06/11/2019

Désinformation du SAGE de la Tille sur le potentiel hydro-électrique du bassin versant

Les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) doivent intégrer une estimation du potentiel hydro-électrique du bassin versant. Les rédacteurs du SAGE de la Tille, aujourd'hui en enquête publique, ont volontairement exclu toutes les puissances de moins de 100 kW dans cet exercice. C'est un mépris de la recherche européenne ayant montré que 90% des sites de moulins et usines hydrauliques équipables se situent dans cet horizon de puissance. C'est un mépris de la nouvelle loi nationale "climat et énergie" qui encourage la "petite hydro-électricité". C'est un mépris du conseil d'Etat ayant posé que la modestie de la puissance d'un moulin ne pouvait pas être un argument contre l'intérêt de son équipement. Il faut cesser de désinformer le public et de retarder l'engagement de la France dans la politique bas-carbone dont tout le monde souligne désormais l'urgence. L'abandon de la production des usines hydrauliques a été une parenthèse uniquement liée à l'abondance fossile du 20e siècle: cette parenthèse se renferme, les ouvrages doivent retrouver leur vocation énergétique séculaire. 



Le SAGE (schéma d'aménagement de gestion de l'eau) de la Tille est soumis à enquête publique du 14 octobre au 18 novembre 2019 (site de la préfecture).

L’article R 212-36 code de l’environnement prévoit que l’état des lieux des SAGE comprend une évaluation du potentiel hydroélectrique par zone géographique.

Les rédacteurs du projet de SAGE de la Tille ont procédé à cet exercice de manière particulièrement critiquable (voir document PAGD partie 1, pages 39 et suivantes).

Le tableau de la page 40 donne la puissance équipée en 2011, alors que le texte reconnaît que d'autres ouvrages produisent, comme à Champdôtre (52 kW depuis 2015, image ci-dessus) ou Beire-le-Châtel (142 kW depuis 2017). Aucun effort n'a manifestement été fait pour analyser la situation réelle ni pour contacter des associations impliquées sur le sujet (Adera, Hydrauxois) ou des établissements publics ayant soutenu des relances (Ademe) et continuant de le faire.

Le projet de SAGE étudie "le potentiel d’installations nouvelles sur des ouvrages existants" et précise:
"seuls des aménagements potentiels de plus de 100 kW ont été considérés".
Cette position relève de la désinformation : une étude de chercheurs européens a montré que 90% du potentiel hydro-électrique français de relance des sites existants se placent sur des puissances à moins de 100 kW (voir les travaux de Punys et al 2019). L'intérêt des moulins n'est jamais dans leur puissance unitaire, mais toujours dans leur nombre (et dans le fait qu'ils sont déjà présents sans créer de nouveaux impacts). Evacuer le nombre, la puissance cumulée, l'équivalent consommation pour les habitants du bassin, c'est donc taire l'information essentielle.

Les nombreux sites du bassin de la Tille (plus de 80 ouvrages présents sur l'ensemble Tille, Ignon, Venelle, Norges, Crône, Arnisson selon l'évaluation environnemental du SAGE) se situent ainsi pour la plupart dans cette gamme de puissance des moins de 100 kW. Mais 1 kW de puissance hydraulique peut faire l'électricité hors-chauffage d'un foyer pratiquant des économies d'énergie, donc un moulin modeste de 50 kW peut représenter 50 foyers. Dans des villages peu peuplés, c'est déjà une part du chemin vers les territoires zéro carbone.

Les rédacteurs du SAGE choisissent donc une soi-disant "méthodologie" qui consiste à exclure l'essentiel du potentiel énergétique des rivières : qu'est-ce qui leur permet de propager de tels biais, de donner de si mauvaises informations au public et aux décideurs?

Nous pourrions croire à la simple ignorance, mais le texte se poursuit par des approches purement négatives, témoignant en fait de la répugnance manifeste à analyser cette source d'énergie. Ainsi :
"Le schéma régional Climat, Air, Energie de Bourgogne ne compte d’ailleurs que très peu sur l’hydroélectricité pour atteindre son objectif de 23 % d’énergie renouvelable dans le mix énergétique"
On appréciera le parti-pris : le schéma cité soutient bel et bien l'énergie hydraulique, mais on se permet de dire que c'est "très peu". Le SRCAE a prévu une augmentation de l'hydro-électricité dans la région, et c'est bien cela qui compte. Les objectifs du schéma sont les suivants pour les petites puissances: "micro-hydraulique : 2,5 MW supplémentaires installés en 2020, 5 GWh produits en 2020".

Vient ensuite la ritournelle de la comparaison à l'éolien :
"A titre de comparaison, le parc éolien du Pays de Saint-Seine, situé à une vingtaine de kilomètres au nord ouest de Dijon est constitué de 25 éoliennes de 2MW chacune. 4 à 5 de ces éoliennes disposent donc à elles seules d’une puissance équivalente au potentiel brut technique de tout le bassin versant". 
Qu'est-ce que des considérations sur l'éolien viennent faire dans un document sur l'eau? Qui prétend encore que le besoin de remplacement de l'énergie fossile (plus de 70% de l'énergie finale consommée en France, pour rappel) pourra être assuré par une seule source renouvelable (ou autre)? A quoi riment des comptes d'apothicaires où l'on refuse de considérer une source d'énergie car la voisine serait plus abondante? Faut-il interdire un panneau solaire, un méthaniseur, une pompe à chaleur sous prétexte que c'est moins qu'une éolienne? Est-ce que cette mentalité consistant à dire "pas chez moi" et "le voisin le fera bien" représente ce que l'on attend d'un texte public sur l'enjeu eau-énergie pour demain?

Par ailleurs, la loi française "énergie et climat" vient à l'automne 2019 de poser expressément "l'état d'urgence écologique et climatique" tout en décidant que la politique de la France soutient "la petite hydro-électricité". Six mois plus tôt, dans l'arrêt "moulin du Boeuf" 2019, le Conseil d'Etat a censuré la position de l'administration qui considérait "que la contribution de la «petite hydroélectricité» au développement des énergies renouvelables serait par nature insignifiante et que l’objectif de valorisation économique de l’eau ne serait pertinente que pour de gros projets, ce qui n’est pas l’objectif défini par le législateur".

Plusieurs projets de relance hydro-électrique sont à l'étude sur le bassin versant de la Tille. Ces projets auront besoin du soutien public et de l'encouragement citoyen, pas de l'ignorance et de l'indifférence (voire de l'hostilité de certains lobbies et de l'entrave de certaines administrations).

Les scientifiques et les politiques le disent tous: la France comme le reste du monde est en état d'urgence climatique, nous devons nous mobiliser pour supprimer notre dépendance au fossile et pour éviter un réchauffement dangereux pour la société comme pour le vivant. Nous ne pouvons plus fuir cette responsabilité, ni nous dire que d'autres le feront à notre place. La vocation des ouvrages hydrauliques est de recevoir un équipement énergétique en autoconsommation ou en injection réseau, en particulier les ouvrages de moulins, forges et autres usines à eau qui ont été conçus à cette fin dans le passé. Le seul motif d'abandon de la production sur ces sites a été l'abondance fossile du siècle passé. Mais ce temps est révolu et l'énergie des rivières doit de nouveau être mobilisée.

04/11/2019

Les passes à poissons peuvent être fonctionnelles avec de faibles débits (Wolter et Schomaker 2019)

Deux chercheurs allemands montrent de manière empirique qu'un débit d'équipement de 5% du débit moyen de la rivière suffit en général à assurer la fonctionnalité  d'une passe à poissons, chiffre pouvant être plus élevé pour les rivières à faible débit (ou moins pour celles à fort débit). C'est une bonne nouvelle car le coût de ces dispositifs dépend notamment de la quantité d'eau à y faire transiter. La préservation d'un débit suffisant pour l'usine ou le moulin peut aussi être un motif de désaccord entre le propriétaire et l'administration : un choix raisonnable devrait apaiser les choses.   


Christian Wolter et Christian Schomaker (Institut Leibniz d'écologie aquatique et de pêche intérieure, département Biologie et écologie des poissons, Berlin, Allemagne) ont étudié près de 200 systèmes de passes à poissons, principalement localisés en Europe. Leur but: analyser la contrainte de débit pour une fonctionnalité satisfaisante.

Les réseaux hydrographiques allaient de petits ruisseaux avec un débit moyen de 0,07 m3 / s aux grands fleuves de 12 000 m3 / s. Les passes à poissons avaient des débits d'équipement compris entre 0,04 et 12 m3/s. La majorité des passes à poissons évaluées étaient des passes de type bassins successifs (51), suivies des passes rustiques (45), des canaux de contournement (38) et des passes à fente verticale (34).

Voici le résumé de leurs travaux :

"La connectivité longitudinale est l’un des principaux problèmes abordés dans la restauration des rivières de nos jours. Dans le même temps, l'atténuation des impacts du changement climatique par les modes d'énergie renouvelable exerce de plus en plus de pression sur les derniers tronçons de rivières libres pour la production d'hydroélectricité. Au niveau du site, ce compromis se manifeste dans la négociation de l'eau pour le passage du poisson vers l'amont et l'aval par rapport aux pertes pour la production d'hydroélectricité. 

Cette étude a compilé et analysé 193 études évaluant les passes à poissons conçues pour permettre la migration en amont de toutes les espèces et de toutes les classes de taille de leur système hydrographique respectif. Les études ont fourni l’évaluation globale du fonctionnement et du débit consacrés à l’entretien des passes à poissons, du site et des caractères de la rivière. L'objectif principal ici était de définir des orientations générales sur la quantité minimale d'eau nécessaire pour que le passage du poisson en amont fonctionne pleinement en fonction de la taille de la rivière. Il y avait une corrélation significative entre la fonctionnalité et le débit de conception d'une passe à poissons. Les passes à poissons entièrement fonctionnelles (N = 92) présentaient un débit médian théorique de 5% du débit moyen moyen de la rivière, 1,1% pour les passes à un fonctionnement restreint et et 0,22% pour les passes non fonctionnelles. 

Un modèle de puissance pourrait être dérivé des besoins de débit de conception par rapport au débit de la rivière, qui est inversement lié à la taille de la rivière. Dans les grandes rivières, une part relativement faible du débit moyen est suffisante, alors que dans les petites rivières, elle ne peut pas être réduite davantage pour des raisons de dimensions. Ce modèle pourrait constituer un premier guide pour l’ajustement des besoins en matière de production d’hydroélectricité et de conservation des poissons dans les rivières réglementées."



Courbe de régression débit rivière / débit passe pour les dispositifs ayant été vérifiés comme fonctionnels, extrait de Wolter et Schomaker 2019 art cit. 

Discussion
Le dimensionnement des passes à poissons est un enjeu pour la conservation biologique des espèces-cibles mais aussi pour la rentabilité des projets hydro-électriques, pour la préservation de la consistance légale des droits d'eau et pour le maintien de certains qualités appréciées de sites (paysage, maintien d'un plan d'eau). Le travail de Wolter et Schomaker suggère que le débit réservé ou débit minimum biologique (10% du débit moyen interannuel en France) est a priori suffisant dans la grande majorité des cas pour assurer une passe fonctionnelle sur ses espèces cibles. Cela doit conduire les services instructeurs de l'Etat à faire des propositions raisonnables en ce domaine, d'autant que de nombreux ouvrages devront être équipés sur les rivières classées au titre de la continuité écologique. Le coût des passes est notamment fonction de la hauteur à franchir et du débit d'équipement du dispositif : arriver à un bon rapport coût-efficacité-acceptabilité doit être le guide pragmatique des interventions.

Référence : Wolter C, Schomaker C (2019), Fish passes design discharge requirements for successful operation, River Res Applic., doi.org/10.1002/rra.3399

Illustration (en haut) : conception d'un ruisseau de contournement sur un moulin du Cousin (Yonne). Quand le foncier est disponible, ces solutions offrent une bonne intégration paysagère et des écoulements proches de conditions naturelles.

01/11/2019

Attention, une continuité peut en cacher une autre!

Sous le label de "continuité", on désigne la circulation de l'eau, de l'énergie, de la matière et des espèces dans toutes ses dimensions, les trois dimensions d'espace et celle du temps. Le débat français s'est focalisé sur la continuité en long et la question des barrages, surtout par conservatisme par rapport à ce qui se faisait déjà au 20e siècle dans le cadre de la politique des poissons migrateurs. Mais rien ne démontre qu'il s'agit du bon choix d'attention et de priorité pour la biodiversité et pour la ressource en eau : recevoir, retenir et diffuser l'eau dans le maximum de milieux du bassin versant paraît aujourd'hui un défi plus important et plus pressant que la laisser s'écouler plus rapidement dans son lit mineur. 

Il existe quatre dimensions de continuité ou connectivité en milieu aquatique : longitudinale (circulation amont-aval des espèces, de l'eau et de la matière), latérale (circulation entre lit mineur et lit majeur, notamment lors de crue), verticale (flux d'eau et de matière entre le lit et les aquifères), temporelle (permanence du flux d'eau et de matière).

Leurs effets sur le vivant ne sont pas les mêmes.

Voici l'un des rares exemples de la littérature où l'on a essayé de quantifier la richesse d'espèces selon deux types de discontinuité :



Ce graphique, extrait de Ward 1999 d'après les données de Moog 1995, montre comment la diversité des insectes, des mollusques et des crustacés change dans le Danube autrichien selon que l'on compare quatre types de tronçons par paires : libre écoulement en long versus fragmentation par barrage (en haut), libre connexion avec le lit majeur versus endiguement latéral (en bas).

L'observation est sans appel dans ce cas : la richesse en espèces est similaire dans le cas de la fragmentation en long, elle est divisée par trois dans le cas de la discontinuité latérale.

Cette baisse de biodiversité s'explique parce que la capacité d'une rivière à déborder dans sa plaine d'inondation crée des habitats de transition (écotones) entre l'eau et la terre, qui sont riches en diversité structurale et fonctionnelle (des bras morts, des marais, des étangs etc.). Mais c'est aussi l'occupation des sols du bassin versant qui compte : on endigue souvent les rivières pour occuper et exploiter le lit majeur (urbanisation, agriculture, infrastructures de transport) et ces usages du sol tendent à avoir des impacts propres qui s'ajoutent à celui de la disparition des écotones du lit d'inondation.

Le faible impact de la discontinuité en long n'est pas si surprenant : la plupart des espèces peuvent dériver en dévalaison, les espèces bloquées en montaison sont plus rares et souvent spécialisées, la production de plans d'eau par des barrages n'est pas la création de déserts biologiques (le vivant profite de tout volume aquatique qui lui est offert) mais ces habitats plus lents et plus banalisés ne vont pas accueillir les mêmes espèces que d'autres.

Par ailleurs, la notion de temps de relaxation des systèmes est rarement prise en compte. La phase de construction des grands barrages mène à des altérations significatives par désorganisation des flux hydriques, sédimentaires et biologiques. Ces cas ont été un peu documentés en Occident, mais ils le sont surtout aujourd'hui dans les pays émergents où l'on construit des barrages tout en observant leurs effets davantage qu'on ne le faisait jadis. Toutefois, le bassin versant altéré va tendre au fil du temps vers un nouvel équilibre dynamique autour de ses écoulements modifiés. Hors les cas de surexploitation des rivières et réservoirs pour en pomper l'eau, la différence majeure entre les discontinuités en long et en travers est que la première maintient ou augmente le volume d'eau disponible quand la seconde prive complètement certains milieux d'eau. Il est logique que les effets soit différents quand on observe un milieu anciennement aménagé comme le Danube.

A notre connaissance, nous sommes toujours incapables en France et en 2019 de produire des analyses comme celles illustrées par Ward et ses collègues voici 20 ans.

Nous manquons de travaux d'inventaire de la biodiversité en général, et selon les types de fragmentation en particulier. La politique publique de continuité a été principalement conçue comme reproduction de la politique ancienne de soutien aux effectifs de poissons migrateurs et rhéophiles, qui était une demande traditionnelle de la pêche de loisir en eau douce. Il en a résulté des moyens et des programmes largement consacrés à la question des barrages et chaussées. De même, l'indicateur poisson est le plus souvent mobilisé, alors que d'autres assemblages (invertébrés, amphibiens, oiseaux, mammifères, végétaux, etc.) sont partie intégrante de la biodiversité des milieux aquatiques et humides.

Quand le gouvernement français réfléchit à la "priorisation" de la continuité, il devrait aussi le  faire par cet élargissement de perspective. Des capacités de franchissement de poissons sont utiles dans des axes migrateurs, de même que des circulations sédimentaires là où elles ont un déficit réel et elles sont d'intérêt, mais cela paraît finalement un enjeu assez modeste en écologie aquatique, particulièrement si l'on veut enrayer le déclin global de la biodiversité tout en protégeant la ressource quantitative en eau pour les vivants, humains comme non-humains.

Références citées : Ward JV et al (1999), Biodiversity of floodplain river ecosystems: ecotones and connectivity, Regul Rivers Res Mgmt 15, 125–139 ; Moog O et al (1995), The distribution of benthic invertebrates along the Austrian stretch of the River Danube and its relevance as an indicator of zoogeographical and water quality parameters—part 1, Arch Hydrobiol Suppl, 101,121-213.

30/10/2019

Les députés Gaillard et Delatte demandent au ministère de l'écologie une révision de sa doctrine sur les ouvrages hydrauliques

Ce mois-ci, deux députés ont encore interpellé la ministre de l'écologie sur la nécessité de cesser la destruction des ouvrages hydrauliques créant des retenues, étangs, lacs et canaux qui ont de l'intérêt dans la gestion de l'eau et la production d'énergie. Nicolas Hulot puis François de Rugy n'avaient engagé que le service minimum sur le sujet: Elisabeth Borne, qui fut directrice de cabinet de Ségolène Royal en 2015 lorsque cette dernière demanda aux préfets un moratoire sur les destructions de sites, va-t-elle comprendre la nécessité de recadrer de manière plus claire et plus ferme ses services en charge de l'eau de la biodiversité? Face aux défis gigantesques de la transition bas carbone, de l'arrêt de la pollution des eaux par des substances toxiques, de la préservation de milieux aquatiques et humides en phase de changement climatique, le ministère doit aujourd'hui prendre ses responsabilités. L'heure n'est plus au rafistolage de réformes ratées ayant produit 10 ans de conflits et de gabegies, mais à une nouvelle vision assumée des priorités écologiques de l'eau et des enjeux des ouvrages pour les territoires. 



Question du député Olivier Gaillard (Gard)
M. Olivier Gaillard attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur l'enjeu de la préservation des ouvrages hydrauliques. La France se trouve de plus en plus souvent confrontée à des aléas et risques majeurs : l'absence de recharge des nappes en hiver engendre des situations critiques l'année suivante pour de nombreux territoires. Une meilleure exploitation excédentaire des saisons pluvieuses est un enjeu primordial. Cela passe soit par le stockage, soit l'expansion des échanges de l'eau avec les sols et les nappes. Les solutions sont les barrages réservoirs (pour le stockage soutenant l'étiage et l'alimentation en eau de la population), les retenues stockant les ruissellements, les ouvrages en lit mineur (type moulins, étangs, plans d'eau, lacs) maintenant des lames d'eau à l'étiage, alimentant des marges humides et/ou des canaux faisant circuler l'eau, et les restaurations de zones humides naturelles. Or, la destruction de milliers d'ouvrages séculaires de stockage et de circulation de l'eau est promue et financée par l'administration de l'eau, au motif de la continuité écologique. Les informations livrées par le rapport CGEDD permettent de le vérifier. L'instruction de ces travaux est assouplie et le financement public s'élève à 80 %. Cette approche tranche avec la définition de la gestion équilibrée et durable de l'eau figurant dans la loi à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. Il lui demande s'il est prévu que la préservation et la création de lacs, retenues, canaux, fassent à nouveau partie des orientations de l'action publique, et à tout le moins, que soit adopté un moratoire à effet immédiat sur toutes les destructions d'ouvrages hydrauliques permettant le stockage de l'eau, le maintien de la lame d'eau ou la diversion de l'eau en France. Ce réajustement de l'administration de l'eau permettrait de faire un inventaire des ouvrages existants (en activité ou à restaurer), lesquels seraient tout à fait complémentaires des nouveaux projets d'ouvrages de gestion quantitative de l'eau.

Question du député Rémi Delatte (Côte d'Or) 
M. Rémi Delatte appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur l'urgence de protéger les ouvrages créant une retenue de l'eau au fil de l'an. Présentant un fort potentiel de développement, dans les années à venir, de l'hydroélectrique, ils sont aussi un moyen particulièrement pertinent dans la gestion de l'eau. Alors que les territoires subissent depuis plusieurs mois les affres d'une sècheresse amenée à être de plus en plus récurrente, il nous faut d'ores et déjà en anticiper les prochains épisodes. En créant des retenues d'eau, les ouvrages que sont les biefs, moulins mais aussi lacs et étangs participent à la réglementation des nappes. De surcroît, ils permettraient, au cours de l'hiver, de gérer le surplus d'eau et limiter les dégâts de crues et inondations. Aussi, il souhaite qu'elle déclare un moratoire urgent sur la destruction des ouvrages hydrauliques permettant le stockage de l'eau et le lancement d'une grande consultation sur la politique de protection de ceux-ci.

28/10/2019

Riverains et usagers du Loiret refusent le nouveau diktat de l'ouverture permanente des vannes

Apaisée la continuité ? Loin s'en faut. Après avoir essayé sans succès de casser les ouvrages, l'administration tente en divers endroits d'en vider en permanence les retenues et les biefs. L'Association pour la sauvegarde des bassins, des paysages et des usages du Loiret (ASBPUL) vient de naître : elle est vent debout contre les manoeuvres du SAGE et de la préfecture visant à imposer cette ouverture des vannes d'ouvrages hydrauliques toute l'année, impliquant la modification complète du profil de la vallée, l'altération des usages établis, la dégradation des biotopes en place, l'abaissement des nappes, l'infraction aux consistances légales autorisées. S'il veut apaiser la continuité, le ministère de l'écologie doit admettre la réalité des nouveaux écosystèmes aménagés par l'humain et sortir de l'optique de la "renaturation" de tous les bassins. Sinon, les mêmes causes produiront les mêmes effets, l'Etat cherchera à détruire ce qui est justement apprécié dans l'évolution des profils fluviaux, donc sèmera la division et le conflit. La négation de l'histoire et de la société au nom de la nature est une posture intégriste: on rappellera aux représentants du ministère de l'écologie comme aux lobbies de la destruction que ce n'est pas une disposition des lois de la République. 



Le préfet du Loiret prétend indûment dans un courrier envoyé à l'ensemble des propriétaires d'ouvrages hydrauliques que les vannes doivent être ouvertes "de tout temps". C'est faux: les vannes des ouvrages doivent être régulées de manière à respecter la consistance légale de chaque autorisation, certainement pas en vidant les retenues et les biefs, en baissant les niveaux toute l'année, en altérant l'ensemble des usages riverains comme des milieux aquatiques et rivulaires tels qu'ils ont évolué.

Sauf exceptions motivées par des cas particuliers (en hydrologie ou en usage), la gestion des vannes des ouvrages doit:
- maintenir le niveau de ligne d'eau tel qu'il est autorisé sur chaque site,
- assurer le débit réservé là où le tronçon de rivière "naturelle" est court-circuité,
- permettre la circulation de l'eau et des sédiments en période de crue.

En aucun cas l'ouverture des vannes n'a vocation à devenir permanente et mener aux problèmes innombrables de riveraineté que cela poserait.

En revanche, des garanties plus strictes d'ouvertures coordonnées de vannes en période de crue sont utiles pour la gestion des inondations comme pour la circulation des sédiments: il est normal et même nécessaire de rappeler aux propriétaires leurs devoirs de gestion. De même, en fonction de la présence de grands migrateurs, on peut tester des ouvertures de vannes, mais elles sont alors limitées à certaines périodes de migration vers l'amont et conditionnées à une analyse de résultat.

Tant que l'administration pensera que l'ouvrage ne doit pas exister, elle entretiendra les conflits 
Manifestement, l'administration française est loin de la continuité "apaisée". Hier, elle souhaitait détruire les ouvrages. Aujourd'hui, elle veut lever leurs vannes toute l'année ou presque. Ces mesures ne sont compréhensibles qu'à travers l'existence d'un prisme déformé et déformant : cette administration persiste dans la négation de la réalité des rivières aménagées au fil de l'histoire, dont le profil est désormais différent de celui des rivières antérieures à l'occupation humaine. Cette administration veut toujours aller bien au-delà de la loi, qui n'a jamais engagé la "renaturation" massive des rivières françaises ni la suppression de toutes les autorisations établies. La gestion durable et équilibrée de l'eau en France exige de prendre en compte toutes les représentations de la rivière, en aucun cas cette orientation normative n'exige de revenir à des rivières telles qu'elles furent en une autre époque.

Nous l'avions dit dès le début des travaux au comité national de l'eau en 2018: la continuité "apaisée" supposait un changement explicite de doctrine du ministère de l'écologie et une instruction demandant clairement aux services de respecter les ouvrages comme héritage de la rivière et comme nouveaux écosystèmes divergeant des anciens profils fluviaux. Cela ne fut pas fait, et on continue donc dans la confusion, avec une administration ayant toujours comme position explicite ou implicite que l'ouvrage ne devrait pas exister. Sans compter les divergences d'interprétation d'une préfecture à l'autre, que tout le monde connaît désormais car l'information circule facilement, mais qui nourrissent la perception de l'arbitraire.

Le gâchis de temps et d'énergie va donc se poursuivre : les parlementaires et la ministre seront toujours interpellés sur le sujet, des contentieux contre les arrêtés préfectoraux, les SDAGE ou les SAGE seront toujours déposés, les rapports avec les agents de terrain de l'administration seront dégradés, les tensions entre usagers vont se renforcer, la politique de l'eau sera contestée comme lieu de dérapages dans l'interprétation des lois françaises et directives européennes... au bout d'un moment, nos politiques vont-ils enfin demander des comptes aux responsables de ces dérives et faire cesser ces troubles?

Sur cette question de l'ouverture des vannes, voir le modèle de recours des riverains de la Cléry