Crue de l'Aude 2018 vue par drone, DR, l'Indépendant
Au moment où nous écrivons, on relève douze morts et deux disparus à la décrue.
Cette crue éclair relève de ce que l'on appelle un épisode méditerranéen (localement appelé aussi un épisode cévenol, quand la présence de montagnes favorise le choc de masses d'air donnant des épisodes convectifs intenses). Comme l'expliquent les ingénieurs de Météo France, "trois à six fois par an en moyenne, de violents systèmes orageux apportent des précipitations intenses (plus de 200 mm en 24 heures) sur les régions méditerranéennes. L'équivalent de plusieurs mois de précipitations tombe alors en seulement quelques heures ou quelques jours."
Si ces épisodes liées à la chaleur accumulée par la Méditerranée en été sont connus, leur nombre et leur intensité pourraient évoluer défavorablement au cours de ce siècle. Davantage de chaleur, c'est davantage d'évaporation et d'énergie disponible pour nourrir les systèmes convectifs.
Ainsi, selon les simulations de deux chercheurs français récemment parues dans la revue Climatic Change (Tramblay et Somot 2018), le changement climatique devrait favoriser les précipitations dans le Sud de la France au cours du XXIe siècle. Comme l'a déclaré Y. Tramblay : "Plus l’air est chaud, plus il emmagasine de l’humidité : un degré Celsius en plus se traduit par 7 % d’humidité supplémentaires. On peut donc dire avec certitude que les épisodes méditerranéens vont devenir plus intenses." (Le Monde, 16 octobre 2018)
Toutefois, si le réchauffement de la Méditerranée aggrave le risque de fortes précipitations, on ne doit pas oublier que ce risque est connu et présent depuis longtemps.
Inondations dans le Roussillon, Archives INA. La violence des crues rappelle le premier devoir du responsable public et appelle à une gestion adaptative des bassins, en situation de changement climatique rebattant les cartes.
Le 25 octobre 1891, les départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales sont dévastés par de terribles inondations. Les communes de Rennes-les Bains et de Couiza dans la haute-vallée de l’Aude ont été très durement éprouvées, ainsi que les communes de Limoux, Carcassonne et de Narbonne et toute la plaine littorale. Les valeurs maximales observées au cours de cet épisode des 24 et 25 octobre - dont la durée n’est que d’environ 24 heures - sont faramineuses sur les vallées du Rialsesse, de la Sals et de la Blanque : 306 mm à Montlaur, 290.6 mm à Arques (l’Estagnol, près du col de Paradis). A Carcassonne, l’épisode a duré 20 heures, il a été mesuré 281 mm.
Du 16 au 20 octobre 1940, un épisode pluvieux fantastique a touché les Pyrénées-Orientales, l’Aude, ainsi que la Catalogne espagnole. Il y eut 57 morts en France, dont près de la moitié à Amélie-les-Bains et ses environs. Il a été mesuré 840 mm de pluie le 17 octobre à l’usine électrique de la Llau (valeur officialisée comme record de pluie en 24 heures pour l’Europe). Sur l’Aude, les précipitations ont atteint 150 à 200 mm en quelques heures.
Le 12 novembre 1999, l'Aude connaît une crue majeure : la zone la plus sévèrement touchée est la région des Corbières où il est tombé à Lézignan 620 mm en 36 heures (plus des deux tiers d'une année habituelle de pluie).
Que signifient ces données historiques, et cette actualité?
- La gestion publique du bassin versant, c'est d'abord la gestion de ces phénomènes extrêmes mettant en péril la sécurité des biens et des personnes. Le premier devoir du responsable administratif et politique est d'anticiper les risques dans la gestion des écoulements et des occupations du sol sur le lit majeur, ainsi que d'assurer la bonne information des riverains. La simulation hydroclimatique des crues et étiages de chaque bassin doit désormais se généraliser, cela en lien avec les hypothèses de changement des températures et des précipitations dû au réchauffement. On ne peut plus aménager la rivière et ses berges sans avoir à l'esprit ces contraintes et leur dynamique à venir.
- Le risque zéro n'existe pas : il y a toujours eu des phénomènes extrêmes peu prévisibles, il y en aura toujours. Cependant, on peut limiter les risques, par exemple en limitant l'implantation des habitations dans les lits d'inondation et assurant la prévention des crues ainsi déjà que le ralentissement des ondes de crues (zones expansion latérale de crues en lit majeur, barrages réservoirs, retenues collinaires et en lit mineur en tête de bassin, etc.). L'alerte aux riverains doit être améliorée (l'Aude était en vigilance orange seulement, l'estimation des pluies trop faible d'un facteur 3).
- La méconnaissance passée de l'hydrologie et de l'écologie des bassins versants a conduit à des erreurs : imperméabilisation et artificalisation des sols, incision et chenalisation des lits de rivière ce qui ne fait que repousser la crue plus bas et plus vite, spéculation immobilière et construction en zone inondable, etc. Corriger cela prendra beaucoup de temps : pour renaturer des lits majeurs, il faut disposer du foncier. Mais on peut déjà éviter de persister dans ces erreurs, ce qui serait un retour au bon sens.
- Toutefois, l'option écologique aura ses limites et les exemples des crues passées le montrent bien : même à une époque sans béton, sans agriculture intensive, moindrement peuplée et urbanisée, les crues étaient tragiques, les bilans humains étaient lourds. On peut utiliser la nature plus intelligemment (par exemple restaurer des zones humides pour éponger des surplus d'eau), mais ce serait mentir que de croire en la toute-puissance de telles solutions : elles ne seront jamais qu'une partie de la réponse, il faut aussi du génie hydraulique pour gérer les écoulements.
- Avec le changement climatique, on ne peut plus séparer les problématiques de la sécheresse et de la crue : selon les saisons, ce sont tous les phénomènes extrêmes qui peuvent devenir plus fréquents ou plus intenses, comme on le vit déjà depuis une ou deux décennies. On doit donc gérer les bassins versants en retenant l'eau trop rare lors des étiages ou trop rapide lors des crues. Cela passe par une révision rapide des paradigmes actuels du ministre de l'écologie et des agences de l'eau, trop orientés vers la "renaturation" des rivières au détriment de leur gestion adaptative qui utilise toutes les options sans dogmatisme, et qui se projette sur le long terme.
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