Dans un passionnant mémoire d’habilitation à diriger des recherches, le géographe Simon Dufour (Université Rennes 2, UMR LETG) rappelle les problèmes qui surgissent lorsque l'on prétend définir un "état de référence" d'une rivière (ou de tout milieu naturel) en vue d'engager une action de restauration écologique. On invoque "la nature" vue par "la science" pour justifier certaines actions, mais en réalité toute politique écologique va opérer des choix normatifs qui ne sont pas démontrables par la science, et qui ne sont pas en soi inscrits dans la nature davantage que ne le seraient d'autres choix. Les humains co-construisent les milieux à partir d'objectifs sociaux: encore faut-il que ces objectifs soient pensés, explicités, démocratisés dans leur expression comme dans leur décision.
Au bord d'une retenue de chaussée de moulin, une grenouille se repose sur un nénuphar. Le riverain voyant la scène se demande : pourquoi veut-on changer cela? Car il est question de modifier cet état présent de la nature, décrit comme une altération.
Cette question est celle des fondements et objectifs de la restauration écologique des rivières, une politique publique visant à améliorer l'état des milieux aquatiques. Restaurer signifie revenir à un état jugé plus conforme à ce qui devrait être. Cela pose donc la question de "l'état de référence" : à partir de quoi va-t-on dire qu'une rivière (ou tout milieu) est ou non conforme à cet état?
La nature ancienne était-elle plus naturelle?
L'état de référence a d'abord été simplement posé comme la nature telle qu'elle était avant l'influence humaine, en particulier avant l'époque industrielle, une référence "ancienne" étant donc plus "naturelle".
"Dans un premier temps, ces actions postulaient que les actions humaines, notamment depuis la révolution industrielle, avaient profondément dégradé l'état naturel de ces milieux, note Simon Dufour. Ainsi, la plupart des actions de restauration proposaient un retour des cours d'eau à un état de référence, état antérieur à la perturbation identifiée."
Mais ce prisme présente deux inconvénients majeurs : "Premièrement, il méconnaît la longue co-évolution des hydrosystèmes sous la double influence de processus naturels et de processus humains. Cette co-évolution implique des états ou des fonctionnements passés perçus comme naturels mais en réalité co-construits (ex. Bravard, 1981b ; Petts et al., 1989 ; Muxart et al., 2003 ; Ashton et al., 2006 ; Walter et Merritts, 2008 ; Lespez et al., 2015). (…) Deuxièmement, il rencontre de nombreuses limitations pratiques : quelle période de référence retenir ? Comment accéder au fonctionnement ancien ? Est‐il réaliste d'envisager de restaurer des systèmes complexes contrôlés par de nombreux facteurs ayant leurs propres dynamiques s'exprimant sur des pas de temps différents ? Pourquoi l'état passé d'un système correspondrait‐il aux relations actuelles et futures entre ce système et la société ? Etc."
Simon Dufour note : "L’impossibilité de rétablir un état ancien a été soulignée par certains auteurs dès les années 1990 (Stanford et al., 1996 ; Palmer et al., 2005) mais l’utilisation d’un état ancien supposé plus naturel comme référence reste un implicite fort."
La nature fonctionnelle est-elle plus naturelle?
La nature ancienne plus ou moins "originelle" ou "vierge" n'étant pas un paradigme très solide au plan scientifique ni très opérationnel au plan politique, malgré sa force symbolique, on s'est donc orienté vers une approche différente : la nature comme ensemble de processus dynamiques spontanés, où la référence est désormais le "fonctionnel".
"Dans un deuxième temps, les actions de restauration ont plutôt visé le rétablissement de l'expression des processus dynamiques qui contrôlent les tronçons fluviaux à l'état naturel comme la mobilité latérale du chenal, les crues et les transferts sédimentaires au sein du système fluvial (Nilsson, 1992 ; Ward et al., 2002 ; Roche et al., 2005 ; Schnitzler‐Lenoble, 2007). Dans cette approche, la référence est moins passée que naturelle ou fonctionnelle et la restauration devient une forme de réhabilitation, c’est‐à‐dire un retour à la capacité de réalisation de certaines fonctions au sein d’un système."
Si cette nouvelle approche correspond mieux à la description biophysique des hydrosystèmes fluviaux depuis quelques décennies, elle n'en est pas moins sujette à diverses limitations.
"La base écologique de cette approche est plus forte que la précédente, remarque ainsi l'auteur, mais, dans ce cas également, des questions susceptibles de limiter sa portée générale demeurent : les mêmes processus hydrologiques et sédimentaires sont‐ils valables quel que soit le contexte géographique? Que faire quand l'expression d'un processus limite par exemple la biodiversité? Les crues, ou la mobilité latérale du chenal, sont‐elles systématiquement favorables à tous les écosystèmes et aux populations riveraines? Etc. Ces questions sont majoritairement liées au fait que l’assise conceptuelle de cette approche renvoie aux notions d’intégrité et de bonne santé des écosystèmes et que ces notions possèdent une dimension normative très forte. Or l’idée d’une situation idéale, optimale ou normale pose inévitablement la question des valeurs sous‐jacentes à la définition des attributs de cette situation et semble y apporter une réponse implicite supposant qu’il existe une forme d’universalité des valeurs et des attributs."
Simon Dufour donne en exemple le cas d'une rivière (la Magra) qui est passée localement d’un style en tresses à un style à chenal unique au cours du XXe siècle : l'étude à long terme de cette évolution ne permet pas de dire qu'un style ancien à la dynamique plus spontanée est forcément meilleur en soi, car le système nouveau a produit des bénéfices écologiques également valorisés comme l’expansion des boisements riverains et une diversité paysagère plus importante. Et le style ancien n'était pas tout à fait spontané, il dépendait d'évolutions climatiques (du petit âge glaciaire au réchauffement moderne) mais aussi de l'exploitation anthropique des versants.
Simon Dufour observe : "deux approches implicites de la référence coexistent dans cette approche processuelle, il s’agit soit d’une dynamique désirable, car le caractère dynamique est considéré comme naturel soit d’une dynamique désirable du fait de sa capacité à maintenir certaines fonctions ou propriétés désirables comme la diversité. La première approche est une version réarrangée de l’approche dans laquelle la référence est implicitement la rivière naturelle mais, dans ce cas, le naturel étant défini par son caractère spontané et non vierge. Or, des processus spontanées peuvent se traduire par une perte d’habitats rares ou à une baisse de la diversité de certains groupes taxonomiques. La seconde est implicite, car elle mobilise des attributs pour justifier un fonctionnement à restaurer sans pour autant, dans la majorité des cas, expliciter les motivations de ces choix. Ainsi, un lien implicite est fait entre le caractère dynamique (c.-à-d. la spontanéité des processus naturels) et les attributs désirables d’un tronçon donné. Or, ce lien est en réalité complexe, dépend du système considéré et est basé sur des valeurs implicites."
L'approche par la dynamique et le processus spontané repousse donc le problème de la fondation de l'état de référence à restaurer sans lui donner une approche à la fois cohérente (garantissant un optimum écologique) et objective (évitant tout jugement de valeur ou préférence subjective)
La nature comme objectif social : qui décide?
Il reste une troisième approche de l'état de référence de la restauration écologique : celle qui se fonde sur la base factuelle d'une description biophysique, mais reconnaît qu'en dernier ressort, des choix humains et des objectifs sociaux vont arbitrer l'intervention.
Simon Dufour écrit : "la mise en œuvre des programmes de restauration des cours d'eau et de leurs marges mobilise une troisième approche, basée sur la définition d'objectifs explicite de restauration intégrant non seulement l'intégrité des milieux naturels mais aussi le bien‐être humain (Baker et Walford, 1995 ; Hillman et Brierley, 2005 ; Aronson et al., 2006 ; Kondolf et al., 2006 ; Dufour et Piégay, 2009 ; Alexander et al., 2016 ; Morandi et al., 2016). Il ne s'agit plus seulement de se limiter à ce que l'on peut avoir (quel type de rivière, quel mode de fonctionnement, quel régime de crues, quelles espèces, etc.), mais de poser aussi la question de ce que l'on veut avoir (quels besoins, quelles attentes collectives et individuelles, etc.) (Gobster et Hull, 2000 ; Barraud et Germaine, 2013 ; Magilligan et al., 2017). Cette approche reconnaît qu’il est possible de restaurer plusieurs couples état/fonctionnement possibles (Jungwirth et al., 2002 ; Palmer et al., 2005), que l’enjeu réside dans le choix entre ces possibles et que ce choix ne peut être réalisé que par l’explicitation des objectifs de restauration (Wheaton, 2005 ; Nilsson et al., 2007)".
Cette restauration par des objectifs sociaux reconnaît que des questions humaines (intérêts objectifs et appréciations subjectives) contraignent et orientent le champ de possibles. Mais du même coup, elle implique de vérifier si et comment les humains ont réellement la possibilité de participer à la définition des objectifs :
"Pour mener à bien cette approche basée sur l’explication des objectifs, il convient évidemment d'améliorer la capacité à comprendre la variabilité des fonctionnements biophysiques dans une large gamme de contextes géographiques (Hillman et Brierley, 2005). Mais il convient également, et c'est probablement là le point le moins bien connu, de progresser dans la capacité à formaliser et à réguler les attentes de la société envers ces systèmes en intégrant la multiplicité des acteurs, de leurs valeurs et de leurs rationalités, la diversité des usages au sein d'un même tronçon fluvial ou d'un même bassin versant et les interactions d'échelles. En effet, Baker et Eckerberg (2016) identifient au moins 8 logiques différentes qui peuvent être suivies dans les projets de restauration (retour au passé, résoudre un problème écologique, développer des activités récréatives, etc.) et qui sont basées sur des valeurs différentes (voir aussi Clewell et Aronson 2006). Cela explique en partie qu’un même critère puisse faire l’objet d’appréciation dans plusieurs domaines de valeurs, comme la naturalité avec des valeurs écologiques, économiques et éthiques (Schnitzler et Génot, 2012). Il convient donc non seulement d’expliciter les objectifs, mais aussi les valeurs sous‐jacentes à ces objectifs (Hull et Robertson, 2000), ce qui implique de progresser dans la capacité à mettre en œuvre et/ou développer des pratiques politiques à même d’organiser et de hiérarchiser les choix en fonction de ces valeurs sociales et de ces connaissances biophysiques (Larrère et Larrère, 2015). Il ne s’agit tant de définir ce qui est socialement acceptable (Brierley et Fryirs, 2008), que ce qui est socialement désiré puis, dans un second temps, de développer les modalités politiques d’atteinte de ce «désiré»."
Le problème est que nous sommes très loin de réunir ces conditions aujourd'hui. Ainsi, la directive cadre européenne sur l'eau a été conçue comme une mesure centralisée et technocratique, très loin des débats citoyens, avec des arbitrages opaques et des objectifs finalement assez simplistes devant s'imposer à tous les bassins (d'où en partie son échec programmé). L'approche française par grands bassins hydrographiques reste quant à elle une démocratie surtout formelle d'où sont concrètement exclus nombre de riverains et usagers, les agences de l'eau étant surtout des lieux techniques de négociation entre des bureaucraties publiques et des lobbies industriels ou ONG, avec l'impulsion des réformes et leur financement venant toujours des choix de l'administration centrale. Autre exemple: les classements des rivières à fin de continuité écologique (2012-2013), choix majeur concernant plus de 20.000 ouvrages et modifiant considérablement le paysage des rivières concernées, ont pris la forme d'arrêtés préfectoraux de bassin dont la délibération a totalement écarté la plupart des acteurs sociaux vivant au bord des rives concernées. Et sa discussion technique et scientifique a été limitée à quelques acteurs à forte spécialisation (hydrobiologie, hydromorphologie, approche valorisée des systèmes lotiques et de certains enjeux halieutiques), sans éclairage par d'autres disciplines (géographie, histoire, sociologie, droit, économie, etc.).
La politique de l'eau et de la restauration écologique se fabrique ainsi sans les citoyens. Et parfois contre eux.
Au bord d'une retenue de chaussée de moulin, une grenouille se repose sur un nénuphar. Le riverain voyant la scène se demande : qui a décidé de changer cela, et pourquoi mon avis vaudrait-il moins que d'autres?
Référence : Dufour S (2018), Une approche géographique de la végétation et de la gestion biophysique des hydrosystèmes fluviaux. Éléments épistémologiques, thématiques et opérationnels, Géographie. Université Rennes 2, <tel-01719739>
Illustrations : paysages de l'Armançon anthropisée et de ses biefs à Perrigny et à Fulvy, des sites où il existe aujourd'hui des projets de modification au nom d'une restauration écologique (de continuité). De quelle nature plus originelle ou plus fonctionnelle ces hydrosystèmes seraient-ils une dégradation? Que nous dit le gestionnaire des réalités observables sur l'évolution de ces hydrosystèmes, de leur biodiversité et de leur fonctionnalité? Quels objectifs sont proposés aux riverains et comment peuvent-ils participer à leur définition? Va-t-on faire un diagnostic écologique sans préjugé de ces milieux, ou orienter leurs études préliminaires vers certains traits que l'on a envie de démontrer? Autant de questions n'ayant pas de réponses claires, ce qui soulève la distance ou la critique des riverains.
A lire sur le même thème
Une rivière peut-elle avoir un état de référence? Critique des fondements de la DCE 2000 (Bouleau et Pont 2014, 2015)
La conservation de la biodiversité est-elle une démarche fixiste? (Alexandre et al 2017)
18/04/2018
16/04/2018
En matière d'idées reçues, les pêcheurs de l'Huisne ne sont jamais bredouilles
Dans le journal Le Perche du 11 avril 2018, l'AAPPMA de la haute vallée de l'Huisne se livre à une vigoureuse diatribe contre les moulins et l'hydro-électricité. Le document exprime la dérive de certains milieux militants de la pêche, entre caricature et désinformation. Un conseil aux associations de moulins et riverains : demandez désormais au préfet que ces pêcheurs respectent les règles légales et bonnes pratiques environnementales pour l'exercice de leur loisir, cela les occupera à des choses plus utiles à la rivière et à la société qu'exprimer leur ressentiment contre les autres usages de l'eau
Dans l'article en question, le secrétaire de l'AAPPMA de la Haute Vallée de l'Huisne exprime son point de vue. Qui ressemble beaucoup au copié-collé des idées véhiculées par les instances officielles de la pêche de loisir en Normandie, bien connues pour leur militantisme actif au service de la casse des ouvrages hydrauliques et donc au détriment de la gestion équilibrée des rivières telle que la définit la loi française.
Les moulins, "époque révolue"? Curieux argument de la part de ceux qui réclament le droit de stresser, blesser et tuer des poissons pour une pratique datant du paléolithique mais n'ayant plus aucune justification alimentaire aujourd'hui, relevant donc du seul bon plaisir à dominer un animal.
Des pêcheurs "respectueux du patrimoine local" ? Cela, c'est le discours consensuel pour les médias et pour les élus locaux. Mais en réalité, quand les institutionnels de la pêche ont la capacité de donner leur avis sur des projets de continuité, ils appuient en général les solutions visant à faire disparaître purement et simplement les ouvrages hydrauliques, tout en menant un lobbying auprès du ministère pour empêcher le ré-équipement de ce patrimoine ancien en hydro-électricité. En Seine-Normandie, 75% des opérations de continuité se traduisent par le démantèlement des ouvrages, au lieu de passes à poissons ou de rivières de contournement : une véritable hécatombe pour le patrimoine et le paysage des vallées, dont le lobby pêche est co-responsable.
Les "usages ne sont plus respectés"? Nous ne sommes certes plus sous l'Ancien Régime, donc la plupart des moulins ne sont plus gérés comme ils l'étaient au XVIIIe siècle. Avant de s'en plaindre et de réclamer que le propriétaire remette son bonnet de meunier, il faut démontrer en quoi l'évolution des usages des moulins représente un problème pour les paysages et les milieux. Sinon, le service de police de l'eau est chargé de vérifier les vraies obligations des ouvrages (celles que définissent la loi et la réglementation, pas celles qu'inventent de toutes pièces les pêcheurs) : si elles ne sont pas respectées, ce service instruit le contrevenant et c'est très bien ainsi.
Un "réchauffement des eaux" ? Allons donc, sous couvert d'entretien des berges, ou parfois de recherche de lumière favorable aux truites, les pêcheurs élaguent, étêtent, suppriment volontiers la végétation qui les gênent en rive, occasionnant un réchauffement probablement plus important. Car la soi-disant rivière "renaturée" ou "sauvage" que vantent ces militants est surtout une rivière gérée de manière optimale pour leur loisir personnel. Leur militantisme pour la casse des ouvrages aggrave dans certaines régions les assecs dans des rivières déjà impactées par le réchauffement, l'irrigation et la hausse des prélèvements domestiques (voir cette idée reçue sur le réchauffement et cette idée reçue sur l'évaporation ; voir par exemple les pêcheurs du Vicoin qui se plaignent du dogme de leur fédération face à des rivières réduites à des filets d'eau en été).
Une "modification des populations végétales et piscicoles" ? Sans doute, tout comme les pêcheurs ont lourdement modifié depuis 150 ans les populations de poissons en alevinant ou utilisant des appâts vivants d'espèces exotiques. La recherche scientifique a montré que la pêche peut avoir davantage d'impact que les ouvrages sur les populations de poissons (exemple) ou sur leur génétique (exemple), mais bien entendu, le lobby pêche étouffe les vérités qui le dérangent et continue de donner des leçons d'écologie à la terre entière. Par ailleurs, les retenues et annexes hydrauliques des moulins, étangs et autres ouvrages créent aussi de la biodiversité, mais comme les espèces concernées ne peuvent généralement pas finir au bout d'un hameçon, cela intéresse très médiocrement le militant pêcheur (ou ses bons camarades de l'AFB-Onema, ancien conseil supérieur de la pêche, travaillant à ce que le discours administratif de l'écologie aquatique se focalise sur le poisson et la continuité).
L'hydro-électricité à un prix "quatre fois supérieur au prix du marché" ? Plus c'est gros, plus ça passe… toutes les énergies renouvelables ont des contrats de rachat au-dessus du prix de marché (sinon aucune ne serait déployée!), le tarif de rachat de l'hydro-électricité est par exemple moins intéressant que le solaire à puissance équivalente (alors qu'il a un bilan carbone et un bilan matière première nettement meilleur que le solaire en restauration de l'ancienne hydraulique et en zone tempérée). Et de nombreux moulins sont en autoconsommation, sans bénéficier de contrats de rachat. Mais le militant pêcheur est-il soucieux du bilan carbone? On se le demande, en particulier les mordus du saumon qui sont connus pour leur pratique fortement mobile, allant jusqu'à des voyages en pays lointains pour trouver les meilleurs "spots". Le genre de tourisme que l'on dit "vert" même s'il contribue à brûler beaucoup de kérosène pour assouvir sa passion. Et pourtant, la recherche nous met en garde : la moitié des rivières européennes risque de changer d'écotype après 2050 si l'on n'accélère pas la mise en place d'une transition bas-carbone. Le pêcheur de truite raisonne à courte vue : si la température et l'hydrologie sont bouleversées au cours des décennies et siècles à venir, ses chers salmonidés ne seront de toute façon plus adaptés à la plupart de nos eaux.
Un "bien collectif au service exclusif de quelques privilégiés" ? Le droit d'eau est né de la Révolution française (fin des servitudes, reconnaissance de la propriété, régime d'autorisation), mais ce raccourci en dit surtout long sur l'esprit de ressentiment.
De telles diatribes des pêcheurs seraient sans conséquence si cette activité ne jouissait d'un agrément d'utilité publique en France, alors même qu'elle représente un usage de la rivière et un impact sur le vivant, qu'elle paraît de moins en moins capable d'entretenir des rapports corrects avec d'autres usagers et qu'elle bénéfice du laxisme complaisant de l'administration en charge de l'eau et de la biodiversité (voir cet article).
Comme nous l'avons exprimé à diverses associations, il est nécessaire de discuter avec toutes les parties prenantes de la rivière, en vue d'un usage partagé. Beaucoup de pêcheurs souhaitent une bonne entente des riverains, et beaucoup apprécient aussi les ouvrages hydrauliques. Mais sur certains bassins, et au sein de certaines instances officielles payées à reproduire la langue du bois du ministère de l'écologie, la dérive militante des milieux halieutiques sur la question de la continuité rend l'exercice difficile. En ce cas, cela doit conduire à changer de ton.
Il se trouve que ces pêcheurs si prompts à juger autrui ont souvent des pratiques illégales car ils ne possèdent pas des baux de pêche sur tout le linéaire des cours d'eau non domaniaux qu'ils prétendent ouverts à leurs adhérents: face à toute association ou fédération de pêche défendant la casse des ouvrages, nous conseillons donc de demander préalablement le retour à la loi (des parcours de pêche clairement définis, sur la base de droits de pêche réellement détenus) comme condition pour discuter davantage avec eux. Si des riverains des cours non domaniaux du bassin de l'Huisne constatent que des pêcheurs pratiquent sur des propriétés sans accord préalable, qu'ils nous contactent : nous saisirons en leur nom le préfet et la fédération de pêche.
Dans l'article en question, le secrétaire de l'AAPPMA de la Haute Vallée de l'Huisne exprime son point de vue. Qui ressemble beaucoup au copié-collé des idées véhiculées par les instances officielles de la pêche de loisir en Normandie, bien connues pour leur militantisme actif au service de la casse des ouvrages hydrauliques et donc au détriment de la gestion équilibrée des rivières telle que la définit la loi française.
Les moulins, "époque révolue"? Curieux argument de la part de ceux qui réclament le droit de stresser, blesser et tuer des poissons pour une pratique datant du paléolithique mais n'ayant plus aucune justification alimentaire aujourd'hui, relevant donc du seul bon plaisir à dominer un animal.
Des pêcheurs "respectueux du patrimoine local" ? Cela, c'est le discours consensuel pour les médias et pour les élus locaux. Mais en réalité, quand les institutionnels de la pêche ont la capacité de donner leur avis sur des projets de continuité, ils appuient en général les solutions visant à faire disparaître purement et simplement les ouvrages hydrauliques, tout en menant un lobbying auprès du ministère pour empêcher le ré-équipement de ce patrimoine ancien en hydro-électricité. En Seine-Normandie, 75% des opérations de continuité se traduisent par le démantèlement des ouvrages, au lieu de passes à poissons ou de rivières de contournement : une véritable hécatombe pour le patrimoine et le paysage des vallées, dont le lobby pêche est co-responsable.
Les "usages ne sont plus respectés"? Nous ne sommes certes plus sous l'Ancien Régime, donc la plupart des moulins ne sont plus gérés comme ils l'étaient au XVIIIe siècle. Avant de s'en plaindre et de réclamer que le propriétaire remette son bonnet de meunier, il faut démontrer en quoi l'évolution des usages des moulins représente un problème pour les paysages et les milieux. Sinon, le service de police de l'eau est chargé de vérifier les vraies obligations des ouvrages (celles que définissent la loi et la réglementation, pas celles qu'inventent de toutes pièces les pêcheurs) : si elles ne sont pas respectées, ce service instruit le contrevenant et c'est très bien ainsi.
Un "réchauffement des eaux" ? Allons donc, sous couvert d'entretien des berges, ou parfois de recherche de lumière favorable aux truites, les pêcheurs élaguent, étêtent, suppriment volontiers la végétation qui les gênent en rive, occasionnant un réchauffement probablement plus important. Car la soi-disant rivière "renaturée" ou "sauvage" que vantent ces militants est surtout une rivière gérée de manière optimale pour leur loisir personnel. Leur militantisme pour la casse des ouvrages aggrave dans certaines régions les assecs dans des rivières déjà impactées par le réchauffement, l'irrigation et la hausse des prélèvements domestiques (voir cette idée reçue sur le réchauffement et cette idée reçue sur l'évaporation ; voir par exemple les pêcheurs du Vicoin qui se plaignent du dogme de leur fédération face à des rivières réduites à des filets d'eau en été).
Une "modification des populations végétales et piscicoles" ? Sans doute, tout comme les pêcheurs ont lourdement modifié depuis 150 ans les populations de poissons en alevinant ou utilisant des appâts vivants d'espèces exotiques. La recherche scientifique a montré que la pêche peut avoir davantage d'impact que les ouvrages sur les populations de poissons (exemple) ou sur leur génétique (exemple), mais bien entendu, le lobby pêche étouffe les vérités qui le dérangent et continue de donner des leçons d'écologie à la terre entière. Par ailleurs, les retenues et annexes hydrauliques des moulins, étangs et autres ouvrages créent aussi de la biodiversité, mais comme les espèces concernées ne peuvent généralement pas finir au bout d'un hameçon, cela intéresse très médiocrement le militant pêcheur (ou ses bons camarades de l'AFB-Onema, ancien conseil supérieur de la pêche, travaillant à ce que le discours administratif de l'écologie aquatique se focalise sur le poisson et la continuité).
L'hydro-électricité à un prix "quatre fois supérieur au prix du marché" ? Plus c'est gros, plus ça passe… toutes les énergies renouvelables ont des contrats de rachat au-dessus du prix de marché (sinon aucune ne serait déployée!), le tarif de rachat de l'hydro-électricité est par exemple moins intéressant que le solaire à puissance équivalente (alors qu'il a un bilan carbone et un bilan matière première nettement meilleur que le solaire en restauration de l'ancienne hydraulique et en zone tempérée). Et de nombreux moulins sont en autoconsommation, sans bénéficier de contrats de rachat. Mais le militant pêcheur est-il soucieux du bilan carbone? On se le demande, en particulier les mordus du saumon qui sont connus pour leur pratique fortement mobile, allant jusqu'à des voyages en pays lointains pour trouver les meilleurs "spots". Le genre de tourisme que l'on dit "vert" même s'il contribue à brûler beaucoup de kérosène pour assouvir sa passion. Et pourtant, la recherche nous met en garde : la moitié des rivières européennes risque de changer d'écotype après 2050 si l'on n'accélère pas la mise en place d'une transition bas-carbone. Le pêcheur de truite raisonne à courte vue : si la température et l'hydrologie sont bouleversées au cours des décennies et siècles à venir, ses chers salmonidés ne seront de toute façon plus adaptés à la plupart de nos eaux.
Un "bien collectif au service exclusif de quelques privilégiés" ? Le droit d'eau est né de la Révolution française (fin des servitudes, reconnaissance de la propriété, régime d'autorisation), mais ce raccourci en dit surtout long sur l'esprit de ressentiment.
De telles diatribes des pêcheurs seraient sans conséquence si cette activité ne jouissait d'un agrément d'utilité publique en France, alors même qu'elle représente un usage de la rivière et un impact sur le vivant, qu'elle paraît de moins en moins capable d'entretenir des rapports corrects avec d'autres usagers et qu'elle bénéfice du laxisme complaisant de l'administration en charge de l'eau et de la biodiversité (voir cet article).
Comme nous l'avons exprimé à diverses associations, il est nécessaire de discuter avec toutes les parties prenantes de la rivière, en vue d'un usage partagé. Beaucoup de pêcheurs souhaitent une bonne entente des riverains, et beaucoup apprécient aussi les ouvrages hydrauliques. Mais sur certains bassins, et au sein de certaines instances officielles payées à reproduire la langue du bois du ministère de l'écologie, la dérive militante des milieux halieutiques sur la question de la continuité rend l'exercice difficile. En ce cas, cela doit conduire à changer de ton.
Il se trouve que ces pêcheurs si prompts à juger autrui ont souvent des pratiques illégales car ils ne possèdent pas des baux de pêche sur tout le linéaire des cours d'eau non domaniaux qu'ils prétendent ouverts à leurs adhérents: face à toute association ou fédération de pêche défendant la casse des ouvrages, nous conseillons donc de demander préalablement le retour à la loi (des parcours de pêche clairement définis, sur la base de droits de pêche réellement détenus) comme condition pour discuter davantage avec eux. Si des riverains des cours non domaniaux du bassin de l'Huisne constatent que des pêcheurs pratiquent sur des propriétés sans accord préalable, qu'ils nous contactent : nous saisirons en leur nom le préfet et la fédération de pêche.
15/04/2018
Une règle d'or pour conserver un ouvrage: ne pas abandonner son droit d'eau
Le droit d'eau est le droit d'user de l'eau dérivant de l'existence autorisée d'un ouvrage régulièrement installé sur une rivière. Depuis le plan de restauration de continuité écologique de 2009, certains fonctionnaires des syndicats de rivière et des services déconcentrés de l'Etat tentent de pousser des propriétaires à rédiger des courriers d'abandon de leur droit d'eau, en prétextant que c'est la condition nécessaire d'un futur aménagement sans frais de continuité écologique. Non seulement cette pression est une tromperie et un abus de pouvoir, qui doit être signalée et poursuivie s'il est possible d'en apporter une preuve matérielle ; mais l'abandon du droit d'eau signifie surtout que le propriétaire se trouve dans l'obligation de remettre les lieux en l'état sans aucun moyen de recours, sans droit à indemnité et avec des risques de recevoir des plaintes de tiers en cas de changement délétère des écoulements. Explications.
Un témoignage entendu cette semaine sur l'Oze : "le précédent propriétaire de l'usine était âgé, il avait souffert d'un AVC et ne vivait plus ici. On a fait pression pour qu'il abandonne son droit d'eau et que le problème soit géré par le syndicat". Un autre deux jours plus tard sur l'Armançon : "ils sont venus voir le propriétaire, à plusieurs. D'après ce qu'ils lui ont dit, s'ils gardent son droit d'eau, c'est lui qui aura tous les frais à sa charge".
De tels cas, de nombreuses associations en témoignent : il suffit de venir dans les assemblées générales de propriétaires de moulins et étangs pour les entendre. Et des collectivités subissent les mêmes pressions, en particulier les communes rurales modestes n'ayant pas de services techniques et juridiques, formant des proies faciles à la pression si elles sont propriétaires d'un patrimoine hydraulique.
Rappel sur le droit d'eau
Un droit d'eau est un droit réel attaché à l'existence d'un ouvrage hydraulique (chaussée, seuil, digue, barrage). Un ouvrage hydraulique dispose d'un droit d'eau dit "fondé en titre" ou "fondé sur titre", sans limite de temps et sans nécessité d'autorisation administrative nouvelle, dans deux cas de figure : si l'ouvrage existe avant 1566 en rivière domaniale ou avant 1791 en rivière non domaniale ; s'il existe entre 1791 et 1919 avec une puissance inférieure à 150 kW. Pour que le droit d'eau soit valide, plusieurs conditions sont nécessaires : pas de ruine complète des ouvrages (par exemple, barrage complètement disparu), pas de changement d'affectation de ces ouvrages (par exemple bief volontairement comblé). Il existe par ailleurs des cas où le droit d'eau peut être abrogé par l'autorité administrative (trouble grave et immédiat pour la sécurité, la salubrité, le milieu). Un propriétaire doit apporter la preuve (par tout moyen : cartes, mentions écrites, etc.) de l'existence historique d'un ouvrage (avant 1566, 1791, 1919 selon les cas). Une administration contestant un droit d'eau doit apporter la preuve de ses allégations, dans le cadre d'une procédure contradictoire. A noter : le Conseil d'Etat a rappelé que le droit d'eau est assimilable à un droit réel immobilier (relié à la propriété de l'ouvrage ou des annexes hydrauliques qui en dérivent). Il est donc inexact de prétendre que le droit d'eau impliquerait comme condition d'existence de conserver l'usage l'ayant vu naître (meunerie, pisciculture, etc.) dans les siècles passés. Le droit français assume le fait que les usages des propriétés évoluent dans le temps, ce qui ne fait pas perdre pour autant les droits qui leur sont attachés.
Ce qui se passe sur certaines rivières
Des fonctionnaires ou élus de syndicats de bassin, parfois accompagnés de fonctionnaires représentant l'Etat, affirment en substance au propriétaire : "si vous conservez votre droit d'eau, vous devrez payer à vos frais tous les travaux de mise en conformité de l'ouvrage. Dans le cas contraire, en demandant l'abrogation du droit d'eau, des travaux pourront être faits sans que cela vous coûte un centime". Bien entendu, de tels échanges restent oraux car ces fonctionnaires savent qu'un tel propos par écrit leur vaudrait immédiatement une poursuite en justice pour tromperie et excès de pouvoir. (Au demeurant, si vous avez une preuve matérielle opposable d'un tel discours, envoyez-là à notre association. Car le droit est d'autant mieux respecté que son irrespect est sanctionné).
Pourquoi l'abandon du droit d'eau est un piège
L'abandon de droit d'eau signifie concrètement l'abandon du droit d'avoir un ouvrage et un bief (ou un étang). Cela place le propriétaire dans une dépendance totale aux injonctions de l'administration : celle-ci exigera la "remise en état des lieux" sans que le propriétaire ait des moyens très efficaces de se défendre et sans qu'il puisse échapper aux frais si nécessaire. Par ailleurs, un propriétaire qui abandonne son droit d'eau doit répondre des droits des tiers : l'ouvrage est souvent en place depuis des siècles, des usages se sont installés autour de lui, des bâtiments se sont construits, etc. Si les changements des écoulements nuisent à d'autres propriétés riveraines (par exemple fragilisation des bâtis et des berges, inondations, perte d'usages), c'est contre le propriétaire ayant décidé des travaux que les voisins se retourneront en dernier ressort. Enfin, un moulin sans droit d'eau perd une bonne part de sa valeur marchande, il devient une simple maison parmi d'autres, en zone inondable (même chose pour un étang ou plan d'eau). Au demeurant, si vous ne voulez plus de l'ouvrage, vous pouvez proposer à vos interlocuteurs de le racheter avec son droit d'eau : cela se pratique sur certains bassins.
Pourquoi le droit d'eau protège des frais de continuité écologique
Quand ils ont voté la loi sur l'eau de 2006 instaurant l'article L 214-17 CE et l'obligation de continuité écologique sur certaines rivières, les parlementaires étaient informés des problèmes de coût liés aux précédentes mesures de franchissement piscicole (loi de 1984), n'ayant pu être appliquées pour cette raison. Ils ont donc pris soin de préciser que si une mesure de continuité représente une "charge spéciale et exorbitante" (par exemple une passe à poissons), elle ouvre droit à indemnité (l'Etat doit flécher un financement public). Or, en perdant le droit d'eau, vous ne dépendez plus de cet article L 214-17 CE qui assure l'indemnisation des charges exorbitantes, mais du régime général d'abrogation de l'autorisation de l'article L214-3-1 CE et de l'article L 181-23 CE, qui ne prévoient quant à eux aucun dédommagement. En clair, loin de garantir que vous ne paierez rien, la perte du droit d'eau vous fait perdre la possibilité de demander l'indemnisation des travaux de continuité sur un ouvrage autorisé. Elle vous place en situation d'incertitude sur les conséquences financières et juridiques ultimes des travaux qui seront engagés sur l'ouvrage.
Conclusion
L'administration (centrale ou territoriale) cherche à casser des droits d'eau, avec une intensité variable selon les bassins et les départements. Selon les informations que nous avons, cela donne lieu dans un cas sur cinq à des contentieux. L'administration agit ainsi soit sur la base d'un état de ruine ou de changement d'affectation de l'ouvrage (à démontrer par elle), ce qui est conforme au droit ; soit en suggérant au propriétaire que le maintien de son autorisation produirait des frais (ce qui est une menace contrevenant au droit). L'administration sait très bien qu'un moulin ou étang avec droit d'eau est protégé par la jurisprudence comme par la loi, et qu'il peut difficilement se voir imposer des issues aberrantes de destruction ou d'imposition de solutions pharaoniques vis-à-vis desquelles le particulier n'est pas solvable. Evidemment, ce comportement de l'administration et de syndicats est l'une des causes de la rupture observée avec les riverains sur les bassins où il s'observe : en essayant dès le départ d'imposer un discours de disparition des ouvrages, la réforme de continuité écologique a braqué les parties prenantes et interdit toute mise en oeuvre concertée. Tant que le gouvernement ne recadrera pas son administration de l'eau en lui rappelant qu'il s'agit d'aider à aménager des ouvrages, et certainement pas de pousser à les détruire, rien n'évoluera réellement.
Donc un conseil : n'abandonnez jamais votre droit d'eau si vous en possédez un. Et si vous êtes simple riverain de bief ou de plan d'eau dans un site où l'on évoque un projet de destruction, vérifiez que le possesseur du droit d'eau (commune ou particulier) ne commet pas l'erreur grave de l'abandonner.
———
Quelques conseils pratiques
Devoirs liés au droit d'eau
Bien entendu, respectez les devoirs afférant au droit d'eau, soit pour l'essentiel :
Vous pouvez apporter des améliorations écologiques dans la gestion de l'ouvrage et de ses annexes hydrauliques, mais c'est toujours du cas par cas demandant une bonne observation des milieux locaux et de leurs enjeux. Prenez garde aux "conseils" n'ayant aucune base solide dans la science ou la loi. Certains prétendent faire de l'écologie alors qu'ils expriment des convictions personnelles sur leur idéal subjectif de nature, d'autres veulent défendre uniquement certains usages (pêche). Un ouvrage va représenter localement des gains et des pertes pour le vivant. Il y a donc une règle simple : si un interlocuteur évoque uniquement les pertes sans parler des gains, c'est qu'il exprime des biais, et veut probablement vous tromper.
Un témoignage entendu cette semaine sur l'Oze : "le précédent propriétaire de l'usine était âgé, il avait souffert d'un AVC et ne vivait plus ici. On a fait pression pour qu'il abandonne son droit d'eau et que le problème soit géré par le syndicat". Un autre deux jours plus tard sur l'Armançon : "ils sont venus voir le propriétaire, à plusieurs. D'après ce qu'ils lui ont dit, s'ils gardent son droit d'eau, c'est lui qui aura tous les frais à sa charge".
De tels cas, de nombreuses associations en témoignent : il suffit de venir dans les assemblées générales de propriétaires de moulins et étangs pour les entendre. Et des collectivités subissent les mêmes pressions, en particulier les communes rurales modestes n'ayant pas de services techniques et juridiques, formant des proies faciles à la pression si elles sont propriétaires d'un patrimoine hydraulique.
Rappel sur le droit d'eau
Un droit d'eau est un droit réel attaché à l'existence d'un ouvrage hydraulique (chaussée, seuil, digue, barrage). Un ouvrage hydraulique dispose d'un droit d'eau dit "fondé en titre" ou "fondé sur titre", sans limite de temps et sans nécessité d'autorisation administrative nouvelle, dans deux cas de figure : si l'ouvrage existe avant 1566 en rivière domaniale ou avant 1791 en rivière non domaniale ; s'il existe entre 1791 et 1919 avec une puissance inférieure à 150 kW. Pour que le droit d'eau soit valide, plusieurs conditions sont nécessaires : pas de ruine complète des ouvrages (par exemple, barrage complètement disparu), pas de changement d'affectation de ces ouvrages (par exemple bief volontairement comblé). Il existe par ailleurs des cas où le droit d'eau peut être abrogé par l'autorité administrative (trouble grave et immédiat pour la sécurité, la salubrité, le milieu). Un propriétaire doit apporter la preuve (par tout moyen : cartes, mentions écrites, etc.) de l'existence historique d'un ouvrage (avant 1566, 1791, 1919 selon les cas). Une administration contestant un droit d'eau doit apporter la preuve de ses allégations, dans le cadre d'une procédure contradictoire. A noter : le Conseil d'Etat a rappelé que le droit d'eau est assimilable à un droit réel immobilier (relié à la propriété de l'ouvrage ou des annexes hydrauliques qui en dérivent). Il est donc inexact de prétendre que le droit d'eau impliquerait comme condition d'existence de conserver l'usage l'ayant vu naître (meunerie, pisciculture, etc.) dans les siècles passés. Le droit français assume le fait que les usages des propriétés évoluent dans le temps, ce qui ne fait pas perdre pour autant les droits qui leur sont attachés.
Ce qui se passe sur certaines rivières
Des fonctionnaires ou élus de syndicats de bassin, parfois accompagnés de fonctionnaires représentant l'Etat, affirment en substance au propriétaire : "si vous conservez votre droit d'eau, vous devrez payer à vos frais tous les travaux de mise en conformité de l'ouvrage. Dans le cas contraire, en demandant l'abrogation du droit d'eau, des travaux pourront être faits sans que cela vous coûte un centime". Bien entendu, de tels échanges restent oraux car ces fonctionnaires savent qu'un tel propos par écrit leur vaudrait immédiatement une poursuite en justice pour tromperie et excès de pouvoir. (Au demeurant, si vous avez une preuve matérielle opposable d'un tel discours, envoyez-là à notre association. Car le droit est d'autant mieux respecté que son irrespect est sanctionné).
Pourquoi l'abandon du droit d'eau est un piège
L'abandon de droit d'eau signifie concrètement l'abandon du droit d'avoir un ouvrage et un bief (ou un étang). Cela place le propriétaire dans une dépendance totale aux injonctions de l'administration : celle-ci exigera la "remise en état des lieux" sans que le propriétaire ait des moyens très efficaces de se défendre et sans qu'il puisse échapper aux frais si nécessaire. Par ailleurs, un propriétaire qui abandonne son droit d'eau doit répondre des droits des tiers : l'ouvrage est souvent en place depuis des siècles, des usages se sont installés autour de lui, des bâtiments se sont construits, etc. Si les changements des écoulements nuisent à d'autres propriétés riveraines (par exemple fragilisation des bâtis et des berges, inondations, perte d'usages), c'est contre le propriétaire ayant décidé des travaux que les voisins se retourneront en dernier ressort. Enfin, un moulin sans droit d'eau perd une bonne part de sa valeur marchande, il devient une simple maison parmi d'autres, en zone inondable (même chose pour un étang ou plan d'eau). Au demeurant, si vous ne voulez plus de l'ouvrage, vous pouvez proposer à vos interlocuteurs de le racheter avec son droit d'eau : cela se pratique sur certains bassins.
Pourquoi le droit d'eau protège des frais de continuité écologique
Quand ils ont voté la loi sur l'eau de 2006 instaurant l'article L 214-17 CE et l'obligation de continuité écologique sur certaines rivières, les parlementaires étaient informés des problèmes de coût liés aux précédentes mesures de franchissement piscicole (loi de 1984), n'ayant pu être appliquées pour cette raison. Ils ont donc pris soin de préciser que si une mesure de continuité représente une "charge spéciale et exorbitante" (par exemple une passe à poissons), elle ouvre droit à indemnité (l'Etat doit flécher un financement public). Or, en perdant le droit d'eau, vous ne dépendez plus de cet article L 214-17 CE qui assure l'indemnisation des charges exorbitantes, mais du régime général d'abrogation de l'autorisation de l'article L214-3-1 CE et de l'article L 181-23 CE, qui ne prévoient quant à eux aucun dédommagement. En clair, loin de garantir que vous ne paierez rien, la perte du droit d'eau vous fait perdre la possibilité de demander l'indemnisation des travaux de continuité sur un ouvrage autorisé. Elle vous place en situation d'incertitude sur les conséquences financières et juridiques ultimes des travaux qui seront engagés sur l'ouvrage.
Conclusion
L'administration (centrale ou territoriale) cherche à casser des droits d'eau, avec une intensité variable selon les bassins et les départements. Selon les informations que nous avons, cela donne lieu dans un cas sur cinq à des contentieux. L'administration agit ainsi soit sur la base d'un état de ruine ou de changement d'affectation de l'ouvrage (à démontrer par elle), ce qui est conforme au droit ; soit en suggérant au propriétaire que le maintien de son autorisation produirait des frais (ce qui est une menace contrevenant au droit). L'administration sait très bien qu'un moulin ou étang avec droit d'eau est protégé par la jurisprudence comme par la loi, et qu'il peut difficilement se voir imposer des issues aberrantes de destruction ou d'imposition de solutions pharaoniques vis-à-vis desquelles le particulier n'est pas solvable. Evidemment, ce comportement de l'administration et de syndicats est l'une des causes de la rupture observée avec les riverains sur les bassins où il s'observe : en essayant dès le départ d'imposer un discours de disparition des ouvrages, la réforme de continuité écologique a braqué les parties prenantes et interdit toute mise en oeuvre concertée. Tant que le gouvernement ne recadrera pas son administration de l'eau en lui rappelant qu'il s'agit d'aider à aménager des ouvrages, et certainement pas de pousser à les détruire, rien n'évoluera réellement.
Donc un conseil : n'abandonnez jamais votre droit d'eau si vous en possédez un. Et si vous êtes simple riverain de bief ou de plan d'eau dans un site où l'on évoque un projet de destruction, vérifiez que le possesseur du droit d'eau (commune ou particulier) ne commet pas l'erreur grave de l'abandonner.
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Quelques conseils pratiques
- Faites vous accompagner par des voisins, des élus locaux ou une association quand un syndicat ou une administration vous propose une rencontre pour parler de l'avenir de votre ouvrage.
- Si vous recevez un courrier relatif à l'ouvrage et au droit d'eau dont vous ne comprenez pas les termes, soumettez-le à un conseil juridique ou une association.
- Enregistrez les conversations lors des visites chez vous qui sont consacrées à parler de l'avenir de votre ouvrage.
- Rédigez par courrier recommandé un compte-rendu de la visite avec des verbatims (citations), à envoyer à la préfecture (service de la DDT-M).
- Si un compte-rendu de visite est rédigé par l'administration (DDT-M, AFB), soumettez-le à un conseil juridique ou une association, si besoin contestez ses termes par courrier recommandé.
Devoirs liés au droit d'eau
Bien entendu, respectez les devoirs afférant au droit d'eau, soit pour l'essentiel :
- ne pas excéder le niveau légal de la retenue créée par l'ouvrage,
- entretenir les vannes et les ouvrir en crue (sauf ordre contraire du préfet),
- assurer le débit minimum biologique (10% du débit moyen) restant en permanence à la rivière (et pas dans le bief), en particulier à l'étiage.
Vous pouvez apporter des améliorations écologiques dans la gestion de l'ouvrage et de ses annexes hydrauliques, mais c'est toujours du cas par cas demandant une bonne observation des milieux locaux et de leurs enjeux. Prenez garde aux "conseils" n'ayant aucune base solide dans la science ou la loi. Certains prétendent faire de l'écologie alors qu'ils expriment des convictions personnelles sur leur idéal subjectif de nature, d'autres veulent défendre uniquement certains usages (pêche). Un ouvrage va représenter localement des gains et des pertes pour le vivant. Il y a donc une règle simple : si un interlocuteur évoque uniquement les pertes sans parler des gains, c'est qu'il exprime des biais, et veut probablement vous tromper.
14/04/2018
Casse du déversoir de Tréméven: riverains et élus doivent se battre contre les dérives de l'administration
L'administration a mis en demeure la communauté de communes Guingamp-Paimpol Armor-Argoat Agglomération (GP3A) d'araser le déversoir Saint-Jacques à Tréméven, malgré l'opposition de la population et des usagers. Des solutions d'arasement partiel avaient été proposées, indûment refusées et non financées. Nous appelons les riverains et élus à se porter en justice contre cette nouvelle dérive d'une administration acharnée à détruire le patrimoine des rivières à l'encontre de l'avis des populations, et pour des gains écologiques si souvent marginaux. La loi demande que les ouvrages soient équipés ou gérés, elle a accordé un délai supplémentaire de 5 ans, elle a prévu que les charges exorbitantes seraient indemnisées: sur cette base dont les députés et sénateurs ont rappelé à de nombreuses reprises qu'elle forme l'esprit et la lettre de la loi sur l'eau de 2006, il faut désormais s'opposer aux excès du pouvoir administratif sur toute casse imposée. A Tréméven comme ailleurs.
Le déversoir Saint-Jacques sur la commune de Tréméven (Côte d'Armor) est le site d'une ancienne pisciculture, qui appartient aujourd'hui à la communauté de communes GP3A. Une passe à poissons y avait été réalisée en 1979, mais jugée non conforme. Dans le cadre de la continuité écologique, il a été exigé par l'Etat de rendre le site franchissable.
Le Smega (syndicat environnemental Goëlo Argoat), les services de l'environnement des communautés de communes (Leff Armor et GP3A), les kayakistes et les pêcheurs ont travaillé à un projet. Parmi les quatre hypothèses, l'une d'elles avait la faveur de la commune de Tréméven, ainis que de la plupart des élus communautaires, riverains et usagers kayakistes : abaissement partiel, brèche de 6 mètres de large dans le déversoir, nouvelle passe à poissons de 28 m.
Problème : le coût (plus de 100 k€), alors que seule la destruction est aujoud'hui financée à 80%.
La GP3A vient de recevoir une mise en demeure de la DDT-M, avec pour motifs: délai de cinq ans pour la mise en conformité de l’ouvrage arrivé à échéance, demande d’effacement du seuil à l’étiage 2018. Le président de la GP3A a fait part à la mairie de Tréméven de la suite : "Je vous informe que la GP3A va engager le démantèlement de l’ouvrage […]. Ces travaux comprendront également la finalisation de la sécurisation et la remise en état du site […], avec intégration d’un volet paysager. […].L’ensemble des travaux sera pris en charge financièrement par la GP3A."
La maire de Tréméven, Chantal Delugin, a déclaré en conseil: "En qualité de maire, je ne peux pas être dans l’illégalité. En tant que citoyenne, je trouve que c’est regrettable de porter atteinte à un site emblématique de la commune". Et ajouté : "Si une association de défense se constitue, je la soutiendrai au titre de la libre expression et à la condition qu’elle reste dans la légalité."
Nous appelons les élus et les riverains à refuser cette mise en demeure, et nous nous mettons à leur disposition s'ils souhaitent organiser la résistance judiciaire à ce nouveau chantage à la casse.
Il y a au moins 3 motifs pour refuser cette issue.
D'une part, l'article L 214-17 CE a été amendé par les parlementaires et les propriétaires disposent d'un délai de 5 ans supplémentaires (donc 2022 en Loire-Bretagne) pour réaliser les travaux. Il n'y a donc aucune urgence à s'imposer une solution (parmi les 4 avancées) et à se précipiter à détruire en 2018.
D'autre part, la loi n'a jamais évoqué la destruction comme issue de la continuité écologique : tout ouvrage doit être "équipé, géré, entretenu", non pas arasé ou dérasé. La DDT-M commet donc un abus de pouvoir en exigeant un démantèlement ne figurant pas dans le choix des parlementaires (et même si le droit d'eau avait été cassé, la DDT-M est tenue de respecter les solutions conformes à la "gestion équilibrée et durable" définie par l'article L 211-1 CE dans les exigences de remise en état du site, ce qui ne favorise pas les disparitions d'ouvrage mais plutôt le respect des différents usages).
Enfin, la même loi prévoit que les solutions de continuité ouvrent "droit à indemnité" en cas de "charge spéciale et exorbitante" : il revient donc à l'Etat de flécher le financement de la passe à poissons si l'agence de l'eau refuse de jouer son rôle normal de financeur public de l'eau.
A Tréméven comme partout en France, nous appelons donc à refuser les destructions imposées par une fraction de l'administration de l'eau ayant totalement dérivé de ses missions premières d'exécution de la loi depuis quelques années, au profit d'une idéologie devenue folle de la "renaturation" des rivières. Nous nous mettons au service des collectifs riverains ou des élus qui nous saisissent pour les aider à formuler des recours en défense des ouvrages devant le tribunal administratif.
Le déversoir Saint-Jacques sur la commune de Tréméven (Côte d'Armor) est le site d'une ancienne pisciculture, qui appartient aujourd'hui à la communauté de communes GP3A. Une passe à poissons y avait été réalisée en 1979, mais jugée non conforme. Dans le cadre de la continuité écologique, il a été exigé par l'Etat de rendre le site franchissable.
Le Smega (syndicat environnemental Goëlo Argoat), les services de l'environnement des communautés de communes (Leff Armor et GP3A), les kayakistes et les pêcheurs ont travaillé à un projet. Parmi les quatre hypothèses, l'une d'elles avait la faveur de la commune de Tréméven, ainis que de la plupart des élus communautaires, riverains et usagers kayakistes : abaissement partiel, brèche de 6 mètres de large dans le déversoir, nouvelle passe à poissons de 28 m.
Problème : le coût (plus de 100 k€), alors que seule la destruction est aujoud'hui financée à 80%.
La GP3A vient de recevoir une mise en demeure de la DDT-M, avec pour motifs: délai de cinq ans pour la mise en conformité de l’ouvrage arrivé à échéance, demande d’effacement du seuil à l’étiage 2018. Le président de la GP3A a fait part à la mairie de Tréméven de la suite : "Je vous informe que la GP3A va engager le démantèlement de l’ouvrage […]. Ces travaux comprendront également la finalisation de la sécurisation et la remise en état du site […], avec intégration d’un volet paysager. […].L’ensemble des travaux sera pris en charge financièrement par la GP3A."
La maire de Tréméven, Chantal Delugin, a déclaré en conseil: "En qualité de maire, je ne peux pas être dans l’illégalité. En tant que citoyenne, je trouve que c’est regrettable de porter atteinte à un site emblématique de la commune". Et ajouté : "Si une association de défense se constitue, je la soutiendrai au titre de la libre expression et à la condition qu’elle reste dans la légalité."
Nous appelons les élus et les riverains à refuser cette mise en demeure, et nous nous mettons à leur disposition s'ils souhaitent organiser la résistance judiciaire à ce nouveau chantage à la casse.
Il y a au moins 3 motifs pour refuser cette issue.
D'une part, l'article L 214-17 CE a été amendé par les parlementaires et les propriétaires disposent d'un délai de 5 ans supplémentaires (donc 2022 en Loire-Bretagne) pour réaliser les travaux. Il n'y a donc aucune urgence à s'imposer une solution (parmi les 4 avancées) et à se précipiter à détruire en 2018.
D'autre part, la loi n'a jamais évoqué la destruction comme issue de la continuité écologique : tout ouvrage doit être "équipé, géré, entretenu", non pas arasé ou dérasé. La DDT-M commet donc un abus de pouvoir en exigeant un démantèlement ne figurant pas dans le choix des parlementaires (et même si le droit d'eau avait été cassé, la DDT-M est tenue de respecter les solutions conformes à la "gestion équilibrée et durable" définie par l'article L 211-1 CE dans les exigences de remise en état du site, ce qui ne favorise pas les disparitions d'ouvrage mais plutôt le respect des différents usages).
Enfin, la même loi prévoit que les solutions de continuité ouvrent "droit à indemnité" en cas de "charge spéciale et exorbitante" : il revient donc à l'Etat de flécher le financement de la passe à poissons si l'agence de l'eau refuse de jouer son rôle normal de financeur public de l'eau.
A Tréméven comme partout en France, nous appelons donc à refuser les destructions imposées par une fraction de l'administration de l'eau ayant totalement dérivé de ses missions premières d'exécution de la loi depuis quelques années, au profit d'une idéologie devenue folle de la "renaturation" des rivières. Nous nous mettons au service des collectifs riverains ou des élus qui nous saisissent pour les aider à formuler des recours en défense des ouvrages devant le tribunal administratif.
13/04/2018
Agence française pour la "biodiversité" ? Indifférence complète à la disparition de 5 ha d'étang et zones humides en Morvan
Notre association avait saisi l'agence française pour la biodiversité sur la destruction en cours de l'étang de Bussières par la fédération de pêche de l'Yonne, soulignant l'intérêt de cet hydrosystème situé dans une zone de protection faune et flore (ZNIEFF), ainsi que dans une zone de recolonisation de la loutre (utilisant les étangs comme nourricerie). Nous avons reçu le rapport de l'AFB : trois pages de service minimum, sans aucune étude ni même mention des enjeux écologiques liés à l'étang et à ses zones humides, cela alors même que la recherche scientifique souligne l'importance des plans d'eau dans la préservation de la biodiversité. Une plainte pénale et une plainte administrative sont déposées. Le laxisme de l'administration envers le lobby pêche et le dogmatisme de la continuité écologique sont inadmissibles.
La fédération de pêche de l'Yonne et l'administration en charge de l'eau ont organisé depuis octobre 2017 la destruction sans autorisation du site de Bussières (5 ha d'étangs et zones humides, un patrimoine de l'Ancien Régime). Alors que les services de l'eau et de l'environnement se montrent extrêmement pointilleux pour des opérations de routine en gestion d'ouvrages hydrauliques, ils ont ici toléré la disparition d'un milieu aquatique et humide à haut intérêt pour la biodiversité et cela sans la moindre étude d'impact, la moindre compensation, la moindre enquête publique permettant aux citoyens de s'exprimer. Face à la mauvaise foi et à l'opacité de ses interlocuteurs, notre association a déposé une plainte pénale à Auxerre (contre la fédération de pêche) et une plainte administrative à Dijon (contre la préfecture).
L'agence française pour la biodiversité, saisie par Hydrauxois en novembre 2017, vient de nous faire parvenir après 2 relances son rapport sur le sujet. On peut le télécharger à ce lien. Elle s'est bien gardé de nous en faire copie en février, avant la destruction de l'étang, mais a préféré attendre que les pelleteuses de la fédération de pêche aient tout détruit. Tout comme les services de la DDT nous ont envoyé les pièces complémentaires demandées après le chantier.
On aurait pu s'attendre à ce qu'une agence en charge de la biodiversité, saisie de manière motivée par des citoyens, remplisse son rôle assigné par l'Etat : "préservation, gestion et restauration de la biodiversité" et "développement des connaissances, ressources, usages et services écosystémiques attachés à la biodiversité" (art L 131-8 CE). Mais le résultat est consternant :
L'Agence française pour la biodiversité a été formée en janvier 2017, à la suite de la loi de biodiversité, en agrégeant notamment les personnels de l'Onema (Office national de l'eau et des milieux aquatiques) qui était lui-même issu du CSP (Conseil supérieur de la pêche).
Nous avons déjà déploré que l'AFB continue dans les biais halieutiques de l'Onema et du CSP, dont les centres d'intérêt pour la biodiversité aquatique ont toujours été très centrés sur des espèces de poisson présentant un intérêt pour les pêcheurs, ainsi que sur des milieux lotiques présentés comme idéal de "renaturation", en indifférence complète à l'évolution historique des milieux et du vivant qu'ils abritent. Plusieurs équipes de recherche ont récemment émis des interrogations sur la nature exacte de la "science" ou de l'"expertise" mobilisée dans la continuité (par exemple chez Lespez et al 2015 ou chez Dufour et al 2017).
Nous avions notamment montré que l'Onema :
Hélas, le personnel actuel de l'AFB n'étant autre que celui de l'Onema pour ce qui est du suivi des rivières et milieux aquatiques continentaux, les mêmes problèmes persistent. Nous l'avions constaté sur les ouvrages de l'Ource. Cela se confirme à Bussières.
L'agence publique en charge de la biodiversité se comporte donc de manière inacceptable par rapport à ses missions d'étude objective et de protection du vivant. Encore récemment, une équipe de 11 chercheurs a appelé à une prise en compte urgente des mares, étangs et petits plans d'eau dans la politique des milieux aquatiques (voir Hill et al 2018). Des universitaires français ont souligné que ce "limnosystème" possède une valeur propre pour le vivant (Touchart et Bartout 2018), ainsi que diverses fonctions comme l'épuration de l'eau, appelant à une étude attentive au cas par cas avant d'intervenir (Gaillard et al 2016). Au cours des années 2000, la recherche scientifique a montré que ces milieux lentiques, souvent moins présents à l'esprit des gestionnaires et décideurs que les rivières ou les lacs, abritent pourtant une biodiversité plus importante par unité de surface. Les scientifiques écrivent : "Les mares et étangs fournissent un habitat essentiel à de nombreuses espèces rares et menacées à l'échelle nationale et internationale, et constituent des refuges importants dans les paysages urbains et agricoles" (Hill et al, art cit).
Que l'Agence française pour la biodiversité n'ait pas l'honnêteté intellectuelle élémentaire d'étudier des hydrosystèmes d'intérêt, ici classés en ZNIEFF, avant leur éventuelle destruction est injustifiable. La biodiversité des milieux aquatiques et humides en France n'a pas besoin d'une annexe savante du lobby des pêcheurs de truite et saumon. Et les riverains n'ont aucune raison de prêter crédit à un discours public s'alimentant à cette déformation militante de la réalité. Notre association saisira la direction de l'AFB et le nouveau directeur de l'eau au ministère de ces dérives.
La fédération de pêche de l'Yonne et l'administration en charge de l'eau ont organisé depuis octobre 2017 la destruction sans autorisation du site de Bussières (5 ha d'étangs et zones humides, un patrimoine de l'Ancien Régime). Alors que les services de l'eau et de l'environnement se montrent extrêmement pointilleux pour des opérations de routine en gestion d'ouvrages hydrauliques, ils ont ici toléré la disparition d'un milieu aquatique et humide à haut intérêt pour la biodiversité et cela sans la moindre étude d'impact, la moindre compensation, la moindre enquête publique permettant aux citoyens de s'exprimer. Face à la mauvaise foi et à l'opacité de ses interlocuteurs, notre association a déposé une plainte pénale à Auxerre (contre la fédération de pêche) et une plainte administrative à Dijon (contre la préfecture).
L'agence française pour la biodiversité, saisie par Hydrauxois en novembre 2017, vient de nous faire parvenir après 2 relances son rapport sur le sujet. On peut le télécharger à ce lien. Elle s'est bien gardé de nous en faire copie en février, avant la destruction de l'étang, mais a préféré attendre que les pelleteuses de la fédération de pêche aient tout détruit. Tout comme les services de la DDT nous ont envoyé les pièces complémentaires demandées après le chantier.
On aurait pu s'attendre à ce qu'une agence en charge de la biodiversité, saisie de manière motivée par des citoyens, remplisse son rôle assigné par l'Etat : "préservation, gestion et restauration de la biodiversité" et "développement des connaissances, ressources, usages et services écosystémiques attachés à la biodiversité" (art L 131-8 CE). Mais le résultat est consternant :
- aucune observation sur l'hydrosystème qui va être modifié,
- aucune mesure de la superficie des zones humides asséchées,
- aucune évaluation de la biodiversité locale,
- aucune mise en garde sur les enjeux connus des étangs et zones humides, de Bussières en particulier (amphibiens, invertébrés, oiseaux d'eau, végétation spécialisée, rôle dans le retour de la loutre),
- aucune évaluation du rôle d'épuration de la retenue,
- aucune évaluation du rôle de l'étang dans la régulation des crues.
L'Agence française pour la biodiversité a été formée en janvier 2017, à la suite de la loi de biodiversité, en agrégeant notamment les personnels de l'Onema (Office national de l'eau et des milieux aquatiques) qui était lui-même issu du CSP (Conseil supérieur de la pêche).
Nous avons déjà déploré que l'AFB continue dans les biais halieutiques de l'Onema et du CSP, dont les centres d'intérêt pour la biodiversité aquatique ont toujours été très centrés sur des espèces de poisson présentant un intérêt pour les pêcheurs, ainsi que sur des milieux lotiques présentés comme idéal de "renaturation", en indifférence complète à l'évolution historique des milieux et du vivant qu'ils abritent. Plusieurs équipes de recherche ont récemment émis des interrogations sur la nature exacte de la "science" ou de l'"expertise" mobilisée dans la continuité (par exemple chez Lespez et al 2015 ou chez Dufour et al 2017).
Nous avions notamment montré que l'Onema :
- sur-représentait l'enjeu poisson parmi la biodiversité,
- sur-représentait l'enjeu continuité parmi les autres enjeux de la rivière,
- bâclait le suivi des chantiers en rivière,
- bâclait les suivis de destruction (exemple à Tonnerre),
- bâclait le diagnostic des étangs et plans d'eau,
- prenait des positions sur les ouvrages hydrauliques plus dignes des militants de la pêche que des fonctionnaires de l'Etat.
Hélas, le personnel actuel de l'AFB n'étant autre que celui de l'Onema pour ce qui est du suivi des rivières et milieux aquatiques continentaux, les mêmes problèmes persistent. Nous l'avions constaté sur les ouvrages de l'Ource. Cela se confirme à Bussières.
L'agence publique en charge de la biodiversité se comporte donc de manière inacceptable par rapport à ses missions d'étude objective et de protection du vivant. Encore récemment, une équipe de 11 chercheurs a appelé à une prise en compte urgente des mares, étangs et petits plans d'eau dans la politique des milieux aquatiques (voir Hill et al 2018). Des universitaires français ont souligné que ce "limnosystème" possède une valeur propre pour le vivant (Touchart et Bartout 2018), ainsi que diverses fonctions comme l'épuration de l'eau, appelant à une étude attentive au cas par cas avant d'intervenir (Gaillard et al 2016). Au cours des années 2000, la recherche scientifique a montré que ces milieux lentiques, souvent moins présents à l'esprit des gestionnaires et décideurs que les rivières ou les lacs, abritent pourtant une biodiversité plus importante par unité de surface. Les scientifiques écrivent : "Les mares et étangs fournissent un habitat essentiel à de nombreuses espèces rares et menacées à l'échelle nationale et internationale, et constituent des refuges importants dans les paysages urbains et agricoles" (Hill et al, art cit).
Que l'Agence française pour la biodiversité n'ait pas l'honnêteté intellectuelle élémentaire d'étudier des hydrosystèmes d'intérêt, ici classés en ZNIEFF, avant leur éventuelle destruction est injustifiable. La biodiversité des milieux aquatiques et humides en France n'a pas besoin d'une annexe savante du lobby des pêcheurs de truite et saumon. Et les riverains n'ont aucune raison de prêter crédit à un discours public s'alimentant à cette déformation militante de la réalité. Notre association saisira la direction de l'AFB et le nouveau directeur de l'eau au ministère de ces dérives.
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