Inventé dans l'Antiquité, sans doute vers le IIIe siècle avant notre ère, perfectionné par les Romains, le moulin à eau s'est diffusé en Europe de manière continue pendant 2000 ans. Si certains moulins sont installés directement au fil de l'eau, beaucoup développent précocement des chaussées barrant la rivière, formant une retenue et dérivant un bief. Cet extrait de l'historien Colin Ryne rappelle quelques-unes des premières mentions des retenues de moulins et techniques de construction d'ouvrages hydrauliques en Antiquité tardive et Haut Moyen Âge européens.
"Les premières preuves documentaires et archéologiques pour l'utilisation des retenues de moulins hors d'Irlande sont relativement rares. Les premiers barrages connus pour l'énergie hydraulique, datant de la période romaine, semblent avoir été des barrages de dérivation, construits à travers de petites rivières ou ruisseaux, où la fonction du barrage était d'élever le niveau d'un cours d'eau naturel et de le détourner en un canal d'alimentation ou une goulotte d'amenée pour un moulin. L'ouvrage au fil de l'eau ou chaussée d'un moulin à eau vertical, en roue de dessous, du IIIe siècle de notre ère, à Haltwhistle Burn Head, sur le mur d'Hadrien, consistait en un barrage de blocs de granit jetés sur un cours d'eau adjacent.
Dans la période post-romaine immédiate, la construction des chaussées de moulin est décrite dans la littérature hagiographique précoce. Au tournant du VIe siècle de notre ère, Grégoire de Tours décrit la construction d'un barrage de moulin pour le monastère de Loches : "Quand il eût amené des poteaux à travers la rivière et rassemblé des tas de pierres énormes, il construisit une chaussée et recueillit l'eau dans le canal, par la force de laquelle il fit tourner la roue du moulin à grande vitesse". La loi salique du VIe siècle de notre ère prescrit même une amende pour la destruction des barrages de moulin. Au moins un site saxon, Wharram Percy, a produit des preuves de l'existence d'un barrage de moulins avec évidence d'empierremment, pratique bien documentée plus tardivement.
La formation des retenues de moulins est cependant moins bien documentée dans les sources européennes médiévales précoces. Les retenues sont mentionnées dans le code de loi wisigothique du VIe siècle et vers 740, il y a une référence à un stagnum fluminus à Tauberischafscheim en Allemagne. La plus ancienne mention connue du composé de vieil-anglais mylepul ("millpond", retenue de moulin), par exemple, apparaît dans une charte anglo-saxonne vers 833.
Il ne fait guère de doute que dans les périodes médiévales plus tardives, les retenues de moulins étaient des caractéristiques communes du paysage. Leur entretien, associé à des dispositifs connexes comme les biefs et les écluses, s'est souvent avéré être une lourde charge financière pour les domaines seigneuriaux et monastiques. Leur fréquence était telle que les premiers juristes irlandais ont fait de grands efforts pour fournir un cadre juridique pour les droits d'eau qui les concernent, comme en témoigne la loi Coibnes Uisci Thairidne, au VIIe siècle."
Extrait de : Ryne Colin, Waterpower in Medieval Ireland, in Squatriti P (ed) (2000), Working with water in Medieval Europe. technology and ressource use, Brill, 1-49
Illustration : moulin dans le Psautier de Luttrell (1340).
14/05/2018
12/05/2018
La France gère mal les pollutions par eaux pluviales
Le site Eaux glacées de Marc Laimé a révélé un rapport du CGEDD sur les eaux pluviales, que le ministère de la Transition écologique gardait sous le coude depuis un an. Et pour cause, le rapport pointe que la France est un élève très moyen de l'Europe en matière de gestion des eaux pluviales et de ruissellement, qui sont pourtant une source majeure de pollution des rivières, des plans d'eau et des nappes phréatiques. Le CGEDD appelle à des investissements sur cette question délaissée… mais avec quel argent, quand le budget des agences de l'eau est ponctionné pour combler le déficit de l'Etat ou dilapidé dans des mesures nuisibles comme la destruction des moulins, étangs, plans d'eau, et que les collectivités se plaignent de leur manque chronique de moyens? Une minorité de masses d'eau françaises est aujourd'hui en bon état écologique et chimique au sens des directives européennes : les gestionnaires publics doivent recentrer les budgets et les priorités sur les obligations réelles de notre pays. Extraits
Une part importante de la pollution n’est pas rejetée par les stations d’épuration mais en amont de celles-ci par temps de pluie
Les enjeux de la pollution urbaine, notamment pour la conformité aux directives européennes, se déplacent des eaux usées vers les eaux pluviales : c’est sur ces dernières qu’il faudra dans les prochaines années concentrer les efforts.
En effet, l’amélioration du traitement des eaux usées collectées par temps sec révèle maintenant l’importance des rejets de temps de pluie, y compris pour les paramètres les plus classiques de la pollution. La part principale de cet enjeu concerne les réseaux dits unitaires où eaux pluviales et eaux usées sont mélangées. Cependant, bien peu de réseaux séparatifs sont exempts d’entrées d’eaux usées : les rejets des réseaux «séparatifs pluviaux», du fait notamment de ces mélanges, doivent également être pris en considération.
Les eaux pluviales et de ruissellement sont par ailleurs les vecteurs d’une part prépondérante de certains micropolluants dont des substances dangereuses prioritaires pour lesquelles des échéances et des objectifs de réduction précis ont été fixés.
Ces rejets ne peuvent être quantifiés que par des mesures dites d’autosurveillance. Pour les débits et les fréquences de débordement, l’étude comparative réalisée par le bureau Milieu LTD pour le compte de la commission européenne présenté en annexe du diagnostic détaillé montre que la France n’était pas, en 2015, parmi les pays ou les régions les plus avancés dans ce domaine (Royaume-Uni, Danemark, Wallonie, Allemagne, Irlande, Pologne) et que des efforts significatifs restent à accomplir pour rejoindre ce peloton de tête. Les données sont encore plus insuffisantes pour les flux de polluants «classiques» (DBO, DCO) portés par ces déversements. Les informations restent extrêmement pauvres pour les substances dangereuses, notamment les métaux lourds et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).
Les directives européennes induisent implicitement des contraintes fortes sur les rejets de temps de pluie
La directive «eaux résiduaires urbaines» définit celles-ci comme «les eaux ménagères usées ou le mélange des eaux ménagères usées avec des eaux industrielles usées et/ou des eaux de ruissellement» et prévoit leur collecte et leur traitement jusqu’aux événements dits «exceptionnels». La performance globale des systèmes d’assainissement (raccordement, collecte, transport, déversements et traitement) incluant les déversements de temps de pluie, constitue désormais, avec la pollution agricole diffuse et la morphologie des cours d’eau, les principaux défis pour répondre aux objectifs européens.
La directive cadre sur l’eau (DCE) et directive-cadre plus récente sur la stratégie milieux marins 2008/56/CE (DCSMM) établissent des objectifs pour mettre fin à la détérioration de l’état des masses d’eau de l’Union européenne et parvenir au bon état ou au bon potentiel des rivières, lacs et eaux souterraines et des eaux marines.
Avec une première échéance en 2021, la DCE impose la réduction des rejets de substances dites substances dangereuses. Cela concerne en particulier les substances dangereuses prioritaires (SDP) qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques, et des substances de la liste 1 de la directive 2006/11/CE «concernant la pollution causée par certaines substances déversées dans le milieu aquatique de la Communauté» dont une part est transportée par les eaux pluviales.
La gestion des eaux pluviales est notamment concernée par les objectifs de réduction de certaines substances dangereuses et ceci dès l’échéance 2021 pour les HAP et, dans une moindre mesure, pour les produits phytosanitaires. C’est essentiellement une question de maîtrise de la pollution à la source et de restriction d’usage, auxquels les systèmes de gestion à la parcelle peuvent contribuer.
Comme c’est déjà le cas sur le littoral, l’affichage d’ambitions emblématiques de baignade en rivière (par exemple à l’occasion de la candidature de Paris pour accueillir les Jeux Olympiques en 2024) peut faire du respect de la directive baignade la contrainte européenne la plus prégnante pour les rejets d’eaux pluviales en rivière.
Atteindre le bon état écologique des masses d’eau suppose de réduire sensiblement l’ensemble des flux de pollutions déversées par temps de pluie.
Les risques de non-atteinte des objectifs sont mal cernés
C’est dans les dix dernières années à peine que les directives européennes sont apparues comme contraignantes pour le temps de pluie dans l’esprit de nombre de collectivités. Les enjeux liés aux objectifs de la DERU et de la DCE se sont alors superposés, entraînant une certaine confusion dans les esprits, notamment ceux des élus, sur la nature des enjeux propres à chacune. Les précisions techniques nécessaires n’ont été explicitées au plan national que récemment par une note technique en date du 7 septembre 2015.
Il n’existe pas aujourd’hui, au plan national, une analyse globale des risques de non-conformité, une fois assurée la conformité «station» ERU, au regard de ces deux enjeux qui vont dominer les dépenses à venir :
- conformité «systèmes d’assainissement» : assurer la performance de collecte et de traitement des ERU,
-conformité DCE : atteindre le bon état des masses d’eau concernées.
La mission a collecté les études disponibles, mais n’y a pas trouvé la réponse à la question : quels sont les investissements prioritaires à prévoir à court et moyen terme pour la mise aux normes correspondant au respect de la DERU et de la DCE ?
Lien vers le rapport complet sur le site Eaux glacées
Illustration : par Photones (CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)
Une part importante de la pollution n’est pas rejetée par les stations d’épuration mais en amont de celles-ci par temps de pluie
Les enjeux de la pollution urbaine, notamment pour la conformité aux directives européennes, se déplacent des eaux usées vers les eaux pluviales : c’est sur ces dernières qu’il faudra dans les prochaines années concentrer les efforts.
En effet, l’amélioration du traitement des eaux usées collectées par temps sec révèle maintenant l’importance des rejets de temps de pluie, y compris pour les paramètres les plus classiques de la pollution. La part principale de cet enjeu concerne les réseaux dits unitaires où eaux pluviales et eaux usées sont mélangées. Cependant, bien peu de réseaux séparatifs sont exempts d’entrées d’eaux usées : les rejets des réseaux «séparatifs pluviaux», du fait notamment de ces mélanges, doivent également être pris en considération.
Les eaux pluviales et de ruissellement sont par ailleurs les vecteurs d’une part prépondérante de certains micropolluants dont des substances dangereuses prioritaires pour lesquelles des échéances et des objectifs de réduction précis ont été fixés.
Ces rejets ne peuvent être quantifiés que par des mesures dites d’autosurveillance. Pour les débits et les fréquences de débordement, l’étude comparative réalisée par le bureau Milieu LTD pour le compte de la commission européenne présenté en annexe du diagnostic détaillé montre que la France n’était pas, en 2015, parmi les pays ou les régions les plus avancés dans ce domaine (Royaume-Uni, Danemark, Wallonie, Allemagne, Irlande, Pologne) et que des efforts significatifs restent à accomplir pour rejoindre ce peloton de tête. Les données sont encore plus insuffisantes pour les flux de polluants «classiques» (DBO, DCO) portés par ces déversements. Les informations restent extrêmement pauvres pour les substances dangereuses, notamment les métaux lourds et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).
Les directives européennes induisent implicitement des contraintes fortes sur les rejets de temps de pluie
La directive «eaux résiduaires urbaines» définit celles-ci comme «les eaux ménagères usées ou le mélange des eaux ménagères usées avec des eaux industrielles usées et/ou des eaux de ruissellement» et prévoit leur collecte et leur traitement jusqu’aux événements dits «exceptionnels». La performance globale des systèmes d’assainissement (raccordement, collecte, transport, déversements et traitement) incluant les déversements de temps de pluie, constitue désormais, avec la pollution agricole diffuse et la morphologie des cours d’eau, les principaux défis pour répondre aux objectifs européens.
La directive cadre sur l’eau (DCE) et directive-cadre plus récente sur la stratégie milieux marins 2008/56/CE (DCSMM) établissent des objectifs pour mettre fin à la détérioration de l’état des masses d’eau de l’Union européenne et parvenir au bon état ou au bon potentiel des rivières, lacs et eaux souterraines et des eaux marines.
Avec une première échéance en 2021, la DCE impose la réduction des rejets de substances dites substances dangereuses. Cela concerne en particulier les substances dangereuses prioritaires (SDP) qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques, et des substances de la liste 1 de la directive 2006/11/CE «concernant la pollution causée par certaines substances déversées dans le milieu aquatique de la Communauté» dont une part est transportée par les eaux pluviales.
La gestion des eaux pluviales est notamment concernée par les objectifs de réduction de certaines substances dangereuses et ceci dès l’échéance 2021 pour les HAP et, dans une moindre mesure, pour les produits phytosanitaires. C’est essentiellement une question de maîtrise de la pollution à la source et de restriction d’usage, auxquels les systèmes de gestion à la parcelle peuvent contribuer.
Comme c’est déjà le cas sur le littoral, l’affichage d’ambitions emblématiques de baignade en rivière (par exemple à l’occasion de la candidature de Paris pour accueillir les Jeux Olympiques en 2024) peut faire du respect de la directive baignade la contrainte européenne la plus prégnante pour les rejets d’eaux pluviales en rivière.
Atteindre le bon état écologique des masses d’eau suppose de réduire sensiblement l’ensemble des flux de pollutions déversées par temps de pluie.
Les risques de non-atteinte des objectifs sont mal cernés
C’est dans les dix dernières années à peine que les directives européennes sont apparues comme contraignantes pour le temps de pluie dans l’esprit de nombre de collectivités. Les enjeux liés aux objectifs de la DERU et de la DCE se sont alors superposés, entraînant une certaine confusion dans les esprits, notamment ceux des élus, sur la nature des enjeux propres à chacune. Les précisions techniques nécessaires n’ont été explicitées au plan national que récemment par une note technique en date du 7 septembre 2015.
Il n’existe pas aujourd’hui, au plan national, une analyse globale des risques de non-conformité, une fois assurée la conformité «station» ERU, au regard de ces deux enjeux qui vont dominer les dépenses à venir :
- conformité «systèmes d’assainissement» : assurer la performance de collecte et de traitement des ERU,
-conformité DCE : atteindre le bon état des masses d’eau concernées.
La mission a collecté les études disponibles, mais n’y a pas trouvé la réponse à la question : quels sont les investissements prioritaires à prévoir à court et moyen terme pour la mise aux normes correspondant au respect de la DERU et de la DCE ?
Lien vers le rapport complet sur le site Eaux glacées
Illustration : par Photones (CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)
10/05/2018
La biodiversité se limite-t-elle aux espèces indigènes ? (Schlaepfer 2018)
Depuis sa naissance, la conservation de la biodiversité a centré son intérêt sur les espèces endémiques. Mais pour l'écologue Martin Schlaepfer, il est temps de réviser cette option. Les espèces non natives ne sont pas toutes invasives et contribuent à la biodiversité locale au même titre que d'autres. Elles rendent parfois des services écosystémiques. Et au regard de leur expansion rapide, il devient difficile de continuer à ignorer leur présence dans les milieux.
Martin A. Schlaepfer (Institut des sciences de l'environnement, Université de Genève) vient de publier un article de perspective sur la biodiversité dans la revue PLoS Biology.
Les humains ont déjà une longue histoire de protection de certains éléments de la nature. Mais, souligne le chercheur, "les concepts et les valeurs qui sous-tendent les initiatives de conservation ont toutefois changé à plusieurs reprises. Les efforts de conservation du XXe siècle ont principalement porté sur la préservation des paysages sans influence humaine et sur la prévention de l'érosion de la biodiversité, en mettant l'accent sur la protection des espèces rares contre l'extinction. Les 20 dernières années ont vu l'émergence de concepts supplémentaires qui mettent l'accent sur la résilience de la nature et les «services» que la nature contribue au bien-être humain. Ces approches novatrices sont promues par certains responsables de la conservation dans l'hypothèse qu'ils élargiront le soutien social aux objectifs de conservation."
Ces évolutions de la conservation nourrissent de nouveaux débats. Les espèces non indigènes et leur valeur en font partie. Au cours des dernières décennies, les scientifiques ont plutôt dépeint les espèces non natives d'une région comme une menace : dommages économiques, problèmes de santé, perte de biodiversité endémique. "L'opinion selon laquelle les espèces non indigènes sont potentiellement indésirables persiste dans les indicateurs utilisés pour suivre les progrès vers les objectifs de la Convention sur la diversité biologique (CDB), où elles n'apparaissent qu'en tant que prédicteurs numériques pour de futures invasions (Objectif d'Aichi 9)."
Mais, relativise Martin A. Schlaepfer, le regard des chercheurs évolue aussi à mesure que de nouvelles données apparaissent : "Plus récemment, les scientifiques ont également documenté les contributions positives potentielles des espèces non indigènes à la richesse régionale en espèces, aux objectifs de conservation, et aux services écosystémiques qu'elles apportent à certaines parties prenantes de la société".
Cela soulève les questions suivantes: "les espèces non indigènes font-elles partie de la «nature» ou de la «biodiversité» que nous souhaitons préserver? Si oui, peuvent-elles être intégrées dans un processus de planification de la conservation d'une manière qui reconnaisse leur potentiel d'effets indésirables, mais capte aussi leurs contributions positives potentielles à la biodiversité et à la société?"
Martin A. Schlaepfer répond de manière positive à ces questions, à partir de trois types d'arguments.
D'abord, l'absence d'espèces non indigènes dans les indices de biodiversité est en contradiction avec les termes de la Convention sur la diversité biologique et des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations-Unies. "La définition de la biodiversité de la CDB (Article 2) englobe les dimensions biologiques du monde (gènes, espèces, écosystèmes et leurs interactions), mais elle ne fait aucune distinction entre les formes de vie indigènes et non indigènes".
Ensuite, l'action humaine a d'ores et déjà abouti à la présence de nombreuses espèces introduites. Les ignorer devient de plus en plus difficile : "les espèces non indigènes devraient être incluses dans les indices clés de la biodiversité car elles représentent une grande partie des écosystèmes modernes et des bassins d'espèces régionaux. Les plantes et les oiseaux non indigènes peuvent constituer 50% ou plus des espèces dans certains milieux urbains, insulaires et de friches." Les décideurs politiques régionaux risquent donc de faire de mauvais choix s'ils ignorent la réalité des espèces désormais présentes dans les milieux anthropisés.
Enfin, et peut-être le plus important pour l'auteur, "les motivations de la société pour la conservation de la biodiversité évoluent et les indicateurs utilisés pour mesurer l'état de l'environnement et les progrès vers nos objectifs devraient faire de même. Les indices de biodiversité devront englober toutes les espèces s'ils doivent rester socialement pertinentes et illustrer toute la gamme de ce que l'on appelle maintenant les services (et les nuisances) écosystémiques, ou les contributions de la nature aux humains".
Discussion
Voulons-nous protéger la nature ou certaines représentations de la nature? Cette question se pose sans cesse dans les politiques écologiques, qu'elles visent la conservation ou la restauration des écosystèmes. Ces politiques ont accompagné la modernité et ont d'abord voulu épargner certaines zones de l'impact humain. Cela faisait (et fait toujours) sens. Mais ces zones ont été parfois idéalisées comme "vierges" ou "originelles", or on sait qu'en réalité, la plupart avait connu des phases d'occupation humaine depuis les colonisations paléolithiques de la planète par Homo sapiens. Le vivant change plus rapidement que nous ne le pensions voici une ou deux générations.
L'évolution récente de l'humanité produit des extinctions d'espèces, mais aussi des introductions (en plus grand nombre pour le moment en terme d'observations confirmées). A l'échelle des temps biologiques et géologiques, l'action humaine procède ainsi à un brassage des espèces à travers tous les continents sans précédent par sa vitesse – brassage dont l'influence dans l'évolution sera considérable. Car nombre d'espèces introduites devraient s'installer dans leur nouveau milieu et diverger progressivement de leurs populations mères, en particulier quand l'espèce a franchi des océans. Le changement climatique risque d'accélérer ces évolutions locales au fil des prochains siècles, avec des espèces gagnantes et perdantes. Nous avons déjà rebattu les cartes de la vie, et le phénomène ne décélère pas.
Dans le domaine de l'eau, les questions posées par Martin A. Schlaepfer méritent un examen attentif. On voit parfois des tronçons de rivières, des plans d'eau ou des sites locaux désignés comme en "mauvais état écologique" au prétexte que telle ou telle espèce endémique de poisson en est absente, ou n'y trouve pas un habitat optimal. Mais si le nouvel habitat héberge de nombreuses autres espèces, sans phénomène invasif se traduisant par une simplification du milieu ou une nuisance à la société, le choix d'intervention doit faire l'objet d'une évaluation plus fine. Il serait utile que l'agence française pour la biodiversité publie des analyses sur ces questions, qui sont pour l'instant largement ignorées des décideurs et gestionnaires. Déjà que des campagnes pilotes d'étude de la biodiversité des masses d'eau fassent le point sur les espèces présentes, leur richesse totale, la complexité de leurs réseaux trophiques et leur origine endémique ou non.
Référence : Schlaepfer MA (2018), Do non-native species contribute to biodiversity?, PLoS Biology, 16(4): e2005568
Illustration : ombre commun (Thymallus thymallus), photograpie Christian Maier, domaine public. Originaire du bassin danubien, ce poisson aimant les courants vifs a été introduit par l'homme dans divers bassins, à des fins halieutiques. Il y a établi des populations durables et s'y reproduit désormais naturellement. Le cas n'est pas isolé. Une analyse des poissons du bassin de la Seine (campagne Piren) a par exemple montré que sur 54 espèces présentes, 22 ne sont pas endémiques au bassin. Cette biodiversité acquise n'est donc plus anecdotique et a déjà modifié les guildes de poissons. La société veut-elle protéger seulement la biodiversité anciennement installée, ou l'ensemble du vivant sans considération de sa date d'installation dans une écorégion? Cette question doit être posée clairement dans le débat public.
A lire sur le même thème
La conservation de la biodiversité est-elle une démarche fixiste? (Alexandre et al 2017)
La biodiversité locale est-elle réellement en déclin? (Vellend et al 2017)
Restauration de la nature et état de référence: qui décide au juste des objectifs, et comment? (Dufour 2018)
Martin A. Schlaepfer (Institut des sciences de l'environnement, Université de Genève) vient de publier un article de perspective sur la biodiversité dans la revue PLoS Biology.
Les humains ont déjà une longue histoire de protection de certains éléments de la nature. Mais, souligne le chercheur, "les concepts et les valeurs qui sous-tendent les initiatives de conservation ont toutefois changé à plusieurs reprises. Les efforts de conservation du XXe siècle ont principalement porté sur la préservation des paysages sans influence humaine et sur la prévention de l'érosion de la biodiversité, en mettant l'accent sur la protection des espèces rares contre l'extinction. Les 20 dernières années ont vu l'émergence de concepts supplémentaires qui mettent l'accent sur la résilience de la nature et les «services» que la nature contribue au bien-être humain. Ces approches novatrices sont promues par certains responsables de la conservation dans l'hypothèse qu'ils élargiront le soutien social aux objectifs de conservation."
Ces évolutions de la conservation nourrissent de nouveaux débats. Les espèces non indigènes et leur valeur en font partie. Au cours des dernières décennies, les scientifiques ont plutôt dépeint les espèces non natives d'une région comme une menace : dommages économiques, problèmes de santé, perte de biodiversité endémique. "L'opinion selon laquelle les espèces non indigènes sont potentiellement indésirables persiste dans les indicateurs utilisés pour suivre les progrès vers les objectifs de la Convention sur la diversité biologique (CDB), où elles n'apparaissent qu'en tant que prédicteurs numériques pour de futures invasions (Objectif d'Aichi 9)."
Mais, relativise Martin A. Schlaepfer, le regard des chercheurs évolue aussi à mesure que de nouvelles données apparaissent : "Plus récemment, les scientifiques ont également documenté les contributions positives potentielles des espèces non indigènes à la richesse régionale en espèces, aux objectifs de conservation, et aux services écosystémiques qu'elles apportent à certaines parties prenantes de la société".
Cela soulève les questions suivantes: "les espèces non indigènes font-elles partie de la «nature» ou de la «biodiversité» que nous souhaitons préserver? Si oui, peuvent-elles être intégrées dans un processus de planification de la conservation d'une manière qui reconnaisse leur potentiel d'effets indésirables, mais capte aussi leurs contributions positives potentielles à la biodiversité et à la société?"
Martin A. Schlaepfer répond de manière positive à ces questions, à partir de trois types d'arguments.
D'abord, l'absence d'espèces non indigènes dans les indices de biodiversité est en contradiction avec les termes de la Convention sur la diversité biologique et des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations-Unies. "La définition de la biodiversité de la CDB (Article 2) englobe les dimensions biologiques du monde (gènes, espèces, écosystèmes et leurs interactions), mais elle ne fait aucune distinction entre les formes de vie indigènes et non indigènes".
Ensuite, l'action humaine a d'ores et déjà abouti à la présence de nombreuses espèces introduites. Les ignorer devient de plus en plus difficile : "les espèces non indigènes devraient être incluses dans les indices clés de la biodiversité car elles représentent une grande partie des écosystèmes modernes et des bassins d'espèces régionaux. Les plantes et les oiseaux non indigènes peuvent constituer 50% ou plus des espèces dans certains milieux urbains, insulaires et de friches." Les décideurs politiques régionaux risquent donc de faire de mauvais choix s'ils ignorent la réalité des espèces désormais présentes dans les milieux anthropisés.
Enfin, et peut-être le plus important pour l'auteur, "les motivations de la société pour la conservation de la biodiversité évoluent et les indicateurs utilisés pour mesurer l'état de l'environnement et les progrès vers nos objectifs devraient faire de même. Les indices de biodiversité devront englober toutes les espèces s'ils doivent rester socialement pertinentes et illustrer toute la gamme de ce que l'on appelle maintenant les services (et les nuisances) écosystémiques, ou les contributions de la nature aux humains".
Discussion
Voulons-nous protéger la nature ou certaines représentations de la nature? Cette question se pose sans cesse dans les politiques écologiques, qu'elles visent la conservation ou la restauration des écosystèmes. Ces politiques ont accompagné la modernité et ont d'abord voulu épargner certaines zones de l'impact humain. Cela faisait (et fait toujours) sens. Mais ces zones ont été parfois idéalisées comme "vierges" ou "originelles", or on sait qu'en réalité, la plupart avait connu des phases d'occupation humaine depuis les colonisations paléolithiques de la planète par Homo sapiens. Le vivant change plus rapidement que nous ne le pensions voici une ou deux générations.
L'évolution récente de l'humanité produit des extinctions d'espèces, mais aussi des introductions (en plus grand nombre pour le moment en terme d'observations confirmées). A l'échelle des temps biologiques et géologiques, l'action humaine procède ainsi à un brassage des espèces à travers tous les continents sans précédent par sa vitesse – brassage dont l'influence dans l'évolution sera considérable. Car nombre d'espèces introduites devraient s'installer dans leur nouveau milieu et diverger progressivement de leurs populations mères, en particulier quand l'espèce a franchi des océans. Le changement climatique risque d'accélérer ces évolutions locales au fil des prochains siècles, avec des espèces gagnantes et perdantes. Nous avons déjà rebattu les cartes de la vie, et le phénomène ne décélère pas.
Dans le domaine de l'eau, les questions posées par Martin A. Schlaepfer méritent un examen attentif. On voit parfois des tronçons de rivières, des plans d'eau ou des sites locaux désignés comme en "mauvais état écologique" au prétexte que telle ou telle espèce endémique de poisson en est absente, ou n'y trouve pas un habitat optimal. Mais si le nouvel habitat héberge de nombreuses autres espèces, sans phénomène invasif se traduisant par une simplification du milieu ou une nuisance à la société, le choix d'intervention doit faire l'objet d'une évaluation plus fine. Il serait utile que l'agence française pour la biodiversité publie des analyses sur ces questions, qui sont pour l'instant largement ignorées des décideurs et gestionnaires. Déjà que des campagnes pilotes d'étude de la biodiversité des masses d'eau fassent le point sur les espèces présentes, leur richesse totale, la complexité de leurs réseaux trophiques et leur origine endémique ou non.
Référence : Schlaepfer MA (2018), Do non-native species contribute to biodiversity?, PLoS Biology, 16(4): e2005568
Illustration : ombre commun (Thymallus thymallus), photograpie Christian Maier, domaine public. Originaire du bassin danubien, ce poisson aimant les courants vifs a été introduit par l'homme dans divers bassins, à des fins halieutiques. Il y a établi des populations durables et s'y reproduit désormais naturellement. Le cas n'est pas isolé. Une analyse des poissons du bassin de la Seine (campagne Piren) a par exemple montré que sur 54 espèces présentes, 22 ne sont pas endémiques au bassin. Cette biodiversité acquise n'est donc plus anecdotique et a déjà modifié les guildes de poissons. La société veut-elle protéger seulement la biodiversité anciennement installée, ou l'ensemble du vivant sans considération de sa date d'installation dans une écorégion? Cette question doit être posée clairement dans le débat public.
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05/05/2018
Contentieux, manifestation : la bataille de la Sélune est engagée
Le scandaleux projet de destruction des barrages et lacs de la Sélune suscite une opposition croissante. Le préfet de la Manche alterne des propos lénifiants et autoritaires, admettant désormais que le projet "remet en cause un mode de vie", ce qui ne calme nullement la population sacrifiée au saumon. Pendant ce temps-là, le ministre de l'écologie pratique la concertation par communiqués et tweets depuis ses bureaux parisiens, confirmant et amplifiant le mépris des riverains à l'oeuvre dans ce projet depuis ses origines. Un élu local vient de déposer un premier contentieux pendant que l'association des amis des barrages lance une série de manifestations. Nous combattrons les arrêtés de destruction devant les cours de justice, et demanderons la pause des travaux le temps que les juges disent le droit. Donc le gouvernement ferait mieux d'abattre ses cartes au lieu de multiplier des diversions inutiles.
Le 3 mai 2018, une convention de "suivi scientifique de la renaturation de la vallée de la Sélune" a été signée à Isigny-le-Buat (Manche) entre l'Etat et divers partenaires choisis. Le procédé est quelque peu étrange puisque la seule communication de l'Etat sur ce dossier de "renaturation" est un communiqué lapidaire et méprisant du ministre de la Transition écologique et solaire, ayant suscité la colère des associations, élus et riverains. Nicolas Hulot semble devenu expert de la communication par déclarations et tweets depuis son ministère (ce qui ne va pas vraiment arranger l'image d'un gouvernement perçu comme trop technocrate, trop coupé des citoyens, et en particulier en conflit avec la ruralité...)
Revenons au réel : l'Etat peut toujours multiplier des effets de communication et essayer de faire croire que son projet jouit d'un large soutien au-delà du lobby des pêcheurs de saumon et de quelques alliés de ce lobby, mais on n'efface pas deux barrages sans produire des arrêtés en ce sens. Ces arrêtés seront attaqués en justice, donc le gouvernement serait avisé de procéder dans le bon ordre et de déclarer son projet.
Au cours de la signature de cette convention à Isigny-le-Buat, le préfet de la Manche a admis : "Pour quelqu'un qui a toujours vécu avec ces paysages, c'est assez difficile et je le comprends. Quand vous avez vécu 40 ans avec un barrage, un plan d'eau élargi, forcément, ce type de projet remet en cause un mode de vie et une façon de regarder et d'aborder la rivière. Tout cela est perturbant. Ce qui explique certaines réactions un peu hostiles. Les hommes font aussi partie de ce paysage (activités humaines, agricoles, économiques, etc.). C'est souvent l'inconnu qui fait peur."
En effet, ce projet altère le cadre de vie des 20 000 riverains qui se sont exprimé à 99% contre la destruction de leur vallée aménagée. Mais ce n'est pas "la peur" qui les anime. La destruction des barrages et lacs de la Sélune est critiquée pour des raisons bien précises :
Les conséquences ne se font pas attendre.
Bernard Pinel, ex-conseiller général et maire honoraire d'Isigny-le-Buat, a déposé un recours, le 6 avril 2018 au tribunal administratif de Caen (Calvados), contre la décision d'arasement des barrages du sud-Manche.
Par ailleurs, les Amis des barrages (ADB) se mobilisent, le 5 mai 2018 à Ducey. Pour John Kaniowski, président des ADB, "il s'agit de marquer le début d'une série d'actions ponctuelles et brèves visant à montrer notre opposition à la destruction immédiate des barrages de Vezins et la Roche-qui-Boit".
L'association Hydrauxois participera aux contentieux contre les futurs arrêtés de destruction des barrages et lacs de la Sélune dans le cadre du collectif national de défense de la vallée, qui a déjà écrit à Edouard Philippe en mars dernier. Nous appelons toutes nos consoeurs à exprimer leur solidarité avec les riverains de la Sélune, et à participer en septembre prochain à la fête annuelle des barrages pour organiser la résistance aux projets inutiles et imposés de l'Etat.
Illustration: Barrage de Vezins, Christophe Jacquet, CC BY-SA 1.0
Le 3 mai 2018, une convention de "suivi scientifique de la renaturation de la vallée de la Sélune" a été signée à Isigny-le-Buat (Manche) entre l'Etat et divers partenaires choisis. Le procédé est quelque peu étrange puisque la seule communication de l'Etat sur ce dossier de "renaturation" est un communiqué lapidaire et méprisant du ministre de la Transition écologique et solaire, ayant suscité la colère des associations, élus et riverains. Nicolas Hulot semble devenu expert de la communication par déclarations et tweets depuis son ministère (ce qui ne va pas vraiment arranger l'image d'un gouvernement perçu comme trop technocrate, trop coupé des citoyens, et en particulier en conflit avec la ruralité...)
Revenons au réel : l'Etat peut toujours multiplier des effets de communication et essayer de faire croire que son projet jouit d'un large soutien au-delà du lobby des pêcheurs de saumon et de quelques alliés de ce lobby, mais on n'efface pas deux barrages sans produire des arrêtés en ce sens. Ces arrêtés seront attaqués en justice, donc le gouvernement serait avisé de procéder dans le bon ordre et de déclarer son projet.
Au cours de la signature de cette convention à Isigny-le-Buat, le préfet de la Manche a admis : "Pour quelqu'un qui a toujours vécu avec ces paysages, c'est assez difficile et je le comprends. Quand vous avez vécu 40 ans avec un barrage, un plan d'eau élargi, forcément, ce type de projet remet en cause un mode de vie et une façon de regarder et d'aborder la rivière. Tout cela est perturbant. Ce qui explique certaines réactions un peu hostiles. Les hommes font aussi partie de ce paysage (activités humaines, agricoles, économiques, etc.). C'est souvent l'inconnu qui fait peur."
En effet, ce projet altère le cadre de vie des 20 000 riverains qui se sont exprimé à 99% contre la destruction de leur vallée aménagée. Mais ce n'est pas "la peur" qui les anime. La destruction des barrages et lacs de la Sélune est critiquée pour des raisons bien précises :
- ce projet a un coût public important (au moins 50 M€) et évitable, cela ne passe pas à l'heure où tout le monde est censé se serrer la ceinture, où les collectivités manquent de moyens pour des choses essentielles, où l'Etat peine à financer des dépenses publiques prioritaires,
- ce projet contredit la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement, en détruisant des outils de production bas-carbone déjà en place et pouvant produire plusieurs décennies encore,
- ce projet anéantit un écosystème de lacs et les espèces qui en profitent, ainsi que les services écosystémiques associés à ces lacs,
- ce projet met en danger l'aval et la baie du Mont Saint-Michel (pollution, inondation),
- ce projet prive la population de réserves d'eau alors que tous les modèles prévoient une instabilité hydro-climatique croissante et une aggravation des étiages,
- ce projet a des bénéfices très modestes pour le saumon (1300 géniteurs au maximum) et disproportionnés à ses coûts par rapport aux standards internationaux en restauration de continuité migrateurs sur des grands barrages,
- ce projet a une alternative énergétique et écologique viable, y compris pour transporter le saumon à l'amont des barrages et déjà vérifier que les habitats y sont propices à sa reproduction, ce qui n'est nullement garanti.
Les conséquences ne se font pas attendre.
Bernard Pinel, ex-conseiller général et maire honoraire d'Isigny-le-Buat, a déposé un recours, le 6 avril 2018 au tribunal administratif de Caen (Calvados), contre la décision d'arasement des barrages du sud-Manche.
Par ailleurs, les Amis des barrages (ADB) se mobilisent, le 5 mai 2018 à Ducey. Pour John Kaniowski, président des ADB, "il s'agit de marquer le début d'une série d'actions ponctuelles et brèves visant à montrer notre opposition à la destruction immédiate des barrages de Vezins et la Roche-qui-Boit".
L'association Hydrauxois participera aux contentieux contre les futurs arrêtés de destruction des barrages et lacs de la Sélune dans le cadre du collectif national de défense de la vallée, qui a déjà écrit à Edouard Philippe en mars dernier. Nous appelons toutes nos consoeurs à exprimer leur solidarité avec les riverains de la Sélune, et à participer en septembre prochain à la fête annuelle des barrages pour organiser la résistance aux projets inutiles et imposés de l'Etat.
Illustration: Barrage de Vezins, Christophe Jacquet, CC BY-SA 1.0
03/05/2018
Après des effacements d'ouvrages, des truites plus nombreuses mais plus petites (Birnie‐Gauvin et al 2018)
Des scientifiques et techniciens danois ont étudié les conséquences sur la truite de mer (Salmo trutta) de l'effacement de six petits ouvrages sur une rivière du Jutland. Les jeunes adultes dévalant sont plus nombreux après le chantier. Leur taille moyenne a en revanche diminué. Résultats et commentaires.
K. Birnie‐Gauvin et cinq collègues danois, spécialisés en ichtyologie (Centre du saumon sauvage de Randers ; département d'écologie des pêcheries d'eaux douces de l'Université technique de Silkeborg ; centre de biologie du poisson de l'Université de Copenhague), ont analysé l'évolution des truites de mer (S. trutta) dans la rivière de Villestrup, au nord-est du Jutland. Le module du cours d'eau est de 1,1 m3/s. Il se jette dans fjord Mariager, connecté au passage du Cattégat (mer Baltique).
Sur cette rivière, 6 ouvrages hydrauliques de petites dimensions ont été effacés entre 2005 et 2012 (voir carte ci-dessus). La hauteur des ouvrages variait de 0,1 à 1,9 m (la plupart au-dessus de 1,5 m). Leurs retenues mesuraient 180 à 800 m de long.
Les auteurs ont analysé les propriétés des smolts (jeunes adultes matures redévalant en mer après leur croissance en rivière) à l'embouchure de la Villestrup entre 2004 et 2016. Le tableau ci-dessous en donne les caractéristiques (cliquer pour agrandir).
Ainsi :
Sur cette baisse de taille, les auteurs notent : "Il est possible que, à la suite de l'enlèvement des ouvrages, les poissons plus petits aient également réussi à migrer en aval, plutôt que les poissons plus gros seulement, qui sont probablement plus aptes à échapper aux prédateurs dans les zones de retenue ou à franchir les obstacles."
Les auteurs concluent : "Nos résultats suggèrent que l'élimination complète des barrières a plusieurs implications importantes pour les pêcheries d'eau douce et la gestion des rivières. L'effacement d'ouvrage augmente vraisemblablement le nombre de poissons adultes capables de migrer en amont et de frayer, peut-être en raison d'une diminution des blessures au niveau des obstacles, de la diminution de la dépense énergétique pour atteindre les frayères (les adultes n'ont plus à investir de l'énergie pour surmonter l'ouvrage), et en rendant les tronçons franchissables".
Discussion
La monographie de K. Birnie‐Gauvin est assez classique dans la littérature des sciences halieutiques soulignant l'intérêt de la connectivité pour les poissons migrateurs. Mais les études sur les petits ouvrages, comme celle-ci, sont assez rares à ce jour.
Les auteurs se félicitent du résultat observé et avancent l'intérêt de déployer ces schémas d'effacement quand ils sont possibles. Le fait est que les effacements d'ouvrages sont favorables aux espèces migrant en montaison et appréciant des habitats lotiques plutôt que de retenues, comme les truites de mer. On se permettra quelques remarques critiques :
Référence : Birnie-Gauvin K et al (2018), River connectivity reestablished: Effects and implications of six weir removals on brown trout smolt migration, River Res Applic., doi.org/10.1002/rra.3271
A lire sur le même thème
Les ouvrages hydrauliques peuvent-ils faire évoluer des poissons vers la sédentarité? (Branco et al 2017)
200 générations de truites dans un hydrosystème fragmenté (Hansen et al 2014)
Ce que l'on sait (et ne sait pas) de la truite commune
Truites de mer de la Touques : heurs et malheurs de la restauration de continuité
K. Birnie‐Gauvin et cinq collègues danois, spécialisés en ichtyologie (Centre du saumon sauvage de Randers ; département d'écologie des pêcheries d'eaux douces de l'Université technique de Silkeborg ; centre de biologie du poisson de l'Université de Copenhague), ont analysé l'évolution des truites de mer (S. trutta) dans la rivière de Villestrup, au nord-est du Jutland. Le module du cours d'eau est de 1,1 m3/s. Il se jette dans fjord Mariager, connecté au passage du Cattégat (mer Baltique).
Sur cette rivière, 6 ouvrages hydrauliques de petites dimensions ont été effacés entre 2005 et 2012 (voir carte ci-dessus). La hauteur des ouvrages variait de 0,1 à 1,9 m (la plupart au-dessus de 1,5 m). Leurs retenues mesuraient 180 à 800 m de long.
Les auteurs ont analysé les propriétés des smolts (jeunes adultes matures redévalant en mer après leur croissance en rivière) à l'embouchure de la Villestrup entre 2004 et 2016. Le tableau ci-dessous en donne les caractéristiques (cliquer pour agrandir).
Tableau in Birnie-Gauvin K et al 2018, art cit, droit de courte citation
- on passe de 1660 individus avant les effacements en 2004 à 8185 individus en 2016, avec une pointe à 19105 en 2015
- la taille moyenne évolue de 16,3 ± 3.0 cm en 2004 à 13,2 ± 2,2 cm en 2016, avec une régression régulière sur la période.
Sur cette baisse de taille, les auteurs notent : "Il est possible que, à la suite de l'enlèvement des ouvrages, les poissons plus petits aient également réussi à migrer en aval, plutôt que les poissons plus gros seulement, qui sont probablement plus aptes à échapper aux prédateurs dans les zones de retenue ou à franchir les obstacles."
Discussion
La monographie de K. Birnie‐Gauvin est assez classique dans la littérature des sciences halieutiques soulignant l'intérêt de la connectivité pour les poissons migrateurs. Mais les études sur les petits ouvrages, comme celle-ci, sont assez rares à ce jour.
Les auteurs se félicitent du résultat observé et avancent l'intérêt de déployer ces schémas d'effacement quand ils sont possibles. Le fait est que les effacements d'ouvrages sont favorables aux espèces migrant en montaison et appréciant des habitats lotiques plutôt que de retenues, comme les truites de mer. On se permettra quelques remarques critiques :
- la rivière avec ses ouvrages n'était pas dépourvue de truites de mer, elle en présentait une moins grande densité (ce qui pose la question de la finalité et la proportionnalité des chantiers, quand l'espèce-cible est déjà présente);
- la diminution régulière de taille moyenne suggère (sans en apporter la preuve formelle cependant) que les obstacles opéraient un filtre sélectif, en favorisant la reproduction des truites de grande taille. Des adaptations de ce genre ont déjà été observées, et mériteraient plus ample examen. On se pose en effet la question de prioriser les aménagements d'ouvrages selon leur perméabilité et leurs effets;
- l'étude se focalise sur une seule espèce d'intérêt halieutique, mais ne dit rien des autres espèces présentes dans la rivière fragmentée, de la diversité alpha et bêta des zones de retenues avant et après l'opération d'effacement, des dimensions autres qu'écologiques associées aux ouvrages. Ce n'est plus une manière correcte et suffisante selon nous de justifier des choix de restauration de continuité en long.
Référence : Birnie-Gauvin K et al (2018), River connectivity reestablished: Effects and implications of six weir removals on brown trout smolt migration, River Res Applic., doi.org/10.1002/rra.3271
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