En novembre 2017, le ministère de la Transition écologique et solidaire a relancé de manière non concertée le projet contesté de destruction des lacs et barrages de la Sélune, prétendant notamment avoir reçu les élus locaux qui en auraient fait la demande. Près de 100 élus du Sud Manche contestent aujourd'hui cette version des faits, en rappelant l'attachement du territoire aux lacs et aux barrages de la Sélune, ainsi que leur souhait de trouver des solutions non destructrices pour l'avenir du site.
Lettre ouverte des élus du sud de la Manche
(téléchargeable ici)
Monsieur le Ministre,
Nous avons été très choqués par votre communiqué du 14 novembre concernant le barrage de Vezins: on vous aurait fait croire que tous les élus locaux seraient d’accord avec sa suppression. C’est notoirement faux, pour la très grande majorité d’entre eux, et cette fable risque de porter un grave préjudice au territoire! Il faut que vous sachiez qu’il y a un vrai débat, mais que les habitants du territoire sont très majoritairement en faveur du maintien du lac.
La voie adoptée par Ségolène Royal pour tenter d’organiser une prise de décision sereine a été de commencer par faire appliquer le décret du 11 décembre 2007 qui impose que les barrages fassent périodiquement l’objet d’un « carénage » avec vidange complète – la vidange étant ici conduite par précaution sur un calendrier très étalé. Ce schéma n’a pas été contesté dès lors qu’il subordonnait la suite du débat à l’application des règles concernant la sûreté des grands barrages : à défaut de cette motivation, la vidange du lac aurait certainement fait l’objet de mouvements très négatifs. Si ce décret est bien ce qui s’applique, quelles dispositions pensez-vous prendre pour que les actions classiques de contrôles et réparations qui constituent l’examen de sûreté aboutissent rapidement et dans des conditions de professionnalisme et d’indépendance qui puissent donner confiance tant aux partisans de la suppression qu’à ceux du maintien ?
Si ce carénage confirme le bon état de la structure et permet le rétablissement des 200 hectares du lac, des propositions vous seront présentées pour la continuité écologique, une vraie prévention (protection des biens et des personnes : zones industrielles et d’habitations) des inondations et la gestion de la réserve d’eau mais aussi, si vous approuvez le principe d’une remise en concession, pour l’énergie, directement, via une STEP ou la production d’hydrogène et pour le maintien et le développement de l’emploi dans ce territoire.
Si en revanche l’ouvrage apparaissait présenter des dégradations sérieuses qui ne seraient pas réparables dans le cadre d’un carénage normal, vous seriez mieux en mesure d’expliquer une décision de suppression même si elle poserait de sérieuses difficultés pour le territoire.
Illustration : Le lac de retenue du barrage de Vezins. Par Ikmo-ned — Travail personnel, CC BY-SA 3.0.
04/03/2018
02/03/2018
Le droit de pêche est mal respecté en cours d'eau non domaniaux
Un sondage mené par notre association suggère que la gestion des droits de pêche en cours d'eau non domaniaux est problématique, avec les 3/4 des répondants n'ayant aucun accord tacite ou explicite de concession de leur droit de pêche à une association. Certaines fédérations et associations de pêche affirment pourtant dans leur communication que la rivière entière est ouverte à leurs adhérents, ce qui est faux. Hydrauxois va donc demander aux instances halieutiques et aux services administratifs de faire mieux appliquer les dispositions du code de l'environnement. Et travailler à ce qu'un respect mutuel des différents usages de la rivière s'instaure.
Nous avons récemment rappelé ce que dit la loi française sur le droit de pêche. En rivière non domaniale, ce droit appartient à chaque riverain (L435-4 CE), les associations agréées ne peuvent exploiter que les droits de pêche qu'elles détiennent (L434-3 CE), le droit de pêche peut être exercé gratuitement en cas d'intervention d'entretien sur une propriété répondant aux conditions du L435-5 CE, dans les précisions apportées par le Conseil d'Etat (n°320852, 23 décembre 2010).
Dans le même temps, notre association a lancé un sondage prospectif sur ses adhérents et sympathisants en cours d'eau non domaniaux. Nous avons obtenu 175 réponses, ce qui donne un premier aperçu.
En fréquence, 76,6 % des répondants ont parfois ou souvent des pêcheurs sur leurs rives.
En terme de concession du droit de pêche, 23,4% seulement ont un accord tacite ou explicite avec l'association de pêche.
Il y a donc un problème, puisqu'une association ne peut proposer à ses adhérents de pêcher en rivière non domaniale que si elle détient un droit de pêche sur les propriétés riveraines.
Parmi les autres résultats :
Chaque propriétaire riverain d'un cours d'eau non domanial est libre d'attribuer le droit de pêche à sa convenance (sauf cas particulier de financement public de travaux d'entretien). En tant qu'association, nous sommes favorables aux usages multiples de la rivière, et si la pratique de pêche ne produit pas des problèmes d'intimité, nous incitons plutôt à la tolérer afin que chacun profite de la rivière selon ses centres d'intérêt.
Toutefois, il faut encore que les pêcheurs développent des bonnes pratiques environnementales (qui ne consistent pas toujours à optimiser les sites pour tel ou tel poisson) et surtout qu'ils se montrent eux-mêmes tolérants vis-à-vis des autres usages de la rivière. En particulier sur la question aujourd'hui problématique des ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, forges, etc.). Une mise au point sera donc proposée à chaque AAPPMA pour clarifier les choses et déterminer si une co-existence intelligente des usages de l'eau est envisageable.
Illustration en haut : exemple de très mauvaises pratiques. La propriété privée concernée n'a signé aucun bail concédant le droit de pêche. La pêche au niveau des pertuis de vanne comme en exutoire de passes à poissons est formellement interdite. Il appartient aux fédérations et associations agréées, ainsi qu'aux administrations en charge de l'eau, de faire respecter tout le code de l'environnement, et pas seulement certaines dispositions à la mode...
Nous avons récemment rappelé ce que dit la loi française sur le droit de pêche. En rivière non domaniale, ce droit appartient à chaque riverain (L435-4 CE), les associations agréées ne peuvent exploiter que les droits de pêche qu'elles détiennent (L434-3 CE), le droit de pêche peut être exercé gratuitement en cas d'intervention d'entretien sur une propriété répondant aux conditions du L435-5 CE, dans les précisions apportées par le Conseil d'Etat (n°320852, 23 décembre 2010).
Dans le même temps, notre association a lancé un sondage prospectif sur ses adhérents et sympathisants en cours d'eau non domaniaux. Nous avons obtenu 175 réponses, ce qui donne un premier aperçu.
En fréquence, 76,6 % des répondants ont parfois ou souvent des pêcheurs sur leurs rives.
En terme de concession du droit de pêche, 23,4% seulement ont un accord tacite ou explicite avec l'association de pêche.
Il y a donc un problème, puisqu'une association ne peut proposer à ses adhérents de pêcher en rivière non domaniale que si elle détient un droit de pêche sur les propriétés riveraines.
Parmi les autres résultats :
- 55% des répondants se disent plutôt ou beaucoup gênés par la présence de pêcheurs,
- 60% des personnes gênées souhaitent être aidées pour faire respecter le droit,
- 49,6% des personnes non gênées aimeraient que le droit de pêche soit malgré tout formalisé.
Chaque propriétaire riverain d'un cours d'eau non domanial est libre d'attribuer le droit de pêche à sa convenance (sauf cas particulier de financement public de travaux d'entretien). En tant qu'association, nous sommes favorables aux usages multiples de la rivière, et si la pratique de pêche ne produit pas des problèmes d'intimité, nous incitons plutôt à la tolérer afin que chacun profite de la rivière selon ses centres d'intérêt.
Toutefois, il faut encore que les pêcheurs développent des bonnes pratiques environnementales (qui ne consistent pas toujours à optimiser les sites pour tel ou tel poisson) et surtout qu'ils se montrent eux-mêmes tolérants vis-à-vis des autres usages de la rivière. En particulier sur la question aujourd'hui problématique des ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, forges, etc.). Une mise au point sera donc proposée à chaque AAPPMA pour clarifier les choses et déterminer si une co-existence intelligente des usages de l'eau est envisageable.
Illustration en haut : exemple de très mauvaises pratiques. La propriété privée concernée n'a signé aucun bail concédant le droit de pêche. La pêche au niveau des pertuis de vanne comme en exutoire de passes à poissons est formellement interdite. Il appartient aux fédérations et associations agréées, ainsi qu'aux administrations en charge de l'eau, de faire respecter tout le code de l'environnement, et pas seulement certaines dispositions à la mode...
01/03/2018
Contre la destruction du moulin de Vaux sur l'Arconce
Par arrêté préfectoral du 25 janvier 2018, la préfecture de Saône-et-Loire engage une enquête publique sur un projet d'effacement de l'ouvrage du moulin de Vaux et de sa retenue sur les communes de Nochize et Saint-Julien-de-Civry. Un dossier d'autorisation au titre de la loi sur l'eau est présenté par Syndicat Mixte d'Aménagement de l'Arconce et ses Affluents (SMAAA). L'association Hydrauxois, saisie par l'un de ses adhérents riverains de la demande d'examen de ces documents, donne un avis négatif au projet et engage les riverains à faire de même.
Le rapport de notre association peut être téléchargé à cette adresse. Il sera utile à d'autres associations confrontées au même type de projet, ici motivé par l'article L 211-1 CE car la rivière n'est pas en liste 2 au titre du L 214-17 CE.
Le dossier de l'enquête publique est consultable à ce lien. Le commissaire-enquêteur se tient à la disposition de toute personne désirant lui faire part directement de ses observations les:
Les intéressés pourront consigner leurs observations, propositions et contre-propositions sur le registre, ou les adresser pendant la durée et avant la date de clôture de l'enquête :
L'association Hydrauxois observe qu'en choisissant une solution radicale de destruction, non prévue dans la loi et malgré la présence de l'anguille sur tout le cours de l'Arconce, au lieu de solutions alternatives d'aménagement, favorisées par la loi et non étudiées dans son dossier, le projet du SMAAA méconnaît les dispositions de l'article L 211-1 du code de l'environnement et donc la gestion équilibrée et durable de la ressource constitutive de l'intérêt général.
En effet, le projet du SMAAA
Pour ces motifs, l'association Hydrauxois serait amenée à engager une requête contentieuse contre le chantier en l'état de ses justifications et demande donc à M. le Commissaire enquêteur de donner dès à présent un avis négatif sur ce projet.
Malgré la remise de la demande de moratoire sur la continuité écologique à M. Nicolas Hulot et malgré les discussions en cours au Comité national de l'eau visant à redéfinir une doctrine publique de cette continuité, les administrations et gestionnaires publics en charge de l'eau persistent à programmer des destructions dans des conditions déplorables. Nous appelons donc les riverains, leurs collectifs, leurs associations à engager des contentieux judiciaires sur les projets les plus critiquables, et nous nous tenons à leur disposition pour leur en fournir des modèles.
La pseudo-concertation consistant à faire semblant d'écouter les riverains pour les pousser à accepter les subventions financières et pressions réglementaires favorables aux seules destructions ne produira que du conflit et de la division au bord des rivières françaises. Le gouvernement doit changer de manière conséquente ses arbitrages ineptes sur la continuité en long des cours d'eau.
Le rapport de notre association peut être téléchargé à cette adresse. Il sera utile à d'autres associations confrontées au même type de projet, ici motivé par l'article L 211-1 CE car la rivière n'est pas en liste 2 au titre du L 214-17 CE.
Le dossier de l'enquête publique est consultable à ce lien. Le commissaire-enquêteur se tient à la disposition de toute personne désirant lui faire part directement de ses observations les:
- samedi 10 mars 2018 de 9h à 12h à la mairie de Nochize
- vendredi 16 mars 2018 de 15h à 18h à la mairie de Saint-Julien-de-Civry
Les intéressés pourront consigner leurs observations, propositions et contre-propositions sur le registre, ou les adresser pendant la durée et avant la date de clôture de l'enquête :
- par écrit à la mairie de Nochize à l'attention du commissaire-enquêteur
- par voie électronique : pref-proc-env (at) saone-et-loire.gouv.fr
L'association Hydrauxois observe qu'en choisissant une solution radicale de destruction, non prévue dans la loi et malgré la présence de l'anguille sur tout le cours de l'Arconce, au lieu de solutions alternatives d'aménagement, favorisées par la loi et non étudiées dans son dossier, le projet du SMAAA méconnaît les dispositions de l'article L 211-1 du code de l'environnement et donc la gestion équilibrée et durable de la ressource constitutive de l'intérêt général.
En effet, le projet du SMAAA
- détruit des écosystèmes aquatiques et humides dans la retenue et les canaux latéraux amont, sans en faire l'étude préalable et sans en prévoir la compensation, alors même que la vallée est classée en ZNIEFF de type 1 n°260005574 " Haute Vallée de l'Arconce " avec plusieurs espèces susceptibles de profiter de ces habitats (par exemple la mulette épaisse, non étudiée dans le dossier),
- engage une remobilisation sédimentaire potentiellement dommageable sans analyser les pollutions éventuelles de ces sédiments ni les risques de colmatage à l'aval,
- amoindrit au lieu de protéger la ressource en eau (effet négatif reconnu du projet sur l'abreuvement, l'irrigation),
- contredit la politique active de stockage de l'eau pour les étiages (suppression de la retenue et de sa lame d'eau en été),
- nuit à l'intérêt de l'agriculture, notamment en faisant disparaître des droits d'eau riverains relatifs à l'irrigation sans apporter la démonstration du consentement des détenteurs de ces droits d'eau à les voir disparaître,
- contredit la protection des sites et des loisirs, alors qu'un usage de baignade à proximité du centre équestre est avéré,
- ignore le patrimoine hydraulique et sa valeur paysagère, notamment ne fournit pas la "Grille d'analyse de caractérisation et de qualification d'un patrimoine lié à l'eau" éditée en août 2017 par le ministère de la Transition écologique et solidaire et le ministère de la Culture, avec demande expresse aux services instructeurs que cette grille soit remplie avant tout projet, cela alors même que le Charolais-Brionnais est en campagne d'inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Pour ces motifs, l'association Hydrauxois serait amenée à engager une requête contentieuse contre le chantier en l'état de ses justifications et demande donc à M. le Commissaire enquêteur de donner dès à présent un avis négatif sur ce projet.
Malgré la remise de la demande de moratoire sur la continuité écologique à M. Nicolas Hulot et malgré les discussions en cours au Comité national de l'eau visant à redéfinir une doctrine publique de cette continuité, les administrations et gestionnaires publics en charge de l'eau persistent à programmer des destructions dans des conditions déplorables. Nous appelons donc les riverains, leurs collectifs, leurs associations à engager des contentieux judiciaires sur les projets les plus critiquables, et nous nous tenons à leur disposition pour leur en fournir des modèles.
La pseudo-concertation consistant à faire semblant d'écouter les riverains pour les pousser à accepter les subventions financières et pressions réglementaires favorables aux seules destructions ne produira que du conflit et de la division au bord des rivières françaises. Le gouvernement doit changer de manière conséquente ses arbitrages ineptes sur la continuité en long des cours d'eau.
28/02/2018
Les poissons européens lourdement contaminés par les retardateurs de flamme (Eljarrata et Barceló 2018)
Les retardateurs de flamme bromés PBDE ont été partiellement interdits en Europe au début des années 2000 en raison de leur toxicité et de leur forte diffusion dans l'environnement. Deux chercheurs espagnols montrent que malgré cette interdiction, les poissons européens comme les poissons asiatiques ou nord-américains restent massivement contaminés aux PBDE, avec des accumulations dans l'organisme jusqu'à 10.000 fois supérieures aux normes de qualité environnementale. Les retardateurs de flamme ne sont qu'une famille parmi les dizaines de molécules polluantes considérées comme prioritaires par la directive-cadre européenne sur l'eau. Et une parmi les centaines circulant aujourd'hui dans les eaux. Ce travail rappelle le retard important pris dans l'analyse des effets des micro-polluants sur le vivant aquatique, alors que ces mêmes substances soulèvent des inquiétudes croissantes sur la santé humaine.
Ethel Eljarrata et Damià Barceló (IDAEA-CSIC, Institut catalan de recherche sur l'eau) viennent de se pencher sur la question des pollutions par les retardateurs de flammes. Il s'agit d'un groupe de composés ajoutés ou appliqués aux matériaux (plastiques, meubles, véhicules, électronique) pour augmenter leur résistance au feu.
Les polybromodiphényléthers (PBDE), produits à trois degrés différents de bromation (Penta-BDE, Octa-BDE et Deca-BDE), sont parmi les molécules les plus largement utilisées. En raison de leur toxicité prouvée, les mélanges commerciaux de penta- et d'octa-BDE ont été interdits dans l'Union européenne (UE) et dans certains États américains depuis 2004, ainsi qu'au Canada à partir de 2006. En 2009, ils ont été désignés comme polluants organiques persistants (POP) et la Convention de Stockholm a décidé d'ajouter les mélanges commerciaux avec quatre, cinq, six et sept bromes à l'Annexe A, pour mettre fin à leur production et utilisation.
L'hexabromocyclododécane (HBCD) est un autre retardateur largement répandu, principalement utilisé dans les matériaux de construction d'isolation thermique, les textiles de rembourrage et l'électronique comme ignifuge. Le produit est composé de plusieurs isomères et ses propriétés physico-chimiques sont similaires à celles de certains PBDE. Certaines études indiquent un rôle possible du HBCD en tant que perturbateur endocrinien.
La directive-cadre sur l'eau 2000/60/CE a introduit un cadre juridique pour protéger l'environnement aquatique en Europe. Cette stratégie impliquait l'identification des substances prioritaires parmi celles qui présentent un risque important pour l'environnement aquatique. En 2001, une première liste de 33 substances ou groupes de substances prioritaires a été fixée au niveau de l'Union. Cette liste incluait déjà les PBDE. Elle a été récemment révisée en vertu de la directive 2013/39/UE (Commission européenne, 2013), avec 45 substances ou groupes de substances parmi lesquelles le HBCD est inclus. En outre, la directive 2008/105/UE, entrée en vigueur en janvier 2009, a défini des normes de qualité environnementale (NQE) pour ces substances prioritaires. Certaines substances très hydrophobes, comme les PBDE et le HBCD, s'accumulent dans le vivant et sont difficilement détectables dans l'eau, même en utilisant les techniques analytiques avancées. Pour ces substances, les NQE devraient être définies pour le biote.
Pour les PBDE, la NQE du biote a été fixée à 0,0085 ng/g ww (poids humide). Pour l'HBCD, la NQE biote a été fixée à 167 ng/g ww. Ces NQE devraient être prises en compte pour la première fois dans les plans de gestion des bassins hydrographiques couvrant la période 2015-2021 et devraient être respectées d'ici la fin de 2021.
Compte tenu de l'interdiction de la production des PBDE et HBCD, on s'attend à ce que leurs niveaux dans l'environnement diminuent au fil des ans. Afin d'évaluer la situation actuelle, la recherche documentaire des deux scientifiques a été limitée aux 5 dernières années (2012-2017). Ils ont trouvé 13 articles traitant des données PBDE dans 15 pays européens différents (Belgique, Bosnie-Herzégovine, Croatie, République tchèque, France, Allemagne, Grèce, Italie, Lettonie, Pologne, Serbie, Slovaquie, Espagne, Pays-Bas et Royaume-Uni), ainsi que 7 en Amérique du Nord, 8 en Asie (Chine et Corée) et 2 en Afrique (Afrique du Sud et Tanzanie). Une étude en Antarctique a également été publiée. Les études européennes ont analysé des échantillons de poissons collectés entre 2007 et 2015, à l'exception d'un seul travail sur des échantillons collectés entre 2000 et 2009. Une grande variété d'espèces est étudiée, parmi lesquelles les plus communes sont les carpes, les truites et les anguilles européennes.
Résultat: "Malgré l'interdiction des PBDE en Europe depuis 2004, ces polluants sont toujours présents dans pratiquement tous les poissons de rivière européens. À l'exception de quelques échantillons dans lesquels les PBDE n'ont pas été détectés, tous les autres échantillons de poisson ont clairement dépassé les NQE européennes. La même situation a été observée dans d'autres parties du monde, telles que l'Amérique du Nord, l'Asie et l'Afrique. Même les niveaux de PBDE trouvés dans une étude réalisée avec des poissons antarctiques ont dépassé les NQE européennes."
Le dépassement est très net : "Nous avons trouvé des données PBDE rapportées chez des poissons européens dépassant cent fois la NQE (0,85 ng/g poids humide) dans 5 études sur 16, dépassant mille fois la NQE (8,5 ng/g poids humide) dans 7 études sur 16, et dépassant dix mille fois la NQE (85 ng/g poids humide) dans 5 des 16 études. Des pourcentages similaires ont été observés pour l'Asie, mais la situation est plus critique dans le cas de l'Amérique du Nord où, dans 6 études sur 7, les niveaux d'EDP dépassaient de dix mille fois la valeur NQE."
Ce schéma modélise la probabilité de contamination (ws = worst case, bs = best case, cliquer pour agrandir, source article cité) :
En Europe, et en tenant compte du meilleur scénario, entre 73% et 100% des poissons analysés dépassaient la valeur biotique de contamination fixée par l'Europe. La somme de six PBDE était supérieure de plusieurs ordres de grandeur à la NQE du biote : entre 50% et 100% des niveaux de poissons étaient supérieurs à 10 fois la valeur, entre 4% et 96% au dessus de 100 fois, entre 0 % et 62% au-dessus de 1000 fois la valeur EQS, et entre 0% et 4% au-dessus de 10 000 fois la NQE.
Discussion
Tout au long du XXe siècle et en particulier après les années 1950, la chimie de synthèse a produit un grand nombre de molécules qui se sont diffusées dans les usages courants des sociétés humaines. Certaines d'entre elles ont des effets néfastes sur le vivant, qu'elles soient génotoxiques, reprotoxiques ou neurotoxiques.
La rivière et ses sédiments sont souvent les exutoires des activités du bassin versant et des substances transportées par les écoulements : on s'attend donc à des effets sensibles. Mais la recherche scientifique, si elle a beaucoup travaillé sur les impacts des nutriments (nitrates, phosphates), reste nettement moins développée sur les effets cumulés et synergistiques de ces centaines de molécules dans l'environnement. Le travail d'Ethel Eljarrata et de Damià Barceló sur la présence persistante et massive des retardateurs de flammes pourtant interdits montre l'actualité de cette question, alors que la France a déjà la plus grande difficulté à mesurer la présence de ces substances, sans même parler d'évaluer leurs effets sur les assemblages biologiques des rivières.
Référence : Eljarrata E, Barceló D (2018), How do measured PBDE and HCBD levels in river fish compare to the European Environmental Quality Standards?, Environmental Research, 160, 203–211
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Illustration : anguille morte, par Adityamadhav83 - travail personnel, CC BY-SA 4.0. La seule étude française compilée dans le travail de Eljarrata et Barceló concernait les anguilles de l'estuaire de la Loire. Les concentrations de PBDE (0,1–18,1 ng/g/ww) étaient largement supérieures aux normes européennes (Couderc et al 2015).
Ethel Eljarrata et Damià Barceló (IDAEA-CSIC, Institut catalan de recherche sur l'eau) viennent de se pencher sur la question des pollutions par les retardateurs de flammes. Il s'agit d'un groupe de composés ajoutés ou appliqués aux matériaux (plastiques, meubles, véhicules, électronique) pour augmenter leur résistance au feu.
Les polybromodiphényléthers (PBDE), produits à trois degrés différents de bromation (Penta-BDE, Octa-BDE et Deca-BDE), sont parmi les molécules les plus largement utilisées. En raison de leur toxicité prouvée, les mélanges commerciaux de penta- et d'octa-BDE ont été interdits dans l'Union européenne (UE) et dans certains États américains depuis 2004, ainsi qu'au Canada à partir de 2006. En 2009, ils ont été désignés comme polluants organiques persistants (POP) et la Convention de Stockholm a décidé d'ajouter les mélanges commerciaux avec quatre, cinq, six et sept bromes à l'Annexe A, pour mettre fin à leur production et utilisation.
L'hexabromocyclododécane (HBCD) est un autre retardateur largement répandu, principalement utilisé dans les matériaux de construction d'isolation thermique, les textiles de rembourrage et l'électronique comme ignifuge. Le produit est composé de plusieurs isomères et ses propriétés physico-chimiques sont similaires à celles de certains PBDE. Certaines études indiquent un rôle possible du HBCD en tant que perturbateur endocrinien.
La directive-cadre sur l'eau 2000/60/CE a introduit un cadre juridique pour protéger l'environnement aquatique en Europe. Cette stratégie impliquait l'identification des substances prioritaires parmi celles qui présentent un risque important pour l'environnement aquatique. En 2001, une première liste de 33 substances ou groupes de substances prioritaires a été fixée au niveau de l'Union. Cette liste incluait déjà les PBDE. Elle a été récemment révisée en vertu de la directive 2013/39/UE (Commission européenne, 2013), avec 45 substances ou groupes de substances parmi lesquelles le HBCD est inclus. En outre, la directive 2008/105/UE, entrée en vigueur en janvier 2009, a défini des normes de qualité environnementale (NQE) pour ces substances prioritaires. Certaines substances très hydrophobes, comme les PBDE et le HBCD, s'accumulent dans le vivant et sont difficilement détectables dans l'eau, même en utilisant les techniques analytiques avancées. Pour ces substances, les NQE devraient être définies pour le biote.
Pour les PBDE, la NQE du biote a été fixée à 0,0085 ng/g ww (poids humide). Pour l'HBCD, la NQE biote a été fixée à 167 ng/g ww. Ces NQE devraient être prises en compte pour la première fois dans les plans de gestion des bassins hydrographiques couvrant la période 2015-2021 et devraient être respectées d'ici la fin de 2021.
Compte tenu de l'interdiction de la production des PBDE et HBCD, on s'attend à ce que leurs niveaux dans l'environnement diminuent au fil des ans. Afin d'évaluer la situation actuelle, la recherche documentaire des deux scientifiques a été limitée aux 5 dernières années (2012-2017). Ils ont trouvé 13 articles traitant des données PBDE dans 15 pays européens différents (Belgique, Bosnie-Herzégovine, Croatie, République tchèque, France, Allemagne, Grèce, Italie, Lettonie, Pologne, Serbie, Slovaquie, Espagne, Pays-Bas et Royaume-Uni), ainsi que 7 en Amérique du Nord, 8 en Asie (Chine et Corée) et 2 en Afrique (Afrique du Sud et Tanzanie). Une étude en Antarctique a également été publiée. Les études européennes ont analysé des échantillons de poissons collectés entre 2007 et 2015, à l'exception d'un seul travail sur des échantillons collectés entre 2000 et 2009. Une grande variété d'espèces est étudiée, parmi lesquelles les plus communes sont les carpes, les truites et les anguilles européennes.
Résultat: "Malgré l'interdiction des PBDE en Europe depuis 2004, ces polluants sont toujours présents dans pratiquement tous les poissons de rivière européens. À l'exception de quelques échantillons dans lesquels les PBDE n'ont pas été détectés, tous les autres échantillons de poisson ont clairement dépassé les NQE européennes. La même situation a été observée dans d'autres parties du monde, telles que l'Amérique du Nord, l'Asie et l'Afrique. Même les niveaux de PBDE trouvés dans une étude réalisée avec des poissons antarctiques ont dépassé les NQE européennes."
Le dépassement est très net : "Nous avons trouvé des données PBDE rapportées chez des poissons européens dépassant cent fois la NQE (0,85 ng/g poids humide) dans 5 études sur 16, dépassant mille fois la NQE (8,5 ng/g poids humide) dans 7 études sur 16, et dépassant dix mille fois la NQE (85 ng/g poids humide) dans 5 des 16 études. Des pourcentages similaires ont été observés pour l'Asie, mais la situation est plus critique dans le cas de l'Amérique du Nord où, dans 6 études sur 7, les niveaux d'EDP dépassaient de dix mille fois la valeur NQE."
Ce schéma modélise la probabilité de contamination (ws = worst case, bs = best case, cliquer pour agrandir, source article cité) :
En Europe, et en tenant compte du meilleur scénario, entre 73% et 100% des poissons analysés dépassaient la valeur biotique de contamination fixée par l'Europe. La somme de six PBDE était supérieure de plusieurs ordres de grandeur à la NQE du biote : entre 50% et 100% des niveaux de poissons étaient supérieurs à 10 fois la valeur, entre 4% et 96% au dessus de 100 fois, entre 0 % et 62% au-dessus de 1000 fois la valeur EQS, et entre 0% et 4% au-dessus de 10 000 fois la NQE.
Discussion
Tout au long du XXe siècle et en particulier après les années 1950, la chimie de synthèse a produit un grand nombre de molécules qui se sont diffusées dans les usages courants des sociétés humaines. Certaines d'entre elles ont des effets néfastes sur le vivant, qu'elles soient génotoxiques, reprotoxiques ou neurotoxiques.
La rivière et ses sédiments sont souvent les exutoires des activités du bassin versant et des substances transportées par les écoulements : on s'attend donc à des effets sensibles. Mais la recherche scientifique, si elle a beaucoup travaillé sur les impacts des nutriments (nitrates, phosphates), reste nettement moins développée sur les effets cumulés et synergistiques de ces centaines de molécules dans l'environnement. Le travail d'Ethel Eljarrata et de Damià Barceló sur la présence persistante et massive des retardateurs de flammes pourtant interdits montre l'actualité de cette question, alors que la France a déjà la plus grande difficulté à mesurer la présence de ces substances, sans même parler d'évaluer leurs effets sur les assemblages biologiques des rivières.
Référence : Eljarrata E, Barceló D (2018), How do measured PBDE and HCBD levels in river fish compare to the European Environmental Quality Standards?, Environmental Research, 160, 203–211
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26/02/2018
La continuité de la rivière, un enjeu allant bien au-delà de l'écologie (Drouineau et al 2018)
Dans un article venant de paraître dans la revue Environmental Management, dix chercheurs proposent une réflexion sur la restauration de continuité de la rivière en lien aux poissons diadromes (ayant une partie de leur cycle de vie en mer et une autre dans l'eau douce). Après avoir observé que ces politiques sont anciennes, qu'elles obtiennent des résultats mitigés et que l'option récente d'effacement d'ouvrages en préférence aux aménagements ouvre de nouveaux enjeux sociaux, les auteurs proposent diverses pistes d'amélioration. Ils soulignent notamment que la continuité de la rivière est une question sociale et économique autant qu'écologique. Nous montrons ici que leurs critiques rejoignent nos constats de carence dans la préparation et la mise en oeuvre de la réforme de continuité en France. Mais nous émettons également diverses réserves sur la mise en oeuvre des préconisations proposées, en particulier sur la rigueur nécessaire pour l'approche objective des services rendus par les écosystèmes et de la valeur intrinsèque des acteurs non humains de la rivière, qu'il s'agisse des espèces vivantes (ne se limitant pas aux poissons diadromes), des patrimoines bâtis ou des paysages vécus. Le décideur doit écouter la société en amont de ses décisions, pas rationaliser des préjugés pour mieux les imposer.
Hilaire Drouineau et neuf collègues (Irstea, EDF−R&D en France, EIFER en Allemagne) proposent une réflexion sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. Ils observent : "La fragmentation des écosystèmes constitue une menace sérieuse pour la biodiversité et l'un des principaux défis en restauration des écosystèmes. La restauration de la continuité des rivières (RCR) a souvent ciblé les poissons diadromes, un groupe d'espèces qui soutient de fortes valeurs culturelles et économiques et qui est particulièrement sensible à la fragmentation des rivières. Pourtant, elle a souvent produit des résultats mitigés et les poissons diadromes restent à des niveaux d'abondance très bas."
Après avoir rappelé que les poissons migrateurs diadromes (environ 250 espèces dans le monde, une dizaine en France) font l'objet de diverses valorisations, les auteurs soulignent que les politiques de reconstitution de leurs stocks n'ont pas toujours été marquées par le succès :
"Malgré des efforts à long terme pour restaurer les poissons diadromes (les premières lois ont été adoptées dans les années 1700 pour le saumon: Brown et al 2013), ces programmes de restauration ont également connu un succès mitigé (Lichatowich et Lichatowich 2001 Lichatowich and Williams 2009). Un exemple célèbre est l'échec du programme de rétablissement du saumon du Pacifique dans le fleuve Columbia, que l'on a qualifié de plus grande tentative de restauration des écosystèmes au monde, mais qui a échoué (Lichatowich et Williams 2009). La réglementation des activités de pêche, la construction de passes à poissons et le repeuplement sont parmi les principales mesures mises en œuvre pour conserver et restaurer les poissons diadromes. En ce qui concerne plus spécifiquement la RCR pour les poissons diadromes, la construction de passes à poissons pour atténuer l'impact des obstacles à la migration est la mesure d'atténuation la plus courante."
Les chercheurs observent que l'efficacité limitée des passes (ou leur impossibilité dans certains cas) a conduit à l'émergence de la suppression des obstacles comme solution alternative, ce qui a engagé des enjeux sociaux et économiques beaucoup plus larges:
"Les passes à poissons peuvent être considérées comme des demi-mesures (Brown et al 2013), c'est-à-dire des mesures qui ne préviennent pas le problème, mais atténuent les symptômes et ont une efficience limitée (Noonan et al 2012). L'élimination des obstacles semble être beaucoup plus efficace écologiquement (Garcia De Leaniz 2008, Hitt et al 2012) et est de plus en plus perçue comme un outil essentiel dans la restauration des rivières en général, et des poissons migrateurs en particulier (Doyle et al 2013, Magilligan et al 2017). Cependant, elle soulève beaucoup plus de questions socio-économiques que des demi-mesures (Jørgensen et Renöfält 2013, Magilligan et al 2017) en raison de la perte potentielle des avantages récréatifs ou des valeurs culturelles, esthétiques et historiques fournies par l'obstacle (par exemple patrimoine des moulins, réservoirs artificiels créés par les barrages et utilisés pour la pêche, la voile, le canoë)".
Ces demi-échecs de la restauration des populations de poissons diadromes et ces enjeux désormais élargis soulèvent donc plusieurs défis. Hilaire Drouineau et ses coauteurs en discernent trois pour l'approche écologique de la question:
Outre une certaine confusion et perte d'efficience dans ces dispositifs superposés, les chercheurs soulignent que la restauration de continuité entre en conflit normatif avec d'autres orientations publiques, y compris parfois dans le domaine de l'écologie. Il est ainsi observé :
"Toutes ces réglementations de conservation et de restauration interagissent potentiellement entre elles et, en fonction de la manière dont elles sont interprétées par les acteurs politiques, peuvent provoquer des conflits politiques. Par exemple, certains milieux humides ou lacs créés par la construction d'un barrage sont classés par Natura 2000 en raison de leur intérêt pour les oiseaux ou d'autres animaux ou plantes, bien qu'ils modifient la libre circulation des poissons et des sédiments. Mais cette réglementation peut entrer en conflit avec d'autres, comme sur l'utilisation de l'eau. Par exemple, à l'échelle européenne, la directive 2009/28/CE encourage l'utilisation des énergies renouvelables, y compris l'hydroélectricité, bien que les installations hydroélectriques soient souvent obstacle à la libre circulation des poissons et source de mortalité pour les espèces migrantes (Blackwell et al 1998b, Muir et al 2006, Larinier 2008, Pedersen et al 2012). La RCR [restauration de continuité écologique] peut également entrer en conflit avec la réglementation sur la propagation des espèces exotiques et des maladies (Rahel 2013, McLaughlin et al 2013, Tullos et al 2016). Rahel (2013) fournit de nombreux exemples intéressants sur la manière dont les gestionnaires ont utilisé la fragmentation pour prévenir la propagation de maladies en Norvège, en République tchèque ou aux États-Unis. En Europe, cette question est particulièrement importante pour l'aquaculture piscicole: la directive européenne 2006/88/CE définit la condition à remplir pour qu'une zone soit considérée comme 'indemne', en accordant des facilités spécifiques pour l'aquaculture. Une telle zone peut être soit un ou plusieurs bassins versants, soit une sous-partie du bassin versant délimitée par 'une barrière naturelle ou artificielle qui empêche la migration vers le haut des animaux aquatiques'. Par conséquent, la restauration de la connectivité et de la migration pourrait remettre en question le statut de zone indemne de maladie accordée aux zones finlandaises, suédoises, irlandaises, danoises ou britanniques (décision de la Commission européenne du 15 avril 2010). Enfin, la RCR peut interférer avec d'autres réglementations d'utilisation de l'eau, en particulier les règles concernant le débit minimum et l'extraction d'eau."
Au-delà de cette complexité normative à prendre en compte, en raisons des multiples biens et services que la rivière procure à la société, la restauration de continuité ne peut pas être seulement une "question écologique", mais doit être aussi traitée comme une "question socio-économique".
Plusieurs pistes sont proposées pour avancer en ce sens, avec une insistance sur la nécessité de croiser les approches de façon interdisciplinaire :
Discussion
Le travail de Hilaire Drouineau et de ses collègues confirme divers diagnostics portés à partir de notre expérience associative. La continuité écologique pratiquée en France à ce jour a été conçue à traits assez grossiers : elle est peu adossée à des modélisations permettant d'avoir une vue d'ensemble de l'enjeu pour chaque espèce diadrome, de prioriser les axes migrateurs et les sites les plus impactants dans les bassins, d'évaluer les coûts et bénéfices attendus, donc au final de juger l'efficience des investissements passés ou d'anticiper celle des investissements futurs.
Le principal outil français de mise en oeuvre de cette continuité (classement 2012-2013 au titre de l'article L 214-17 CE) a remplacé un autre qui était déjà défaillant (L 432-6 CE s'exerçant sur la période 1984-2005) et a été construit à dire d'experts locaux agrégés sur grands bassins hydrographiques, d'où il ressort plusieurs défauts :
Quant à la dimension socio-économique, elle a été initialement réduite à la caricature "ouvrage inutile" versus "ouvrage utile", en totale cécité aux diverses modalités d'attachement des propriétaires et des riverains aux ouvrages et à leurs paysages. Le discours de la destruction des ouvrages a donc soulevé une opposition diffuse (Barraud et Germaine 2017), la France n'étant pas une exception (voir Cox et al 2016, Magilligan 2017). L'expérience a ainsi montré le caractère non consensuel des grilles de lecture de la rivière et la résistance de la société à une politique perçue comme trop autoritaire, trop systématique et finalement trop peu convaincante sur les bénéfices apportés aux citoyens par cette dépense d'argent public. La solution la plus sage serait de repenser substantiellement la manière dont on envisage la défragmentation des rivières, mais cette issue a peu de chance de voir le jour, sauf si la loi sur l'eau de 2006 recevait un ré-examen complet.
La rivière faisant l'objet de divergences voire conflits d'usages et d'images dans la population, le décideur public est en quête de moyens d'objectiver la situation pour faire les choix approchant le mieux d'un intérêt général. L'approche en services rendus par les écosystèmes est un outil dédié à cette fin, comme le rappellent Hilaire Drouineau et ses collègues.
Mais à notre connaissance, depuis son émergence dans les années 2000, on n'a pas vraiment assisté à un affinement consensuel et convergent de cette méthodologie par la communauté savante. Il y a certes pléthore de publications et même une revue spécialisée entièrement dédiée (Ecosystem Services). Mais cette abondance signale la complexité du sujet et l'existence de biais potentiellement nombreux quand il s'agit de bâtir une méthode assez simple et applicable par le gestionnaire. Les biens ou services environnementaux sont souvent de nature immatérielle, non marchande ou non monétaire (leur trouver un équivalent mesurable qui reflète vraiment l'état d'esprit d'une population est peu évident), les conflits d'usages et d'images se transposent immanquablement dans le poids que l'on va donner à certaines dimensions de la rivière ou de ses espèces. Les paramétrisations de tels modèles de services écosystèmiques demandent un travail assez lourd et plurisciplinaire à l'amont, pour bien prendre en compte l'ensemble des attentes sociales que l'on prétend mesurer sur une échelle commune (ou pour analyser l'effet réel de bénéfices physiques supposés comme l'épuration, la limitation de crue). Le non respect de cette rigueur ferait perdre à l'outil sa fonction d'arbitrage par évaluation objective, risquerait de conduire à des investissements non optimaux et reconduirait la défiance vis-à-vis d'un gestionnaire produisant des outils ad hoc pour rationaliser des choix opérés a priori, et non pour observer les attentes sociales sans préjugé.
Donc pourquoi pas une évaluation en services rendus par les écosystèmes, mais il faut y mettre des moyens, confier cela à la recherche, garantir une participation élargie dans la validation des outils, trouver la bonne échelle spatiale d'estimation comme de décision. Et de ce point de vue, le travail de Drouineau et al soulève déjà des questions. Par exemple, dans la restauration de continuité écologique, le poisson diadrome et l'ouvrage hydraulique sont l'un comme l'autre des "acteurs non humains" de la rivière (Dufour et al 2017) et il n'y a aucun raison scientifique de pré-orienter l'analyse sur les services que rendrait l'un, et pas l'autre. Parler de l'ouvrage comme un "obstacle" est déjà un biais d'orientation. Pareillement, sous l'angle de la valeur intrinsèque du vivant, le poisson diadrome est l'individu d'une espèce au même titre que tous les individus de toutes les espèces de la rivière, y compris celles qui profitent à divers titres des aménagements anthropisés ou de leurs annexes. Quelle valeur donnera-t-on aux tritons, libellules, aigrettes, saules ou potamots qui profitent d'un bief représentant une nuisance pour des saumons ou des aloses? Et déjà, comment garantira-t-on la prise en compte de cette diversité avant d'intervenir?
Référence : Drouineau H et al (2018), River continuity restoration and diadromous fishes: much more than an ecological issue, Environmental Management, DOI: 10.1007/s00267-017-0992-3
Illustration : en haut, seuils joints en tuf calcaire d'une rivière jurassienne, des discontinuités naturelles.
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Hilaire Drouineau et neuf collègues (Irstea, EDF−R&D en France, EIFER en Allemagne) proposent une réflexion sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. Ils observent : "La fragmentation des écosystèmes constitue une menace sérieuse pour la biodiversité et l'un des principaux défis en restauration des écosystèmes. La restauration de la continuité des rivières (RCR) a souvent ciblé les poissons diadromes, un groupe d'espèces qui soutient de fortes valeurs culturelles et économiques et qui est particulièrement sensible à la fragmentation des rivières. Pourtant, elle a souvent produit des résultats mitigés et les poissons diadromes restent à des niveaux d'abondance très bas."
Après avoir rappelé que les poissons migrateurs diadromes (environ 250 espèces dans le monde, une dizaine en France) font l'objet de diverses valorisations, les auteurs soulignent que les politiques de reconstitution de leurs stocks n'ont pas toujours été marquées par le succès :
"Malgré des efforts à long terme pour restaurer les poissons diadromes (les premières lois ont été adoptées dans les années 1700 pour le saumon: Brown et al 2013), ces programmes de restauration ont également connu un succès mitigé (Lichatowich et Lichatowich 2001 Lichatowich and Williams 2009). Un exemple célèbre est l'échec du programme de rétablissement du saumon du Pacifique dans le fleuve Columbia, que l'on a qualifié de plus grande tentative de restauration des écosystèmes au monde, mais qui a échoué (Lichatowich et Williams 2009). La réglementation des activités de pêche, la construction de passes à poissons et le repeuplement sont parmi les principales mesures mises en œuvre pour conserver et restaurer les poissons diadromes. En ce qui concerne plus spécifiquement la RCR pour les poissons diadromes, la construction de passes à poissons pour atténuer l'impact des obstacles à la migration est la mesure d'atténuation la plus courante."
Les chercheurs observent que l'efficacité limitée des passes (ou leur impossibilité dans certains cas) a conduit à l'émergence de la suppression des obstacles comme solution alternative, ce qui a engagé des enjeux sociaux et économiques beaucoup plus larges:
"Les passes à poissons peuvent être considérées comme des demi-mesures (Brown et al 2013), c'est-à-dire des mesures qui ne préviennent pas le problème, mais atténuent les symptômes et ont une efficience limitée (Noonan et al 2012). L'élimination des obstacles semble être beaucoup plus efficace écologiquement (Garcia De Leaniz 2008, Hitt et al 2012) et est de plus en plus perçue comme un outil essentiel dans la restauration des rivières en général, et des poissons migrateurs en particulier (Doyle et al 2013, Magilligan et al 2017). Cependant, elle soulève beaucoup plus de questions socio-économiques que des demi-mesures (Jørgensen et Renöfält 2013, Magilligan et al 2017) en raison de la perte potentielle des avantages récréatifs ou des valeurs culturelles, esthétiques et historiques fournies par l'obstacle (par exemple patrimoine des moulins, réservoirs artificiels créés par les barrages et utilisés pour la pêche, la voile, le canoë)".
Ces demi-échecs de la restauration des populations de poissons diadromes et ces enjeux désormais élargis soulèvent donc plusieurs défis. Hilaire Drouineau et ses coauteurs en discernent trois pour l'approche écologique de la question:
- le premier défi consiste à changer d'échelle, avec une approche de la continuité passant de l'examen des sites à l'approche par populations (incluant une phase océanique, rappelons-le) et par bassins versants;
- le deuxième défi est d'élargir des impacts directs aujourd'hui analysés (mortabilité en turbines hydroélectrique, blocage à la montaison) vers les impacts indirects (surpêche, stress, pression sélective, isolement génétique, coût énergétique);
- le troisième défi est de mettre au point des outils d'aide à la décision, sachant qu'"il existe un besoin évident d'un modèle mécanistique tenant compte des mouvements des poissons et de la dynamique des populations, de la structure dendritique des réseaux fluviaux fragmentés, et l'impact direct et indirect des obstacles pour (i) évaluer l'impact des obstacles à l'échelle des obstacles et à l'échelle de la population et (ii) prédire l'effet des actions de restauration."
Outre une certaine confusion et perte d'efficience dans ces dispositifs superposés, les chercheurs soulignent que la restauration de continuité entre en conflit normatif avec d'autres orientations publiques, y compris parfois dans le domaine de l'écologie. Il est ainsi observé :
"Toutes ces réglementations de conservation et de restauration interagissent potentiellement entre elles et, en fonction de la manière dont elles sont interprétées par les acteurs politiques, peuvent provoquer des conflits politiques. Par exemple, certains milieux humides ou lacs créés par la construction d'un barrage sont classés par Natura 2000 en raison de leur intérêt pour les oiseaux ou d'autres animaux ou plantes, bien qu'ils modifient la libre circulation des poissons et des sédiments. Mais cette réglementation peut entrer en conflit avec d'autres, comme sur l'utilisation de l'eau. Par exemple, à l'échelle européenne, la directive 2009/28/CE encourage l'utilisation des énergies renouvelables, y compris l'hydroélectricité, bien que les installations hydroélectriques soient souvent obstacle à la libre circulation des poissons et source de mortalité pour les espèces migrantes (Blackwell et al 1998b, Muir et al 2006, Larinier 2008, Pedersen et al 2012). La RCR [restauration de continuité écologique] peut également entrer en conflit avec la réglementation sur la propagation des espèces exotiques et des maladies (Rahel 2013, McLaughlin et al 2013, Tullos et al 2016). Rahel (2013) fournit de nombreux exemples intéressants sur la manière dont les gestionnaires ont utilisé la fragmentation pour prévenir la propagation de maladies en Norvège, en République tchèque ou aux États-Unis. En Europe, cette question est particulièrement importante pour l'aquaculture piscicole: la directive européenne 2006/88/CE définit la condition à remplir pour qu'une zone soit considérée comme 'indemne', en accordant des facilités spécifiques pour l'aquaculture. Une telle zone peut être soit un ou plusieurs bassins versants, soit une sous-partie du bassin versant délimitée par 'une barrière naturelle ou artificielle qui empêche la migration vers le haut des animaux aquatiques'. Par conséquent, la restauration de la connectivité et de la migration pourrait remettre en question le statut de zone indemne de maladie accordée aux zones finlandaises, suédoises, irlandaises, danoises ou britanniques (décision de la Commission européenne du 15 avril 2010). Enfin, la RCR peut interférer avec d'autres réglementations d'utilisation de l'eau, en particulier les règles concernant le débit minimum et l'extraction d'eau."
Au-delà de cette complexité normative à prendre en compte, en raisons des multiples biens et services que la rivière procure à la société, la restauration de continuité ne peut pas être seulement une "question écologique", mais doit être aussi traitée comme une "question socio-économique".
Le contexte de la restauration de continuité, dont la prise en compte suppose une analyse élargie (in Drouineau et al 2018, art cit, droit de courte citation).
- évaluer les biens et services écosystémiques associés aux poissons diadromes (valeur économique, culturelle, récréative)
- comprendre la construction sociale de la restauration de continuité écologique, notamment le jeu croisé des multiples acteurs (favorables ou défavorables) dans la mise en oeuvre des réglementations puis dans leur application à diverses échelles spatiales (de l'Europe au bassin versant).
Discussion
Le travail de Hilaire Drouineau et de ses collègues confirme divers diagnostics portés à partir de notre expérience associative. La continuité écologique pratiquée en France à ce jour a été conçue à traits assez grossiers : elle est peu adossée à des modélisations permettant d'avoir une vue d'ensemble de l'enjeu pour chaque espèce diadrome, de prioriser les axes migrateurs et les sites les plus impactants dans les bassins, d'évaluer les coûts et bénéfices attendus, donc au final de juger l'efficience des investissements passés ou d'anticiper celle des investissements futurs.
Le principal outil français de mise en oeuvre de cette continuité (classement 2012-2013 au titre de l'article L 214-17 CE) a remplacé un autre qui était déjà défaillant (L 432-6 CE s'exerçant sur la période 1984-2005) et a été construit à dire d'experts locaux agrégés sur grands bassins hydrographiques, d'où il ressort plusieurs défauts :
- modèles déterministes habitats-potentiels assez simplistes car ne prenant pas en compte toutes les pressions et la dynamique des populations concernées ;
- disproportion de l'effort programmé (20000 ouvrages) à l'investissement public et au délai réglementaire ;
- anomalies dans l'intensité spatiale du classement (certaines zones très couvertes, d'autres très peu, pas toujours en proportion d'un enjeu migrateur, beaucoup de grands barrages épargnés rendant illisible l'effort sur des ouvrages modestes);
- confusion des espèces amphihalines et des espèces holobiotiques qui n'ont pas les mêmes enjeux de migration ni les mêmes menaces d'extinction;
- superposition de motivations "fonctionnalistes" sur la restauration de capacité migratoire et de motivations "conservationnistes" sur la renaturation ou le changement d'habitats locaux, alors que ce ne sont pas les mêmes justifications normatives (légales, réglementaires) ni préconisations techniques qui permettraient d'asseoir ces prétentions ;
- centrage halieutique n'ayant pas pris en compte les conflits de normes et parfois d'enjeux de biodiversité dont parlent Hilaire Drouineau et ses collègues.
Quant à la dimension socio-économique, elle a été initialement réduite à la caricature "ouvrage inutile" versus "ouvrage utile", en totale cécité aux diverses modalités d'attachement des propriétaires et des riverains aux ouvrages et à leurs paysages. Le discours de la destruction des ouvrages a donc soulevé une opposition diffuse (Barraud et Germaine 2017), la France n'étant pas une exception (voir Cox et al 2016, Magilligan 2017). L'expérience a ainsi montré le caractère non consensuel des grilles de lecture de la rivière et la résistance de la société à une politique perçue comme trop autoritaire, trop systématique et finalement trop peu convaincante sur les bénéfices apportés aux citoyens par cette dépense d'argent public. La solution la plus sage serait de repenser substantiellement la manière dont on envisage la défragmentation des rivières, mais cette issue a peu de chance de voir le jour, sauf si la loi sur l'eau de 2006 recevait un ré-examen complet.
La rivière faisant l'objet de divergences voire conflits d'usages et d'images dans la population, le décideur public est en quête de moyens d'objectiver la situation pour faire les choix approchant le mieux d'un intérêt général. L'approche en services rendus par les écosystèmes est un outil dédié à cette fin, comme le rappellent Hilaire Drouineau et ses collègues.
Mais à notre connaissance, depuis son émergence dans les années 2000, on n'a pas vraiment assisté à un affinement consensuel et convergent de cette méthodologie par la communauté savante. Il y a certes pléthore de publications et même une revue spécialisée entièrement dédiée (Ecosystem Services). Mais cette abondance signale la complexité du sujet et l'existence de biais potentiellement nombreux quand il s'agit de bâtir une méthode assez simple et applicable par le gestionnaire. Les biens ou services environnementaux sont souvent de nature immatérielle, non marchande ou non monétaire (leur trouver un équivalent mesurable qui reflète vraiment l'état d'esprit d'une population est peu évident), les conflits d'usages et d'images se transposent immanquablement dans le poids que l'on va donner à certaines dimensions de la rivière ou de ses espèces. Les paramétrisations de tels modèles de services écosystèmiques demandent un travail assez lourd et plurisciplinaire à l'amont, pour bien prendre en compte l'ensemble des attentes sociales que l'on prétend mesurer sur une échelle commune (ou pour analyser l'effet réel de bénéfices physiques supposés comme l'épuration, la limitation de crue). Le non respect de cette rigueur ferait perdre à l'outil sa fonction d'arbitrage par évaluation objective, risquerait de conduire à des investissements non optimaux et reconduirait la défiance vis-à-vis d'un gestionnaire produisant des outils ad hoc pour rationaliser des choix opérés a priori, et non pour observer les attentes sociales sans préjugé.
Donc pourquoi pas une évaluation en services rendus par les écosystèmes, mais il faut y mettre des moyens, confier cela à la recherche, garantir une participation élargie dans la validation des outils, trouver la bonne échelle spatiale d'estimation comme de décision. Et de ce point de vue, le travail de Drouineau et al soulève déjà des questions. Par exemple, dans la restauration de continuité écologique, le poisson diadrome et l'ouvrage hydraulique sont l'un comme l'autre des "acteurs non humains" de la rivière (Dufour et al 2017) et il n'y a aucun raison scientifique de pré-orienter l'analyse sur les services que rendrait l'un, et pas l'autre. Parler de l'ouvrage comme un "obstacle" est déjà un biais d'orientation. Pareillement, sous l'angle de la valeur intrinsèque du vivant, le poisson diadrome est l'individu d'une espèce au même titre que tous les individus de toutes les espèces de la rivière, y compris celles qui profitent à divers titres des aménagements anthropisés ou de leurs annexes. Quelle valeur donnera-t-on aux tritons, libellules, aigrettes, saules ou potamots qui profitent d'un bief représentant une nuisance pour des saumons ou des aloses? Et déjà, comment garantira-t-on la prise en compte de cette diversité avant d'intervenir?
Référence : Drouineau H et al (2018), River continuity restoration and diadromous fishes: much more than an ecological issue, Environmental Management, DOI: 10.1007/s00267-017-0992-3
Illustration : en haut, seuils joints en tuf calcaire d'une rivière jurassienne, des discontinuités naturelles.
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