Julia T. Wollny, Annette Otte et Sarah Harvolk-Schöning (Institut d'écologie du paysage et de management des ressources, Université Justus-Liebig de Giessen) ont étudié la végétation des berges de deux rivières du Palatinat rhénan : six sites de la Lahn (sur 94 km de tronçon, entre les altitudes 153-100 m) et trois sites de la Fulda (sur 62 km de tronçon, entre les altitudes 180-146 m). Ces rivières ont été modifiées par des chaussées de moulin à compter du Moyen Âge, avec d'autres interventions ultérieures (stabilisation de berge, extraction de sédiment). Leurs modules se situent entre 45 et 63 m3/s. Seize relevés ont été fait sur chaque site, à des distances de 200, 400, 800 et 1000m du seuil en amont et en aval, sur chaque rive. Au total, 198 espèces différentes ont été retrouvées (175 sur la Lahn et 125 sur la Fulda). La distance du seuil ne crée pas de différences significatives en amont ou en aval.
Voici le résumé de leur travail :
"Des mesures de régulation telles que l’installation de seuils ont entraîné des changements distinctifs dans les communautés de plantes riveraines et un déclin des espèces de plantes riveraines typiques le long des berges de la rivière, qui sont naturellement pauvres en plantes ligneuses. Ces mesures de régulation incluent également les retenues ou les barrages au fil de l'eau qui provoquent des différences dans les conditions hydrodynamiques à leur proximité directe en amont et en aval. Au cours de l'année, les tronçons en aval sont exposés à des fluctuations du niveau de l'eau nettement plus importantes qu'en amont. Ainsi, ces tronçons sont supposés fournir également un habitat propice aux espèces de plantes riveraines d'habitats exposés à de fréquentes perturbations causées par l'alternance des niveaux d'eau.
Nous avons étudié la végétation riveraine à proximité immédiate en amont et en aval de neuf barrages le long des deux rivières régulés la Lahn et la Fulda. L'échantillonnage a été réalisé au cours des étés 2016 et 2017 dans les zones de transition entre les eaux et les terres directement au-dessus du niveau d'eau. Les différences dans la composition des espèces ont été analysées à l'aide d'une analyse multidimensionnelle non métrique et d'une analyse des espèces indicatrices. Les résultats de l’analyse des espèces indicatrices ont été utilisés pour d’autres analyses concernant les caractéristiques fonctionnelles de l’espèce et l’origine de son habitat.
Un regroupement des relevés selon le remous du déversoir, les différences dans les conditions du site, les espèces indicatrices significatives pour chaque portée et les espèces indicatrices communes en amont le long des deux rivières font ressortir des différences dans la composition des espèces en amont et en aval. En raison des niveaux d’eau relativement constants, la composition en espèces en amont consistait principalement en espèces pérennes provenant de roseaux d’eaux stagnantes, de forêts alluviales et de marécages et des habitats terrestres concurrents. En revanche, les espèces des roseaux d'eaux vives, des prairies et lits inondables, des communautés de plantes riveraines typiques (Bidention tripartitae, Chenopodion rubri) se rencontrent plus fréquemment en aval. Les espèces en aval présentaient également une moindre capacité compétitive et des cycles de vie courts en raison de fluctuations plus importantes du niveau de l'eau.
La composition des espèces en amont et en aval reflète clairement les conditions hydrodynamiques observées, limitant la continuité à la zone située entre deux déversoirs. Cela diffère nettement des conditions naturelles, ce qui conduit à l'établissement de nouvelles communautés de plantes riveraines. Étant donné que les débits en aval situés à proximité immédiate des barrages sont liés à des fluctuations plus importantes du niveau de l'eau au cours de l'année, ces zones revêtent une importance essentielle en tant que refuge pour les espèces riveraines typiques. Dans ce contexte, nous recommandons de réduire la pente des berges en aval afin d’accroître l’effet des fluctuations des niveaux d’eau, ce qui permettrait de créer des habitats propices aux espèces de plantes riveraines typiques."
Voici en particulier le tableau des compositions d'espèces en amont et en aval des seuils, où l'on constate deux fois plus de richesse d'espèces dans la zone de retenue.
Cliquer pour agrandir, tableau extrait de Wollny et al 2019, art cti.
Discussion
Contrairement à leurs collègues français, les gestionnaires allemands ont classé un grand nombre de leurs cours d'eau comme "masses d'eau fortement modifiées", une option que laissait ouverte l'Union européenne lorsque la morphologie des rivières a été modifiée par les usages humains. De là l'intérêt prioritaire pour des mesures de gestion sur les tronçons moins modifiés dans ces masses d'eau, qui doivent avoir un "bon potentiel écologique" (dans le jargon administratif de la directive cadre européenne sur l'eau). Il est dommage que le travail ne comporte pas de comparaison avec la biodiversité végétale rivulaire de rivières libres, puisque comme le reconnaissent les chercheuses, les travaux à ce sujet restent rares, en particulier pour les ouvrages de type seuils, moins étudiés que les barrages.
Un point n'est pas élucidé dans cette étude : l'usage exact des ouvrages et la morphologie complète de leurs dérivations. Quand ceux-ci dérivent des biefs de moulins, il convient d'analyser aussi leur végétation de berge. Il n'est en effet pas rare que ces canaux anciens, parfois très longs, représentent des profils intéressants pour la végétation et des annexes humides. L'hypothèse d'une disparition de l'ouvrage entraînant en ce cas la disparition de ces milieux aquatiques et humides, on ne peut faire un bilan réel qu'en intégrant ce paramètre. Des travaux français avaient ainsi montré que la disparition d'ouvrage peut avoir des effets négatifs sur des formations matures de forêts alluviales, y compris des espèces protégées au titre de la directive habitats faune flore (Depoilly et Dufour 2015, Dufour et al 2017). De même, comme l'a montré un autre travail allemand récent (Maaß et Schüttrumpf 2019), la suppression simple d'un ouvrage peut entraîner une incision des lits, des berges plus abruptes et un moindre débordement en lit majeur, ce qui est à modéliser avant de planifier des actions car ces issues sont plutôt considérées comme négatives.
Référence : Wollny JT et al (2019), Riparian plant species composition alternates between species from standing and flowing water bodies – Results of field studies upstream and downstream of weirs along the German rivers Lahn and Fulda, Ecological Engineering, 139, 105576