoire mais la TVB française a eu pour seul objectif d’ «enrayer la perte de biodiversité», même si elle «contribue à [...] améliorer la qualité et la diversité des paysages», tout en «prenant en compte les activités humaines». La TVB s’affirme comme une politique sectorielle et verticale. Il en résulte une conception restreinte et fonctionnelle du foncier et une adhésion des acteurs locaux incertaine, au-delà de la prise en compte – souvent a minima – des «corridors» et «réservoirs» de biodiversité dans les documents d’urbanisme.

Or, l’infrastructure verte, telle que conçue par l’Union européenne et mise en œuvre ou envisagée dans quelques pays, n’est pas une politique mais un outil au service d’une politique d’aménagement, de programmation et de planification, véritable armature territoriale qui s’appuie sur l’approche paysagère des espaces ouverts. Cet outil offre la possibilité d’une conception et d’une gestion coordonnée de l’aménagement d’un espace. (…)

En France, la démarche de «corridor écologique» ou «trame verte et bleue» mériterait donc d’être développée et étendue à une véritable approche multifonctionnelle du paysage. Il s'agirait donc, tout en préservant la biodiversité, de limiter l’espace «artificialisé» dans une perspective de développement durable, de prendre en compte des effets du changement climatique (notamment les risques naturels induits) et des aspirations des citoyens à une amélioration de leur cadre de vie, rural et urbain et de leur vie quotidienne. Le récent rapport commandé par la DGALN à l’Association des paysagistes-conseils de l’état (APCE) préconise le recrutement d’équipes pluridisciplinaires pour élaborer ou réviser ces trames à l’échelon régional ou local. Il ne va pas toutefois jusqu’à affirmer la multifonctionnalité de ces espaces ou le lien ville-campagne qu’ils peuvent représenter, comme c’est aujourd’hui le cas dans les expériences d’outre-Manche ou comme le suggère la Commission européenne.

Il faut donc utiliser l’approche paysagère pour aller plus loin.

Recommandation [à la DGALN] : élargir la Trame verte et bleue au-delà de la biodiversité à une approche territoriale multifonctionnelle structurant le paysage rural et urbain."

La rivière et sa plaine alluviale demain : renaturation ou interrelation ? 
Au-delà des observations du CGEDD sur l'excès de compartimentation et spécialisation de l'action publique, l'évolution souhaitée ne sera possible qu'au prix d'une réflexion pluridisciplinaire sur les rapports entre paysage et biodiversité, notamment pour la Trame bleue.

On sait qu'une partie de la  politique de biodiversité en France est séduite par le paradigme de la "renaturation", dont l'idéal implicite est une suppression des impacts humains sur les bassins versants, notamment morphologiques, avec une non-intervention ou intervention minimale sur le lit mineur et la plaine alluviale. On sait aussi que la forme lotique est vue par certains comme la forme "normale" et désirable d'eau courante, toute exception lentique (lac, retenue, plan d'eau, étang) devenant anomalie du continuum. Cette vision subjective est possible, mais sa logique conduit à opposer la nature à la culture, le sauvage au maîtrisé, pour préférer le premier terme. Et pourtant, si l'on prend l'exemple du Morvan, les centaines d'étangs, plans d'eau et lacs apparus au cours des derniers siècles du fait de l'action humaine ne font-ils pas partie désormais de l'identité paysagère régionale, d'ailleurs souvent valorisés par les acteurs du territoire quand il s'agit de le faire connaître? Et ces zones n'hébergent-elles pas une biodiversité nouvelle et riche, outre parfois celle endémique à la région?

Si l'on veut que biodiversité et paysage dialoguent dans la perspective d'aménagement des vallées, il faudra donc prendre en compte les relations dynamiques des actions humaines et naturelles, comme l'écrivit le Conseil de l'Europe en 2000, c'est-à-dire accepter également des formes données par l'homme à la rivière et à son lit majeur. Ainsi que le caractère évolutif, et non statique, de la biodiversité.

Référence : CGEDD, JL Cabrit, MC Soulié, PJ Thibault (2017), Démarches paysagères en Europe. éléments de parangonnage pour les politiques publiques françaises, Rapport n° 010731-01, 174 p.

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14/02/2018

Contenus Onema 2007-2017 : pas davantage proportionnés aux publications scientifiques

Nous avons montré qu'entre 2007 et 2017, l'Onema employait davantage le mot continuité que les mots pollution, changement climatique ou espèce exotique sur l'ensemble du contenu de son site internet. Mais après tout, ces répartitions de fréquence pourraient-elles être le reflet des contenus de la littérature scientifique sur la même période? Il semble que non : en lien au thème de la rivière, la science parle 3 fois plus du changement climatique mais 8 fois moins de la continuité. Cette dernière semble décidément avoir été une marotte de l'Office. Au détriment d'autres interrogations plus contemporaines? 

En réaction à notre article sur les thèmes traités par l'Onema, un lecteur a fait en commentaire une hypothèse intéressante : le poids relatif des mots clé que nous avions comparés (continuité, pollution, changement climatique, espèce exotique) pourrait être le reflet des interrogations les plus en pointe de la communauté scientifique, et non pas particulièrement des problèmes ou programmations des rivières. Donc pendant ses 11 ans d'existence, l'Onema parlerait davantage sur son site des sujets les plus traités par les chercheurs. Ce qui serait conforme à son rôle de conseil scientifique et technique des politiques publiques.

Pour trouver une première confirmation ou infirmation de cette hypothèse, nous avons fait une recherche rapide sur Google Scholar, en article entier, avec les 4 thèmes filtrés par une association au mot "river", sur la même période 2007-2017.

La requête donne 853 K résultats pour le changement climatique, 338 K pour la pollution, 67 K pour la continuité et 20 K pour les espèces exotiques.

Pour comparer le poids relatif de chacun de ces items dans l'ensemble comparé, ils ont été renormalisés sur total 100 dans le graphique ci-dessous.


L'hypothèse de notre lecteur n'est pas confirmée.

  • En association aux rivières, le changement climatique revient beaucoup plus souvent (3 fois plus) dans la littérature scientifique que chez l'Onema. C'est le 1er mot dans les publications indexées sur Scholar, le 3e seulement chez l'Onema. 
  • La pollution, 2e place dans les deux corpus, est à peu près similaire. 
  • La continuité confirme son anomalie forte dans le contenu de communication de l'Onema : le mot y est en tête, et surtout 8 fois plus présent que dans les publications peer-reviewed, où sa place reste modeste (12 fois moins important que le climat, 5 fois moins que la pollution). 
  • Enfin, l'Onema évoque davantage les espèces exotiques (5 fois plus) que la littérature scientifique sur les rivières. 
Une recherche plus détaillée sur les abstracts et dans les bases scientifiques Thomson-Reuters, avec des champs sémantiques plus complets, pourrait faire évoluer cette première approximation. Cela excède notre mission associative : nous espérons que des chercheurs en sciences sociales auront l'occasion de mener plus avant ce type d'interrogation sur la construction, la formulation et la diffusion de savoirs publics dans le domaine de l'eau en France.  

13/02/2018

Un "ouvrage irrégulier" ? Nouvelle tentative de contournement de la loi par les DDT-M

Depuis quelques semaines, certaines DDT(-M) tentent de mettre en avant la notion d'un "ouvrage irrégulier" pour refuser le délai de 5 ans dans la mise en oeuvre de la continuité écologique au titre du L 214-17 CE ou pour refuser l'exemption de continuité au titre du L 214-18-1 CE. Explications et arguments pour se défendre.


La mauvaise gouvernance de la réforme de continuité écologique et les rapports déplorables des services de l’Etat (DDT-M, AFB) avec les propriétaires de moulin et les exploitants en petite hydro-électricité ont déjà été reconnus par deux rapports d’audit administratif du CGEDD 2012 et 2016.

Des réformes étaient souhaitées par le CGEDD :  elles n’ont pas été engagées par l’administration.

Les parlementaires, informés de ces réalités et inquiets de leur dérive, ont déjà modifié à quatre reprises le régime de la continuité écologique entre 2015 et 2017 (loi patrimoine, loi biodiversité, loi montagne, loi autoconsommation). Ils ont pris soin de préciser lors des débats qu’il fallait cesser l’acharnement à détruire le patrimoine ou à exiger des dépenses exorbitantes à des particuliers, ce qui n’avait jamais été le texte et l’esprit de la loi sur l’eau de 2006.

Hélas, une partie de l'administration persiste aujourd'hui dans cette attitude négative. La croisade insensée d'incitation à la destruction du patrimoine par la menace réglementaire et le chantage financier n'a toujours pas cessé. Le découragement de la relance hydro-électrique des moulins s'est même accentué, en contradiction flagrante avec la politique de transition énergétique.

Ainsi, pour refuser le délai de 5 ans supplémentaires prévu par le réforme du L 214-17 CE ou pour refuser la dérogation du L 214-18-1 CE pour les moulins équipés pour produire de l'électricité, les DDT-M tentent une interprétation de la notion d'ouvrage "régulièrement autorisé", mentionnée dans ces textes.

Dans un premier cas qui nous a été soumis, la DDT mettait en avant un rapport selon lequel le moulin avait été modifié dans les années 1960 et ne possédait plus (selon la DDT) un élément nécessaire à l'usage de la puissance de l'eau. Le propriétaire n'était pas d'accord. Quoiqu'il en soit, un simple rapport n'a pas de valeur opposable, c'est un élément de procédure contradictoire. Si la DDT considère que le droit d'eau est caduc, elle prend un arrêté préfectoral pour en déclarer l'abrogation. Cet arrêté peut alors être attaqué devant le tribunal administratif, et c'est seulement si le contentieux est perdu par le propriétaire que l'arrêté prend effet et que la remise en état de la rivière est exigible. Mais tant que cela n'est pas fait, une DDT-M n'est pas fondée en droit à prétendre que l'ouvrage est "irrégulier" au plan réglementaire ou légal. C'est un excès de pouvoir.

Dans le second cas qui nous a été soumis, la DDT-M mettait en avant le fait que la rivière avait été classée cours d'eau poissons migrateurs par décret au titre de l'ancien article L 432-6 CE (l'ancêtre du L 214-17 CE, déjà imposé par le lobby pêche en 1984, déjà inappliquable donc déjà inappliqué). Pour cette DDT-M, l'ouvrage n'ayant pas réalisé de passe à poissons dans le délai imparti par l'ancien article L 432-6 CE, il serait aujourd'hui irrégulier. Est cité un arrêt de la cour d'appel de Nancy (n°15NC00542). A notre connaissance, cet arrêt fait l'objet d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, pas encore instruit.

Cet argument n'est pas plus recevable : l'article L 432-6 du code de l'environnement est abrogé et a cessé de produire effet, la continuité écologique est exigible au titre du L 214-17 CE depuis le classement des rivières en L1 ou L2 (2012 ou 2013). Il en résulte que l'administration doit respecter les obligations que lui a assignées la loi de 2006 et les réformes subséquentes du L 214-17 CE:
Si l'administration n'a pas rempli ces obligations à la première échéance de 5 ans après le classement (soit avant 2017 ou 2018 selon les bassins), elle est en tort.

Telle est la position que nous défendons, et défendrons devant les tribunaux si les désaccords persistent sur la continuité écologique. Nous rappelons que les propriétaires et les riverains profitant de leurs biefs ou retenues ont tout intérêt à :
  • rejoindre une association ou à se constituer en collectif sur chaque rivière,
  • se coordonner pour défendre une position claire et solidaire,
  • saisir les députés et sénateurs de leurs problèmes en demandant systématiquement aux parlementaires d'interpeller le ministre de l'écologie sur la dérive de son administration,
  • saisir les médias pour informer l'opinion des pratiques de destruction du patrimoine hydraulique, de son paysage et de sa biodiversité sur argent du contribuable. 
Quand l'administration française proposera une version intelligente et ouverte de la continuité écologique, les moulins auront vocation à s'y intégrer. Tant qu'elle se fera le chantre d'une vision intégriste de la renaturation non prévue dans la loi, elle perdra sa légitimité et ne produira que de la conflictualité.