La préfecture de Côte d'Or annonce sur son site une enquête publique sur deux nouvelles destructions d'ouvrages hydrauliques de la Bouzaise. Dans un cas, la rivière n'a pas été classée en liste 2 mais en liste 1, choix censé indiquer un bon état écologique. Et le bief est signalé comme milieu d'intérêt pour sa biodiversité, un comble. Dans l'autre cas, l'ouvrage était utilisé pour divertir les crues en lit majeur… précisément ce que nous sommes censés rechercher pour éviter les inondations! Le denier public est encore gâché pour le dogme de la continuité écologique. Pendant que les bureaucraties divertissent l'attention et dépensent les rares moyens sur ces sujets secondaires, la biodiversité crève à petit feu.
Le complexe hydraulique de l’ancien moulin d’Aignay est implanté sur le cours de la Bouzaise, aux limites communales de Meursanges et Marigny-les-Reullée.
Les espèces cibles locales du projet sont le brochet et la truite fario, dont rien n'indique dans le projet soumis à enquête qu'elles rencontrent un déficit de peuplement dans la rivière et que ce déficit serait attribuable aux ouvrages. Rien n'indique non plus que la protection de la truite et du brochet, justifiant des choix radicaux de destruction et reprofilage, sera associé à d'autres mesures de sauvegarde, comme l'interdiction de leur pêche de loisir. (Rappelons que sur ces rivières non domaniales, tout riverain peut s'opposer à la pêche, nous contacter à cette fin.)
Le projet précise : "Le cours de la Bouzaise est classé en liste 1 par arrêté préfectoral au titre du L214-17CE mais pas en liste 2, il n’y a donc pas aujourd’hui d’obligation réglementaire à restaurer une continuité écologique. Néanmoins, la restauration de la continuité écologique sur ce site a été identifiée comme un enjeu majeur sur la Bouzaise et inscrite à l’annexe 1 du Contrat d’Agglomération et de Territoire Beaune-Dheune (2014-2017)."
Comme d'habitude, on nage dans l'arbitraire. Le classement en liste 1 de la rivière est censé refléter sa bonne qualité écologique et ne devrait donc induire aucun chantier tant que les rivières en listes 2 à visée de restauration prioritaire ne sont pas déjà traitées (80% des ouvrages y sont orphelins de financement). A moins que ces classements n'aient finalement aucune valeur, hypothèse que l'on saurait exclure vu l'opacité complète des travaux ayant abouti à leur définition, en comités fermés de l'Onema, des Dreal et des pêcheurs, sans aucune modélisation scientifique pour prioriser les axes, les espèces, les sites.
A noter cette précision intéressante : "Au cours des phases précédentes, le maintien de l’alimentation de ce bief est apparu comme important. En effet, il permet l’alimentation d’un étang en rive droite de la Bouzaise, mais il constitue aussi un ensemble écologique intéressant. En effet, de nombreuses espèces faunistiques et floristiques ont proliféré sur ce linéaire et présente un intérêt vif pour les riverains de ce secteur. Le portfolio ci-dessous présente une partie de cette vie au sein du bief (nénuphars, oiseaux, cygnes, canards, libellule, héron etc)." (image ci-dessus).
On reconnait donc que les biefs et étangs sont d'intérêt (au moins l'effort est fait ici d'un inventaire, ce que des syndicats plus paresseux et plus dogmatiques refusent). Mais cela n'empêche pas de perturber les ouvrages et milieux en place.
Coût : 258 645 € incluant les tranches conditionnelles dues au changement futur de lit de la rivière.
Le vannage de Combertault se situe pour sa part sur la commune éponyme, lui aussi sur le cours de la Bouzaise, en aval du village.
Le projet précise : "Cet ancien vannage a vraisemblablement été construit dans le milieu du XXe siècle avec le dessein de favoriser l’inondation des champs alentours dans l’objectif de les amender avec les sédiments fins et organiques transportés par la Bouzaise."
Or, le ministère de l'Ecologie et les divers acteurs publics de l'eau ne cessent de communiquer sur le fait que la prévention des crues passe par des solutions plus naturelles, en particulier l'usage du lit majeur d'inondation comme réceptacle des eaux en excès.
Mais à Combertault, cette méthode ancienne va être détruite avec le tampon de la préfecture. Bien entendu, nos fonctionnaires de l'eau inventeront toujours des explications ad hoc pour dire que leurs contradictions n'en sont pas et que le citoyen doit de toute façon respecter leur opinion arbitraire comme la voie de la sagesse.
Coût de ce chantier : 26 000 €.
Pendant qu'on s'acharne à détruire ainsi des ouvrages aux impacts mineurs, voire des ouvrages présentants des bénéfices pour des milieux aquatiques et rivulaires ou des intérêts pour la gestion des crues, l'IPBES vient de publier un premier rapport mondial sur l'état de la biodiversité, indiquant une crise majeure, et notamment en Europe. Ceux qui divertissent l'argent public pour des chantiers à enjeux secondaires pour la santé des milieux aquatiques portent la co-responsabilité de l'impuissance à conjurer cette crise. Ce sont les mêmes institutions qui n'ont rien fait d'efficace depuis 50 ans contre l'artificialisation et la pollution de nombreux bassins versants, quand elles ne les ont pas financées. Affirmer que la destruction des ouvrages anciens est une priorité, voire un intérêt malgré la biodiversité observée dans certains cas, est une absurdité totale qu'il s'agit de dénoncer sans relâche dans le débat public comme auprès des parlementaires.
26/03/2018
25/03/2018
Les crues de janvier 2018 en Châtillonnais
Pierre Potherat, ingénieur en chef des travaux publics de l’Etat aujourd'hui retraité, livre une réflexion intéressante sur les dernières crues de la Seine et ses affluents en Châtillonnais. L'auteur demande notamment aux autorités d'évaluer les impacts des actions en rivières et berges, notamment la destruction des ouvrages hydrauliques qui tend à accélérer l'écoulement dans le lit mineur et à limiter des expansions de crue en amont des points durs que représente chaque ouvrage. Nous souhaitons que cette démarche d'expertise publique soit menée, à l'heure où certains apprentis sorciers ont décidé de détruire le maximum de moulins, étangs et plans d'eau sans procéder à une évaluation des conséquences de leurs actions cumulées à échelle du bassin versant.
Les 23 et 24 janvier 2018, le pays Châtillonnais a dû faire face à une crue majeure à la suite de fortes pluies tombées depuis le début du mois.
Les dégâts ont été conséquents puisqu’à Châtillon la caserne des pompiers et plusieurs établissements scolaires ont été impactés (Saint Vincent-Saint Bernard, Lycée Désiré Nisard, collège Fontaine des Ducs, maternelles François Rousselet). La place de la Résistance a été submergée et plusieurs rues ont été interdites à la circulation, notamment dans les quartiers du Théâtre, de Saint Nicolas et de la Douix. De nombreuses caves ont été inondées dans ces quartiers nécessitant l’intervention des pompiers pendant plusieurs jours.
Plusieurs villages alentours ont également été touchés, en particulier, dans les vallées de la Seine, de l’Ource, de l’Aube et même de la Laignes.
Plusieurs routes ont été coupées à la circulation, aussi bien dans la vallée de la Seine que dans celle de l’Ource ou de l’Aube.
Certains habitants, très surpris, ont eu à déplorer une montée très rapide des eaux dans des secteurs jusqu’alors épargnés, y compris par la crue de janvier 1955.
Le parallèle avec les inondations relatives à cette crue historique, qualifiée de crue cinquantenale, n’a pas manqué d’être fait. Ces deux événements sont-ils comparables ?
Lire la suite : charger le pdf
Illustration : à l'amont d'un ouvrage de l'Ource dont la crête est encore visible, l'eau se répand vers le lit majeur. Lorsque l'onde de crue se forme sur une rivière, quel rôle peuvent jouer les ouvrages dans la vitesse de l'écoulement puis dans son expansion latérale? Répondre à cette question paraît une précaution élémentaire pour la puissance publique. Surtout à l'heure où l'on vante les méthodes naturelles d'usage des lits majeurs pour diminuer le risque aval des zones urbanisées.
A lire sur le sujet
Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités
Idée reçue #17: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique"
La continuité écologique au risque des crues, inondations et étiages, rapport OCE
Les 23 et 24 janvier 2018, le pays Châtillonnais a dû faire face à une crue majeure à la suite de fortes pluies tombées depuis le début du mois.
Les dégâts ont été conséquents puisqu’à Châtillon la caserne des pompiers et plusieurs établissements scolaires ont été impactés (Saint Vincent-Saint Bernard, Lycée Désiré Nisard, collège Fontaine des Ducs, maternelles François Rousselet). La place de la Résistance a été submergée et plusieurs rues ont été interdites à la circulation, notamment dans les quartiers du Théâtre, de Saint Nicolas et de la Douix. De nombreuses caves ont été inondées dans ces quartiers nécessitant l’intervention des pompiers pendant plusieurs jours.
Plusieurs villages alentours ont également été touchés, en particulier, dans les vallées de la Seine, de l’Ource, de l’Aube et même de la Laignes.
Plusieurs routes ont été coupées à la circulation, aussi bien dans la vallée de la Seine que dans celle de l’Ource ou de l’Aube.
Certains habitants, très surpris, ont eu à déplorer une montée très rapide des eaux dans des secteurs jusqu’alors épargnés, y compris par la crue de janvier 1955.
Le parallèle avec les inondations relatives à cette crue historique, qualifiée de crue cinquantenale, n’a pas manqué d’être fait. Ces deux événements sont-ils comparables ?
Lire la suite : charger le pdf
Illustration : à l'amont d'un ouvrage de l'Ource dont la crête est encore visible, l'eau se répand vers le lit majeur. Lorsque l'onde de crue se forme sur une rivière, quel rôle peuvent jouer les ouvrages dans la vitesse de l'écoulement puis dans son expansion latérale? Répondre à cette question paraît une précaution élémentaire pour la puissance publique. Surtout à l'heure où l'on vante les méthodes naturelles d'usage des lits majeurs pour diminuer le risque aval des zones urbanisées.
A lire sur le sujet
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La continuité écologique au risque des crues, inondations et étiages, rapport OCE
23/03/2018
Barrages de la Sélune: les mauvais comptes de Sébastien Lecornu, qui cache aux citoyens la facture de 53 millions €
Interrogé par le sénateur Jean Bizet, le secrétaire d'Etat à l'écologie Sébastien Lecornu affirme que le projet énergétique de poursuite des activités hydro-électriques des barrages de la Sélune a été écarté par le gouvernement en raison du "coût de soutien public". C'est une provocation puisque le coût minimum du projet de destruction des barrages et des lacs a été estimé par le CGEDD à 53 millions €, pour le bénéfice de saumons déjà présents par ailleurs dans les fleuves de la baie du mont Saint-Michel. Si le gouvernement met en avant le coût public, alors il doit stopper cette destruction absurde. Ce que nous lui demandons.
Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, était interrogé par le sénateur de la Manche Jean Bizet sur l'avenir des barrages de la Sélune.
Le sénateur estime que "sur le plan local, des informations sont régulièrement répandues sur l’existence de projets alternatifs proposés tant par la société Valorem que par l’association Ecologie Normande portant le projet H2 Sélune. Ces démarches troublent nos concitoyens et participent à autant de désinformation au travers de propositions économiques totalement irréalistes" et demande son avis à S. Lecornu.
Le secrétaire d'Etat répond :
"Les ouvrages ne présentent pas de perspectives sérieuses de reprise d’activité de production d’électricité dans des conditions économiquement rentables (…) Le projet Valorem n’a, ainsi, pas été retenu car le coût de soutien public qu’il nécessitait était trop important au regard de l’enjeu énergétique."
S. Lecornu pointe donc le coût public. Qu'en est-il ?
Le groupe Valorem a remis en mars 2016 au ministère de l'écologie une proposition de reprise des barrages de la Sélune, dont on peut consulter la synthèse à ce lien.
Ce rapport reprend notamment les chiffres qui ont été avancés depuis 5 ans sur ce dossier, en particulier les coûts du démantèlement tels qu'ils figurent dans le rapport de 2015 du CGEDD, voir à ce lien.
Le chiffre de 16,6 M€ correspond aux dépenses engagées par l'Etat (maître d'ouvrage) dans le cadre actuel de l'arrêté de vidange et d'auscultation des ouvrages.
On constate que le coût total de la destruction des barrages et des investissements subséquents a été estimé à 53,6 M€.
Donc, l'Etat français choisit de faire payer aux contribuables un surcoût de 35 M€ en vue de détruire des barrages et des lacs qui, rappelons-le :
L'objectif de cette dépense est le retour estimé d'environ 1300 saumons supplémentaires, sachant que le poisson est déjà présent sur la Sélune aval ainsi que dans les autres fleuves de la baie du mont Saint-Michel. Sachant aussi qu'il fait l'objet de prédation autorisée pour le loisir pêche, dont le lobby est notamment à l'origine de ce projet de destruction des barrages et des lacs.
Conclusion : le gouvernement valide une gabegie d'argent public au détriment de la solution d'intérêt général, qui est le maintien des barrages. Et il le fait en cachant aux citoyens les enjeux réels derrière le projet.
A lire pour comprendre
Barrages et lacs de la Sélune : stop à la destruction !
Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, était interrogé par le sénateur de la Manche Jean Bizet sur l'avenir des barrages de la Sélune.
Le sénateur estime que "sur le plan local, des informations sont régulièrement répandues sur l’existence de projets alternatifs proposés tant par la société Valorem que par l’association Ecologie Normande portant le projet H2 Sélune. Ces démarches troublent nos concitoyens et participent à autant de désinformation au travers de propositions économiques totalement irréalistes" et demande son avis à S. Lecornu.
Le secrétaire d'Etat répond :
"Les ouvrages ne présentent pas de perspectives sérieuses de reprise d’activité de production d’électricité dans des conditions économiquement rentables (…) Le projet Valorem n’a, ainsi, pas été retenu car le coût de soutien public qu’il nécessitait était trop important au regard de l’enjeu énergétique."
S. Lecornu pointe donc le coût public. Qu'en est-il ?
Le groupe Valorem a remis en mars 2016 au ministère de l'écologie une proposition de reprise des barrages de la Sélune, dont on peut consulter la synthèse à ce lien.
Ce rapport reprend notamment les chiffres qui ont été avancés depuis 5 ans sur ce dossier, en particulier les coûts du démantèlement tels qu'ils figurent dans le rapport de 2015 du CGEDD, voir à ce lien.
Le chiffre de 16,6 M€ correspond aux dépenses engagées par l'Etat (maître d'ouvrage) dans le cadre actuel de l'arrêté de vidange et d'auscultation des ouvrages.
On constate que le coût total de la destruction des barrages et des investissements subséquents a été estimé à 53,6 M€.
Donc, l'Etat français choisit de faire payer aux contribuables un surcoût de 35 M€ en vue de détruire des barrages et des lacs qui, rappelons-le :
- produisent une énergie bas carbone,
- ralentissent les inondations de la vallée aval,
- forment la principale réserve d'eau potable locale,
- nourrissent les activités socio-économiques autour des lacs,
- protègent la baie du Mont-Michel des pollutions,
- sont défendus par leurs 20 000 riverains opposés à la casse.
L'objectif de cette dépense est le retour estimé d'environ 1300 saumons supplémentaires, sachant que le poisson est déjà présent sur la Sélune aval ainsi que dans les autres fleuves de la baie du mont Saint-Michel. Sachant aussi qu'il fait l'objet de prédation autorisée pour le loisir pêche, dont le lobby est notamment à l'origine de ce projet de destruction des barrages et des lacs.
Conclusion : le gouvernement valide une gabegie d'argent public au détriment de la solution d'intérêt général, qui est le maintien des barrages. Et il le fait en cachant aux citoyens les enjeux réels derrière le projet.
A lire pour comprendre
Barrages et lacs de la Sélune : stop à la destruction !
21/03/2018
Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion des bassins hydrographiques (Hill et al 2018)
Une équipe de 11 chercheurs appelle à une prise en compte urgente des mares, étangs et petits plans d'eau dans la politique des milieux aquatiques. Au cours des années 2000, la recherche a montré que ces milieux, souvent moins présents à l'esprit des gestionnaires et décideurs que les rivières et les lacs, abritent pourtant une biodiversité plus importante par unité de surface. Ce message doit être entendu en France où des destructions d'étangs et plans d'eau sont trop souvent menées au nom d'une approche rigide et mal informée de la continuité en long, sans aucune étude de leur biodiversité et de leur connexion aux milieux environnants, sans compensation lorsque l'on fait disparaître des surfaces en eau et des milieux humides profitant localement au vivant.
Le terme anglais "pond" désigne la mare, l'étang et par extension la zone lentique de faible superficie et de faible profondeur. Elle se distingue du lac par l'absence de zone profonde aphotique (fond privé de lumière) et thermiquement stratifiée. Au Royaume-Uni, où ces habitats sont suivis de manière poussée par rapport à d'autres pays d'Europe, le rapport d'inventaire de Williams et al 2010 avait apporté des informations intéressantes pour le cas anglais : 478000 sites (entre 1,8 et 2,2 par km2), 205 espèces de plantes représentant la moitié de toutes les espèces spécialisées en milieux humides et aquatiques (dont 5 protégées et 40 rares), 63% des mares, étangs et plans d'eau directement reliés à la rivière (dont les 2/3 en lit avec exutoire).
Ces habitats lentiques de taille modeste ont longtemps été négligés, l'attention des pouvoirs publics mais aussi des gestionnaires et chercheurs se tournant vers les rivières, les grands lacs ou les eaux côtières. Mais à compter des années 2000, une moisson de travaux a changé la donne. On s'aperçoit que des ensembles de petits habitats offrent généralement une valeur de conservation aussi élevée (ou plus élevée) qu'un seul grand habitat de même superficie.
Matthew J Hill et dix collègues spécialistes de ces milieux rappellent ainsi:
"Des preuves récentes indiquent que les paysages d'étangs et mares soutiennent une biodiversité élevée (voir The Pond Manifesto: EPCN 2008) et contribuent de manière proportionnellement bien plus forte à la biodiversité aquatique des bassins hydrographiques que les masses d'eau douce plus vastes et plus étudiées comme les rivières et les lacs (Davies et al 2008). En outre, les mares et étangs fournissent un habitat essentiel à de nombreuses espèces rares et menacées à l'échelle nationale et internationale, et constituent des refuges importants dans les paysages urbains et agricoles (Davies et al 2008, Chester et Robson 2013). La contribution significative des trame de mares et étangs à la biodiversité aquatique locale et régionale peut être attribuée à (i) les petits bassins individuels de chaque système, produisant des conditions environnementales idiosyncratiques et une complexité de l'habitat, conduisant à l'hétérogénéité de l'habitat à l'échelle du paysage (Davies et al 2008), (ii) la valeur des plans d'eau anthropiques (par exemple mares de fermes) pour augmenter la superficie d'habitats aquatiques disponible pour la vie sauvage, (iii) la fourniture d'habitats de refuge pour les communautés aquatiques, en particulier quand les zones humides naturelles ont été largement converties en fermes ou rizières (Takamura 2012, Chester & Robson 2013). Les mares et étangs jouent également un rôle important dans le soutien de la faune et de la flore semi-aquatique et terrestre, par exemple les zones agricoles qui contiennent des mares et étangs détiennent une richesse et une abondance d'espèces terrestres supérieures aux zones agricoles sans ces plans d'eau (Stewart et al 2017; : Davies et al 2016)."
Ces observations n'ont cependant pas encore été traduites en choix publics. Les chercheurs observent:
"Les politiques internationales de conservation de l'environnement et de la nature (telles que la Convention de Ramsar, la Convention sur la diversité biologique et la Directive-cadre européenne sur l'eau) sont importantes pour protéger les espèces et les habitats face aux pressions anthropiques croissantes (Dudgeon et al. 2006). Malgré cela, le nombre d'espèces menacées figurant sur la Liste rouge de l'UICN continue d'augmenter, les terres modifiées par les humains (urbaines, agricoles) continuent de remplacer les terres naturelles (Decker et al., 2016) et un certain nombre d'habitats terrestres et d'eau douce continuent à être négligés par les décideurs. Les mares et étangs, définis au Royaume-Uni et dans la majeure partie de l'Europe comme des plans d'eau lentiques de moins de 2 ha (Williams et al., 2010), et la trame des plans d'eau [pondscape], définie comme un réseau de mares et étangs avec leur matrice terrestre environnante, sont l'un de ces habitats historiquement négligés. Récemment, il y a eu une hausse significative de la reconnaissance par les communautés scientifiques et non scientifiques de l'importance des mares, étangs et de leur trame pour la biodiversité et les services écosystémiques. Pourtant, ces petits plans d'eau restent largement en dehors des attributions de la législation internationale, et dans de nombreux cas nationale, de la conservation et de l'environnement."
Une série de recommandations est produite, à commencer par un approfondissement de la recherche scientifique et des inventaires de biodiversité dans ces hydrosystèmes négligés. Ce que notre association réclame aujourd'hui, alors que l'AFB est défaillante à produire des exigences de bonnes pratiques écologiques, notamment avant toute destruction des ouvrages et de milieux lentiques.
Référence : Hill MJ et al (2018), New policy directions for global pond conservation, Conservation Letters, doi.org/10.1111/conl.12447
A lire sur ce thème
Vers une étude du limnosystème (Touchart et Bartout 2018)
Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)
La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)
Un exemple en Morvan
Etangs de Marrault: quand le patrimoine historique enrichit la biodiversité
Illustration : étang de Montigny en Côte d'Or. Un exemple de gestion administrative déplorable des milieux aquatiques. Alors que ce plan d'eau a été créé comme retenue collinaire, que le fossé de quelques centaines de mètres avant la source (supposée) est intermittent dans sa mise en eau (absente 4 à 6 mois de l'année), qu'aucune espèce migratrice de poisson n'est évidemment attestée à l'amont, la DDT et l'AFB focalisent sur la soi-disant nécessité de restaurer une continuité en long (revenant à vider la retenue) tout en ne témoignant aucun intérêt pour la biodiversité aquatique et rivulaire du site. De telles approches dogmatiques et haliocentrées nuisent aux milieux et représentent le même type d'erreur que l'arasement des haies dans les années 1960-1970. Ces petits plans d'eau et zones humides en contexte agricole ont de l'intérêt pour le vivant, il faut s'en féliciter au lieu de chercher à les faire disparaître ou d'exiger des fonctionnalités coûteuses, sans enjeu dans le contexte.
Le terme anglais "pond" désigne la mare, l'étang et par extension la zone lentique de faible superficie et de faible profondeur. Elle se distingue du lac par l'absence de zone profonde aphotique (fond privé de lumière) et thermiquement stratifiée. Au Royaume-Uni, où ces habitats sont suivis de manière poussée par rapport à d'autres pays d'Europe, le rapport d'inventaire de Williams et al 2010 avait apporté des informations intéressantes pour le cas anglais : 478000 sites (entre 1,8 et 2,2 par km2), 205 espèces de plantes représentant la moitié de toutes les espèces spécialisées en milieux humides et aquatiques (dont 5 protégées et 40 rares), 63% des mares, étangs et plans d'eau directement reliés à la rivière (dont les 2/3 en lit avec exutoire).
Ces habitats lentiques de taille modeste ont longtemps été négligés, l'attention des pouvoirs publics mais aussi des gestionnaires et chercheurs se tournant vers les rivières, les grands lacs ou les eaux côtières. Mais à compter des années 2000, une moisson de travaux a changé la donne. On s'aperçoit que des ensembles de petits habitats offrent généralement une valeur de conservation aussi élevée (ou plus élevée) qu'un seul grand habitat de même superficie.
Matthew J Hill et dix collègues spécialistes de ces milieux rappellent ainsi:
"Des preuves récentes indiquent que les paysages d'étangs et mares soutiennent une biodiversité élevée (voir The Pond Manifesto: EPCN 2008) et contribuent de manière proportionnellement bien plus forte à la biodiversité aquatique des bassins hydrographiques que les masses d'eau douce plus vastes et plus étudiées comme les rivières et les lacs (Davies et al 2008). En outre, les mares et étangs fournissent un habitat essentiel à de nombreuses espèces rares et menacées à l'échelle nationale et internationale, et constituent des refuges importants dans les paysages urbains et agricoles (Davies et al 2008, Chester et Robson 2013). La contribution significative des trame de mares et étangs à la biodiversité aquatique locale et régionale peut être attribuée à (i) les petits bassins individuels de chaque système, produisant des conditions environnementales idiosyncratiques et une complexité de l'habitat, conduisant à l'hétérogénéité de l'habitat à l'échelle du paysage (Davies et al 2008), (ii) la valeur des plans d'eau anthropiques (par exemple mares de fermes) pour augmenter la superficie d'habitats aquatiques disponible pour la vie sauvage, (iii) la fourniture d'habitats de refuge pour les communautés aquatiques, en particulier quand les zones humides naturelles ont été largement converties en fermes ou rizières (Takamura 2012, Chester & Robson 2013). Les mares et étangs jouent également un rôle important dans le soutien de la faune et de la flore semi-aquatique et terrestre, par exemple les zones agricoles qui contiennent des mares et étangs détiennent une richesse et une abondance d'espèces terrestres supérieures aux zones agricoles sans ces plans d'eau (Stewart et al 2017; : Davies et al 2016)."
Ces observations n'ont cependant pas encore été traduites en choix publics. Les chercheurs observent:
"Les politiques internationales de conservation de l'environnement et de la nature (telles que la Convention de Ramsar, la Convention sur la diversité biologique et la Directive-cadre européenne sur l'eau) sont importantes pour protéger les espèces et les habitats face aux pressions anthropiques croissantes (Dudgeon et al. 2006). Malgré cela, le nombre d'espèces menacées figurant sur la Liste rouge de l'UICN continue d'augmenter, les terres modifiées par les humains (urbaines, agricoles) continuent de remplacer les terres naturelles (Decker et al., 2016) et un certain nombre d'habitats terrestres et d'eau douce continuent à être négligés par les décideurs. Les mares et étangs, définis au Royaume-Uni et dans la majeure partie de l'Europe comme des plans d'eau lentiques de moins de 2 ha (Williams et al., 2010), et la trame des plans d'eau [pondscape], définie comme un réseau de mares et étangs avec leur matrice terrestre environnante, sont l'un de ces habitats historiquement négligés. Récemment, il y a eu une hausse significative de la reconnaissance par les communautés scientifiques et non scientifiques de l'importance des mares, étangs et de leur trame pour la biodiversité et les services écosystémiques. Pourtant, ces petits plans d'eau restent largement en dehors des attributions de la législation internationale, et dans de nombreux cas nationale, de la conservation et de l'environnement."
Une série de recommandations est produite, à commencer par un approfondissement de la recherche scientifique et des inventaires de biodiversité dans ces hydrosystèmes négligés. Ce que notre association réclame aujourd'hui, alors que l'AFB est défaillante à produire des exigences de bonnes pratiques écologiques, notamment avant toute destruction des ouvrages et de milieux lentiques.
Référence : Hill MJ et al (2018), New policy directions for global pond conservation, Conservation Letters, doi.org/10.1111/conl.12447
A lire sur ce thème
Vers une étude du limnosystème (Touchart et Bartout 2018)
Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)
La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)
Un exemple en Morvan
Etangs de Marrault: quand le patrimoine historique enrichit la biodiversité
Illustration : étang de Montigny en Côte d'Or. Un exemple de gestion administrative déplorable des milieux aquatiques. Alors que ce plan d'eau a été créé comme retenue collinaire, que le fossé de quelques centaines de mètres avant la source (supposée) est intermittent dans sa mise en eau (absente 4 à 6 mois de l'année), qu'aucune espèce migratrice de poisson n'est évidemment attestée à l'amont, la DDT et l'AFB focalisent sur la soi-disant nécessité de restaurer une continuité en long (revenant à vider la retenue) tout en ne témoignant aucun intérêt pour la biodiversité aquatique et rivulaire du site. De telles approches dogmatiques et haliocentrées nuisent aux milieux et représentent le même type d'erreur que l'arasement des haies dans les années 1960-1970. Ces petits plans d'eau et zones humides en contexte agricole ont de l'intérêt pour le vivant, il faut s'en féliciter au lieu de chercher à les faire disparaître ou d'exiger des fonctionnalités coûteuses, sans enjeu dans le contexte.
19/03/2018
Interdire la pêche récréative? Les pêcheurs sur la sellette
Une pétition lancée par L214, Sea Shepherd, les Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis est mise en ligne pour interdire la pêche récréative à Paris, une autre pour interdire la pêche du saumon en France, tandis que des associations naturalistes mettent en garde sur les effets délétères des déchets de pêche pour la faune sauvage. L'ouverture de la pêche 2018 se fait sur fond d'une contestation inédite de ce loisir, qui soulevait jusque là une certaine indifférence bienveillante de l'opinion, voire parfois la sympathie de milieux écologistes. Quelques réflexions sur ce sujet, où la première étape nous semble déjà de considérer la pêche comme un impact et de ne plus lui confier le diagnostic écologique des milieux aquatiques, dont les enjeux excèdent l'approche halieutique et ses intérêts particuliers.
Voici deux ans tout juste, nous avions publié une tribune où, observant que le milieu des pêcheurs donne volontiers des leçons d'usage de la rivière à tout le monde, il ne saurait s'abstenir d'un recul sur ses propres pratiques, et travailler à les améliorer avant de critiquer celles des autres. Car eux aussi subiront le regard social. Ce temps semble arriver.
L214, Sea Shepherd, les Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis ont lancé une pétition associée à une campagne affichage, en vue d'interdire la pêche récréative dans les départements où la consommation de poisson est interdite, donc où aucune finalité alimentaire ne peut être mise en avant. Une demande en ce sens va être déposée au Conseil de Paris.
La demande se fonde sur la souffrance animale : "Retirés brutalement de leur milieu, les poissons sont angoissés et souffrent de suffocation. Toute forme de pêche est potentiellement mortelle pour les poissons (…) A cela s'ajoutent les souffrances physiques liées aux lésions provoquées par l'hameçon, en particulier ceux qui possèdent un ardillon. Utilisée pour éviter un décrochage de l'hameçon, cette pointe provoque d'importants dégâts anatomiques lors de son retrait. Les lésions peuvent s'infecter et empêcher un poisson remis à l'eau de s'alimenter, causant son agonie". Les auteurs de l'appel réfutent l'idée que le "no kill" ou "catch and release" (remettre l'animal vivant à l'eau) serait une solution, car il ne règle pas le problème de la souffrance animale et provoque par ailleurs des lésions qui réduisent l'espérance de vie des poissons.
Outre cette capacité à souffrir, c'est le respect de l'animal comme disposant d'une vie pouvant être vécue qui est invoqué : "Comme les animaux vertébrés terrestres, les poissons ont un système nerveux central ; ils possèdent également des structures cérébrales homologues à celles présentes chez les mammifères pour le ressenti de la douleur. Il est donc aujourd'hui largement accepté que les poissons éprouvent la souffrance physique. Par ailleurs, ils ont des relations sociales complexes et peuvent communiquer entre eux de façon très élaborée. Ils possèdent une personnalité et sont capables de comportements et d'apprentissages sophistiqués : contrairement aux idées reçues, ils sont dotés d'une mémoire à long terme. Ils sont victimes d'un préjugé sur leurs capacités à éprouver des émotions car ils ne possèdent pas d'expression faciale et ne s'expriment pas vocalement, ce qui rend la lecture de leurs émotions difficile pour un humain".
Une autre motivation est la protection des espèces : "ces animaux peuvent aussi être menacés d'extinction : 15 espèces de poissons d'eau douce de France métropolitaine sont en danger, dont le Brochet et l'Anguille européenne".
Le Fédération nationale de la pêche en France (FNPF) a répondu en saisissant à son tour le Conseil de Paris (voir leur courrier). Elle met en cause "une campagne de déstabilisation visant à interdire la pratique de la pêche depuis début mars", qui est "orchestrée par un groupement d’associations de protection animale". Le ton est plutôt belliqueux. Son argument pour la pêche récréative : "Au-delà de la pratique d’un loisir, il s’agit d’une profession de foi envers les milieux aquatiques et leur biodiversité". La FNPF met en avant le rôle social de la pêche, son poids économique, son partenariat historique avec le ministère de l’écologie. Il est à noter que la fédération de pêche évite toute mention des principaux arguments des opposants, à savoir la question morale de la souffrance volontairement infligée à un animal sensible.
Que faut-il en penser?
La souffrance animale reste une question discutée dans le cas des poissons, même si la "balance des preuves" penche plutôt vers sa réalité. La biologiste Victoria Braithwaite a écrit un livre entier sur ce sujet rassemblant l'ensemble des expérimentations et observations suggérant que les poissons ressentent de la souffrance (Braithwaite 2010, sur le bien-être des poissons voir Braithwaite 2017). D'autres chercheurs ont objecté que les poissons ne ressentent pas l'équivalent humain de la souffrance, la détection inconsciente de stimuli nocifs (nociception) n'étant pas la douleur consciente au plan neurobiologique et psychologique (Rose et al 2014). Une équipe scientifique a défini 17 critères biologiques et comportementaux permettant d'évaluer l'existence d'une douleur chez les différents règnes, observant que les poissons remplissent la plupart des critères, au même titre que les mammifères ou les oiseaux (Sneddon et al 2014).
La science établit des faits, mais elle n'a de toute façon aucune autorité pour définir des morales et émettre des jugements de valeur (même si certains écologues ou biologistes tendent parfois à l'oublier, comme le relevait Christian Lévêque). Le rapport de l'être humain à l'animal est une question de civilisation qui excède la caractérisation neurobiologique de la douleur, laquelle apporte un élément d'information mais non de décision. On pourrait choisir de tolérer la pêche même si elle provoque une souffrance chez l'animal, ou au contraire de l'interdire même si elle provoque une douleur bénigne : ce sont les usages sociaux, les héritages culturels, les réflexions éthiques et les débats démocratiques qui en décident.
Les approches éthiques de la nature sont parfois séparées en vision biocentriste (le vivant a une valeur intrinsèque dont le respect s'impose à l'homme) ou anthopocentriste (l'homme reste l'arbitre de ses choix moraux sur le vivant selon ses intérêts, goûts ou valeurs). Les positions biocentristes se montrent en général soucieuses de la condition animale, ce qui peut inclure la condamnation de la pêche parmi d'autres activités de prédation. Ces positions posent quand même un problème de logique : ceux qui parlent au nom de la nature non humaine le font toujours à partir de leur vision (humaine) de cette nature. Ils n'échappent donc pas en dernier ressort à une fondation anthroposourcée de leur morale. (Le spectacle le plus étrange en ce domaine est certainement donné par certains pêcheurs spécialisés de saumons ou truites qui d'un côté affirment défendre la vie sauvage, des positions radicales en écologie voire une empathie avec les poissons, mais d'un autre côté réclament une sorte d'exception pour leur pratique, comme activité tolérée au sein de cette nature interdite à d'autres humains. Il n'est cependant pas nouveau que chacun voit midi à sa porte et que les pratiques marginales produisent parfois d'étranges constructions intellectuelles…)
Nombre de pratiques sont accompagnées de la souffrance et de la mort animales (élevage, chasse, pêche, corrida, expérimentation scientifique, etc.). Certaines sont très contestés, d'autres mieux acceptées. Nos sociétés modernes se montrent de plus en plus attentives à la question. Le débat est souvent celui de l'intérêt que l'on accorde à la pratique provoquant la souffrance, le stress ou la mort de l'animal. Par exemple, mener une expérience sur des souris en vue de mettre au point un médicament n'est pas la même chose qu'organiser des combats de chiens en vue de récolter l'argent des paris.
S'il existe une longue histoire de la réflexion philosophique sur l'animal, les débats sociétaux sur sa sensibilité et sa souffrance sont néanmoins assez récents. Sur le sujet, chacun peut déjà se construire une morale personnelle, par réflexion sur les rapports qu'il a envie d'avoir avec les animaux au regard des connaissances dont nous disposons. Mais avoir une répugnance personnelle envers telle ou telle pratique n'autorise pas à fonder son interdiction, ce qui rendrait nos sociétés peu vivables. Il paraît assez précoce de réclamer une position publique en la matière, qui suppose un certain consensus social à ce jour inexistant, tant sur la pêche que sur d'autres pratiques.
Considérer la pêche comme un impact et l'autonomiser de la gestion écologique des rivières
En revanche, les prises de position des associations ayant lancé l'appel à interdire la pêche rappellent une évidence qui avait été oubliée : les pêcheurs sont avant tout des usagers de la rivière, qui exploitent ses peuplements de poissons au bénéfice d'un loisir.
Cela pose un problème quand, jouissant de leur agrément public, les fédérations de pêche sont parfois chargées des diagnostics de rivière et promeuvent la "protection des milieux aquatiques" en centrant l'essentiel de leur réflexion sur les dimensions halieutiques et piscicoles. Or, ces dernières n'expriment pas tous les enjeux de biodiversité, et leur sont parfois contraires : introduction d'espèces étrangères au bassin, alevinage et déversement d'espèces d'élevage avec risque d'introgression génétique, diffusion de certains pathogènes par les matériels de pêche, destruction de milieux lentiques d'intérêt au nom d'une continuité centrée sur quelques espèces cibles de la pêche, etc.
Confie-t-on aux chasseurs le diagnostic et la gestion écologiques des forêts et des prairies? Le fait d'accorder parfois ces prérogatives aux pêcheurs pour les rivières et étangs est un héritage dépassé. Et désormais contesté.
Il faut y ajouter des problèmes de gouvernance : représentation automatique des pêcheurs dans des instances de concertation et décisions dont d'autres usagers ou d'autres associations (dont les naturalistes) sont exclus, conflit d'intérêt quand des élus locaux sont aussi dans les instances de pêche et doivent prendre des décisions au sein des syndicats de rivière, etc.
Pour toutes ces raisons, on doit autonomiser l'évaluation écologique des rivières de la pêche dans les années à venir et analyser l'impact de la pêche de manière indépendante, au même titre que les autres usages. Concrètement, il s'agira notamment d'exposer le problème aux élus et de donner désormais des avis défavorables à toute délégation d'études de rivière aux fédérations de pêche dans le cadre des SAGE, des contrats bassin ou des études GEMAPI. De même, la pêche est le seul usage qui n'avait jamais fait l'objet d'une évaluation scientifique de son impact par l'Onema (office biaisé par sa sympathie pour la pratique), et l'Agence française pour la biodiversité devrait mettre un terme à cette anomalie en étudiant la question. De ce point de vue, la campagne de L214, Sea Shepherd, Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis a le mérite de mettre en évidence l'absence de consensus social sur la pêche et la nécessité d'une analyse critique de ses pratiques.
Voici deux ans tout juste, nous avions publié une tribune où, observant que le milieu des pêcheurs donne volontiers des leçons d'usage de la rivière à tout le monde, il ne saurait s'abstenir d'un recul sur ses propres pratiques, et travailler à les améliorer avant de critiquer celles des autres. Car eux aussi subiront le regard social. Ce temps semble arriver.
L214, Sea Shepherd, les Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis ont lancé une pétition associée à une campagne affichage, en vue d'interdire la pêche récréative dans les départements où la consommation de poisson est interdite, donc où aucune finalité alimentaire ne peut être mise en avant. Une demande en ce sens va être déposée au Conseil de Paris.
La demande se fonde sur la souffrance animale : "Retirés brutalement de leur milieu, les poissons sont angoissés et souffrent de suffocation. Toute forme de pêche est potentiellement mortelle pour les poissons (…) A cela s'ajoutent les souffrances physiques liées aux lésions provoquées par l'hameçon, en particulier ceux qui possèdent un ardillon. Utilisée pour éviter un décrochage de l'hameçon, cette pointe provoque d'importants dégâts anatomiques lors de son retrait. Les lésions peuvent s'infecter et empêcher un poisson remis à l'eau de s'alimenter, causant son agonie". Les auteurs de l'appel réfutent l'idée que le "no kill" ou "catch and release" (remettre l'animal vivant à l'eau) serait une solution, car il ne règle pas le problème de la souffrance animale et provoque par ailleurs des lésions qui réduisent l'espérance de vie des poissons.
Outre cette capacité à souffrir, c'est le respect de l'animal comme disposant d'une vie pouvant être vécue qui est invoqué : "Comme les animaux vertébrés terrestres, les poissons ont un système nerveux central ; ils possèdent également des structures cérébrales homologues à celles présentes chez les mammifères pour le ressenti de la douleur. Il est donc aujourd'hui largement accepté que les poissons éprouvent la souffrance physique. Par ailleurs, ils ont des relations sociales complexes et peuvent communiquer entre eux de façon très élaborée. Ils possèdent une personnalité et sont capables de comportements et d'apprentissages sophistiqués : contrairement aux idées reçues, ils sont dotés d'une mémoire à long terme. Ils sont victimes d'un préjugé sur leurs capacités à éprouver des émotions car ils ne possèdent pas d'expression faciale et ne s'expriment pas vocalement, ce qui rend la lecture de leurs émotions difficile pour un humain".
Une autre motivation est la protection des espèces : "ces animaux peuvent aussi être menacés d'extinction : 15 espèces de poissons d'eau douce de France métropolitaine sont en danger, dont le Brochet et l'Anguille européenne".
Le Fédération nationale de la pêche en France (FNPF) a répondu en saisissant à son tour le Conseil de Paris (voir leur courrier). Elle met en cause "une campagne de déstabilisation visant à interdire la pratique de la pêche depuis début mars", qui est "orchestrée par un groupement d’associations de protection animale". Le ton est plutôt belliqueux. Son argument pour la pêche récréative : "Au-delà de la pratique d’un loisir, il s’agit d’une profession de foi envers les milieux aquatiques et leur biodiversité". La FNPF met en avant le rôle social de la pêche, son poids économique, son partenariat historique avec le ministère de l’écologie. Il est à noter que la fédération de pêche évite toute mention des principaux arguments des opposants, à savoir la question morale de la souffrance volontairement infligée à un animal sensible.
Que faut-il en penser?
La souffrance animale reste une question discutée dans le cas des poissons, même si la "balance des preuves" penche plutôt vers sa réalité. La biologiste Victoria Braithwaite a écrit un livre entier sur ce sujet rassemblant l'ensemble des expérimentations et observations suggérant que les poissons ressentent de la souffrance (Braithwaite 2010, sur le bien-être des poissons voir Braithwaite 2017). D'autres chercheurs ont objecté que les poissons ne ressentent pas l'équivalent humain de la souffrance, la détection inconsciente de stimuli nocifs (nociception) n'étant pas la douleur consciente au plan neurobiologique et psychologique (Rose et al 2014). Une équipe scientifique a défini 17 critères biologiques et comportementaux permettant d'évaluer l'existence d'une douleur chez les différents règnes, observant que les poissons remplissent la plupart des critères, au même titre que les mammifères ou les oiseaux (Sneddon et al 2014).
La science établit des faits, mais elle n'a de toute façon aucune autorité pour définir des morales et émettre des jugements de valeur (même si certains écologues ou biologistes tendent parfois à l'oublier, comme le relevait Christian Lévêque). Le rapport de l'être humain à l'animal est une question de civilisation qui excède la caractérisation neurobiologique de la douleur, laquelle apporte un élément d'information mais non de décision. On pourrait choisir de tolérer la pêche même si elle provoque une souffrance chez l'animal, ou au contraire de l'interdire même si elle provoque une douleur bénigne : ce sont les usages sociaux, les héritages culturels, les réflexions éthiques et les débats démocratiques qui en décident.
Les approches éthiques de la nature sont parfois séparées en vision biocentriste (le vivant a une valeur intrinsèque dont le respect s'impose à l'homme) ou anthopocentriste (l'homme reste l'arbitre de ses choix moraux sur le vivant selon ses intérêts, goûts ou valeurs). Les positions biocentristes se montrent en général soucieuses de la condition animale, ce qui peut inclure la condamnation de la pêche parmi d'autres activités de prédation. Ces positions posent quand même un problème de logique : ceux qui parlent au nom de la nature non humaine le font toujours à partir de leur vision (humaine) de cette nature. Ils n'échappent donc pas en dernier ressort à une fondation anthroposourcée de leur morale. (Le spectacle le plus étrange en ce domaine est certainement donné par certains pêcheurs spécialisés de saumons ou truites qui d'un côté affirment défendre la vie sauvage, des positions radicales en écologie voire une empathie avec les poissons, mais d'un autre côté réclament une sorte d'exception pour leur pratique, comme activité tolérée au sein de cette nature interdite à d'autres humains. Il n'est cependant pas nouveau que chacun voit midi à sa porte et que les pratiques marginales produisent parfois d'étranges constructions intellectuelles…)
Nombre de pratiques sont accompagnées de la souffrance et de la mort animales (élevage, chasse, pêche, corrida, expérimentation scientifique, etc.). Certaines sont très contestés, d'autres mieux acceptées. Nos sociétés modernes se montrent de plus en plus attentives à la question. Le débat est souvent celui de l'intérêt que l'on accorde à la pratique provoquant la souffrance, le stress ou la mort de l'animal. Par exemple, mener une expérience sur des souris en vue de mettre au point un médicament n'est pas la même chose qu'organiser des combats de chiens en vue de récolter l'argent des paris.
S'il existe une longue histoire de la réflexion philosophique sur l'animal, les débats sociétaux sur sa sensibilité et sa souffrance sont néanmoins assez récents. Sur le sujet, chacun peut déjà se construire une morale personnelle, par réflexion sur les rapports qu'il a envie d'avoir avec les animaux au regard des connaissances dont nous disposons. Mais avoir une répugnance personnelle envers telle ou telle pratique n'autorise pas à fonder son interdiction, ce qui rendrait nos sociétés peu vivables. Il paraît assez précoce de réclamer une position publique en la matière, qui suppose un certain consensus social à ce jour inexistant, tant sur la pêche que sur d'autres pratiques.
Considérer la pêche comme un impact et l'autonomiser de la gestion écologique des rivières
En revanche, les prises de position des associations ayant lancé l'appel à interdire la pêche rappellent une évidence qui avait été oubliée : les pêcheurs sont avant tout des usagers de la rivière, qui exploitent ses peuplements de poissons au bénéfice d'un loisir.
Cela pose un problème quand, jouissant de leur agrément public, les fédérations de pêche sont parfois chargées des diagnostics de rivière et promeuvent la "protection des milieux aquatiques" en centrant l'essentiel de leur réflexion sur les dimensions halieutiques et piscicoles. Or, ces dernières n'expriment pas tous les enjeux de biodiversité, et leur sont parfois contraires : introduction d'espèces étrangères au bassin, alevinage et déversement d'espèces d'élevage avec risque d'introgression génétique, diffusion de certains pathogènes par les matériels de pêche, destruction de milieux lentiques d'intérêt au nom d'une continuité centrée sur quelques espèces cibles de la pêche, etc.
Confie-t-on aux chasseurs le diagnostic et la gestion écologiques des forêts et des prairies? Le fait d'accorder parfois ces prérogatives aux pêcheurs pour les rivières et étangs est un héritage dépassé. Et désormais contesté.
Il faut y ajouter des problèmes de gouvernance : représentation automatique des pêcheurs dans des instances de concertation et décisions dont d'autres usagers ou d'autres associations (dont les naturalistes) sont exclus, conflit d'intérêt quand des élus locaux sont aussi dans les instances de pêche et doivent prendre des décisions au sein des syndicats de rivière, etc.
Pour toutes ces raisons, on doit autonomiser l'évaluation écologique des rivières de la pêche dans les années à venir et analyser l'impact de la pêche de manière indépendante, au même titre que les autres usages. Concrètement, il s'agira notamment d'exposer le problème aux élus et de donner désormais des avis défavorables à toute délégation d'études de rivière aux fédérations de pêche dans le cadre des SAGE, des contrats bassin ou des études GEMAPI. De même, la pêche est le seul usage qui n'avait jamais fait l'objet d'une évaluation scientifique de son impact par l'Onema (office biaisé par sa sympathie pour la pratique), et l'Agence française pour la biodiversité devrait mettre un terme à cette anomalie en étudiant la question. De ce point de vue, la campagne de L214, Sea Shepherd, Fondations Brigitte Bardot et 30 Millions d'amis a le mérite de mettre en évidence l'absence de consensus social sur la pêche et la nécessité d'une analyse critique de ses pratiques.
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