Face au risque de changement climatique, à la pollution de l'air dans les métropoles, à la dépendance au pétrole importé (de régimes pas toujours amicaux), il n'y a que des bonnes raisons de se passer d'essence ou de diesel. La taxe carbone intégrée aux carburants, en rendant le pétrole moins attractif et plus pesant dans le portefeuille, doit inciter à changer nos comportements.
Taxer et réglementer oui... s'il existe des alternatives viables
Oui mais voilà : la voiture est un objet très pratique, synonyme de liberté et de confort ; en zones rurales et péri-urbaines, on est obligé de prendre cette voiture pour sa vie sociale et professionnelle (pas de transport en commun, plus de travail, de commerces, ni de services publics de proximité) ; les alternatives électriques et hybrides restent chères ou insatisfaisantes pour certains usages ; les revenus sont trop faibles et d'autres contraintes pèsent déjà sur le pouvoir d'achat (y compris celles de chauffage pour l'énergie).
On parle alors d'écologie punitive : faute de réelle option pour changer de comportement, la mesure est juste perçue comme une brimade, une contrainte à laquelle on ne peut échapper. Certains ajoutent dans le cas des taxes que le but serait de renflouer les caisses de l'Etat. Ce soupçon est renforcé par le fait que le revenu des taxes sur les carburants n'est que très faiblement dédié à la transition écologique proprement dit : l'essentiel abonde le budget général de l'Etat et des collectivités.
Une conflictualité à bas bruit sur de nombreux sujets "écolos"
Le coût du carburant n'est pas le seul motif de mécontentement en France : les ré-introductions et expansions de l'ours et du loup provoquent des réactions localement violentes ; la moitié des projets éoliens seraient en contentieux du fait de la moins-value immobilière et paysagère, ainsi que des atteintes à la biodiversité locale ; une conflictualité à bas bruit s'installe sur de nombreux sujets ayant trait à l'environnement (abattoir, consommation de viande et bien-être animal ; contestation de grands projets jugés inutiles ; tension avec l'agriculture autour des pesticides etc.)
Et il y a bien sûr le cas des ouvrages en rivières (moulins, forges, étangs), dont nous sommes acteurs et pas seulement observateurs.
A partir d'une attente de meilleure circulation de poissons et des sédiments, qui n'est pas en soi absurde et qui était initialement prévue sur un nombre limité de rivières à enjeux, on est passé sur beaucoup de rivières à une idéologie dogmatique de "renaturation" et de "restauration" visant en réalité à effacer les traces de la mémoire humaine des cours d'eau. Une trame bleue au bulldozer et la pelleteuse : sur fond de chantage financier et de menace règlementaire, des propriétaires de moulins et étangs sont traités comme des délinquants en puissance, menacés de futures mises en demeure à peine d'amende voire de prison s'ils n'obéissent pas aux injonctions. L'aide publique ne rend abordable que la solution de la destruction pure et simple de l'ouvrage en rivière, avec son paysage et son héritage.
Le harcèlement des moulins, étangs et barrages, un diktat qui ne passe pas
Dans les formes les plus scandaleuses de la gabegie d'argent public, l'Etat envisage aujourd'hui de détruire des grands barrages de production d'électricité et d'eau potable, pour des sommes de dizaines de millions €, contre l'avis de leurs dizaines de milliers de riverains : c'est l'exemple odieux des deux barrages de la Sélune, sacrifiés au lobby des pêcheurs de saumon, et qui vont nourrir bientôt contentieux judiciaires et luttes locales.
Cette écologie de l'agression et de la punition ne mène logiquement qu'à la multiplication des conflits. Et si l'Etat ne comprend pas le sens des résistances populaires à ses politiques mal préparées, mal concertés et non acceptées, ces oppositions se radicaliseront : quand on menace l'existence même de votre cadre de vie ou quand on veut vous contraindre à la ruine, qu'a-t-on encore à perdre?
La question se pose d'éviter cette radicalisation face à une écologie perçue comme punitive par les populations. Voici quelques idées à ce sujet.
Les 10 commandements
d'une écologie de la conciliation
d'une écologie de la conciliation
Tu prendras garde aux émotions négatives. Pour capter l'attention du public, les médias, les ONG mais aussi parfois les politiques ont tendance à faire du catastrophisme environnemental, à ne retenir que le négatif dans la réalité et que les pires prévisions pour le futur. Certes, nous devons protéger la nature menacée par des excès de notre développement économique et démographique. Mais la peur et la colère ne sont pas des sentiments qui permettent une vie démocratique sereine ni qui soutiennent durablement des choix de société. Exemple sur les rivières : non, on ne doit pas dire aux citoyens qu'elles se dégradent partout et tout le temps, alors que les bilans poissons ou bilans insectes des dernières décennies ne sont pas toujours mauvais.
Tu statueras avec prudence et précision sur la réalité. L'écologie est une discipline assez jeune, elle est parcourue de débats internes nombreux, elle manque encore souvent de données solides et de long terme. Comme politique publique tardive, l'environnement est largement en phase de test d'ajustage aux contraintes de la société et de l'économie. Tous nos modèles de la réalité sont des approximations (donc ils sont faux, stricto sensu!) : il faut alors se garder de prononcer des jugements définitifs et de généralités invérifiables. De la modestie, pas de l'arrogance. Exemple sur les rivières : non, on ne doit pas lancer des assertions sur l'auto-épuration de cours d'eau qui se révèlent ensuite des inexactitudes.
Tu éviteras des arbitrages lointains, contraints et brutaux. En France, l'Etat a perdu la capacité d'animer, gérer, produire des consensus forts sur des projets de territoire et de société. Le centralisme et l'autoritarisme jacobins ne fonctionnent plus, notamment parce que l'ère numérique a ouvert un âge d'horizontalité où tout le monde est informé en temps réel et où l'Etat est devenu un acteur à côté d'autres. Par ailleurs l'écologie, c'est toujours du cas par cas. Le modèle de l'action publique est à revoir en accordant une plus grande autonomie politique et fiscale au niveau local, proche du terrain. Exemple sur les rivières : non, les SAGE ne peuvent pas être de simples copiés-collés de 3 niveaux normatifs supérieurs (SDAGE, lois et règlements nationaux, directive de l'Europe) et d'un financement déjà fléché sur chaque poste de l'agence de l'eau, ce qui ôte toute substance à la liberté locale de choix et dépossède le citoyen de capacité à s'impliquer.
Tu respecteras le réalisme économique. Beaucoup de mesures écologiques ont des coûts mais n'ont aucun bénéfice économique à court terme, certaines n'en ayant pas même à long terme (elles défendent des valeurs intrinsèques, non marchandes). Pour ne pas assommer le contribuable et déprimer l'économie, nous sommes donc condamnés à pratique une écologie des petits pas, à mesure de notre solvabilité (ménage, entreprise, Etat). Exemple sur les rivières : non, demander des investissements de passes à poissons qui ont une valeur supérieure à celle d'un bien immobilier ou qui représentent 20 ans de bénéfice d'une petite entreprise n'a aucun sens, c'est une caricature de la bureaucratie hors sol.
Tu seras économe de l'argent public. Nous sommes sortis depuis longtemps de la période d'abondance des 30 glorieuses. L'argent public devient plus difficile à lever, son usage est nettement plus observé, et contesté. En temps de crise, la population attend de l'Etat qu'il garantisse l'essentiel de ses missions sociales et régaliennes avant de faire de l'écologie. Et cette écologie doit répondre à des enjeux forts, non contestés. Exemple sur les rivières : non il n'est pas normal que les analyses cout-bénéfice de la directive cadre européenne montre qu'elle coûte davantage qu'elle ne rapporte dans les 3/4 des cas, ou que l'Etat détruise sur argent public des ouvrages d'électricité bas-carbone en fonctionnement (à Pont-Audemer ou sur la Sélune).
Tu avanceras des faits et des preuves, en ayant à l'esprit la complexité. Les dogmes et les slogans ne sauraient remplacer les données et les débats. Les phénomènes humains comme naturels sont complexes : on ne peut plus faire des politiques publiques qui essaient de mobiliser par des simplifications. Nous vivons l'âge des politiques fondées sur les preuves, les citoyens n'ont jamais été aussi éduqués et les moyens de vérifier les sources aussi nombreux. Il ne suffit pas d'avancer un propos d'un scientifique, ou d'une discipline scientifique, mais de montrer que des communautés scientifiques pluridisciplinaires sont d'accord entre elles sur l'interprétation d'un phénomène. Exemple sur les rivières : non, la rivière "sauvage" ou la rivière "naturelle" sont des phénomènes qui n'existent plus réellement en Europe, nous n'avons que des rivières hybrides qui portent des millénaires d'influence humaine, il faut une éducation de cette complexité.
Tu entendras ce que te dit la société. La nature n'est pas le catalogue figé d'un muséum d'histoire naturelle, c'est d'abord une histoire, une dynamique : elle change sans cesse. C'est aussi une construction sociale : les gens n'ont pas les mêmes idées, goûts, représentations et attentes sur la nature. L'écologie ne peut pas être la revanche de la nature contre l'homme, ou la séparation de la nature et de l'homme : c'est une modulation de l'interface entre humain et non-humain à travers des choix sociaux. On ne peut donc faire l'impasse du social et des services (réellement) rendus par les écosystèmes selon leurs aménagements. Exemple sur les rivières : non, quand des centaines d'associations et des milliers d'élus demandent de stopper les destructions d'ouvrages et en saisissent le ministre de l'écologie, les ignorer, ne pas leur répondre et refuser de les recevoir n'est pas une solution digne d'une gestion ouverte aux enjeux sociaux.
Tu feras preuve de bon sens (et de bonne foi). Ce dernier commandement est peut-être le plus important... mais pas le plus simple à respecter ! L'appel au bon sens ne doit pas être un éloge de l'ignorance volontaire : si nos ancêtres savaient tout et si nous avions une juste compréhension de tout, il n'y aurait jamais de progrès des connaissances et des pratiques. Le bon sens n'est pas l'intuition (parfois trompeuse) mais un mélange d'expérience, d'observation et de logique, avec de la cohérence dans les positions que l'on défend. C'est aussi le recul : nous ne sommes pas omniscient, l'idée géniale du moment sera critiquée demain ! Exemple sur les rivières : non, il n'y a pas de bon sens (ni de bonne foi) à assécher des retenues d'eau quand on subit des sécheresses, à détruire des centrales hydro-électriques en place quand on dit que l'énergie bas-carbone est une urgence, à défendre la biodiversité mais à ignorer toutes les espèces d'étangs et de lacs, à refuser que les moulins changent les peuplements de poissons mais à accepter que la pêche et le climat changent ces mêmes peuplements, etc.