Retenue de moulin sur la Digeanne, formant zone humide et hébergeant du vivant toute l'année. Parce qu'il ne veut pas reconnaître les limites et dérapages de la renaturation, le gouvernement persiste dans la négation de toute valeur écologique des ouvrages hydrauliques anciens. Cela contredirait le dogme asséné depuis 10 ans, cela obligerait les porteurs de projet de continuité à une analyse sincère, complète et objective des milieux tels qu'ils existent au terme d'évolutions historiques multiséculaires. Aucune continuité ne sera "apaisée" sur la base de ces dénis de réalité.
Cette "solution" vantée par le ministre n'est tout simplement pas prévue par la loi française, qui demande des ouvrages gérés, équipés, entretenus (article L 214-17 C env) et qui exige bien entendu le respect des ouvrages autorisés (article L 214-6 C env). Le pouvoir exécutif reste dans une logique de continuité imposée et non apaisée. Il revient à l'administration de proposer des solutions prévues par la loi, toute autre option faisant l'objet d'une mise en demeure par le propriétaire de respecter cette loi, le cas échant d'un contentieux pour excès de pouvoir. Contactez notre association si vous subissez encore des propositions illégales de destruction alors que vous êtes attaché à la protection de votre ouvrage, de son patrimoine et de ses milieux.
Le ministre écrit : "la suppression d'un certain nombre de seuils ou plans d'eau en lit mineur ayant une capacité de rétention d'eau limitée à quelques centaines ou milliers de mètres cube et non susceptibles de soutenir le débit des cours d'eau ou d'assurer un approvisionnement en eau de plus de quelques heures, n'est pas contradictoire avec la politique de sécurisation d'une ressource disponible à l'étiage".
Cette phrase méconnaît elle aussi la réalité autant que la loi. La capacité à retenir et divertir (biefs, canaux) de l'eau n'est pas dépendante d'un volume donné en deçà duquel ce serait sans intérêt pour les riverains et pour le vivant. Il y a souvent des dizaines d'ouvrages sur chaque rivière, c'est cette accumulation qui permet tout au long de l'année (pas seulement à l'étiage) de recharger les nappes et d'infiltrer les sols, de soutenir la végétation, d'héberger la faune. Tous les riverains l'observent, les parlementaires en ont été informés (voir nos articles et témoignages sur les sécheresses). Par ailleurs, les retenues comme les biefs forment des milieux aquatiques, parfois des zones humides attenantes, et ils sont à ce titre protégés par la loi. Leur assèchement par suppression d'ouvrage sans étude préalable d'hydrologie et de biodiversité, sans compensation par création d'une superficie aquatique au moins équivalente sur le même tronçon, peut et doit faire l'objet d'un recours administratif et/ou d'une plainte pénale.
Le ministre écrit : "la restauration d'écosystèmes aquatiques fonctionnels, en particulier de cours d'eau courants et dynamiques connectés à leurs milieux humides alluviaux, fait partie des solutions fondées sur la nature permettant une meilleure gestion quantitative de la ressource en eau et une meilleure résilience des territoires et de la biodiversité aux impacts du changement climatique".
C'est tout à fait exact, mais les solutions fondées sur la nature ne s'opposent pas aux solutions héritées de l'histoire. La recherche a montré que la suppression des ouvrages en travers et de leur retenue conduit à l'incision des lits, l'abaissement des niveaux et la limitation des débordements en lit majeur (Maaß et Schüttrumpf 2019). S'y ajoute l'assèchement des annexes hydrauliques. Donc le contraire de ce que dit le ministre! Inversement, les biefs et canaux de dérivation, les étangs et leurs marges humides, les lacs sont parfois des équivalents fonctionnels de milieux naturels, leur origine anthropique n'ôtant rien à leur capacité d'hébergement du vivant (Chester et Robson 2013, Wezel et al 2014, Sousa et al 2019, Guivier et al 2019). Supprimer des masses d'eau et plans d'eau, d'origine naturelle comme d'origine humaine, c'est supprimer des ressources en eau pour la société et le vivant.
Ces propos du ministre sont donc un nouveau signal de mépris du gouvernement pour la continuité apaisée et de déni des problèmes qui se posent depuis 10 ans.
Dans le même temps, la cour des comptes relève que les plans Ecophyto visant à réduire les pesticides sont un échec :
"Mis en œuvre depuis 2008, les plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits « plans Écophyto », devaient permettre à la France de réduire les risques et les effets de ces produits (communément appelés « pesticides ») sur la santé humaine et sur l'environnement, et d'encourager le recours à des méthodes de substitution. Dix ans après, malgré des actions mobilisant des fonds publics importants, ces plans n'ont pas atteint leurs objectifs."Le dernier comité de suivi du plan Ecophyto 2+ en janvier 2020 a d'ailleurs constaté "une augmentation globale forte des quantités vendues de produits phytopharmaceutiques en 2018". Les quantités de substances phytosanitaires les plus préoccupantes ont certes diminué de 9 à 15% sur 10 ans, mais c'est 5 fois moins que le programme initial. Et parfois sans garantie que certains substituts sont meilleurs pour les berges, les rivières et les nappes.
Nous suggérons donc au ministre de l'agriculture de respecter les engagements de l'Etat sur la lutte contre la pollution chimique des milieux plutôt que de continuer à couvrir la destruction illégale des moulins, des étangs et des plans d'eau, qui sont des atouts pour les territoires.
Question du député
M. Yannick Favennec Becot attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur l'enjeu de la préservation des ouvrages hydrauliques. La France se trouve de plus en plus souvent confrontée à des aléas et risques majeurs : l'absence de recharge des nappes en hiver engendre des situations critiques l'année suivante pour de nombreux territoires. Une meilleure exploitation excédentaire des saisons pluvieuses est un enjeu primordial. Cela passe soit par le stockage, soit l'expansion des échanges de l'eau avec les sols et les nappes. Les solutions sont les barrages réservoirs (pour le stockage soutenant l'étiage et l'alimentation en eau de la population), les retenues stockant les ruissellements, les ouvrages en lit mineur (type moulins, étangs, plans d'eau, lacs) maintenant des lames d'eau à l'étiage, alimentant des marges humides et/ou des canaux faisant circuler l'eau, et les restaurations de zones humides naturelles. Or, la destruction de milliers d'ouvrages séculaires de stockage et de circulation de l'eau est promue et financée par l'administration de l'eau, au motif de la continuité écologique. Les informations livrées par le rapport CGEDD permettent de le vérifier. L'instruction de ces travaux est assouplie et le financement public s'élève à 80 %. Cette approche tranche avec la définition de la gestion équilibrée et durable de l'eau figurant dans la loi à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. Aussi, il lui demande de bien vouloir lui indiquer ses intentions quant à la mise en œuvre d'une politique nouvelle de protection et de valorisation de ces ouvrages, et d'un moratoire à effet immédiat sur toutes les destructions d'ouvrages hydrauliques permettant le stockage de l'eau, le maintien de la lame d'eau ou la diversion de l'eau en France. Ce réajustement de l'administration de l'eau permettrait de faire un inventaire des ouvrages existants (en activité ou à restaurer), lesquels seraient tout à fait complémentaires des nouveaux projets d'ouvrages de gestion quantitative de l'eau.
Réponse du ministre
Les ouvrages hydrauliques regroupent plusieurs familles d'ouvrages destinés à différentes fonctions, telles que retenir de l'eau pour différents usages (énergie, eau potable, irrigation, activités touristiques), la canaliser afin de protoger, lutter contre les inondations ou les submersions. Au-delà de leurs fonctionnalités, la politique publique concernant ces ouvrages doit concilier plusieurs enjeux tels que la sécurité, le patrimoine, la qualité de l'eau et le maintien de la biodiversité. La Loi sur l'eau de 2006 a notamment prévu des classements de cours d'eau pour lesquels les ouvrages existants en lit mineur, doivent assurer la circulation piscicole et le transport sédimentaire là où cet enjeu est fort.
Face au retard pris dans la mise en oeuvre de cette réglementation et aux vives réactions de certains acteurs, un plan d'actions pour la restauration de la continuité écologique a été élaboré en 2018 avec l'ensemble des parties prenantes au sein du comité national de l'eau et sous le pilotage du ministère de la transition écologique et solidaire. Ce plan propose des éléments de méthode et d'organisation pour que les discussions locales et nationales puissent se faire de manière apaisée, au service d'une mise en œuvre efficace de l'action publique, à la fois sur les plans techniques, administratifs, sociaux et économiques. Il encourage la mise en œuvre de solutions proportionnées aux enjeux et économiquement réalistes. Dans certains cas, lorsque l'enjeu est fort et pour des ouvrages à faible rentabilité économique, des solutions d'abaissement de la hauteur du seuil ou de suppression de l'ouvrage sont effectivement mises en avant au regard d'autres solutions de technicité élevée et par nature très coûteuses.
Concernant la problématique de la gestion quantitative et durable de l'eau, le stockage de l'eau fait bien partie de l'éventail des solutions, avec la recherche de sobriété et d'optimisation de l'utilisation de l'eau, la transition agro-écologique de l'agriculture et les solutions fondées sur la nature, pour une meilleure résilience des territoires face aux effets du changement climatique. L'instruction gouvernementale du 7 mai 2019 relative aux projets de territoire pour la gestion de l'eau rappelle certains principes. Il importe en particulier que l'ouvrage contribue à atteindre, dans la durée, un équilibre entre besoins, ressources et la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques. Les ouvrages de stockage peuvent prendre différentes formes qui, selon les contextes locaux, n'ont pas toutes le même impact en matière de continuité écologique et sur l'environnement en général : réserves alimentées par pompage dans la nappe, réserves alimentées par pompage dans la rivière, retenues alimentées par ruissellement sans connection au réseau hydrographique, retenues en dérivation, retenues en barrages en cours d'eau. Un recensement de ces stockages d'eau existants est en cours, sous la coordination du ministère de la transition écologique et solidaire, dans la perspective d'optimiser leur utilisation.
Par ailleurs, il est à noter que la restauration d'écosystèmes aquatiques fonctionnels, en particulier de cours d'eau courants et dynamiques connectés à leurs milieux humides alluviaux, fait partie des solutions fondées sur la nature permettant une meilleure gestion quantitative de la ressource en eau et une meilleure résilience des territoires et de la biodiversité aux impacts du changement climatique. Les eaux courantes se réchauffent moins vite que les eaux stagnantes qui sont ainsi susceptibles de subir à l'étiage une évaporation aggravée.
En conséquence, la suppression d'un certain nombre de seuils ou plans d'eau en lit mineur ayant une capacité de rétention d'eau limitée à quelques centaines ou milliers de mètres cube et non susceptibles de soutenir le débit des cours d'eau ou d'assurer un approvisionnement en eau de plus de quelques heures, n'est pas contradictoire avec la politique de sécurisation d'une ressource disponible à l'étiage. Restaurer la biodiversité aquatique et améliorer la disponibilité de la ressource en eau sont compatibles dès lors qu'aucun systématisme n'est appliqué, mais que les solutions adaptées aux besoins et aux contextes locaux sont recherchées à l'échelle des territoires.
Source : Question écrite N°24701 de M. Yannick Favennec Becot