07/02/2020

Au lieu de réussir à baisser les pesticides, le ministère de l'agriculture continue de vouloir détruire des ouvrages en rivière

En réponse à une question du député Favennec Becot, le ministre de l'agriculture persiste à développer sur les ouvrages hydrauliques un certain nombre de contre-vérités et, plus gravement, un certain nombre de propositions contraires à la loi. Le gouvernement dénie le rôle de retenue et  diffusion de l'eau par les ouvrages tout au long de l'année comme leur atout d'hébergement et protection du vivant aquatique. Cela contre toutes les observations de terrain en ce sens, notamment lors de la sécheresse 2019. Dans le même temps, la cour des comptes constate l'échec depuis 10 ans de la lutte française contre les pollutions par pesticides. Les ministères de l'écologie et de l'agriculture doivent cesser de marcher sur la tête à tenter encore en 2020 de détruire des moulins et étangs pendant que nous tardons à prendre la mesure du changement climatique, à accélérer  la transition bas carbone et à réduire les toxiques impliqués dans une baisse sans précédent de la biodiversité. 


Retenue de moulin sur la Digeanne, formant zone humide et hébergeant du vivant toute l'année. Parce qu'il ne veut pas reconnaître les limites et dérapages de la renaturation, le gouvernement persiste dans la négation de toute valeur écologique des ouvrages hydrauliques anciens. Cela contredirait le dogme asséné depuis 10 ans, cela obligerait les porteurs de projet de continuité à une analyse sincère, complète et objective des milieux tels qu'ils existent au terme d'évolutions historiques multiséculaires. Aucune continuité ne sera "apaisée" sur la base de ces dénis de réalité. 


Dans sa réponse au député reproduite ci-dessous, le ministre écrit : "lorsque l'enjeu est fort et pour des ouvrages à faible rentabilité économique, des solutions d'abaissement de la hauteur du seuil ou de suppression de l'ouvrage sont effectivement mises en avant au regard d'autres solutions de technicité élevée et par nature très coûteuses"

Cette "solution" vantée par le ministre n'est tout simplement pas prévue par la loi française, qui demande des ouvrages gérés, équipés, entretenus (article L 214-17 C env) et qui exige bien entendu le respect des ouvrages autorisés (article L 214-6 C env). Le pouvoir exécutif reste dans une logique de continuité imposée et non apaisée. Il revient à l'administration de proposer des solutions prévues par la loi, toute autre option faisant l'objet d'une mise en demeure par le propriétaire de respecter cette loi, le cas échant d'un contentieux pour excès de pouvoir. Contactez notre association si vous subissez encore des propositions illégales de destruction alors que vous êtes attaché à la protection de votre ouvrage, de son patrimoine et de ses milieux.

Le ministre écrit : "la suppression d'un certain nombre de seuils ou plans d'eau en lit mineur ayant une capacité de rétention d'eau limitée à quelques centaines ou milliers de mètres cube et non susceptibles de soutenir le débit des cours d'eau ou d'assurer un approvisionnement en eau de plus de quelques heures, n'est pas contradictoire avec la politique de sécurisation d'une ressource disponible à l'étiage".

Cette phrase méconnaît elle aussi la réalité autant que la loi. La capacité à retenir et divertir (biefs, canaux) de l'eau n'est pas dépendante d'un volume donné en deçà duquel ce serait sans intérêt pour les riverains et pour le vivant. Il y a souvent des dizaines d'ouvrages sur chaque rivière, c'est cette accumulation qui permet tout au long de l'année (pas seulement à l'étiage) de recharger les nappes et d'infiltrer les sols, de soutenir la végétation, d'héberger la faune. Tous les riverains l'observent, les parlementaires en ont été informés (voir nos articles et témoignages sur les sécheresses). Par ailleurs, les retenues comme les biefs forment des milieux aquatiques, parfois des zones humides attenantes, et ils sont à ce titre protégés par la loi. Leur assèchement par suppression d'ouvrage sans étude préalable d'hydrologie et de biodiversité, sans compensation par création d'une superficie aquatique au moins équivalente sur le même tronçon, peut et doit faire l'objet d'un recours administratif et/ou d'une plainte pénale.

Le ministre écrit : "la restauration d'écosystèmes aquatiques fonctionnels, en particulier de cours d'eau courants et dynamiques connectés à leurs milieux humides alluviaux, fait partie des solutions fondées sur la nature permettant une meilleure gestion quantitative de la ressource en eau et une meilleure résilience des territoires et de la biodiversité aux impacts du changement climatique".

C'est tout à fait exact, mais les solutions fondées sur la nature ne s'opposent pas aux solutions héritées de l'histoire. La recherche a montré que la suppression des ouvrages en travers et de leur retenue conduit à l'incision des lits, l'abaissement des niveaux et la limitation des débordements en lit majeur (Maaß et Schüttrumpf 2019). S'y ajoute l'assèchement des annexes hydrauliques. Donc le contraire de ce que dit le ministre! Inversement, les biefs et canaux de dérivation, les étangs et leurs marges humides, les lacs sont parfois des équivalents fonctionnels de milieux naturels, leur origine anthropique n'ôtant rien à leur capacité d'hébergement du vivant (Chester et Robson 2013, Wezel et al 2014, Sousa et al 2019, Guivier et al 2019). Supprimer des masses d'eau et plans d'eau, d'origine naturelle comme d'origine humaine, c'est supprimer des ressources en eau pour la société et le vivant.

Ces propos du ministre sont donc un nouveau signal de mépris du gouvernement pour la continuité apaisée et de déni des problèmes qui se posent depuis 10 ans.

Dans le même temps, la cour des comptes relève que les plans Ecophyto visant à réduire les pesticides sont un échec :
"Mis en œuvre depuis 2008, les plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits « plans Écophyto », devaient permettre à la France de réduire les risques et les effets de ces produits (communément appelés « pesticides ») sur la santé humaine et sur l'environnement, et d'encourager le recours à des méthodes de substitution. Dix ans après, malgré des actions mobilisant des fonds publics importants, ces plans n'ont pas atteint leurs objectifs."
Le dernier comité de suivi du plan Ecophyto 2+ en janvier 2020 a d'ailleurs constaté "une augmentation globale forte des quantités vendues de produits phytopharmaceutiques en 2018". Les quantités de substances phytosanitaires les plus préoccupantes ont certes diminué de 9 à 15% sur 10 ans, mais c'est 5 fois moins que le programme initial. Et parfois sans garantie que certains substituts sont meilleurs pour les berges, les rivières et les nappes.

Nous suggérons donc au ministre de l'agriculture de respecter les engagements de l'Etat sur la lutte contre la pollution chimique des milieux plutôt que de continuer à couvrir la destruction illégale des moulins, des étangs et des plans d'eau, qui sont des atouts pour les territoires.

Question du député
M. Yannick Favennec Becot attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur l'enjeu de la préservation des ouvrages hydrauliques. La France se trouve de plus en plus souvent confrontée à des aléas et risques majeurs : l'absence de recharge des nappes en hiver engendre des situations critiques l'année suivante pour de nombreux territoires. Une meilleure exploitation excédentaire des saisons pluvieuses est un enjeu primordial. Cela passe soit par le stockage, soit l'expansion des échanges de l'eau avec les sols et les nappes. Les solutions sont les barrages réservoirs (pour le stockage soutenant l'étiage et l'alimentation en eau de la population), les retenues stockant les ruissellements, les ouvrages en lit mineur (type moulins, étangs, plans d'eau, lacs) maintenant des lames d'eau à l'étiage, alimentant des marges humides et/ou des canaux faisant circuler l'eau, et les restaurations de zones humides naturelles. Or, la destruction de milliers d'ouvrages séculaires de stockage et de circulation de l'eau est promue et financée par l'administration de l'eau, au motif de la continuité écologique. Les informations livrées par le rapport CGEDD permettent de le vérifier. L'instruction de ces travaux est assouplie et le financement public s'élève à 80 %. Cette approche tranche avec la définition de la gestion équilibrée et durable de l'eau figurant dans la loi à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. Aussi, il lui demande de bien vouloir lui indiquer ses intentions quant à la mise en œuvre d'une politique nouvelle de protection et de valorisation de ces ouvrages, et d'un moratoire à effet immédiat sur toutes les destructions d'ouvrages hydrauliques permettant le stockage de l'eau, le maintien de la lame d'eau ou la diversion de l'eau en France. Ce réajustement de l'administration de l'eau permettrait de faire un inventaire des ouvrages existants (en activité ou à restaurer), lesquels seraient tout à fait complémentaires des nouveaux projets d'ouvrages de gestion quantitative de l'eau.

Réponse du ministre
Les ouvrages hydrauliques regroupent plusieurs familles d'ouvrages destinés à différentes fonctions, telles que retenir de l'eau pour différents usages (énergie, eau potable, irrigation, activités touristiques), la canaliser afin de protoger, lutter contre les inondations ou les submersions. Au-delà de leurs fonctionnalités, la politique publique concernant ces ouvrages doit concilier plusieurs enjeux tels que la sécurité, le patrimoine, la qualité de l'eau et le maintien de la biodiversité. La Loi sur l'eau de 2006 a notamment prévu des classements de cours d'eau pour lesquels les ouvrages existants en lit mineur, doivent assurer la circulation piscicole et le transport sédimentaire là où cet enjeu est fort. 

Face au retard pris dans la mise en oeuvre de cette réglementation et aux vives réactions de certains acteurs, un plan d'actions pour la restauration de la continuité écologique a été élaboré en 2018 avec l'ensemble des parties prenantes au sein du comité national de l'eau et sous le pilotage du ministère de la transition écologique et solidaire. Ce plan propose des éléments de méthode et d'organisation pour que les discussions locales et nationales puissent se faire de manière apaisée, au service d'une mise en œuvre efficace de l'action publique, à la fois sur les plans techniques, administratifs, sociaux et économiques. Il encourage la mise en œuvre de solutions proportionnées aux enjeux et économiquement réalistes. Dans certains cas, lorsque l'enjeu est fort et pour des ouvrages à faible rentabilité économique, des solutions d'abaissement de la hauteur du seuil ou de suppression de l'ouvrage sont effectivement mises en avant au regard d'autres solutions de technicité élevée et par nature très coûteuses. 

Concernant la problématique de la gestion quantitative et durable de l'eau, le stockage de l'eau fait bien partie de l'éventail des solutions, avec la recherche de sobriété et d'optimisation de l'utilisation de l'eau, la transition agro-écologique de l'agriculture et les solutions fondées sur la nature, pour une meilleure résilience des territoires face aux effets du changement climatique. L'instruction gouvernementale du 7 mai 2019 relative aux projets de territoire pour la gestion de l'eau rappelle certains principes. Il importe en particulier que l'ouvrage contribue à atteindre, dans la durée, un équilibre entre besoins, ressources et la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques. Les ouvrages de stockage peuvent prendre différentes formes qui, selon les contextes locaux, n'ont pas toutes le même impact en matière de continuité écologique et sur l'environnement en général : réserves alimentées par pompage dans la nappe, réserves alimentées par pompage dans la rivière, retenues alimentées par ruissellement sans connection au réseau hydrographique, retenues en dérivation, retenues en barrages en cours d'eau. Un recensement de ces stockages d'eau existants est en cours, sous la coordination du ministère de la transition écologique et solidaire, dans la perspective d'optimiser leur utilisation. 

Par ailleurs, il est à noter que la restauration d'écosystèmes aquatiques fonctionnels, en particulier de cours d'eau courants et dynamiques connectés à leurs milieux humides alluviaux, fait partie des solutions fondées sur la nature permettant une meilleure gestion quantitative de la ressource en eau et une meilleure résilience des territoires et de la biodiversité aux impacts du changement climatique. Les eaux courantes se réchauffent moins vite que les eaux stagnantes qui sont ainsi susceptibles de subir à l'étiage une évaporation aggravée. 

En conséquence, la suppression d'un certain nombre de seuils ou plans d'eau en lit mineur ayant une capacité de rétention d'eau limitée à quelques centaines ou milliers de mètres cube et non susceptibles de soutenir le débit des cours d'eau ou d'assurer un approvisionnement en eau de plus de quelques heures, n'est pas contradictoire avec la politique de sécurisation d'une ressource disponible à l'étiage. Restaurer la biodiversité aquatique et améliorer la disponibilité de la ressource en eau sont compatibles dès lors qu'aucun systématisme n'est appliqué, mais que les solutions adaptées aux besoins et aux contextes locaux sont recherchées à l'échelle des territoires.

Source : Question écrite N°24701 de M. Yannick Favennec Becot

28/01/2020

Engager les moulins et autres ouvrages des rivières dans la transition énergétique

La programmation pluri-annuelle de l'énergie (PPE) est aujourd'hui en concertation. Chacun peut donner un avis en ligne. Le gouvernement acte la nécessité d'accélérer la transition bas-carbone et d'y inclure l'hydro-électricité: c'est une bonne nouvelle. Toutefois, une programmation ne vaut que si les services administratifs l'appliquent pleinement, car les projets énergétiques sont soumis au régime de déclaration ou autorisation. Or, comme nous l'observons, les porteurs de projets en petite hydro-électricité rencontrent encore de trop nombreux freins sur les rivières: lenteurs d'instruction, demandes irréalistes et disproportionnées, voire dans certains cas hostilités manifestes. Le tout étant assez imprévisible et variable d'un département à l'autre. Nous ne pouvons plus avoir de telles injonctions contradictoires de la parole d'Etat qui paralysent les projets et minent la confiance.  Des circulaires d'application sont donc nécessaires pour que la relance des moulins se simplifie et que les agents instructeurs du ministère de l'écologie évitent désormais le porte-à-faux par rapport aux orientations énergétiques décidées par le gouvernement et le parlement. Les moulins, forges et petites usines hydrauliques sont disposés à participer à l'effort collectif pour sortir la France de l'âge fossile: mais encore faut-il les accompagner, pas les entraver. 


Projet au moulin de Maroilles, photo pierre Roannet la Voix du Nord, source

Concernant l'ensemble de la programmation pluri-annuelle de l'énergie, nous en apprécions la direction et l'ambition. La prévention du changement climatique est l'un des enjeux écologiques, sociaux et économiques majeurs de ce demi-siècle. La France dépend encore pour près des deux-tiers de son énergie finale consommée de sources fossiles, pétrole, gaz ou charbon. Cette réalité n'est pas compatible avec nos engagements bas-carbone ni avec la résilience de notre pays face aux évolutions attendues au cours des prochaines décennies. Outre les économies d'énergie et gains d'efficience, la transition énergétique suppose la relocalisation et la mobilisation de toutes les sources renouvelables d'électricité, de chaleur et de combustibles.

Nous attirons l'attention sur le fait que cette transition énergétique doit aussi tenir compte des réalités locales et des avis démocratiquement exprimés par les citoyens. Toutes les sources d'énergie sans exception soulèvent des objections, toutes présentent certains inconvénients en contrepartie de leurs avantages. La réussite de la transition énergétique, par la nature même des sources mobilisables, se fera au niveau de chaque territoire, de chaque commune et de chaque ménage. Il importe d'assurer un cadre sécurisé, ouvert et transparent à tous les porteurs de projets et, quand ces projets relèvent de l'autorisation préfectorale, à tous les riverains qui peuvent en être impactés.

Concernant plus particulièrement l'énergie hydro-électrique, nous apprécions que l'Etat ré-affirme clairement et pleinement sa place dans le mix énergétique bas-carbone en déploiement pour respecter les accords de Paris, prévenir le réchauffement climatique, assurer notre autonomie énergétique, alléger notre balance commerciale des importations de produits fossiles.

Concernant la petite hydro-électricité, nous faisons les observations suivantes sur le document complet justifiant la programmation de la France ("Projet pour consultation").

Potentiel sous-estimé d'un facteur 2 à 4. Le potentiel technique total des sites existants (barrages non équipés et moulins) est donné à 350 MW dans le document directeur. C'est une erreur tenant à des estimations anciennes. Selon les travaux récents des chercheurs européens (Punys et al 2019), le seul potentiel des moulins les plus facilement équipables en France s'évalue plutôt autour de 500 MW. Ce chiffre n'inclut pas les nombreux barrages (plusieurs centaines) de taille plus importante que les moulins et ayant aujourd'hui d'autres usages que l'énergie (plan d'eau, lac et étang, navigation, eau potable, irrigation). La programmation publique doit réviser ses estimations pour partir des réalités de terrain. Elle doit inciter les schémas locaux de programmation (SDAGE, SAGE, SRADDET) à intégrer et évaluer le potentiel réel des rivières. Ce n'est pas fait aujourd'hui car le personnel en charge de l'eau et de la biodiversité ne reçoit pas le rappel de cette mission par son ministère de tutelle. Il convient d'y pallier, particulièrement dans les SDAGE en cours de construction et devant être adoptés en 2021-2022.

Avantage environnemental des sites anciens et modestes, bilan carbone doublement négatif de leur destruction. Le document remarque que "à l’instar des ouvrages existants, les projets hydroélectriques soulèvent des problématiques environnementales très différentes suivant la taille du projet et selon le lieu d’implantation". Il convient de souligner que les ouvrages de faible hauteur, ne barrant pas le lit majeur, surversés en crue, anciennement installés sur les lits de rivière sont ceux qui ont généralement les impacts les plus faibles – c'est en particulier le cas des moulins, forges et étangs, comme de la plupart des petites usines hydrauliques installées au 19e siècle. Bien entendu, la construction de sites nouveaux peut aussi bénéficier des avancées de la connaissance et réduire au maximum les impacts dès la conception du génie civil. Mais la France doit d'abord cesser la politique de destruction des ouvrages en place, lancée avec le très contesté plan de continuité écologique de 2009, et préférer désormais leur ré-équipement. La transition est aussi un état d'esprit et une économie de moyens: nous ne sommes plus à l'époque où nous pouvions dilapider de l'argent (et de l'énergie!) à détruire ici pour reconstruire là-bas. Casser des ouvrages qui peuvent produire est une double hérésie au plan du bilan carbone.

Cadrage des services administratifs pour limiter à la dévalaison et au débit réservé l'enjeu des relances. Le document énonce que "pour un projet de faible ampleur visant l’équipement d’un barrage existant, l’impact du projet pourra se limiter à la problématique de dévalaison des poissons en lien avec l’installation d’une turbine et à la modification du régime hydrologique en cas de tronçon court-circuité". Nous sommes d'accord avec cette orientation, mais elle ne correspond pas à la réalité observée sur le terrain. Les porteurs de projets hydro-électriques rencontrent aujourd'hui de nombreux problèmes avec l'administration : lenteur des instructions, caractère variable et arbitraire des demandes, coûts exorbitants de certains dispositifs demandés. La création en 2014 du "porter à connaissance" pour la relance de moulins fondés en titre (art R 214-18-1 CE) a été interprétée de manière maximaliste et irréaliste par certains services, occasionnant non seulement de nombreux blocages de relance, mais aussi des contentieux. Nous demandons que le ministère de la Transition écologique et solidaire précise dans une circulaire aux DREAL, DDT-M et OFB que la relance des moulins et petites usines hydrauliques déjà autorisés implique des respects de débits réservés et grilles de protection de chambre d'eau (si turbine rapide), comme précisé dans la PPE, mais pas des dispositions indues (étude complète du site et de son impact alors qu'il est régulièrement installé de longue date, demandes non subventionnées de passes à poissons dont le coût excède le revenu ou l'équivalent revenu en autoconsommation du projet énergétique). L'attitude actuelle de l'administration bloque la transition sur de trop nombreux projets.

Soutenir sans réserve les petites puissances. Le document énonce que "compte tenu de leur coût plus élevé et de leur bénéfice moins important pour le système électrique au regard de leur impact environnemental, le développement de nouveaux projets de faible puissance doit être évité sur les sites présentant une sensibilité environnementale particulière". Cette phrase est ambiguë. Les sites déjà en place ne créent aucun impact nouveau, il devrait être clairement précisé qu'ils ne sont pas concernés par cette réserve. La notion de "sensibilité environnementale particulière" est floue et laisse place à des interprétations sans fondement factuel, comme on en a trop vu depuis 10 ans. Enfin, nous rappelons que les directives européennes encouragent l'autoconsommation en petite puissance (Directive UE 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables) et que le conseil d'Etat a condamné le ministère de l'écologie lorsqu'il a prétendu faire de la puissance d'un moulin un critère pour juger du bien fondé de sa relance (Conseil d'Etat 2019, arrêt n° 414211, arrêt moulin du Boeuf). Toutes les puissances hydrauliques peuvent et doivent être mobilisées, depuis le premier kilowatt.

Réviser la conception des appels d'offres avec les représentants des porteurs de projets (moulins, hydro-électriciens). Sur la période 2019-2024, la PPE prévoit 6 appels d'offres annuels, de 35 MW chacun, dédiés à la petite hydro-électricité. Nous nous en félicitons, mais nous soulignons que les appels d'offres de l'Etat lancés dans le passé n'ont pas obtenu le succès espéré. Les raisons en sont les suivantes: trop grande complexité des cahiers des charges pour les petits porteurs (les plus nombreux dans le pays, cf travaux de Punys et al 2019 cités ci-dessus), prescriptions environnementales allant très au-delà des demandes sus-mentionnées (débit réservé, grille de protection, optimisation de dévalaison) et annulant la rentabilité de la plupart des projets en petite puissance. L'objectif d'une politique publique est d'être réaliste et efficace : il convient donc  de concerter la construction des futurs appels d'offres avec les acteurs de l'environnement incluant les représentants des porteurs concernés, à savoir les fédérations de moulins et les syndicats de petite hydro-électricité.

24/01/2020

Loutres et pêcheurs devront se partager les truites (Sittenthaler et al 2019)

Jadis en voie de disparition, la loutre est de retour sur de nombreux cours d'eau européens. Mais cet animal peut provoquer localement des conflits d'usage, en raison de sa forte consommation de poissons. En particulier, des pêcheurs de truites ou des pisciculteurs d'étang se plaignent parfois. Six chercheurs autrichiens ont examiné plus en détail le comportement alimentaire de la loutre en rivière de tête de bassin versant. Ces travaux confirment que la loutre apprécie les salmonidés (truites, ombres) qui dominent leur consommation, en particulier les individus adultes de bonne taille. Mais leur régime alimentaire reste très varié: elles peuvent se montrer opportunistes selon l'offre alimentaire des bassins où elles évoluent, donc la truite ne sera pas forcément un facteur limitant de leur installation sur des cours d'eau ou plans d'eau. 


Longtemps chassée pour sa fourrure ou comme nuisible des étangs et viviers piscicoles, la loutre eurasienne (Lutra lutra) a connu une importante régression entre le Moyen Âge et le 20e siècle, s'éteignant dans de nombreux bassins. Sous l'effet des politiques de protection (convention de Berne en 1979, directive habitats faune flore en 1992), on assiste depuis quelques décennies à une nouvelle expansion de la loutre, y compris en France.

Mais ce mustélidé capable d'évoluer en eau vive comme stagnante est aussi un chasseur remarquable. Ce qui peut occasionner des problèmes pour certains usagers de l'eau.

Marcia Sittenthaler et ses cinq collègues observent ainsi : "Le rétablissement de la loutre eurasienne dans de nombreuses régions d'Europe (Roos et al 2015) a coïncidé avec des conflits entre les parties prenantes, à savoir les pêcheries commerciales, les pêcheurs sportifs et les partisans de la conservation de la nature. La présence de loutres et ses besoins alimentaires ont été associés à des pertes substantielles de poissons d'étang ou à une diminution des populations de poissons de cours d'eau, respectivement (Kranz 2000; Klenke et al 2013). Récemment, ce conflit devient encore plus marqué dans certains habitats de rivière, en particulier dans les régions supérieures des cours d'eau à salmonidés, qui sont des refuges et des habitats cruciaux pour la truite commune (Salmo trutta)".

Les chercheurs ont analysé trois cours d'eau à salmonidés (en Autriche) où la loutre est présente pour étudier en détail son régime alimentaire à travers l'analyse des épreintes (fèces).

Voici le résumé de cette recherche :

"Les connaissances sur le régime alimentaire des prédateurs et les facteurs de sélection des proies sont particulièrement intéressantes pour une gestion efficace des populations de prédateurs et de proies où les prédateurs sont potentiellement en compétition avec les humains pour les ressources. 

La prédation réelle ou perçue de la loutre d'Europe (Lutra lutra) sur les stocks de poissons génère des conflits dans de nombreux pays. Récemment, les conflits se sont intensifiés dans les habitats de rivière, où de multiples facteurs de stress affectent les populations de poissons des cours d'eau. Nous avons combiné l'analyse alimentaire des fèces de loutres et de la disponibilité des poissons proies dans trois cours d'eau autrichiens pour évaluer les différences spatiales et saisonnières dans la composition du régime alimentaire, l'importance de la consommation de poissons (salmonidés) et la sélection en fonction des tailles spécifiques de poissons salmonidés par rapport à leur disponibilité. 

Les loutres dans le cours supérieur des cours d'eau de salmonidés tempérés occupaient une niche trophique étroite. Dans l'ensemble, les loutres se nourrissaient principalement de poissons et les salmonidés dominaient leur régime alimentaire, tant en termes de fréquence que de biomasse ingérée. Dans la catégorie des salmonidés, les loutres sélectionnées pour des classes de taille spécifiques. Simultanément, les loutres ont également affiché un comportement alimentaire opportuniste et, sur le plan saisonnier et local, des proies autres que des poissons et d'autres espèces de poissons que les salmonidés sont devenues des ressources clés. La composition de l'alimentation et le choix de la taille des salmonidés variaient considérablement à l'intérieur des cours d'eau et d'un cours d'eau à l'autre, ce qui est lié aux variations spatio-temporelles de la composition des communautés de proies et des caractéristiques de l'habitat des cours d'eau qui affectent leur vulnérabilité."


Extrait de Sittenthaler et al 2019, art cit, cliquer pour agrandir.

Ce schéma ci-dessus montre les compositions observées du régime des loutres, en fréquence d'occurrence (RFO, noir) et en biomasse relative (BIO, blanc). De gauche à droite : salmonidés, chabot, autres poissons, écrevisses, amphibiens, reptiles, mammifères, oiseaux, insectes. On voit la nette préférence pour les salmonidés, surtout en biomasse relative. Ce sont davantage les individus de grande taille qui sont chassés chez les salmonidés.

Référence : M. Sittenthaler et al (2019), Fish size selection and diet composition of Eurasian otters (Lutra lutra) in salmonid streams: Picky gourmets rather than opportunists?, Knowl. Manag. Aquat. Ecosyst. 2019, 420, 29

Image en haut : loutre dans la réserve naturelle de Lüneburg Heath, Allemagne, par Quartl, CC BY-SA 3.0. Attention si vous avez une loutre dans votre retenue, étang ou bief : contrairement au ragondin ou au rat musqué (espèces exotiques) avec qui on peut la confondre, cette espèce endémique est aujourd'hui protégée sur tout le territoire.

21/01/2020

Pour un bilan carbone de la loi sur l'eau

Dans un rapport venant de paraître, le Haut conseil pour le climat souligne que l'évaluation des lois françaises du point de vue de leur impact carbone est aujourd'hui insuffisante et qu'elle doit être mise en place systématiquement. L'Etat ne peut engager la France par traité à baisser les émissions carbone (accord de Paris) et prendre en même temps des dispositions qui les augmentent, ou qui paralysent la capacité du pays à produire des énergies renouvelables bas-carbone dont il a besoin. Les citoyens et leurs associations doivent exiger de leurs parlementaires une évaluation climatique de la loi sur l'eau, dont certaines dispositions aboutissent à des aberrations complètes comme la destruction ou l'empêchement d'équipement de moulins et usines hydro-électriques. Parfois à la destruction pure et simple d'outils de production en place, comme sur la Sélune. Cette page doit se tourner s'il s'agit de tenir nos engagements climatiques: il y a urgence non à dissuader, mais bien à solliciter et accompagner les projets hydro-électriques, en priorité sur les ouvrages en place ne créant pas d'impact nouveau sur les rivières. Rappelons que plus de 20 000 moulins sont susceptibles d'être équipés, comme des centaines de barrages aujourd'hui dédiés à d'autres usages que l'énergie.


Résumé exécutif du rapport du Haut conseil pour le climat

"L’objectif principal de l’évaluation des lois en regard du climat est d’engager un cercle vertueux d’amélioration, et permettre une cohérence entre celles-ci et l’objectif de neutralité carbone que la France s’est fixé. Au sein du système d’évaluation français, des dispositions existent déjà pour mettre en place un tel cercle vertueux, mais qui doivent être renforcées et complétées. 

Quel que soit l’objet évalué, en regard du climat ou non, toute évaluation ne peut porter ses fruits que si elle respecte plusieurs critères de qualité, déjà largement identifiés : choix des méthodes qualitatives ou quantitatives appropriées, transparence sur les critères d’évaluation, indépendance de l’évaluation, diffusion des résultats. 

Le fait d’évaluer spécifiquement en regard du climat présente une particularité : pour mettre en œuvre ses obligations découlant de l’accord de Paris, la France s’est dotée d’un référentiel d’actions, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), comprenant des objectifs et des indicateurs précis. L’évaluation en regard du climat d’une loi doit alors permettre de déterminer quelle est sa contribution, positive ou négative, au respect des trajectoires envisagées par cette stratégie et à l’atteinte de la neutralité carbone. Ces évaluations doivent être réalisées tout au long de la durée de vie d’une loi, depuis sa préparation jusqu’après son entrée en vigueur. 

Des exemples internationaux nous enseignent qu’il est possible de dresser les contours d’une organisation institutionnelle facilitant le cercle vertueux de l’évaluation : une sélection raisonnable des lois à évaluer en regard du climat, des études d’impact de qualité, et un dispositif d’évaluation après l’entrée en vigueur prévu dès la conception de la loi. La première étape consiste à identifier quelles lois nécessitent raisonnablement une évaluation en regard du climat. Une « gare de triage » peut être préconisée. Inspirée de ce qui existe au Royaume-Uni et aux États-Unis, elle intègre une consultation des parties prenantes dont l’avis est rendu public. 

Un tel mécanisme permet ainsi au porteur de loi de décider en connaissance de cause et en toute transparence de l’opportunité d’évaluer la loi qu’il porte vis-à-vis de la SNBC. Une telle évaluation, lorsqu’elle est pertinente, doit être de qualité et servir utilement la décision publique C’est l’un des rôles des études d’impact. Néanmoins, en matière d’évaluation environnementale, et qui plus est climatique, les études d’impact existantes n’ont pas atteint leur potentiel : elles ne couvrent qu’une faible part des textes adoptés (les propositions de loi, d’origine parlementaire, et les amendements ne sont pas concernés), ne sont que rarement mobilisées et restent souvent incomplètes. 

Leur contenu doit aussi être adapté a n de permettre d’évaluer la contribution des lois par rapport à la SNBC. Un contrôle de la qualité de l’étude d’impact sur le volet climatique, par une autorité indépendante, pourrait renforcer ce processus. À l’issue de l’approbation de la loi, l’étude d’impact pourrait être révisée si le processus législatif a introduit des modifications substantielles ; ou une étude d’impact complète pourrait être réalisée si elle manquait avant l’approbation de la loi. 

La proposition du gouvernement de mettre en place une évaluation des grandes lois d’orientation un an après leur entrée en vigueur va dans ce sens, et permet d'examiner la loi telle qu'elle a été amendée par le Parlement. Puisque les lois LOM, ELAN et EGALIM mentionnées dans la proposition du gouvernement n’ont pas fait l’objet d’une évaluation en regard du climat su ffisante, une évaluation un an après leur entrée en vigueur est l’occasion d’expérimenter une évaluation de leur contribution aux objectifs de la SNBC dans une étude d’impact détaillée telle que ce rapport le préconise. 

En matière d’évaluation ex post, une loi votée ayant fait l’objet d’une étude d’impact détaillée relative à la SNBC devrait prévoir systématiquement une évaluation dès son entrée en vigueur. Ce processus existe déjà en France mais est rarement utilisé. Il ne saurait cependant être conclusif qu’après plusieurs années, comme l’ont montré les exemples du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et de la Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. 

Un processus d’évaluation tout au long du cycle de vie des lois, depuis le choix d’évaluer ou non une loi jusqu’au bilan de son application, permet de guider la production des lois et de démontrer leur contribution à la neutralité carbone, ainsi qu’à piloter la SNBC. 

Le cercle vertueux entre évaluation et décision publique sera réellement bouclé si ces évaluations informent les décisions au plus haut niveau de l’État." 

Source : Haut conseil pour le climat (2019), Evaluer les lois en cohérence avec les ambitions 

19/01/2020

La cour d'appel de Nantes condamne une préfecture qui a tenté d'annuler un droit d'eau et détruire un plan d'eau

La préfecture d'Ile-et-Vilaine a tenté d'annuler le droit d'eau d'un moulin associé à un étang et d'obliger à la destruction du plan d'eau au nom de la continuité écologique. Elle vient d'être condamnée par la cour d'appel administrative de Nantes, rappelant d'une part que la présence ou l'absence d'un site sur la carte de Cassini ne sont pas les seuls moyens de prouver un fondé en tire, d'autre part que l'usage de la force motrice de l'eau au droit d'un moulin accolé à un étang n'implique pas la persistance du moulin ni l'existence d'un bief.  On voit que l'administration de l'eau et de la biodiversité poursuit ses erreurs appréciation voire ses abus de pouvoir pour intimider les propriétaires. Toutes les associations doivent désormais être aux côtés des maîtres d'ouvrage pour aller devant la justice dès lors qu'une préfecture veut soit détruire des ouvrages, soit empêcher leur usage. On marche sur la tête en France à harceler les moulins et étangs en dépensant du temps et de l'argent pour cette écologie de pacotille alors que tant d'urgences environnementales sont négligées. L'administration est-elle encore capable de revenir au bon sens et aux priorités du pays? 



La cour d'appel administrative de Nantes a examiné le cas d'un propriétaire ayant demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de déclarer fondés en titre l'étang du Gué Charet et son barrage, situés sur le territoire des communes de Treffendel et Monterfil, et, en conséquence, dispensés de déclaration, et, d'autre part, d'annuler la décision du 28 octobre 2014 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a rendu un avis défavorable à sa demande de régularisation de cet étang et de son barrage et lui a demandé d'effacer le plan d'eau afin de rétablir la continuité écologique.

Le tribunal administratif de Rennes avait rejeté sa demande. Il est fréquent que la première instance soit ainsi défavorable aux particuliers et associations, mais cela ne présage pas toujours de la suite.

Les juges d'appel viennent ainsi de donner raison au propriétaire et de condamner le représentant du ministère de l'écologie, en annulant son arrêté.

Ils relèvent d'abord que "une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date. La preuve de cette existence matérielle peut être apportée par tout moyen, notamment par sa localisation sur la carte de Cassini datant du XVIIIème siècle."

On observera ici une petite anomalie, c'est l'antériorité à l'instruction d'août 1790 obligeant à l'autorisation administrative des moulins, non à l'abolition des droits féodaux (août 1789), qui est requise dans le cas des fondés en titre.

Mais peu importe ici, puisque les documents attestent l'ancienneté du site :

"la preuve de l'existence matérielle du droit fondé en titre qu'il revendique peut être apportée par tout moyen. Il résulte de l'instruction, notamment de la carte géométrique de la province de Bretagne établie en 1771 par Jean-Baptiste Ogée, faisant apparaître deux étangs sur le cours d'eau non domanial du Serein entre " Tréfandel " et " Monterfil ", et d'un acte de baptême du 4 septembre 1774, tiré des registres paroissiaux de Treffendel, mentionnant la naissance de l'enfant " au Moulin du Gué Charet ", que l'étang existait avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 1789 ayant aboli les droits féodaux et que cette réserve d'eau, située en amont du moulin du Gué Charet à Treffendel et à proximité immédiate de celui-ci, participait à l'époque à son alimentation. S'il est vrai que la carte de Cassini, dont la feuille dite de Rennes a été établie de 1785 à 1787, fait apparaître sur le Serein, à proximité de l'actuel étang du Gué Charet, l'existence d'un moulin sans désignation de nom ou de lieu et sans faire figurer de retenue d'eau, alors qu'un moulin peut fonctionner au seul fil de l'eau, la seule absence de l'étang sur cette carte de Cassini ne suffit pas à valoir preuve de l'inexistence ou de la ruine de cet ouvrage à la même date. (...)Dès lors, l'étang du Gué Charet et son barrage doivent être regardés comme fondés en titre."

Le préfet est donc débouté pour avoir prétendu que la carte de Cassini seule attesterait ou d'un fondé en titre au droit du site. Le caractère inexact d'une telle prétention est assez bien connu: cela indique combien l'administration de l'eau ne répugne pas à des pressions indues sur des propriétaires qu'elle espère sans doute ignorants du droit.

Ce même préfet a ensuite tenté d'alléguer de l'état de ruine. Mais la cour d'appel rappelle : "ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit."

En l'espèce, "il résulte de l'instruction que le moulin, entendu comme l'appareil actionné par la force motrice de l'eau destiné en l'espèce à moudre le blé, n'était pas l'un des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume du cours d'eau, tandis qu'aucun bief n'a jamais existé entre la retenue d'eau et la roue du moulin, cette dernière étant directement alimentée au fil de l'eau depuis la " vanne meunière " située sur la digue de l'étang."

Au final,  "il résulte de l'instruction que la force motrice de l'eau est toujours susceptible d'être utilisée par le détenteur de l'étang du Gué Charet et de son barrage et que, dès lors, le droit d'eau fondé en titre ne s'est pas éteint".

La continuité écologique sera-t-elle apaisée? Certainement pas si les administrations et syndicats de l'eau viennent encore voir les moulins et étangs avec l'idée de leur destruction par pression financière ou règlementaire. Nous attendons des actes montrant le respect des ouvrages autorisés par l'administration et proposant des solutions raisonnables de continuité écologique, pas des belles paroles sans effet. Nous rappelons aussi que les priorités de la France sont la dépollution de ses eaux, comme le rappelle la Commission européenne, l'accélération de la transition énergétique bas carbone, la préservation de la ressource en eau, le respect des milieux aquatiques et zones humides, y compris ceux des étangs anciens dont la recherche scientifique a amplement montré qu'ils sont des sites d'intérêt pour la biodiversité.

Référence : Cour d'appel de Nantes, arrêt n°18NT00067, 26 novembre 2019