04/09/2018

Ministère de l'écologie : le besoin d'une politique pragmatique et durable

Ce jour a vu la nomination du 6e ministre de l'écologie depuis la création de l'association Hydrauxois. Quelques réflexions sur la difficulté de ce ministère à définir un cadre stable et partagé pour les politiques de l'environnement. 


François de Rugy, nouveau ministre de l'écologie (source CC SA-BY-4.0).

Depuis sa création en 2012, notre association a connu 6 ministres de l'écologie (N. Bricq, D. Batho, P Martin, S. Royal, N. Hulot, F. de Rugy), pour seulement deux présidents et deux législatures. Nous regrettons cette instabilité politique, à plusieurs titres.`

D'abord, l'écologie est le domaine du temps long et des choix structurants dans de nombreux domaines : eau, énergie, agriculture, transport, logement, territoire, etc. Il est déplacé d'en faire un symbole de l'inconstance politique. Ensuite, il est forcément inefficace pour l'action publique d'avoir une valse trop rapide de ministres qui doivent s'installer avec leurs cabinets dans les lieux, prendre connaissance de dossiers généralement très techniques, identifier les acteurs, poser leurs visions, etc. Enfin, la volatilité de la direction politique laisse le champ libre à la haute administration comme seul élément stable pour définir les directions des choix publics. Or, comme nous l'avons analysé en détail sur le cas particulier des ouvrages en rivières, ces hauts fonctionnaires (qui ne sont pas élus) ont tendance à imposer leur propre idéologie sur les sujets qu'ils administrent, cela sans avoir à en répondre directement devant les représentants des citoyens. C'est très insatisfaisant au plan démocratique.

En quittant son poste après seulement 15 mois d'exercice, Nicolas Hulot a délivré un message assez désespérant, brossant le tableau d'un pouvoir qui serait soumis aux lobbies et qui ne pourrait prendre aucune des décisions nécessaires pour l'écologie, accusant les citoyens d'être trop indifférents aux questions de climat, de biodiversité et de pollution.

Ce diagnostic très sombre doit être pour le moins nuancé.

Concernant les lobbies, leur existence est indéniable, mais elle n'est pas anormale dans une démocratie contemporaine où, au-delà de l'élection définissant les grandes orientations publiques, les élus comme les fonctionnaires ont vocation à entendre le message des groupes organisés qui défendent des intérêts, des valeurs, des causes, des professions etc. Il faut d'ailleurs y intégrer aussi bien les lobbies qui soutenaient l'ancien ministre (ONG écologistes, industriels du renouvelable, du bio, de l'apiculture, etc.) et qui expriment soit les intérêts de secteurs économiques de la transition écologique, soit les avis de citoyens. Ce qui n'est pas acceptable, c'est le manque de transparence sur le rôle des lobbies et le manque de rationalité dans les choix publics. Nous l'avons par exemple souligné dans la politique de l'eau : le poids des lobbies agricoles explique le retard sur le traitement de certaines pollutions chimiques comme le poids du lobby pêcheur et de certains lobbies conservationnistes explique le choix aberrant de détruire un grand nombre de moulins et barrages. Dans l'un et l'autre cas, c'est la grande masse des riverains qui n'est pas entendue, c'est-à-dire que les pouvoirs publics écoutent certains lobbies au lieu d'entendre tous les groupes pertinents pour co-construire des politiques publiques.

Au regard des enjeux écologiques, Nicolas Hulot s'est plaint de la politique des "petits pas" et de la grande difficulté de son ministère à gagner des arbitrages face à ses collègues, notamment l'économie et les finances. En 1974, le premier ministre de l'environnement de l'histoire politique française, Robert Poujade, avait déjà décrit son poste comme le "ministère de l'impossible".

On peut se demander si Nicolas Hulot était réellement à sa place à la tête du ministère, ses multiples confessions aux médias de doutes et de déchirements depuis 15 mois suggérant que ce n'était pas le cas. L'écologie de gouvernement et de terrain est soumise à la contrainte du réalisme, contrairement à l'écologie de contestation qui peut se permettre d'avancer des idéaux sans avoir à vérifier leur partage par tous les citoyens, leur impact sur des secteurs économiques ou leur compatibilité avec les finances publiques. En devenant l'affaire de tous et non plus le combat d'une minorité, ce qui est une bonne nouvelle, l'écologie affronte forcément la complexité des sociétés, où tous les choix humains ne sont pas dictés par les seuls paramètres environnementaux. Il ne faut pas y raisonner en termes de victoires ou de défaites d'un "camp" contre un autre, mais plutôt en recherche des meilleurs compromis provisoires.

Notre expérience associative montre que les Français sont réellement intéressés par l'amélioration de leur cadre de vie, la défense de leur paysage, la promotion d'énergies nouvelles, la préservation de la biodiversité, la protection de la santé. Mais, assez logiquement, ils sont aussi soucieux d'enjeux comme la vitalité économique des territoires ou la préservation d'un pouvoir d'achat. Comme l'argent public est rare, les citoyens souhaitent aussi qu'il soit employé à bon escient : à la fois pour ne pas altérer davantage l'environnement et, quand cet argent public finance des projets écologiques, pour choisir les meilleures options.

La France souffre aussi d'un travers peu souligné par les commentateurs de la démission de Nicolas Hulot : la centralisation du pouvoir, le fonctionnement très vertical de l'administration, la concentration de l'attention médiatique sur des personnalités très en vue à Paris, la faible autonomie fiscale et décisionnnelle des collectivités tendent à dévitaliser la démocratie (qui devient une technocratie lointaine) et à augmenter la "conflictualité idéologique" dans les politiques publiques. Ce problème est particulièrement manifeste dans l'environnement : si certains défis sont globaux, les réponses et les actions sont toujours locales. On étudie la biodiversité, on lutte contre des pollutions et on cherche des sources d'énergie renouvelable dans des lieux donnés, pour une population donnée. Redéployer les politiques écologiques en faisant monter les compétences des régions et des intercommunalités, en donnant du jeu local à l'interprétation des directives et des lois, en assurant la participation accrue des citoyens aux décisions ultimes irait dans un sens plus favorable à l'appropriation des enjeux environnementaux.

François de Rugy, nouveau ministre, a défendu une "écologie pragmatique et concrète". Il a par ailleurs appelé dans le passé à une manière plus concertée et ouverte de gouverner. Il a enfin porté l'idée d'une France à l'énergie 100% renouvelables en 2050.  Nous aurons donc à coeur de lui soumettre dès ce mois de septembre la question de la continuité écologique et de la destruction des ouvrages hydrauliques, qui a donné lieu à toutes les dérives d'une (soi-disant) écologie dogmatique, autoritaire et irréaliste depuis 10 ans.

27/08/2018

La Romanée à sec en aval de Bussières

La rivière Romanée, affluent du Cousin, est à sec à l'aval de l'étang de Bussières, qui a été détruit par la fédération de pêche de l'Yonne l'hiver dernier, sur financement public à 80% mais sans aucune consultation ni même information des citoyens. Une rivière de pierres avec de-ci de-là quelques flaques chaudes et irisées… ce n'est certainement pas dans cette discontinuité hydrique radicale que la faune aquatique de la rivière trouvera un milieu idéal, en particulier les truites qui sont censées être l'espèce cible des pêcheurs. Rappelons que l'affaire de la destruction de l'étang de Bussières est actuellement en contentieux judiciaire et administratif, aucune étude d'impact et de biodiversité n'ayant été réalisée avant travaux, qui ont fait disparaître 5 ha de zones humides pour (soi-disant) "renanturer" la Romanée.


24/08/2018

La continuité sédimentaire passe-t-elle par l’arasement systématique des seuils? Une analyse critique

"La continuité amont-aval est un principe bien trop simplifié dans sa mise en œuvre actuelle ; elle devrait faire l’objet de réflexions plus approfondies alors que les projets de déséquipement des rivières sont massifs" : tel est le constat de Jean-Paul Bravard. Ce chercheur compte parmi les scientifiques internationalement reconnus qui ont construit depuis plusieurs décennies les outils de la gestion intégrée des bassins versants. Extraits de son analyse critique de la question sédimentaire au sein de la continuité, où l'auteur produit plusieurs propositions pour refonder les choix publics de continuité sur des priorités scientifiquement mieux établies. 


Un suivi sédimentaire et morphologique local après effacement de barrage, le retenue de Pierre Glissotte dans le Morvan (exemple extrait de Gilet et al 2018). 

Préconisations pour une gestion apaisée de la complexité

4.5.1. Classer les bassins hydrographiques et les cours d’eau actuels par rapport aux flux de sédiments grossiers
Les mesures prises en faveur de la continuité sédimentaires devraient prioritairement classer les rivières en fonction des critères suivants basés sur les principes des bilans sédimentaires:

  • Localisation des entrées sédimentaires dans le système fluvial et estimation des volumes concernés
  • Mesure des transits pour des débits de référence
  • Tendance du bilan depuis un siècle,
  • Perspectives pour les décennies à venir,
  • Exemples de seuils retenant réellement des sédiments utiles à l’aval,
  • Rôle éventuellement positif des seuils de moulins pour maintenir les matériaux dans le linéaire fluvial (à l’exception des barrages)
  • Eventuelle prise en considération des effets du changement climatique sur l’hydrologie et la mobilisation des sédiments du lit.

4.5.2. Promouvoir une recherche scientifique critique
Si la recherche se développe dans le champ des sciences humaines sur les aspects territoriaux et sociaux de l’acceptation de l’arasement de seuils (Barraud et Germaine, 2017), en revanche la recherche pratiquée dans le champ du milieu physique reste encore trop limitée. Une des raisons est que les sources de financement sont réduites et que les chercheurs, sauf exceptions notables, sont contraints de se tourner vers d’autres sujets.

Il conviendrait de multiplier :

  • La recherche sur les liens existant entre les arasements envisagés et l’espace latéral (berges et plaine alluviale) ou « espace de bon fonctionnement ». Cette intégration des perspectives (le chenal et la plaine alluviale/lit majeur) est nécessaire avant toute décision réfléchie.
  • Des recherches fondamentales, c’est-à-dire non finalisées, seules capables de faire avancer des questions dans une perspective scientifique. La question des bilans sédimentaires à plusieurs échelles est la plus importante. Celle des héritages du passé qui pèsent aujourd’hui sur les choix : L. Lespez et al. (2015) interrogent la naturalité des rivières normandes. Les défrichements et les seuils anciens ont favorisé les débordements, donc la sédimentation sur la plaine. ils ont contribué à la chenalisation pendant des siècles. Il ne s’agit pas d’étudier la dégradation cumulative des écosystèmes mais celle de systèmes complexes dans lesquels les héritages sédimentaires interagissent avec les processus (le système déstocke depuis un siècle). La restauration naturelle de rivières à faible énergie est à peu près inaccessible ; il n’est pas possible, faute de disposer d’une énergie suffisante d’espérer « travailler avec la rivière ».
  • L’analyse scientifique de retours d’expérience devrait être menée dans les règles après des arasements de seuils. La procédure en vigueur est souvent minimale quand elle est demandée. Les suivis doivent avoir une durée suffisante et concerner des éléments diversifiés.

4.5.3. Préconisations en matière de conciliation de politiques en apparence contradictoires
Un des aspects fondamentaux du succès de la gestion à venir sera la capacité des gestionnaires à réussir à donner de la cohérence à des politiques qui, dans l’espace des fonds de vallées, paraissent contradictoires et mènent parfois à des conflits. Le « forcing » fait sur la continuité pose la question de la compatibilité de cette dernière avec d’autres démarches :

  • La ralentissement dynamique des crues - La suppression des obstacles transversaux abaisse la ligne d’eau pour le débit moyen et réduit plus ou moins le débit des eaux inondantes à la surface du lit majeur (OCE, 2013). Or des recherches ont été effectuées depuis le milieu du XIXe siècle pour démontrer le bienfait des obstacles dans ce domaine (des seuils, indépendamment des barrages réservoirs ou barrages à pertuis). Des ingénieurs d’état ont encouragé la construction de seuils dans le bassin de la Loire et les Cévennes après la crue de 1856 pour favoriser des débordements dans les hauts bassins et contribuer à réduire les crues. Plus récemment, cette politique a été recommandée par le CEMAGREF à partir de 1992: il s’agit des pratiques du « ralentissement dynamique des crues », les débordements organisés réduisant la vitesse et le volume d’une onde de crue (Oberlin, 1994 ; Desbos, 1997 ; Oberlin & Poulard, 2002 ; CEMAGREF, 2004 ; Degoutte, 2009 ; Poulard et al., 2009). Le ralentissement dynamique s’est d’ailleurs trouvé en contradiction avec la politique du MEDD qui dans les années 1990 a financé la lutte contre les inondations au moyen du nettoyage des chenaux; les encombrements n’étaient-ils pas une forme de version naturaliste du ralentissement dynamique ? Nettoyer les embâcles d’une rivière, c’est aussi supprimer des habitats potentiels (et naturels...), c’est une démarche d’ingénieur.
  • La production énergétique à partir de ressources renouvelables – Afin de réduire les émissions à effet de serre et la dépendance de la Communauté européenne à l’égard des importations d’énergie, la CE a publié la Directive n° 2009/28/CE du 23 avril 2009 ; celle-ci encourage la production d’hydroélectricité, l’eau étant une ressource renouvelable. Les énergies de ce type devraient en principe représenter 20% de la consommation de la Communauté d’ici à 2020. Différentes formules de production sont possibles et l’accroissement de l’efficacité énergétique des ouvrages existants est recommandé. La politique de continuité écologique et les pressions qui s’exercent en sa faveur s’accommodent mal de la transformation de moulins en microcentrales, même si les techniques adoptées sont censées réduire ou supprimer les dommages occasionnés aux espèces (vis d’Archimède, turbines à larges pales et vitesse lente).
  • Plans d’eau et écologie - Les plans d’eau aménagés, notamment les étangs retenus par des seuils ou des chaussées, sont considérés de manière négative dans le cadre du rétablissement de la continuité. Leur réhabilitation passe par leur étude en temps qu’écosystèmes lentiques complexes ou « limnosystèmes » (Touchart et Bartout, 2018). De nature géographique, le limnosystème valorise des biocénoses à gradient vertical du cycle biosynthèse- biodégradation ; les biocénoses des étangs contrastent avec les biocénoses des milieux lotiques à gradient longitudinal. Eléments de nature lentique, les étangs (tout comme les lacs) sont considérés comme étrangers au système fluvial stricto sensu et à la continuité érigée en principe théorique. Que faire par exemple du Lac Léman dans le continuum rhodanien ? Les étangs sont cependant une composante pleine et entière des hydrosystèmes, dotée de vertus propres en matière écologique et porteuse de biodiversité. Touchart et Bartout montrent qu’ils interagissent avec les écosystèmes lotiques d’amont et d’aval ; et en tant qu’isolats favorisant l’endémisme, ils interagissent avec l’ensemble du réseau hydrographique. Les étangs sont aussi un type d’anthroposystème riche, diversifié et porteur d’une histoire (l’archétype en est le système des étangs de la Dombes dont on imagine mal la remise en question).
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20/08/2018

Combler les lacunes des connaissances dans la restauration de rivière (Zingraff-Hamed 2018)

Dans une thèse doctorale venant d'être soutenue et ayant donné lieu à 5 publications scientifiques revues par les pairs,  Aude Zingraff-Hamed étudie la restauration de rivière, en particulier ses dimensions sociales, le suivi de ses résultats écologiques et ses particularités en milieu urbain. Dans l'introduction de cette thèse, la doctorante revient sur les lacunes de nos connaissances dans la restauration de rivière, telles qu'elles sont aujourd'hui reconnues par la communauté des chercheurs. La recherche menée pour la thèse montre notamment que des objectifs sociaux, économiques et écologiques peuvent entrer en conflit. Cela pose diverses questions. Pourquoi a-t-on choisi de planifier et financer en France, à hauteur de centaines de millions € par an, des interventions systématiques en rivière alors même que la connaissance scientifique sur les effets de ces interventions est encore reconnue comme en construction ? Pourquoi joue-t-on aux apprentis sorciers sur des mesures qui changent substantiellement, parfois sur des vallées entières, les écoulements en place, les paysages, les berges et les usages au lieu de procéder d'abord à des expérimentations pour confirmer certaines hypothèses de travail et vérifier l'absence d'effets secondaires indésirables? Extraits. 




Extrait de l'introduction : lacunes des connaissances en matière de restauration de rivière

"Une première lacune est la caractérisation et la définition des projets qui devraient être davantage axées sur, et adaptées aux, pratiques. Les projets de restauration sont nombreux et variés mais ont été regroupé dans un désir d’unité de la communauté scientifique sous le même terme de restauration de rivière (river restoration) (SER 2004). Cependant, de nombreuses sous-catégories existent, comme par exemple réhabilitation, renaturation, et revitalisation. De nombreuses définitions de ces actions ont été formulées se recoupant et étant utilisées différemment selon le contexte linguistique et culturel des projets (Morandi 2014). La confusion résultante a engendré des biais qui mettent en danger la comparaison des projets et les processus d’apprentissage par les expériences passées. La communauté scientifique et les praticiens ont formulé un besoin accru pour une caractérisation et une définition des différents types de projets basés sur des exemples pratiques et intégrants une approche socio-écologique (Jenkinson et al. 2006; Bernhardt et al. 2007a). Quelles sont les différents types de restauration de rivière ? La recherche doctorale s’intéressera dans un premier temps à la définition et caractérisation des différents types de projets de restauration se basant sur un inventaire des pratiques.

Une seconde lacune concerne les bases de données existantes qui sont incomplètes. L’écologie de la restauration est une science expérimentale qui évolue grâce au partage d’expérience. C’est pourquoi, un grand effort a été fourni afin de recenser les projets de restauration (Bernhardt et al. 2005; Jenkinson et al. 2006; Nakamura et al. 2006; Bernhardt et al. 2007b; Brooks & Lake 2007; Kondolf et al. 2007; Feld et al. 2011; Morandi & Piégay 2011; Aradóttir et al. 2013; Barriau 2013; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014; Kail et al. 2016; Muhar et al. 2016; Speed et al. 2016). Cependant, Jenkinson et Barnas (2006) ont souligné que les bases de données ne recensent qu’une petite proportion de l’effort global. Malgré de nombreux fonds européens dédiés à la création de bases de données publiques (par exemple REFORM ou RiverWiki) et de grands moyens humains déployés, les bases de données restent incomplètes et ces inventaires sont marqués par une grande différence entre les pays européens. Cette recherche doctorale participera à combler ce manque.

Une troisième lacune est le manque de connaissance sur les restaurations de rivières urbaines. Alors qu’aux États-Unis, les restaurations en milieu urbain attirent les efforts et moyens (Bernhardt et al. 2005; Hassett et al. 2007), ils sont particulièrement faiblement représentés au sein des bases de données européennes. La recherche en laboratoire urbain est particulièrement importante parce que la population mondiale croît rapidement et les aires urbaines à forte densité vont absorber une majeure partir de cette croissance (U.N 2014). Alors qu’en 1952, la plus grande ville était New York (U.S.A) avec à peine huit millions d’habitants, en 2001, dix-sept étaient plus peuplées qu’elle et elles étaient quarante-quatre en 2010. En 2030, 85% de la population d’Europe et d’Amérique du Nord vivra en milieu urbain (U.N 2014). Cette croissance démographique couplée à celle des aires urbaines n’est pas sans répercussion sur les espaces naturels. L’urbanisation a d’ores déjà engendré des dégradations écologiques majeures, et les rivières urbaines sont davantage touchées par l’impact anthropique que leur tronçons ruraux (EEA 2012; Yuan et al. 2017). Leurs dysfonctionnements sont caractéristiques et ont été nommées urban river syndrom (Walsh et al. 2005). De plus, malgré un intérêt croissant des populations citadines pour les rivières urbaines (Bethemont & Pelletier 1990; Brown 1999; Booth et al. 2004; Bonin 2007; Akers 2009; Castonguay & Samson 2010; Costa et al. 2010; Romain 2010a; Romain 2010b; Kehoe 2011; Brun & Simoens 2012; PUB 2012; Mahida 2013; Chou 2016; Smith et al. 2016; Wantzen et al. 2016), celles-ci sont particulièrement difficiles à restaurer (Bernhardt et al. 2005; Bernhardt et al. 2007a). La recherche sur les rivières urbaines reste peu développée (Moran 2007; Francis 2012), mais à cause de ses particularités, les résultats de recherches menées en milieu rural sont difficilement extrapolables au milieu urbain. Ainsi une recherche spécifique devrait constituer un apport intéressant pour la science. Quelle sont les particularités des restaurations en milieux urbain ? Cette étude doctorale va établir la différence de pratiques en fonction du contexte géographique, soit urbain ou rural, comparant des projets réalisés dans un même contexte législatif et culturel.

Une quatrième lacune traitée dans cette étude est qu’alors que les rivières sont reconnues comme un système socio-écologique, peu de considération a été accordée à l’identification des forces motrices sociétales des projets de restauration. La dégradation écologique des écosystèmes et la perte relative en services écosystémiques ont été définies comme les principales forces motrices des projets de restauration (Galatowitsch 2012). Cependant, l’effet de forces indirectes telles que morale, idéologique, politique, démographique et économique n’a été que supposé (Clewell & Aronson 2006; Baker et al. 2014) et peu d’attention a été accordé à leur identification et à l’estimation de leur influence sur les pratiques de la restauration (Eden & Tunstall 2006; Grêt-Regamey et al. 2016; Parr et al. 2016). Quelles sont les forces motrices sociétales de la restauration ? Cette étude s’intéresse à l’impact les forces motrices législative, politique, culturelle et idéologique sur les pratiques de la restauration.

Une cinquième lacune concerne l’évaluation du succès des projets. Elle est une condition nécessaire pour comprendre les expériences passées et apprendre d’elles. La revue littéraire expose les six limitations majeures des procédures d’évaluation actuelles : 1) les données sont manquantes ou partielles car peu de projets réalisent un suivi (Bernhardt et al. 2005; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014); 2) L’utilisation d’une référence historique est utopique (SER 2004; Moss 2008; Dufour & Piégay 2009; Josefsson & Baaner 2011; Belletti et al. 2015; Bouleau & Pont 2015), et les sites de références sur le même cours d’eau sont souvent inexistants (Morandi et al. 2014; Bouleau & Pont 2015); 3) Les indicateurs biologiques ont un pouvoir limité pour expliquer les causes de succès et d’échec (Niemi & McDonald 2004; Friberg et al. 2011; Smucker & Detenbeck 2014); 4) Les indicateurs utilisés ne sont pas représentatifs des objectifs de la restauration (Pickett et al. 1997; Meyer et al. 2005; Walsh et al. 2005; Morandi et al. 2014) et les indicateurs sociaux sont manquants (Rogers & Biggs 1999; Chiari et al. 2008; Jaehnig et al. 2011; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014); 5) Lorsqu’une évaluation est réalisée, elle est faite sur le court terme (Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014), mais les espèces nécessitent de plus longues périodes pour se rétablir (Haase et al. 2013; Morandi et al. 2014; Kail et al. 2015); et 6) Les zones rivulaires ne font pas partie de la zone de suivi (Januschke et al. 2011; Morandi et al. 2014). Les praticiens nécessitent une méthode qui dépasse ces limites et évalue les conflits potentiels. La modélisation des habitats utilisant la méthode CASiMiR et présentée dans cette étude. Elle est un outil prometteur pour combler les lacunes existantes.

Enfin, l’évaluation écologique des projets de restauration n’est pas réaliste si elle ne considère pas les aspects sociaux (Wortley et al. 2013) et plus particulièrement les interactions décrites par le concept de système socio-écologique (Berkes & Folke 1998; Berkes et al. 2003; Ostrom 2009; Hinkel et al. 2014). L’interaction des hommes avec l’écosystème fluvial a conduit à la dégradation des habitats. Ainsi, la pression des usages devrait être intégrée à l’évaluation des projets afin d’identifier les conflits et de formuler des solutions. Cette étude doctorale va aborder le cas de deux usages, soit les usages récréatifs et productifs, c’est-à-dire la production d’énergie hydro-électrique. Elle traite des deux questions suivantes : Est-ce que les usages récréatifs limitent le succès écologique des projets de restauration ? Est-ce que la diminution de l’exploitation de la ressource pour produire de l’énergie accroît les résultats de la restauration morphologique des rivières ?"

Référence : Zingraff-Hamed A. (2018), Urban River Restoration : a socio-ecological approach, Technische Universität München - Université de Tours

13/08/2018

Quand la cigogne noire colonise une retenue de moulin

Moins connue que sa cousine blanche, la cigogne noire est un oiseau migrateur qui recolonise depuis quelques années les forêts de Champagne et Bourgogne. Parmi ses habitats : les retenues de moulins et zones humides annexes de faible profondeur, où elle trouve une nourriture abondante. Exemple à Saint-Broing-les-Moines, en Châtillonnais.


Cigogne noire juvénile en pêche, film LPO.

La cigogne noire (Ciconia nigra) est un oiseau migrateur qui, lors de son séjour en Europe après un hivernage africain, fréquente les forêts à vieux arbres, proches de ruisseaux, étangs et zones humides. Elle se nourrit d'insectes, de poissons et d'amphibiens.

Après voir quasiment disparu de nos contrées, la cigogne noire est de retour en France, et notamment en Châtillonnais (Côte d'or), sur le territoire du futur parc national des forêts de Champagne et Bourgogne.

On peut voir dans les photos ci-dessous l'un des coins qu'elle vient coloniser chaque année : la zone humide de fond de vallée formée par la retenue du moulin de Saint-Broing-les-Moines, dans la vallée de la Digeanne. Plusieurs cigognes y ont été baguées ces dernières années, dans le cadre du réseau de suivi visant à mieux comprendre l'écologie et la biologie de l'espèce. "Elles viennent dans la retenue tôt le matin et en fin de journée, pour chasser les poissons et grenouilles", nous expliquent les propriétaires.




On observera au passage que lors de l'enquête publique sur les ouvrages de Prusly et Villotte sur l'Ource, un fonctionnaire de l'ONF a jugé bon indiquer au commissaire enquêteur que les moulins auraient des effets potentiellement négatifs pour la cigogne noire. Nous l'avions par la suite contacté deux fois pour avoir accès à des résultats de recherche ou d'observation démontrant ses dires, mais sans aucun succès… A Saint-Broing en tout cas, le moulin crée un vivier très apprécié par cet oiseau migrateur. Et donc un espace à protéger.

Rappel : même pour des espèces d'oiseaux plus communes, les moulins peuvent devenir refuge LPO. Les oiseaux d'eau sont généralement nombreux autour de la retenue, de la chute, du bief ou des rigoles de déversoir.