Le programme 2020-2024 de travaux de restauration du Loir et de ses affluents fait l'objet d'une enquête publique du 25 novembre au 10 décembre. Ce projet est porté par le Syndicat mixte d'aménagement et de restauration du bassin du Loir en Eure-et-Loir (SMAR Loir 28), associé à la Fédération de pêche du 28 pour certains travaux.
L'état des lieux proposé ("Note de présentation non technique du projet") fait apparaître que les 9 masses d'eau sont dégradées par pesticides, nitrates ou macropolluants (pages 15-16). On s'attend à ce que ce problème soit corrigé par la recherche et le financement de bonnes pratiques agricoles, industrielles, urbaines et domestiques : il n'en est rien. Comme d'habitude, les diagnostics montrent des dégradations que nous sommes censés traiter par nos obligations européennes (directive cadre européenne sur l'eau 2000, DCE), mais l'argent va ailleurs.
Dans ce diagnostic, la continuité est présentée comme un motif de dégradation du bon état écologique DCE, ce qui est une manipulation : la DCE voit la continuité comme le facteur éventuel d'un "très bon état", de toute façon un enjeu annexe par rapport aux enjeux prioritaires de l'Europe qui sont l'atteinte des critères de qualité chimique, physico-chimique et biologique, au premier chef par la suppression des pollutions sur lesquelles la France accuse divers retards. Par ailleurs, cette continuité a quatre dimensions (longitudinale, latérale, verticale et temporelle) et ne se résume donc pas à la continuité en long, focalisant l'attention sur pression de lobbies davantage que pour motifs écologiques démontrés.
Le diagnostic observe : "L'Ozanne, le Loir médian et le Loir aval présentent des taux d'étagement respectivement de 73% pour les deux premiers, et de 96% pour le dernier (données issues des premières études menées sur le bassin, mises à jour le bureau d’études HYDROCONCEPT et corroborées avec celles de la FDPPMA 28 et de l’AFB)" (page 22). En ce cas, ces rivières doivent être considérées comme "masse d'eau fortement modifiée" dans le cadre de la DCE, puisque l'Europe a prévu qu'une rivière dont la morphologie est totalement changée par interventions humaines dans l'histoire ne doit plus être considérée comme masse d'eau naturelle (donc ne peut pas avoir le même référentiel de peuplement biologique ou de fonctionnement morphologique qu'une autre non modifiée). Les gestionnaires publics doivent refléter cette réalité au lieu d'engager des dépenses inconsidérées dont l'effet sera probablement marginal.
Il est par ailleurs écrit dans la Note de présentation : "Restauration de la continuité écologique de manière coordonnée. Ces actions concernent les ouvrages. Elles sont proposées dans le respect des usages. Dans le cadre de ce dossier, aucune action n’est envisagée sur des complexes hydrauliques de type moulins car ils nécessitent une approche spécifique et des études particulières. Ils feront l’objet d’autorisations ultérieures en tant que de besoin."
Or, c'est un mensonge pur et simple.
La liste des "fiches actions" proposées dans le programme comporte notamment :
- destruction du clapet de la Dame Blanche (rivière Loir, à Alluyes-Montboisier)
- destruction chaussée du moulin de Brétigny (rivière Ozanne, à Dangeau)
- destruction du seuil du moulin Rivière (rivière Ozanne, à Les Auutels-Villevillon)
- destruction de la chaussée du moulin d'Orsay (rivière Yerre, à La Bazoche-Gouet)
- destruction de la chaussée du moulin du Pont Galet (rivière Yerre, à La Bazoche-Gouet)
- destruction de la chaussée du moulin des Granges (rivière Yerre, à Arrou)
- destruction de la chaussée du moulin de la Mauginière (rivière Yerre, à La Mauginière)
- destruction de la chaussée du moulin Neuf (rivière Thironne, à Chassant)
- destruction de la chaussée du moulin Toucheron (rivière Mzure, à Happonvilliers)
- destruction de la chaussée du moulin de Ronce (rivière Thironne, à Montigny-Le Chartif)
Aucune explication de priorisation n'est donnée à ces travaux disparates (diverses masses d'eau ne sont ni en liste 1 ni en liste 2 au titre de la continuité), alors que le plan gouvernemental pour une continuité écologique apaisée demandait à l'administration de garantir que les actions sont financées et conduites selon une priorité démontrée.
Au total, les opérations de destruction d'ouvrages représente 727 000 euros dans le budget prévisionnel, soit 13% des dépenses.
En comparaison, un poste aussi utile à la biodiversité que la restauration de zones humides et annexes hydrauliques ne dispose que de 12 000 euros, soit 60 fois moins...
Nous persistons donc dans la gabegie à l'oeuvre dans la politique de l'eau depuis 10 ans :
- diversion de l'argent public vers des sujets sans rapports avec nos obligations DCE de lutte prioritaire contre les polluants,
- obsession de la continuité en long qui est moins efficace pour la biodiversité et pour le stockage de l'eau que la restauration de continuité latérale, et qui présente en général de nombreux risques d'effets négatifs,
- destruction dogmatique d'ouvrages en travers sans analyse de biodiversité des sites et des effets sur la préservation locale de l'eau, sans la moindre explication sur le caractère nécessaire des actions,
- mépris des nouvelles règles du gouvernement qui, face à l'échec manifeste de la continuité en long et à son coût considérable, demandent de définir des priorités justifiées et d'y concentrer les efforts au lieu d'actions disparates.