04/03/2019

Des ouvrages en rivière protègent des populations endémiques de truites catalanes (Vera et al 2019)

La continuité de la rivière et la libre circulation des poissons en son sein favorisent l'échange de gènes et augmentent la dimension des populations interfécondes, donc leur préservation dans l'évolution. Mais les discontinuités naturelles ou anthropiques peuvent aussi faire émerger, ou protéger, des populations endémiques plus rares. Des chercheurs catalans viennent ainsi de mettre en évidence l'existence d'un haplogroupe rare de la souche méditerranéenne de la truite commune dans une tête de bassin de la rivière Cardaner. Cette population de truite semble protégée des introgressions des souches d'élevage ou de la compétition des poissons exotiques par l'existence de barrages infranchissables à l'aval. L'écologie de la conservation en rapport à la connectivité des cours d'eau ne se résume donc pas à attribuer des bons ou mauvais points selon des indices simplistes de fragmentation : il faut encore examiner au cas par cas les espèces et populations présentes dans chaque bassin, ainsi que leurs dynamiques. Cela pour les poissons, qui mobilisent aisément les fonds en raison de l'activité de pêche, mais aussi pour les autres assemblages aquatiques et rivulaires, qui sont souvent orphelins de toute étude approfondie. 

La diversité génétique rend possible l'adaptation des populations sauvages aux changements environnementaux et facilite ainsi la conservation à long terme de l'espèce. Les connaissances sur le niveau de diversité génétique existant au sein des populations et entre celles-ci, sa répartition dans l’aire de l’espèce et sa stabilité temporelle au fil des générations sont des éléments essentiels pour concevoir des stratégies de gestion et de conservation.

Des chercheurs espagnols des universités de Saint-Jacques-de-Compostelle (Lugo) et de Gérone (Montilivi) viennent d'étudier les structures génétiques de la truite commune (Salmo trutta L.) dans le bassin du Llobregat.


La zone étudiée, carte extraite de Vera et al 2019, art cit 

Avec un bassin de 4 948 km2, Le Llobregat est l’un des principaux cours d’eau de la Catalogne (nord-est de l’Espagne). Ce fleuve naît à une altitude de plus de 1300 m et se jette dans la mer Méditerranée après 175 km de parcours. Il est soumis à des conditions climatiques méditerranéennes, avec régime hydrologique irrégulier fait des sécheresses et inondations périodiques. Ce bassin hydrographique a été altéré par les activités humaines, notamment près de 300 barrières artificielles, dont 228 obstacles infranchissables pour les poissons selon l'agence de l'eau de Catalogne. L'extraction de l'eau inclut la consommation domestique de la ville de Barcelone et de sa région métropolitaine (3,2 millions d'habitants), ainsi qu'une concentration importante d'industries (tannerie, textile, produits alimentaires, papeterie) et d'activités agricoles le long de son cours principal comme de ses affluents. Ces activités humaines ont libéré dans le fleuve une grande variété de polluants. Parmi les 33 espèces de poissons identifiées dans le bassin du Llobregat, 21 sont introduites, la truite commune (Salmo trutta Linnaeus, 1758) étant la seule espèce autochtone habitant les sources du bassin.

Dans certains tronçons, ces populations de truite sont en plus menacées par l'hybridation et l'introgression génétique en raison des lâchers de salmonidés provenant de stocks domestiqués de souche étrangères au bassin. Comme le rappellent les auteurs, "en raison de sa valeur élevée pour la pêche de loisir, l'alevinage des populations de truites a été réalisé pendant plusieurs décennies dans la péninsule ibérique comme dans d'autres pays européens pour contrebalancer le déclin des populations sauvages. Sept lignées (branches principales de l'arbre phylogénétique) ont été décrites dans toute l'aire de répartition de la truite commune, sur la base d'analyses de l'ADN mitochondrial (ADNmt) (Bernatchez 2001; Susnik et al 2005; Vera et al 2010). Bien que seules deux de ces lignées, l’Adriatique (AD) et la Méditerranée (ME), soient originaires des bassins ibériques de la Méditerranée (Cortey et al 2004), elles expriment une part importante de la diversité génétique de la truite (...) La différenciation génétique entre les lignées a contribué à la détection de marqueurs de diagnostic moléculaires permettant de surveiller et d'évaluer l'impact de l'alevinage chez les populations de truites de Méditerranée. Ainsi, le locus nucléaire de la lactate déshydrogénase C (LDH-C *) et le séquençage de la région de contrôle (CR) de l'ADNmt ont été largement utilisés à cette fin."

Afin de déterminer la diversité génétique native, les relations phylogénétiques, la structure de la population et l'impact de l'alevinage dans le bassin versant, 295 individus ont été collectés dans huit localités réparties le long du cours principal et du principal affluent (respectivement Llobregat et Cardener), et ont été analysés pour la période 1990-2017, sur la région de contrôle complète de l'ADN mitochondrial (ADNmt) et le locus de diagnostic LDH-C* (pour évaluer l'alevinage).

Principale conclusion : "des niveaux d'introgression génétique modérés à élevés ont été détectés (fréquence ~ 0,300), affectant en particulier le cours principal. En dépit de l'introgression d'empoissonnement et de l'épuisement génétique attendu par la dérive génétique due à l'isolement de la population, un nouveau groupe d'haplotypes d'ADNmt appartenant à la lignée méditerranéenne a été trouvé, dans une zone limitée à la rivière Cardener. Cet haplogroupe est responsable de la forte différenciation de population observée entre les rivières du bassin versant du Llobregat (Pct = 0,456, p inf 0,001) et il met en évidence l'intérêt de la région pour la conservation."

Ainsi, parmi les découvertes importante de ce travail, on note "la présence d’un haplogroupe de la lignée ME endémique des cours d’eau de la rivière Cardener (le groupe Mcs23). L'abondance de cet haplogroupe dans les localités du Cardener contrastait avec son absence dans le bassin de la rivière Llobregat, et était principale responsable de la différenciation génétique élevée entre les pools de gènes natifs dans la zone étudiée. Cette tendance suggère un isolement de longue date de la truite habitant les ruisseaux en tête du bassin du Cardener".

Les auteurs observent : "Le maintien de la connectivité entre les populations contribue à la conservation à long terme des populations d'espèces d'eau douce. La connectivité favorise le flux de gènes et limite les effets de la dérive génétique attendue de la réduction de la taille effective de la population (Ne) dans les populations fragmentées et isolées (Fumagalli et al 2002). La fragmentation des rivières due aux activités anthropiques (construction de barrages, surexploitation des eaux) a entraîné une diminution significative de la taille effective des populations de poissons, ce qui a compromis leur persistance (McDermid et al 2014). En fait, la récupération de la connectivité fluviale a été l’une des tâches principales de l’ACA (Agence catalane de l’eau) au cours des dix dernières années. De récents examens de l'indice de connectivité des rivières (ACA, 2017) ont classé les cours d'eau du fleuve Llobregat comme "très bons" ou "bons", tandis que le Cardener est classée "très mauvais" en raison de la présence de barrières infranchissables. De même, des résultats "très mauvais" sont obtenus au confluent des deux rivières. Ces informations, ainsi que les conditions environnementales inappropriées pour la truite dans le cours inférieur de la rivière Cardener, pourraient avoir facilité la préservation de l’haplogroupe MEcs23 dans cette rivière. Néanmoins, une connectivité entre les sites au sein de la rivière Cardener serait souhaitable pour augmenter les tailles effectives locales et prévenir la dérive génétique."

L'isolement de certains tronçons de la rivière Cardener par des barrages a donc probablement contribué au maintien d'une souche endémique et rare de truite dans le bassin.

Inversement, les chercheurs font observer : "deux des sites étudiés dans la rivière Llobregat (AJ02 et GRE17) étaient presque composés de poissons d'élevage naturalisés et leur dispersion aurait pu contribuer à accroître l'introgression dans d'autres endroits du bassin versant. Ainsi, le maintien de certaines barrières peut faciliter l’éradication de ces populations exotiques et empêcher leur expansion dans des zones habitées par des poissons endémiques. Dans le contexte du réchauffement climatique mondial en cours, la préservation de certaines barrières artificielles peut également empêcher les zones de truite d'être peuplées par des communautés de poissons situées en aval, composées principalement d'espèces exotiques."

Discussion
En écologie comme dans d'autres sciences d'observation, l'accumulation des données amène à réviser les hypothèses et les modèles. La connectivité hydrologique - souvent (mais pas toujours) assurée en conditions pré-humaines - autorise un flux de gènes parmi les populations et atténue les baisses de diversité dues à la dérive génétique, qui est élevée chez les petites populations isolées. La perte de connectivité, parfois due à des barrières naturelles (par exemple des cascades), entraîne la fragmentation de la population : cela peut conduire dans le meilleur des cas à une différenciation, voire une spéciation (nouvelle espèce) ; dans le pire des cas à une extinction locale. Depuis le siècle dernier, la fragmentation des populations sauvages s'est intensifiée en raison de barrières artificielles construites par l'homme (routes, grands barrages hydroélectriques, lignes de chemin de fer), s'ajoutant à une fragmentation millénaire de moindre intensité (moulins, étangs). Cette fragmentation par les barrages mais aussi la pollution, les espèces envahissantes, l'extraction non durable de l'eau, la surexploitation des pêcheries, le changement climatique ont contribué au déclin des populations de poissons dans le monde, en particulier pour les espèces migratrices.

Le retour aux conditions pré-humaines des bassins versants est impossible. Pour définir des priorités d'action écologique, on doit donc mesurer le poids relatif des différents impacts, mais aussi étudier comme la biodiversité s'adapte aux nouvelles configurations des bassins versants. Le fait que des barrières humaines isolent des populations a un impact négatif sur les échanges géniques et la probabilité de recolonisation de certaines zones après des événements adverses (sécheresse, pollution) mais, comme le montre ce travail après d'autres (cf références ci-dessous), cela peut aussi avoir des impacts positifs en terme de maintien de populations endémiques différenciées, de limitation des introgressions par souche d'élevage et de ralentissement de la progression de certaines espèces exotiques.

Il est important de réviser la politique actuelle de continuité écologique au niveau des têtes de bassins versants, qui abritent une riche biodiversité dans leur chevelu. Outre que ces zones sont éloignées des axes de colonisation de grands migrateurs, elles peuvent abriter des souches d'intérêt de diverses espèces de poissons. Le choix actuel de détruire le maximum d'ouvrages (tout en tolérant la poursuite des alevinages de pêcheurs) est une préconisation grossière, en décalage avec les résultats d'un nombre croissant de travaux scientifiques. La présence ancienne de moulins et étangs y a par ailleurs créé des écosystèmes anthropisés dont l'inventaire de biodiversité est une nécessité avant intervention.

Référence : Vera M et al (2019), Identification of an endemic Mediterranean brown trout mtDNA group within a highly perturbed aquatic system, the Llobregat River (NE Spain), Hydrobiologia, 827, 1, 277–291

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Quand les alevinages des pêcheurs influencent davantage la génétique des poissons que les ouvrages hydrauliques (Prunier et al 2018) 
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200 générations de truites dans un hydrosystème fragmenté (Hansen et al 2014) 
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Les barrières à la migration peuvent-elles protéger des souches de truite menacées de disparition?

28/02/2019

Les canaux comme corridors biologiques contribuant au maintien de la biodiversité (Guivier et al 2019)

En étudiant le système des canaux de la Durance et ses effets génétiques sur les populations de deux espèces de poissons (toxostome, hotu), six chercheurs montrent que les chenaux artificiels peuvent jouer un rôle positif dans la gestion de la biodiversité, particulièrement en milieu urbanisé. Ils soulignent l'intérêt d'une écologie de la réconciliation capable d'intégrer les composantes non-humaines et humaines des systèmes aquatiques. Leur travail s'ajoute à une liste déjà longue de recherches ayant montré que l'origine artificielle d'un écosystème n'est pas nécessairement un facteur négatif pour sa biodiversité, sa fonctionnalité écologique, son intérêt en situation de changement climatique rapide. Hélas, ces travaux ne sont pas encore intégrés dans la réflexion des gestionnaires publics et on manque de programmes scientifiques pluridisciplinaires pour analyser les nombreux systèmes aquatiques d'origine humaine (étang, lacs, réservoirs, canaux, biefs) présents dans nos territoires.  

Le bassin versant de la Durance (affluent du Rhône) est anthropisé de longue date. Il approvisionne en eau des activités industrielles et agricoles, ainsi que des populations denses près de la mer Méditerranée. Ce bassin de la Durance est très urbanisé et le cours d'eau est réglementé: sept barrages entre Serre-Poncón et Avignon, un grand nombre de déversoirs et de multiples connexions par des canaux d'irrigation et hydroélectriques. Les canaux d'irrigation agricoles se sont développés le long de la Durance depuis le Moyen Âge. Ils forment actuellement un réseau principal couvrant environ 540 km, et un réseau secondaire d'environ 4000 km, transportant au total 1,8 milliard de m3 d'eau et irriguant 130 km2 de terres agricoles. Depuis le milieu du XXe siècle, l’énergie de la Durance est utilisée pour alimenter 23 centrales hydroélectriques alimentées par un grand canal parallèle à la rivière principale. Ce canal EDF fait 250 km de long, 8 m de haut, 40 m de large, avec un débit de 250 m3 / s. Il est divisé en plusieurs segments avec des centrales et ses siphons sont reliés à divers ressources de stockage de l'eau.


Carte des sites étudiés par les chercheurs sur le bassin versant de la Durance,
extrait de Guivier et al 2019, art cit. En rouge proportion des toxostomes, en vert des hotus, en jaune des hybrides.

Emmanuel Guivier et 5 collègues (Aix Marseille Université, Université Avignon, CNRS, IRD, Inserm, EDF Laboratoire national d’hydraulique et environnement) ont analysé l'écologie et l'évolution de deux espèces, l'une endémique, le toxostome (Parachondrostoma toxostoma) et l'autre introduite, le hotu (Chondrostoma nasus). Proches dans l'arbre phylogénétique des espèces, ces poissons sont capables de s'hybrider.

Les chercheurs ont utilisé des pêches électriques pour échantillonner un total de 266 spécimens de toxostomes et de 384 de hotus provenant de 12 sites du bassin de la Durance en 2013.

Leur principale conclusion : "nous avons observé un haut degré d'homogénéité génétique le long du fleuve. Le maintien du flux de gènes malgré la présence de barrages et la détection de populations mélangées et d’hybridations dans les canaux suggèrent que ces canaux pourraient servir de couloirs écologiques et de zones hybrides susceptibles d’influencer les ressources génétiques des espèces indigènes et introduites. Ces structures anthropiques varient considérablement en termes d'organisation spatiale, de taille et de gestion globale, ce qui accroît la diversité des habitats dans la partie urbanisée du fleuve. Avec la restauration des habitats naturels, les canaux peuvent être considérés comme des structures importantes pour la dynamique de la biodiversité dans de telles conditions urbaines."

Le seul barrage a effet marqué est celui de Serre-Ponçon:

"La Durance est une rivière très fragmentée, mais une signature génétique de cette fragmentation n'a été observée que pour le barrage de Serre-Poncón. En effet, ce barrage a fortement perturbé le flux de gènes dans l'espèce endémique du toxostome, ce qui a donné une population génétiquement différenciée de toutes les populations situées plus en aval. Ce barrage hydroélectrique élevé (124 m de hauteur), qui contrôle le débit global de l'eau en aval, a été construit il y a environ 60 ans (1959). Ainsi, cette barrière physique à la dispersion du poisson a contribué à une différenciation génétique rapide en quelques générations seulement. Nous avons également constaté que cette population en amont était caractérisée par de faibles niveaux de diversité génétique, pour les marqueurs à la fois  nucléaires et  mitochrondriaux, ce qui correspond à une petite population de toxostome isolée aux limites extrêmes de son aire de répartition. La présence de cette barrière physique a également empêché l'extension de l'aire de répartition géographique du hotu, qui a atteint la Durance dans les années 1950 (Carrel, 2002). Nos résultats illustrent la balance actuelle dans la gestion de la biodiversité entre la menace d'invasion biologique et l'isolement génétique d'espèces endémiques confrontées à un risque d'extinction".

Discussion
La fragmentation relative des écosystèmes aquatiques est une caractéristique influençant les flux de gènes des espèces et les schémas locaux de la biodiversité. En référence à une rivière "naturelle" libre de toute influence anthropique, on a souvent considéré que les activités humaines ont des effets néfastes sur ces caractéristiques à travers la construction de barrages, de plans d'eau et de canaux. Mais comme le remarquent les auteurs de cette publication, "ces structures anthropiques sont des éléments importants contribuant à la dynamique de la biodiversité". Le caractère positif que peuvent avoir des écosystèmes artificiels s'explique de diverses manières. Les changements climatiques induisent de longues périodes de sécheresse ou des crues soudaines, impliquant une réponse rapide des organismes aquatiques. L'environnement artificiel régulé des canaux et retenues peut amortir ces instabilités, favorisant la conservation et la croissance d'organismes à l'abri des perturbations extrêmes.

Les auteurs parlent d'une "écologie de la réconciliation" : "L'écologie de la réconciliation implique l'intégration des structures anthropiques (créées par l'homme) et des activités humaines, en tant que composantes écologiques, dans les systèmes aquatiques de manière à maintenir la durabilité nécessairement couplée des composantes naturelles et anthropiques du système. Un aspect important de l’écologie de la réconciliation est l’utilisation d’habitats anthropogéniques ou fortement modifiés pour soutenir, voire, dans certains cas, restaurer la biodiversité." Des travaux d'inventaires menés sur les plans d'eau anthropisés de type retenues, petits lacs, étangs ont montré qu'ils présentent une diversité biologique équivalente et parfois supérieure à des milieux aquatiques adjacents, y compris des espèces menacées et protégées (Davies et al 2008Chester et Obson 2013Hill et al 2018Bubíková et Hrivnák 2018). Des recherches en France ont aussi montré que les canaux (Aspe et al 2014), les étangs (Wezel et al 2014) ou encore les épis hydrauliques (Thonel et al 2018) peuvent jouer des rôles favorables pour la biodiversité. D'autres chercheurs invitent également à reconsidérer la valeur des ouvrages hydrauliques pour le vivant à l'aune des évolutions climatiques et de la possibilité d'un rôle refuge face à la pression croissante des aléas hydrologiques (Beatty et al 2017).

Les travaux d'Emmanuel Guivier et de ses collègues s'inscrivent donc dans une liste déjà longue de recherches scientifiques appelant à mieux prendre en compte les écosystèmes artificiels pour la gestion de l'eau et de sa biodiversité, particulièrement en ce siècle où l'on s'attend à des évolutions très rapides du climat. Hélas, nous regrettons que  ce sujet ait été totalement négligé par l'Agence française pour la biodiversité, dont le discours en écologie de la conservation néglige la réalité ancienne des introductions d'espèces comme des artificialisations d'habitat et de la diversité faune-flore au-delà des espèces de poissons lotiques ou migrateurs. Nous appelons à nouveau l'AFB à produire une information scientifique complète et objective en appui des politiques publiques de biodiversité, et à reconsidérer de manière critique le paradigme de la "renaturation" comme base exclusive de ces politiques, malgré les rapports coûts-bénéfices parfois douteux des résultats observés.

Référence : Guivier E et al (2019), Canals as ecological corridors and hybridization zones for two cyprinid species, Hydrobiologia, 830, 1, 1–16.

25/02/2019

Nouvelle directive européenne sur l'énergie renouvelable : vers la fin du matraquage de l'énergie hydraulique par l'administration française

La France est déjà en retard sur ses objectifs de transition énergétique, et elle se permettait le luxe de dépenser un argent public rare à décourager l'hydro-électricité, voire à détruire son potentiel et ses outils de production.  Mais les temps changent. L'Union européenne vient d'adopter la directive 2018/2001 sur la promotion de l'énergie renouvelable. Ce texte, de transposition obligatoire d'ici 2021, comporte des avancées majeures qui devraient permettre de faire cesser certaines dérives de l'Etat français dans le domaine de l'hydro-électricité. Il exige en effet de chaque Etat la simplification et l'accélération des procédures (un an maximum pour le permis de produire d'une petite puissance), la non-discrimination des sources d'énergie, la proportionnalité des coûts de projet, le soutien massif à l'autoconsommation et aux petites installations disséminées dans les territoires, en particulier ruraux. L'Etat français avait entamé voici 10 ans une politique décriée de destruction des barrages, moulins, forges et autres sites à potentiel hydro-électrique, ainsi que d'imposition de mesures volontairement disproportionnées à l'impact et à la production. Nous reproduisons ici des extraits importants de cette directive européenne. Nous enjoignons les porteurs de projets hydro-électriques de les opposer d'ores et déjà aux services de l'administration en charge de l'eau, mais aussi de les signaler à leurs parlementaires. Il s'agit d'exiger que les services du ministère de l'écologie anticipent la transposition cette directive, changent clairement leurs arbitrages et aident désormais les projets hydro-électriques au lieu de les entraver.


La directive européenne du 11 décembre 2018 concerne l'énergie renouvelable définie comme une "énergie produite à partir de sources non fossiles renouvelables, à savoir l'énergie éolienne, l'énergie solaire (solaire thermique et solaire photovol­ taïque) et géothermique, l'énergie ambiante, l'énergie marémotrice, houlomotrice et d'autres énergies marines, l'énergie hydroélectrique, la biomasse, les gaz de décharge, les gaz des stations d'épuration d'eaux usées et le biogaz."

Ce texte, supérieur à la loi et la réglementation dans l'ordre normatif, donc s'imposant à l'Etat français, entend donner un coup d'accélérateur à la transition énergétique. Celle-ci est en retard sur ses objectifs 2020 dans plusieurs Etats-membres dont la France, et les nouveaux objectifs 2030 fixent un cap ambitieux. Le parlement européen a entendu libérer l'énergie renouvelable, notamment de certaines contraintes administratives.

Dans les considérants de la directive, on retient les points suivants.

Le développement des énergies renouvelables est une obligation des Etats-membres
Conformément à l'article 194, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la promotion des énergies renouvelable est l'un des objectifs de la politique énergétique de l'Union. Cet objectif est visé par la présente directive. L'augmentation de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, ou «énergie renouvelable», constitue un élément important du paquet de mesures requises afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de se conformer aux engagements pris par l'Union au titre de l'accord de Paris de 2015 sur le changement climatique, adopté lors de la 21e conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (ci-après dénommé «accord de Paris»), ainsi qu'au cadre d'action de l'Union en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030, notamment l'objectif contraignant de réduction des émissions de l'Union d'au moins 40 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

Les zones rurales et régions à faible densité ont un enjeu fort à la transition
L'augmentation de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables a également un rôle fondamental à jouer dans la promotion de la sécurité des approvisionnements en énergie, d'une énergie durable à des prix abordables, du développement technologique et de l'innovation, ainsi que de l'excellence technologique et industrielle, tout en procurant des avantages au niveau environnemental, social et sanitaire ainsi que d'impor­tantes perspectives d'emplois et le développement régional, en particulier dans les zones rurales, les zones isolées, les régions ou les territoires à faible densité de population ou en cours de désindustrialisation partielle.

Les petites installations renforcent la transition locale et doivent être soutenues
Les petites installations peuvent largement contribuer à renforcer l'acceptation par le public et à assurer le déploiement de projets en matière d'énergie renouvelable, en particulier au niveau local. Pour s'assurer de la participation des petites installations, des conditions spécifiques, notamment des tarifs de rachat, pourraient dès lors encore s'avérer nécessaires afin de garantir un rapport coûts-avantages positif, conformément au droit de l'Union applicable au marché de l'électricité. Il importe de définir les petites installations aux fins de l'obtention d'une telle aide, afin d'assurer la sécurité juridique pour les investisseurs. Les règles relatives aux aides d'État contiennent des définitions des petites installations.

La stabilité et la prévisibilité des politiques publiques sont nécessaires
Sans préjudice des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, il convient que les politiques de soutien aux énergies renouvelables soient prévisibles et stables et ne fassent pas l'objet de modifications fréquentes ou rétroactives. L'imprévisibilité et l'instabilité des politiques ont une incidence directe sur les coûts de financement du capital, sur les coûts de développement des projets et donc sur le coût global du déploiement des énergies renouvelables dans l'Union. Les États membres devraient empêcher que le réexamen des aides allouées à des projets en matière d'énergie renouvelable influence négativement la viabilité économique de ceux-ci. Dans ce contexte, les États membres devraient promouvoir des politiques d'aide efficaces au regard des coûts et garantir leur viabilité financière. 

L'autoconsommation d'électricité doit être reconnue et favorisée sans charges disproportionnées
Avec l'importance croissante de l'autoconsommation d'électricité produite à partir de sources renouvelables, il est nécessaire de définir les autoconsommateurs d'énergies renouvelables et les autoconsommateurs d'énergies renouvelables agissant de manière collective. Il est également nécessaire d'établir un cadre réglementaire qui autoriserait les autoconsommateurs d'énergies renouvelables à produire, consommer, stocker et vendre de l'élec­tricité sans devoir supporter de charges disproportionnées. 

Dans les articles de la directive, on retient notamment les points suivants :

Article 3 : objectif global contraignant de l'Union à l'horizon 2030
1. Les États membres veillent collectivement à ce que la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie de l'Union en 2030 soit d'au moins 32 %. La Commission évalue cet objectif, en vue de présenter d'ici à 2023 une proposition législative destinée à l'augmenter en cas de nouvelle baisse sensible des coûts de la production d'énergie renouvelable, si cela est nécessaire afin de respecter les engagements internationaux pris par l'Union en matière de décarbonisation, ou si une diminution importante de la consommation d'énergie dans l'Union justifie cette augmentation.

Article 4 : aide non discriminatoire aux énergies renouvelables
4. Les États membres garantissent que les aides sont accordées pour l'électricité produite à partir de sources renouve­lables de manière ouverte, transparente, concurrentielle, non discriminatoire et efficace au regard des coûts.

Article 15 : exigence de simplification, accélération et proportionnalité des procédures administratives
1. (...) Les États membres prennent notamment les mesures appropriées pour veiller à ce que:
a) les procédures administratives soient simplifiées et accélérées au niveau administratif approprié et des délais prévisibles soient fixés pour les procédures visées au premier alinéa;
b) les règles relatives à l'autorisation, la certification et l'octroi des licences soient objectives, transparentes et propor­tionnées, ne créent aucune discrimination entre les demandeurs et tiennent pleinement compte des spécificités de chaque technologie en matière d'énergie renouvelable;
c) les frais administratifs acquittés par les consommateurs, les aménageurs, les architectes, les entrepreneurs et les instal­lateurs et fournisseurs d'équipements et de systèmes soient transparents et calculés en fonction des coûts; et
d) des procédures d'autorisation simplifiées et moins contraignantes, y compris une procédure de notification simple, soient mises en place pour les dispositifs décentralisés et pour la production et le stockage d'énergie à partir de sources renouvelables.
(...)
8. Les États membres évaluent les barrières administratives et réglementaires aux contrats d'achat de long terme d'élec­tricité renouvelable et suppriment les barrières injustifiées, et ils facilitent le recours à de tels accords. Ils veillent à ce que ces contrats ne soient pas soumis à des procédures ou des frais discriminatoires ou disproportionnés.

Article 16 : un seul point de contact pour les procédures, délai d'un an (petites puissances) ou deux ans pour aboutir au permis de produire
1. Les États membres mettent en place ou désignent un ou plusieurs points de contact. Ces points de contact, sur demande du demandeur, guident et facilitent l'ensemble de la procédure administrative de demande et d'octroi de permis. Le demandeur n'est pas tenu de contacter plus d'un point de contact pour l'ensemble de la procédure.
(...)
4. Sans préjudice du paragraphe 7, la procédure d'octroi de permis visée au paragraphe 1 n'excède pas deux ans pour les centrales électriques, y compris l'ensemble des procédures pertinentes des autorités compétentes. Dans des circons­ tances extraordinaires dûment justifiées, ce délai de deux ans peut être prolongé au maximum d'un an.
5. Sans préjudice du paragraphe 7, la procédure d'octroi de permis n'excède pas un an pour les installations d'une capacité électrique inférieure à 150 kW. Dans des circonstances extraordinaires dûment justifiées, ce délai d'un an peut être prolongé au maximum d'un an.
6. Les États membres facilitent le rééquipement des installations existantes utilisant des sources d'énergie renouvelables en garantissant une procédure d'octroi de permis simplifiée et rapide. La durée de cette procédure n'excède pas un an.

Article 21 : autoconsommation favorisée et simplifiée
2. Les États membres garantissent que les autoconsommateurs d'énergies renouvelables, à titre individuel ou par l'intermédiaire d'agrégateurs, sont autorisés à:
a) produire de l'énergie renouvelable, y compris pour leur propre consommation, stocker et vendre leur production excédentaire d'électricité renouvelable, y compris par des contrats d'achat d'électricité renouvelable, via des fournisseurs d'électricité et des arrangements portant sur des échanges de pair à pair, sans être soumis:
i) en ce qui concerne l'électricité qu'ils prélèvent ou injectent dans le réseau, à des procédures et à des frais discrimi­ natoires ou disproportionnés et à des frais d'accès au réseau qui ne reflètent pas les coûts;
ii) en ce qui concerne l'électricité produite à partir de sources renouvelables qu'ils ont eux-mêmes produite et qui reste dans leurs locaux, à des procédures discriminatoires ou disproportionnées et à des frais ou redevances quelconques;

3. Les États membres peuvent imposer des frais non discriminatoires et proportionnés aux autoconsommateurs d'énergies renouvelables pour l'électricité renouvelable qu'ils ont eux-mêmes produite et qui reste dans leurs locaux, dans l'un ou plusieurs des cas suivants: (...)
c) si l'électricité renouvelable produite par les autoconsommateurs est produite dans des installations d'une capacité électrique installée totale supérieure à 30 kW.

6. Les États membres mettent en place un cadre favorable visant à promouvoir et à favoriser le développement de l'autoconsommation d'énergies renouvelables, sur la base d'une évaluation des obstacles injustifiés existants et du potentiel d'autoconsommation d'énergies renouvelables sur leur territoire et compte tenu de leurs réseaux énergétiques. Ce cadre favorable porte entre autres sur les points suivants:
a) l'accessibilité de l'autoconsommation d'énergies renouvelables pour l'ensemble des consommateurs finals, y compris les ménages à faibles revenus ou vulnérables;
b) les obstacles injustifiés au financement de projets par le marché et les mesures destinées à faciliter l'accès au financement;
c) d'éventuels autres obstacles réglementaires injustifiés à l'autoconsommation d'énergies renouvelables, y compris pour les locataires;
d) des incitations pour encourager les propriétaires d'immeubles à créer des possibilités d'autoconsommation d'énergies renouvelables, y compris pour les locataires;
e) l'accès non discriminatoire des autoconsommateurs d'énergies renouvelables, pour l'électricité renouvelable qu'ils ont eux-mêmes produite et qu'ils injectent dans le réseau, aux régimes d'aide qui existent, ainsi qu'à tous les segments du marché de l'électricité;
f) la nécessité de s'assurer que les autoconsommateurs d'énergies renouvelables contribuent de manière adéquate et équilibrée au partage du coût global du système lorsque de l'électricité est injectée dans le réseau.

Article 36 : transposition en 2021 au plus tard
1. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 2 à 13, aux articles 15 à 31, à l'article 37 et aux annexes II, III et V à IX au plus tard le 30 juin 2021. 

Référence juridique à rappeler dans les courriers et contentieux:
Directive (UE) 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables

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17/02/2019

Dix orientations pour une continuité écologique "apaisée" et efficace

Quelle politique publique des ouvrages en rivière et de la continuité écologique reflétant à la fois l'état des connaissances et celui des aspirations démocratiques? Voici 10 positions qui devraient selon nous organiser les choix d'orientation du gouvernement et des décideurs locaux, plus particulièrement les débats en cours au comité national de l'eau. Ce sont autant de préalables à une gestion apaisée et efficace de la continuité, sans lesquels la réforme persistera non seulement dans sa conflictualité sociale et judiciaire actuelle, mais aussi dans des choix qui ont de mauvais rapport coût-efficacité, voire des effets dommageables sur la biodiversité, la pollution, la transition énergétique et l'adaptation au changement climatique. 


Reconnaître les dimensions multiples de l'eau. La rivière et les plans d'eau sont des phénomènes naturels - physique, chimique, biologique, écologique - existant avant l'homme mais ils sont également au coeur de la vie et des activités humaines depuis la sédentarisation. La recherche a parlé des "hydro-éco-socio-systèmes" pour qualifier cette réalité hybride à la croisée de l'histoire, de la société et de la nature. Si certains bassins versants ont été peu occupés ou tôt délaissés par l'être humain, offrant aujourd'hui le visage d'une "naturalité" assez spontanée dont la protection écologique forte peut être d'intérêt, ce n'est pas le cas commun. Une politique publique vise la gestion équilibrée et durable de ces milieux aquatiques, en acceptant par principe que les enjeux environnementaux, sociaux et économiques doivent être pensés ensemble, de manière synergique et non pas antagoniste.

Respecter les ouvrages autorisés. Sauf cas de construction illégale, les ouvrages aujourd'hui présents en rivière sont des ouvrages autorisés. Comme tels, ils ont droit au respect de la propriété inscrit dans la constitution. La continuité écologique ne consiste pas à mener des campagnes de contestation de leur existence en vue de les détruire, mais à rechercher des moyens de gestion ou équipement au meilleur ratio coût-efficacité pour améliorer la circulation des poissons et le transit des sédiments. En conséquence, aucune politique publique ne peut partir du principe que la destruction des ouvrages hydrauliques serait une solution supérieurement financée (agences de l'eau) ou proposée en première intention (EPAGE, EPTB).

Assurer la circulation des poissons migrateurs. La continuité écologique a été construite sur le premier objectif de protéger certains poissons ayant des besoins de migrations dans les rivières. La plupart des poissons d'eau douce ont des cycles de vie compatibles avec des aires limitées de nourriture, croissance, reproduction, et donc compatibles avec la fragmentation des rivières qui est en partie naturelle dans l'histoire de l'environnement (chutes et cascades, barrages de castors et d'embâcles, etc.). La continuité écologique s'adresse d'abord aux exigences biologiques de poissons ayant besoin de migrations à longue distance, en particulier les espèces menacées faisant l'objet de plans de protection (anguille, saumon, esturgeon). La circulation ouverte à toutes espèces est une option de mieux-disant halieutique, comportant parfois des désavantages (exotiques, pathogènes), mais elle ne doit pas être la requête de principe sur chaque ouvrage.

Gérer le transit des sédiments au cas par cas. Les dynamiques sédimentaires permettent des apports solides et des habitats variés dans le lit des rivières. Elles sont très variables selon les évolutions et les usages des bassins versants, qui répondent encore aujourd'hui à des pressions vieilles de plusieurs siècles. En raison de la déprise agricole et de la reforestation, certains bassins sont plutôt en déficit d'apport sédimentaire par l'érosion, et en phase d'incision. Ailleurs, les labours mécanisés ont pu augmenter la charge des sédiments fins dans les rivières. De plus, les sédiments (comme l'eau) portent la mémoire des pollutions persistantes liées aux activités humaines passées ou présentes, y compris celles liées à l'urbanisation et à l'usage des produits chimiques de synthèse. La gestion sédimentaire relève donc du cas par cas, avec une approche impérativement définie par bassin versant, en fonction de  la quantité et qualité de la charge solide, ainsi que celle des polluants.

Prendre en compte la biomasse et la biodiversité au droit des ouvrages. Les ouvrages hydrauliques sont de nature très variable, mais en règle générale ils augmentent le volume et/ou la surface en eau, par l'existence d'une retenue ou d'un réservoir et de canaux de diversion. Ces milieux aquatiques ou humides d'origine humaine sont aujourd'hui considérés par la recherche en écologie comme des écosystèmes artificiels susceptibles d'abriter eux aussi de la biodiversité, et parfois même une diversité supérieure à des milieux naturels adjacents mais appauvris. Ils peuvent aussi servir de refuges en situation de stress. Une intervention sur les ouvrages hydrauliques doit commencer par un inventaire de leur biodiversité faune-flore et de leurs fonctionnalités écologiques, afin de prendre une décision éclairée par le réalité du vivant sur site.

Evaluer le rôle protecteur des ouvrages. Dans diverses situations - changement climatique multipliant les assecs et stressant les nappes, pollutions aigües se diffusant dans les rivières, espèces exotiques colonisant des bassins, espèces d'élevage menaçant d'introgression des souches endémiques, crues à temps de retour fréquent –, les ouvrages hydrauliques peuvent jouer des rôles bénéfiques pour des milieux aquatiques et rivulaires, ou pour la régulation des eaux au bénéfice des riverains. Les préconisations de gestion dans chaque bassin versant doivent étudier et intégrer ces dimensions, par un diagnostic mené tant au niveau de chaque site qu'au niveau de la dynamique globale du bassin et sa projection en situation de changement climatique. Etant donné le caractère encore incomplet de nos connaissances écologiques et le caractère incertain des projections hydro-climatiques, une solution réversible de continuité est par principe préférable à un choix irrémédiable.

Développer l'énergie hydraulique pour la transition. Une partie des ouvrages hydrauliques ont servi à produire de l'énergie dans l'histoire, d'autres peuvent le faire bien que ce ne soit pas leur vocation d'origine. Des techniques permettent aujourd'hui d'exploiter la plupart des conditions de chute ou de débit, en autoconsommation ou en injection réseau. La France est le pays à plus fort potentiel d'équipement d'ouvrages en place en Europe selon le bilan 2019 de Restor-Hydro. Notre pays a pris des engagements européens et internationaux faisant de la prévention du changement climatique et de la décarbonation de l'énergie une priorité, avec un bilan zéro carbone net en 2050, soit une génération seulement. La mobilisation des ouvrages hydrauliques dans cette transition est dès lors un choix de première intention.

Tenir compte de la continuité historique et paysagère. De nombreux ouvrages hydrauliques sont en place depuis plusieurs générations, puisque 110 000 moulins et forges étaient recensés au milieu du XIXe siècle. Les plus anciens sont attestés dès le Moyen Âge. Il existe donc une transmission historique remarquable et une intégration paysagère des ouvrages dans leurs vallées. Le paysage n'est certes pas plus immuable que la nature, mais il est en France un élément important du cadre de vie et l'objet de préférences marquées de la part des riverains. La mise en oeuvre d'une politique de continuité doit intégrer cette réalité, telle qu'elle est éprouvée par les citoyens eux-mêmes et non par des experts, sans réfuter cet attachement comme une erreur ou une incompréhension.

Garantir le soutien économique à la continuité. Quand ils prennent la forme de projets ambitieux permettant un passage de toutes espèces (passes à poissons, rivières de contournement), les aménagements de continuité écologique ont des coûts de conception et réalisation qui excèdent largement la charge financière que l'on peut imposer à un particulier ou un petit exploitant pour une motivation d'intérêt général. Pour solvabiliser la réforme, il convient donc que le financeur public, au premier chef les agences de bassin dédiées aux investissements dans le grand cycle de l'eau, intègre la prise en charge de la majeure partie de ces coûts dans ses programmes d'intervention. Des compléments peuvent être apportés par les collectivités territoriales et leurs établissements en charge de la compétence GEMAPI, ainsi que les parcs naturels.

Ré-inventer la gestion locale, ouverte et démocratique des bassins. Dans le domaine des rivières comme ailleurs, il existe en France une crise de la gouvernance démocratique. Les décisions sont perçues comme trop centralisées et trop éloignées du terrain, les instances politico-administratives sont nombreuses et complexes, les acteurs locaux n'ont pas assez d'autonomie décisionnelle et financière, les nouveaux outils numériques de collecte, de concertation et de participation sont très peu exploités pour dégager les préférences des citoyens, les logiques d'urgence et de court-terme nuisent au temps long du débat, de l'observation et de la réflexion. En ce qu'elles sont sources de débats, la continuité écologique et plus généralement la gestion de la rivière sont le terrain propice à une avancée de la démocratisation. Cela passe par le renouveau de l'esprit de décentralisation et d'autonomie qui avait présidé à la création des agences de bassin en 1964, avec l'unité élémentaire de chaque bassin versant comme lieu premier du diagnostic des besoins et de discussion des moyens. Toutes les parties prenantes doivent y être intégrées dès l'amont des projets.


Illustrations : ouvrage et bief de Til-Châtel (21) sur l'Ignon, un patrimoine auquel les riverains sont attachés. Au plan écologique, cette zone de l'Ignon et la Tille est sujette à des assecs fréquents en été, qui risquent de s'aggraver en fréquence ou en intensité avec le changement climatique. Se posent aussi la question de la présence (non vérifiée à date) de truites de souche méditerranéenne en amont (qui pourraient subir une introgression génétique de truite fario d'élevage, de souche atlantique) et la nécessité d'engager aujourd'hui chaque territoire dans la transition énergétique, par la baisse de sa consommation comme par l'exploitation de tous les potentiels en place, dont l'hydroélectricité.