Les députés Jean-Claude Leclabart et Didier Quentin viennent de déposer un rapport d'information sur la politique européenne de l'eau à la commission des affaires européennes. Ce rapport est centré sur les cours d'eau et la mise en oeuvre de la directive cadre européenne de 2000 (DCE 2000), qui est actuellement en phase de bilan et révision à Bruxelles.
Une politique de l'eau confrontée à de nouveaux défis
En introduction, les enjeux sont rappelés dans le rapport, notamment ceux qui étaient moins évidents en 2000 quand fut adoptée la DCE, mais qui sont apparus avec la connaissance ou l'expérience.
"Nous sommes aujourd’hui à un moment charnière pour la politique européenne de l’eau : l’Union européenne s’est engagée dans l’évaluation ou la révision de pans entiers de sa législation en la matière. Compte tenu de cette actualité et de l’ampleur du sujet, vos rapporteurs ont fait le choix de se concentrer sur les enjeux liés à la préservation des eaux douces.
Les nouveaux défis auxquels est confrontée l’Union européenne imposent en effet un réexamen de la politique de l’eau. Le premier de ces défis est le dérèglement climatique. Près d’un tiers du territoire de l’Union européenne est d’ores et déjà exposé à un « stress hydrique », et les dangers liés au manque d’eau – sécheresses – ou à son excès – inondations – risquent de s’accroître, dans les décennies à venir. La moitié des bassins fluviaux de l’Union européenne devrait être affectée en 2030 par la pénurie d’eau (2). Dans ce contexte, l’un des grands enjeux de la politique européenne de l’eau sera de compléter l’approche environnementale, qualitative, par une approche quantitative, axée sur la disponibilité de la ressource en eau.
Le deuxième défi porte sur la qualité de la ressource : l’émergence des nouveaux polluants, comme les micropolluants et les perturbateurs endocriniens, susceptibles d’interférer avec le système hormonal, constituent un défi de taille. Les principales difficultés, à cet égard, sont la détectabilité de certaines substances, ainsi que l’incertitude sur les seuils de toxicité et le manque de connaissance des effets «cocktails» (liés au mélange de substances). En la matière, l’Union européenne doit passer d’une logique de traitement de l’eau a posteriori à une logique de prévention des risques.
Le troisième défi provient de la pression croissante de l’opinion publique, qui demande un meilleur accès à la ressource et davantage de transparence sur la qualité de l’eau. À cet égard, il est révélateur que la toute première initiative européenne ait porté sur l’accès à l’eau : la pétition « Right2water » a recueilli, en 2013, 1,8 million de signatures, ce qui a conduit la Commission européenne à proposer une révision de la directive «Eau potable»
Enfin, s’il est opportun de réexaminer le cadre législatif et réglementaire de l’Union européenne spécifiquement lié à l’eau, il convient de rappeler que l’état de la ressource est étroitement corrélé à l’évolution d’autres politiques européennes. À cet égard, la politique de l’eau ne dépend pas uniquement de l’eau : elle dépend également de la politique agricole commune, énergétique, climatique et, plus largement, économique. À ce titre, l’avenir de l’eau est indissociable de l’ampleur de l’infléchissement vers une économie circulaire et du «Green Deal» annoncé par la nouvelle présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, qui devra être également un «Blue Deal». Dans un contexte où la lutte contre les dérèglements climatiques devient la priorité des politiques publiques, l’eau a un rôle majeur à jouer : elle en est la première victime, mais sa capacité d’absorption du carbone en fait également l’une de nos armes les plus puissantes."
Surtranspositions, complexités, coûts, blocage de l'hydro-électricité
Ce rapport comporte plusieurs critiques de la continuité écologique "à la française" qui a créé depuis 10 ans de nombreux problèmes autour de la question des ouvrages hydrauliques.
D'abord, le problème de l'arbitraire réglementaire et de la "surtransposition par interprétation" de règles européennes. Il est souhaité que la Commission européenne clarifie cette question:
"Si une révision ne nous semble pas opportune, il n’en reste pas moins que la mise en œuvre de la directive-cadre diffère sensiblement selon les États membres. Ceux-ci auraient besoin de précisions sur l’interprétation de certains points de la directive, afin d’harmoniser son application à l’échelle européenne.Ensuite, le conflit de cohérence entre les politiques de l'eau, de l'énergie et du climat:
C’est le cas notamment de la notion de «continuité écologique», qui n’est pas définie de la même façon selon les États membres. En France notamment, les projets de retenue d’eau se heurtent très fréquemment à des blocages au niveau local: la possibilité de déroger à la directive est sous-utilisée, en raison notamment de l’interprétation du principe de non-détérioration par les pouvoirs publics, confortés par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il serait opportun que la Commission définisse plus clairement la notion de continuité écologique et établisse un guide des bonnes pratiques en la matière."
"La politique énergétique et la politique de l’eau souffrent, à certains égards, d’injonctions contradictoires. L’objectif de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et le paquet « climat-énergie » imposent aux États membres de développer les énergies renouvelables. Or l’interprétation du principe de continuité écologique peut conduire à une réduction du potentiel de développement de l’hydroélectricité, en bloquant les projets de barrage. Selon le Cercle français de l’eau, en France, la liste des cours d’eau à équiper et le coût des équipements exigés sont hors de proportion avec les enjeux biologiques : les actions en faveur de la continuité écologique auraient coûté 100 millions par an, depuis 2008, à la profession hydroélectrique.Nous rappelons à ce sujet que :
À notre sens, cette opposition entre eau, énergie et biodiversité est stérile et artificielle : l’atténuation du changement climatique est indispensable pour préserver la biodiversité. Les impacts positifs de l’hydroélectricité sur la biodiversité et le changement climatique doivent être pris en compte. Dans ce contexte, il convient de fixer des priorités et de rechercher les solutions les plus efficaces, au coût le plus acceptable, en fonction des spécificités locales.
Il convient de faciliter le développement de barrages hydroélectriques, lorsque les bénéfices environnementaux, notamment en matière de réduction de gaz à effets de serre, sont supérieurs aux coûts."
- la solution à moindre impact environnemental est d'équiper d'abord les barrages existants, ce qui ne crée pas de changements morphologiques sur le milieu en place (parfois depuis des siècles), soit le contraire de la politique actuelle de destruction soutenue par les agences de l'eau, l'office de la biodiversité (ex Onema-AFB) et autres instances administratives,
- rien que pour les moulins, il existe un potentiel d'environ 25 000 sites pouvant produire (voir Punys et al 2019), auxquels s'ajoutent tous les barrages non équipés ayant d'autres usages (navigation, irrigation, eau potable)
- ces choix doivent avoir des traductions concrètes dans l'évolution des schémas locaux de type SDAGE, SAGE et SRADDET, car la politique nationale et européenne bas-carbone est entravée par des orientations contraires, cela alors que les programmations administratives locales ne disposent pas de la même légitimité démocratique ni de la même force normative que des lois françaises et des directives européennes.
La continuité écologique en France n'a pas posé problème sur son principe initial (rétablir une fonctionnalité de franchissement au droit de certains ouvrages), mais sur les innombrables dérives de sa mise en oeuvre depuis le plan gouvernemental PARCE 2009:
- disproportion effarante entre la généralité du discours administratif (national ou local) et l'absence de mesures de terrain pour en démontrer la véracité, confusion entre d'anciennes obsessions de la bureaucratie publique centrale (supprimer les droits d'eau, reprendre la main sur les rivières non-domaniales) et des motifs écologiques, absence de hiérarchisation et de priorisation des sites à traiter,
- prime systématique à la destruction pure et simple des sites (moulins, étangs, barrages), harcèlements règlementaires (DDT-M) et chantages financiers (agences de l'eau) pour y pousser,
- vision fixiste de la biodiversité (Onema-AFB) comme nature endémique de référence, refus de prendre en compte la réalité des nouveaux écosystèmes aquatiques apparus dans l'histoire, absence d'inventaires locaux de biodiversité, absence de bilan hydrologique crue-étiage,
- dérive arbitraire d'administrations non élues vers des visées de "renaturation" n'ayant jamais été dans la loi et fondées sur des paradigmes très discutables,
- sur-représentation de l'enjeu halieutique et du lobby de la pêche dans la décision et la dépense, alors que le vivant de la rivière ne se limite pas à des poissons,
- manque de transparence, de concertation et d'inclusion des riverains, des propriétaires et des associations dans la gouvernance, coupure entre administration et administrés caractéristique de la crise actuelle de l'action publique en France,
- transformation d'une politique expérimentale de restauration écologique en programmation de chantiers à grande échelle, sans suivi scientifique d'efficacité et d'analyse des risques, au détriment des fonds alloués aux stratégies de conservation d'espaces protégés et à d'autres altérations plus manifestes du vivant.
Source : Jean-Claude Leclabart et Didier Quentin (2019), Rapport d'information n°2495, Politique européenne de l’eau