08/05/2020

Les moulins aident à retenir l'eau dans les bassins versants (Podgórski et Szatten 2020)

Deux chercheurs polonais ayant étudié l'effet morphologique, sédimentaire et hydrologique de moulins présents depuis 7 siècles sur une rivière notent que leur abandon s'est traduit par une perte de la capacité de rétention locale d'eau dans les nappes et de la rétention globale d'eau de surface dans le bassin versant. Quand ils ne sont pas étudiés à charge, les milieux des moulins montrent donc de l'intérêt. Des rivières françaises où la continuité dite "écologique" s'est traduite par la quasi disparition de toutes les retenues souffrent aujourd'hui de niveau très bas en été, avec des filets d'eau chaude et souvent polluée. Il faut oublier ces choix douteux, pris sur la base d'informations incomplètes et d'analyses biaisées par des angles plus administratifs et politiques que scientifiques: nous demandons aux gestionnaires de l'eau de respecter les ouvrages et de faire un travail d'analyse hydrologique complète des sites et bassins versants, surtout en vue des changements hydroclimatiques majeurs annoncés pour les prochaines décennies. 


Le bassin étudié et son profil en long.

La Struga Rychnowska est une rivière polonaise creusée dans une zone du dégel précoce post-glaciaire, ayant émergé voici 17-18 000 ans.  Neuf moulins s'y sont installés, le plus ancien datant du 14e siècle.

Zbigniew Podgórski et Dawid Szatten ont analysé l'héritage sédimentaire et morphologique de ces siècles écoulés, pour comprendre l'influence des moulins et de leurs retenues.

Voici le résumé de leur recherche :

"L'article présente les changements d'un réseau hydrographique résultant de la construction et du fonctionnement de neuf moulins à eau situés dans le bassin versant de la Struga Rychnowska (Pologne). Deux retenues (Bierzgieł et Oleszek) ont été choisies pour une étude détaillée - à la fois avec des origines de bassin et des paramètres morphologiques similaires, mais avec des morphométries, des voies d'acheminement et de rejet d'eau du moulin et des temps de rétention de l'eau différents. Nous avons tenté de reconstruire le cours du processus de sédimentation des dépôts dans les bassins des retenues de moulin sur la base de sources historiques, de documents cartographiques archivés, de travaux sur le terrain et d'analyses en laboratoire (sédimentologie, palynologie et datation au 14 C). 

Les études ont permis de déterminer l'ampleur de l'impact anthropique sur l'environnement à partir de l'exemple d'un petit bassin versant, à la fois lorsque les retenues étaient en service et après. Le déclassement des moulins à eau a entraîné un certain nombre de changements importants dans les ressources en eau. Les plus importants d'entre eux sont: la perte de capacité de rétention d'eau dans le bassin versant de la Struga Rychnowska et la baisse du niveau des eaux souterraines à proximité immédiate des anciens réservoirs d'eau. Actuellement, un intérêt renouvelé pour les anciens emplacements des moulins à eau existe, afin de restaurer la rétention d'eau et de les utiliser à des fins de petites centrales hydroélectriques modernes."

La conclusion du travail en précise quelques enseignements :

"Sur la base des résultats des études menées sur les changements de la dynamique et de la nature de la sédimentation dans les retenues de moulin de la Struga Rychnowska (district du lac Chełmno, Pologne), les conclusions suivantes ont été tirées:

1. Les documents d'archives (depuis 1796) et les documents cartographiques modernes - sources historiques contenant des données sur le fonctionnement des moulins à eau - nous ont permis de déterminer les changements dans l'activité économique dans le bassin versant étudié. Ainsi, il a révélé que les modèles d'utilisation des terres agricoles et forestières dans le bassin versant de la Struga Rychnowska étaient insignifiants. L'agriculture domine toujours sur le plateau de la moraine, tandis que la superficie forestière a augmenté dans la zone de sable. Tous les moulins à eau ont été fermés.

2. Les sédiments accumulés dans les retenues de moulin (opérant dans la zone de recherche depuis le 14e siècle) documentent les changements dans le bassin versant pendant le fonctionnement des moulins et après leur fermeture, à condition que les réservoirs conservent la fonction de rétention d'eau. De précieuses sources d'information sur les sédiments déposés sont leurs caractéristiques: composition granulométrique, teneur en carbonate, etc.

3. Les analyses palinologiques et au 14C sont utiles pour étudier la genèse des retenues de moulin. Il a été constaté, entre autres, que les retenues des moulins étaient placés dans des dépressions naturelles du terrain, généralement situées au-dessus des marches se produisant dans les rétrécissements du canal sous-glaciaire, dans lequel coule actuellement la Struga Rychnowska. Dans de tels cas, la formation de retenues était une restitution d'un réservoir d'eau naturel (par exemple, le réservoir d'Oleszek). Cela a été confirmé par l'âge des sédiments les plus jeunes déterminé par la méthode au 14C (530 +/- 45 cal BP – 1420 AD), qui ont été déposés dans le réservoir d'eau naturel en voie de disparition sur le site d'Oleszek. Il s'ensuit que ces sédiments se sont formés environ 300 ans plus tôt, avant que les eaux de la Struga Rychnowska ne soient endiguées à cet endroit pour les besoins du moulin à eau.

4. Des temps de rétention d'eau différents indiquent des conditions de fonctionnement des retenues différentes, bien que leurs emplacements soient dans la même zone de captage.

5. Le rythme et l'avancement du processus de remplissage du bassin avec des sédiments de fond ont été affectés par: le volume de la masse d'eau alimentant les retenues et sa proportion par rapport à la capacité totale du réservoir; les paramètres morphométriques des réservoirs, en particulier la profondeur et la longueur du bassin; l'emplacement par rapport à d'autres éléments du réseau hydrographique directement connectés au moulin à eau (par exemple, canal de dérivation); les fluctuations du niveau d'eau dans la retenue".

Discussion
Les ouvrages hydrauliques humains modifient les rivières et créent des milieux à part entière, qui disposent de leur propre dynamique. Des chercheurs ont pu parler d'états écologiques alternatifs pour désigner le fait qu'une rivière aménagée possède une nouvelle hydrologie, une nouvelle morphologie et une nouvelle biologie. Le cas des moulins et des étangs est particulièrement intéressant, puisque nombre d'entre eux sont encore présents sur les cours d'eau européens — les plus anciens depuis 1000 ans, la plupart depuis 150 à 500 ans. Les bassins versants ont donc ré-ajusté en permanence leur fonctionnement à cette nouvelle donne.

L'information que nous retenons de ce travail de recherche en Pologne concerne la rétention de l'eau. C'est un  sujet essentiel pour l'adaptation de l'Europe au changement hydroclimatique. C'est aussi un sujet débattu dans la communauté des experts, avec peu de données, souvent contradictoires et parfois des préjugés (par exemple Al Domany et al 2020). Ce sujet de la préservation de l'eau étant assez critique pour le cadre de vie local, la société et le vivant, les riverains ne sont pas disposés à accepter des politiques publiques fondées sur des approximations. L'observation faite par Zbigniew Podgórski et Dawid Szatten d'une meilleure rétention d'eau et recharge de nappe quand les moulins sont actifs et leur retenue remplie correspond à ce que l'on observe un peu partout.

Dans la mesure où des petits bassins versants peuvent compter des dizaines de retenues et de bras de dérivation, la question doit être étudiée par des mesures de terrain, pas des principes généraux de manuels. Il est assez évident que l'idéal actuel de continuité écologique en long, défendue par le gestionnaire français, consiste à obtenir des lits à écoulement plus rapides. C'est contradictoire avec l'idée qu'il faut essayer de retenir et diffuser l'eau dans les saisons pluvieuses afin de préparer le cap de l'étiage ou les périodes de sécheresse. C'est d'autant plus problématique que d'autres recherches récentes, allemandes cette fois, avaient montré un phénomène d'incision des lits et de moindres débordements quand on détruit des ouvrages de moulins (voir Maaß et Schüttrumpf 2019). Nous avons déjà relayé les plaintes de riverains consternés par l'effet des destructions d'ouvrages (Vicoin) ou d'ouvertures forcées de vannes (Sèvre nantaise)

Il est donc souhaitable de stopper immédiatement la préconisations d'effacement des ouvrages (qui reste encore prioritaire en 2020 dans les programmations des financeurs publics) et de préférer au contraire un principe de conservation, avec analyse au cas par cas des effets hydrologiques. Les associations de moulins, étangs et riverains veilleront à ce qu'aucun chantier mettant en péril les capacités locales de rétention d'eau ne soit effectué sans mesure et, si besoin, sans compensation au moins équivalente. La loi française engage à la préservation de la ressource en eau, son ignorance peut être un motif de contentieux.

Enfin, il est indigne que la France soit dotée depuis 2006 d'une politique active sur les ouvrages hydrauliques anciens sans la moindre programmation scientifique de leur étude dans les bassins versants, hors le cas quelque peu obsessionnel, et en tout cas assez limité en périmètre d'étude, des seuls poissons migrateurs. Nous dépensons beaucoup d'argent en bureaux d'études privés, à la méthodologie répétitive se bornant à constater que le milieu n'est pas "naturel" ou que l'ouvrage n'est pas franchissable à telle espèce, mais très peu de fonds en recherche académique sur les moulins, étangs, canaux et autres ouvrages anciens. Il est bon de cesser ces programmes administratifs sous-informés et déjà d'acquérir des connaissances robustes, dans une logique multidiscipliniare qui ne se résume au paradigme assez pauvre et aporétique d'une restauration de la rivière du passé.

Référence : Podgórski Z et Szatten D (2020), Changes in the dynamics and nature of sedimentation in mill ponds as an indicator of environmental changes in a selected lake catchment (Chełmińskie Lake District, Poland), Water, 12, 1, 268

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02/05/2020

Moulins et étangs anciens co-existent sans problème avec le vivant dans les rivières réservoirs biologiques

L'administration française classe certaines rivières en "réservoirs biologiques" présentant un grand intérêt pour la faune aquatique alors que ces rivières possèdent des moulins, étangs et autres plans d'eau depuis fort longtemps. Dans le même temps, l'administration prétend que de tels ouvrages hydrauliques seraient incompatibles avec le vivant, au mépris de l'évidence d'une co-existence séculaire sans problème, et même dans certains cas de la création de milieux du plus haut intérêt écologique. Si les ouvrages avaient les effets délétères qu'on leur prête, aucun réservoir biologique n'existerait sur les rivières qui les hébergent. Dans le monde d'après le covid-19, ces contradictions et absurdités doivent cesser, surtout quand elles signifient des gabegies de destruction d'ouvrages anciens, au prix d'un argent public rare devant désormais être dédié aux questions essentielles. 


Un bief de moulin du Morvan (rivière Romanée), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique.

Un point que nous entendons au bord des rivières jalonnées d'ouvrages anciens de moulins ou d'étangs: l'incompréhension des propriétaires et des riverains face à une soi-disant mise en danger de la vie aquatique alors que l'ouvrage est présent de très longue date et que la vie est elle aussi toujours présente en amont, en aval et dans le bief ou la retenue. Et en effet : si vous mettez un poison dans un cours d'eau, la disparition de la vie est immédiate et visible. Si les ouvrages hydrauliques sont assimilés à des poisons, au bout de quelques années, décennies, siècles, l'effet devrait être le même. Or il n'en est rien. Non seulement il n'en est rien, mais la présence d'ouvrages n'est nullement incompatible avec une riche vie biologique, comme nous allons le voir.

Les réservoirs biologiques attestent de rivières jugées en bon état écologique
Les services de l'Etat définissent ainsi la notion de "réservoir biologique" pour une rivières :
Les réservoirs biologiques, au sens de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 (LEMA, art. L214-17 du Code de l'Environnement), sont des cours d’eau ou parties de cours d’eau ou canaux qui comprennent une ou plusieurs zones de reproduction ou d’habitat des espèces aquatiques et permettent leur répartition dans un ou plusieurs cours d’eau du bassin versant. Ils sont nécessaires au maintien ou à l’atteinte du bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant. (source)

La circulaire DCE no 2008/25 du 6 février 2008 précise :
"Le réservoir biologique n’a ainsi de sens que si la libre circulation des espèces est (ou peut être) assurée en son sein et entre lui-même et les autres milieux aquatiques dont il permet de soutenir les éléments biologiques. Cette continuité doit être considérée à la fois sous l’angle longitudinal (relations amont-aval) et latéral (annexes fluviales, espace de liberté des cours d’eau). C’est pourquoi les réservoirs biologiques sont une des bases du classement des cours d’eau au titre du 1o de l’article L. 214-17-I et qu’ils peuvent également être mis en continuité avec d’autres secteurs du bassin grâce aux classements au titre du 2o.
L’article R. 214-108 indique les communautés biologiques à considérer pour la définition des réservoirs biologiques, à savoir le phytoplancton, les macrophytes et phytobenthos, la faune benthique invertébrée et l’ichtyofaune. Cette liste fait référence directe à l’annexe V de la DCE (éléments de qualité pour la définition du bon état écologique).
Elle exclut explicitement la prise en compte directe des mammifères, des amphibiens et des oiseaux dans l’identification des réservoirs biologiques (ce qui n’exclut pas les milieux abritant ces groupes lorsqu’ils contribuent au maintien des communautés biologiques de l’annexe V de la DCE)."

On notera que c'est la continuité longitudinale de dévalaison qui était mise en avant.

A la suite du vote de la loi de 2006, il a donc été demandé de repérer ces réservoirs biologiques et d'en faire un motif de classement d'une rivière en "liste 1" de la continuité écologique.

Partant de cette logique, une rivière en réservoir biologique est une rivière qui, en l'état de l'examen de sa faune aquatique, présente selon l'administration une bonne qualité écologique et un bon potentiel de conservation du vivant.

Si les moulins et les étangs, présents depuis plusieurs siècles, avaient un potentiel de destruction des milieux et des espèces que leur prêtent certains fonctionnaires et lobbies, il ne devrait exister aucune rivière en réservoir biologique présentant de tels ouvrages. Et, puisque le moulin et l'étang sont censés bloquer les sédiments, réchauffer l'eau, empêcher l'auto-épuration, entraver la circulation, détruire les habitats, toutes les rivières présentant de tels ouvrages devraient être fortement dégradées au fil du temps, et n'être à l'arrivée que des déserts biologiques.

Il n'en est rien.


Le lac de Saint-Agnan (rivière Cousin), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique.

Exemple d'un bassin du Morvan, pourvu de nombreux ouvrages depuis un millénaire
Voici un exemple familier à nos lecteurs : le bassin versant du Cousin est classé en réservoir biologique (comme de nombreuses autres tête de bassin), zones en couleur orange.

Le bassin du Cousin-Trinquelin, réservoir biologique.

Or ce bassin comporte plusieurs dizaines de moulins qui sont tous fondés en titre, d'aussi nombreux petits étangs datant de l'époque du flottage du bois ou de la pisciculture vivrière et un lac créé à la fin des années 1960 à fin de réserve d'eau potable et de production hydro-électrique.

Le bassin du Cousin est donc l'héritier d'un millénaire de présence humaine sur le lit mineur sous forme d'ouvrages de retenue et dérivation.

Dans de telles conditions, si les ouvrages signifiaient le déclin de la faune, il serait impossible d'avoir classé le bassin du Cousin en réservoir biologique. Ce ne fut pas le cas. A dire vrai, même certains sites d'étangs de ce bassin sont classés en ZNIEFF (exemple) ou autres zones spéciales de conservation, ce qui indique combien les ouvrages et leurs annexes hydrauliques présentent de l'intérêt pour diverses espèces.

On notera que pour l'espèce repère du Cousin, la moule perlière, un article scientifique récent a montré que les biefs de moulin forment des secteurs de sauvegarde et que dans certaines situations de sécheresse, il peut être préférable de conserver autant d'eau dans le bief que dans le tronçon de la rivière, afin de préserver des colonies de moules (Sousa et al 2019; voir aussi Matasova et al 2013 sur la présence observée de moules perlières dans les biefs de moulins à bonnes conditions hydrauliques). On notera aussi que ces moules perlières sont présentes malgré plus d'un millénaire d'existence des étangs et moulins, donc leur éventuelle raréfaction est à rapporter à d'autres causes tenant à des changements plus récents d'usage ou de condition (même remarque que pour les écrevisses du Morvan).


Etang du Griottier-Blanc en Morvan (ru des Paluds), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique. 

On peut consulter la carte en ligne des réservoirs biologiques (exemple de Seine-Normandie). Chacun verra que beaucoup de ces rivières ou tronçons de rivières sont des zones comportant des moulins et étangs. Nous conseillons aux associations de mettre ce point en valeur, car il contredit totalement le jargon administratif et halieutique ayant inventé un impact très grave, alors que l'on parle le plus souvent de la simple variation locale de densité de quelques espèces d'eau vives ou de salmonidés, sans rapport aucun avec une destruction du vivant, bien au contraire.

Divertir l'attention sur les ouvrages, c'est être aveugle aux causes de la crise écologique
Cette réalité ne fait que traduire ce que nous répétons depuis des années : les ouvrages anciens ne représentent pas des dégradations majeures des cours d'eau et aucune recherche scientifique n'a montré que les obstacles à l'écoulement provoquent au premier titre la dégradation de l'état écologique DCE des masses d'eau ou une perte de biodiversité. Au contraire, toutes les recherches scientifiques menées avec assez de données quantitatives et qualitatives montrent que les pollutions et les usages des sols en lit majeur sont les causes premières de dégradation de l'eau, des berges, des faunes et des flores (voir cette idée reçue, voir Villeneuve et al 2015, Corneil et al 2018). Par ailleurs, un nombre croissant de travaux s'attachent à souligner l'importance des écosystèmes aquatiques créés par l'humain comme abritant aussi de la diversité biologique, que ce soit les étangs et petits plans d'eau (Davies et al 2008Wezel et al 2014Bubíková et Hrivnák 2018Four et al 2019), les canaux de dérivation (Aspe et al 2015Guivier et al 2019), les biefs de moulin (Sousa et al 2019a), les canaux d'irrigation (Sousa et al 2019b), les lacs réservoirs (Beatty et al 2017).

La dégradation des écosystèmes aquatiques s'est fortement accélérée depuis les années 1940-1950, et cela pour des causes connues :
  • pression démographique
  • mécanisation agricole, érosion de sols, drainage de zones humides
  • artificialisation des lits majeurs et suppression des annexes des rivières
  • explosion des polluants de synthèse qui se retrouvent en exutoire dans les rivières (fertilisants, pesticides, médicaments, additifs industriels, vernis, ignifuges, plastiques, ruissellement des produits de combustion des voitures, etc.)
  • surexploitation de l'eau pour les activités humaines, déficit des lits et des nappes, en particulier lors du stress estival de l'étiage
  • altération de nombreuses berges et ripisylves, perte des fonctions de régulation hydroclimatique locale des arbres et végétations
  • réchauffement climatique modifiant les régimes thermiques et les assemblages biologiques.
Les ouvrages ne figurent pas dans les impacts majeurs. Leur seul effet négatif notable (pour le cas des ouvrages infranchissables à toutes conditions) a concerné la migration vers l'amont de certaines espèces de poissons, ce dont on trouve trace dès l'Ancien Régime où des manoeuvres de vannes suffisaient en général à réguler ce problème. Bien des ouvrages anciens ont été conçus en connaissant ce problème, et il a été montré qu'ils ne bloquent pas les migrations d'espèces ayant de réels besoins de mobilité (voir Ovidio 2007, Newton et al 2017). Mais cette question de montaison est de toute façon négligeable à échelle des problèmes écologiques de l'eau et des milieux aquatiques comme des enjeux de la biodiversité.

La crise que nous subissons va amener à réviser les politiques publiques pour les recentrer sur l'essentiel. Le choix d'arrimer fortement l'écologie des rivières à l'hydromorphologie et l'hydromorphologie à la question des ouvrages en lit mineur et à la continuité en long a été une erreur, car ce n'est pas le premier enjeu pour l'eau et le vivant. Cela a du sens de mener des programmes de continuité en long dans quelques rivières où des migrateurs protégés peuvent revenir rapidement, mais ce n'est pas une priorité. Même au sein du poste continuité, les annexes latérales d'un cours d'eau et la qualité de ses berges sont des enjeux plus importants en création de zones à haute diversité et services rendus. Le choix de détruire les ouvrages anciens est quant à lui une gabegie et une erreur grave à l'heure où nous devons garder le maximum de moyens de gérer l'eau localement en phase de changement climatique.

Dans le monde d'après covid-19, il faut associer les ouvrages hydrauliques à l'écologie au lieu de les opposer. Car contrairement à la destruction dogmatique des moulins et étangs, la bonne information des propriétaires et la bonne gestion de ces ouvrages est un enjeu pour aider à protéger des biens communs.

30/04/2020

Des tonnes de micro-polluants liés aux plastiques sont charriées par le Rhône (Schmidt et al 2020)

Une équipe de chercheurs d'Aix-Marseille a quantifié pour la première fois les additifs aux plastiques présents dans le fleuve Rhône, comme les phtalates ou les bisphenols. Ces substances sont des reprotoxiques ou des perturbateurs endocriniens qui affectent la santé des organismes aquatiques, même à petites doses et avec des effets cocktail. Entre 5 et 50 tonnes ont été comptabilisés sur une campagne d'une année. Les chercheurs observent que ces polluants sont peu ou pas comptabilisés dans la surveillance des fleuves et estuaires par la directive européenne sur l'eau. Nous déplorons de longue date cette carence, les gestionnaires de l'eau ayant parfois développé en France des idées fantaisistes sur une "auto-épuration" des rivières au lieu de s'attaquer à la source des pollutions, notamment à tous les micro-polluants émergents. 


Les polluants comme les esters organophosphorés, les phtalates  et les bisphénols sont présents partout dans notre environnement depuis des décennies, et particulièrement dans les rivières. Ils proviennent des détergents, des peintures et vernis, des textiles, des emballages alimentaires et, tout particulièrement, des plastiques. La directive cadre européenne n'impose que peu de quantification de leur présence dans les eaux de surface, alors que des travaux nombreux ont montré leurs effets sur le développement et la santé des organismes.

Natascha Schmidt et ses collègues (U. Aix-Marseille, IRD, CNRS) ont quantifié sur un an les pollutions charriées par le Rhône et finissant dans la Méditerranée. "Les rivières sont connues pour être des vecteurs de débris plastiques (Horton et al 2017; Schmidt et al 2017), des contaminants hérités tels que les biphényles polychlorés (PCB) (Herrero et al 2018) et des contaminants considérés comme préoccupants, comme les pthtalates (Paluselli et al 2018a). Sánchez-Avila et al (2012) ont conclu que les rivières (ainsi que les usines de traitement des eaux usées) sont la principale source de micropolluants organiques, y compris les BP et les PAE, sur la côte nord-ouest de la Méditerranée."

Voici le résumé de leur travail :

"Nous présentons ici une étude approfondie (échantillonnage régulier sur 1 an) sur la présence de grandes familles d'additifs plastiques organiques dans les eaux de surface du Rhône. Les sources potentielles et l'exportation de contaminants sont également discutées. Un total de 22 échantillons en phase dissoute ont été analysés pour 22 additifs organiques principalement utilisés dans l'industrie plastique, y compris les esters organophosphorés (OPE), les phtalates (PAE) et les bisphénols (BP). Nos résultats indiquent que les PAE étaient la classe la plus abondante, avec des concentrations allant de 97 à 541 ng/L, suivis des OPE (85-265 ng/L) et des BP (4-21 ng/L). Parmi les PAE, le phtalate de diéthylhexyle (DEHP) était le composé le plus abondant, tandis que le TCPP (phosphate de tris (1-chloro-2-propyle)) et le TnBP (phosphate de tri (n-butyle)) étaient les OPE prédominants. Le bisphénol S était le seul BP détecté. On estime que 5 à 54 tonnes métriques par an d'additifs plastiques organiques dissous préoccupants sont exportés vers le golfe du Lion par le Rhône, qui est la principale source d'eau douce de la mer Méditerranée."

Des tonnes de polluants sont donc charriées par nos rivières et nos fleuves, sans que ce sujet fasse l'objet d'un suivi précis des autorités en charge de l'environnement. Il est dommageable d'avoir des politiques publiques fondées sur de telles carences de connaissances, en particulier quand ces politiques publiques doivent préciser l'origine de la perte de qualité écologique des rivières, des lacs, des retenues et des estuaires, afin de faire les bons choix d'intervention et d'investissement.

Référence : Schmidt N et al (2020), Occurrence of organic plastic additives in surface waters of the Rhône River (France), Environmental Pollution, 257, 113637

26/04/2020

Barrages mal gérés de l'Yonne, niveaux en baisse, faune en danger

Le manque d'eau commence à se faire sentir dans le centre et l'est de la France. Sur la rivière Yonne en amont de Paris, la mauvaise gestion des vannes des barrages entraîne une chute des niveaux et des premières mortalités piscicoles. Riverains, pêcheurs et naturalistes s'alarment du résultat et des risques pour les milieux. Un avant-goût de ce que donne la conjonction de la sécheresse et du non-maintien des lames d'eau par les ouvrages —voire dans la pire hypothèse de la destruction irréversible de ces ouvrages, comme cela a eu lieu sur de trop nombreux sites. Conserver une capacité à gérer les niveaux d'eau pour la société et pour le vivant doit impérativement devenir un axe de nos politiques publiques. 


Une page Facebook "Alerte rivières et canaux" a été lancée par des riverains et usagers inquiets, car les niveaux de l'Yonne sont extrêmement bas dans la région icaunaise. France 3 Régions s'est fait l'écho du problème.

Nous incitons nos adhérents de l'Yonne à rejoindre le groupe et à documenter des problèmes similaires en Bourgogne.



Extraits :

"Le manque de pluie se fait cruellement sentir dans les rivières. C’est encore plus le cas dans celles où la main de l’homme est nécessaire pour maintenir un niveau d’eau suffisant. L’Yonne est à certains endroits presque à sec depuis plusieurs semaines. Une réelle menace pour la faune et la flore. Un crève-cœur pour les icaunais soucieux de l’environnement. D’autant que certains d’entre eux ont l’impression que les pouvoirs publics ne prennent pas la mesure du problème et n’agissent pas, ou trop peu.

Parmi eux il y a David Rosse. Le milieu des rivières il connait bien, il a travaillé 6 ans dans un magasin de fourniture de pêche à Monéteau. Pour lui « le niveau d’eau actuel est inquiétant voir dramatique sur 130 kilomètres de Clamecy à Sens ».

Une situation qu’il n’accepte pas et qu’il attribue à une mauvaise gestion des cours d’eau. «Juste avant le confinement les rivières étaient assez pleines. Voies Navigables de France avait ouvert les barrages pour éviter les inondations. Depuis le confinement ils ont laissé ouvert et n’interviennent plus. J’ai l’impression que partout où les voies servent aux transports de marchandises on se soucie du niveau de l’eau, et que là où il n’y en a pas on s’en fout» pense-t-il.

Il ajoute : « J’ai essayé d’appeler tout le monde. J’ai contacté VNF, la préfecture et même le ministère de l’environnement. Personne ne m’a répondu ! Alors je me suis dit, si on veut faire bouger les choses on va devoir monter une page facebook »

Et c’est ce qu’il a fait le 20 avril dernier. Sur la page on trouve des photos de la rivière prises par une trentaine de contributeurs. Elles montrent le faible niveau d’eau à différents endroits du département comme à Augy, Dornecy ou encore Coulanges sur Yonne.



En haut de la page un mot est inscrit en lettre rouge majuscule. Le mot « ALERTE » que Davide Rosse estime employer sans exagération. « Si la situation perdure tous les poissons vont mourir et de ce fait les oiseaux aussi. En plus nous sommes en période de reproduction. Il faudra donc ensuite beaucoup de temps pour que certains bras retrouvent un écosystème aquatique ».

Pêcheurs et agriculteurs également inquiets
Parmi les plus préoccupés de la situation on trouve les pêcheurs. « C’est une catastrophe ! Il ne faudrait pas que ça s’aggrave d’avantage. Il faut que VNF remonte les barrages et qu’ils fassent vite » nous indique Didier Barbier, président de l’Union des Pêcheurs auxerrois.

« Avec le beau temps l’eau s’évapore et les poissons meurent. On m’a déjà signalé des poissons morts à plusieurs endroits ». Un constat difficile à accepter pour ce responsable associatif déjà privé, du fait du confinement, de l’ouverture de la pêche au brochet prévue le 25 avril.

L’inquiétude grandit aussi dans le monde agricole. Cette baisse de niveau risque d’avoir des répercutions sur l’abreuvage du bétail et sur l’arrosage des champs.

Les actions de VNF ralenties par le confinement
« Si on avait su les conditions météorologiques de ces 5 dernières semaines on aurait agi en amont, mais il y a 5 semaines on ne savait pas » reconnait Thierry Feroux, directeur opérationnel à VNF Centre-Bourgogne. (...)

Depuis début avril les interventions ont repris mais demandent plus de temps qu’avant le Covid. Il ajoute. «Sur l’Yonne nous avons une quarantaine de barrages qui nécessitent beaucoup de personnes. En ce moment c’est compliqué de réunir une dizaine d’agents en respectant les gestes barrières. Notre rythme d’intervention est largement plus lent qu’auparavant. Nous sommes déjà intervenus en amont d’Auxerre mais cela prend du temps. D’autant que lorsque l’on ferme un barrage cela assèche le bief à l’aval. Il faut donc attendre qu’il se remplisse pour fermer le précédent. Et comme en ce moment le débit de l’eau est faible cela prend plus de temps».

22/04/2020

Pour une relance économique cohérente avec les enjeux climatiques et énergétiques

Le Haut Conseil pour le climat demande au gouvernement de prioriser la dépense publique afin que la relance économique soit orientée partout où c'est possible en direction de la transition bas-carbone et de l'atténuation du changement climatique. Une telle orientation exige de notre point de vue la révision immédiate de certaines politiques publiques des rivières, avec en particulier le soutien clair à l'énergie hydro-électrique, la préservation de tous le milieux aquatiques et humides, y compris d'origine humaine, qui sont appelés à atténuer les effets attendus du changement climatique (canicules, sécheresses, crues). Les associations devront exiger que ces principes s'appliquent dans les SAGE et les SDAGE, mais également protéger des sites menacés par des chantiers de destructions qui dilapident l'argent public et nuisent à la résilience des territoires au cours de ce siècle. 



Le Haut Conseil pour le climat est une instance scientifique et technique créée par le gouvernement afin d'orienter les choix de la France pour la transition bas-carbone. Le dernier rapport du Haut Conseil, publié à l'occasion de la crise du covid-19 et de ses suites économiques, énonce des "principes pour une transition" (p. 13):

"A l’inverse des mesures prises dans le sillage de la crise de 2008, une « relance » qui prend sérieusement en compte les facteurs profonds de la situation actuelle sera plus un renouveau qu’une reprise et orientera vers une rupture plutôt qu’un rebond. Elle évitera les effets de verrouillage carbone pour les prochaines décennies. Elle renforcera le signal de la transition vers une économie décarbonée compatible avec les réponses aux enjeux de la santé et de l’emploi, qui seront légitimement, au quotidien, les préoccupations premières. La transition bas-carbone doit être accélérée pour que la France parvienne enfin au rythme de ses engagements : « le rythme de cette transformation est actuellement insu ffisant, car les politiques de transition, d'efficacité et de sobriété énergétiques ne sont pas au cœur de l’action publique ». Les demandes de certains acteurs économiques d’alléger les contraintes liées au climat ne sont pas une réponse, ni de court ni de long terme, aux enjeux. 

Quelques principes simples peuvent aider à prioriser la dépense publique d’un plan d’urgence : 

  • elle doit contribuer directement à une transition bas-carbone juste – atténuation, adaptation, réduction des vulnérabilités et renforcement des capacités de résilience ;
  • si elle est principalement affectée à un autre objet de dépense (notamment santé ou biodiversité), elle a un co-bénéfice climat en faveur de l’atténuation ou de l’adaptation ;
  • elle ne doit pas nuire et ne pas être incompatible avec les objectifs de l’accord de Paris, en écartant notamment tout effet de verrouillage carbone.

Par ailleurs, le besoin d’évaluation continue, qui aide à la redevabilité, doit être rappelé. Les recommandations du rapport du HCC sur l’évaluation des politiques climatiques demeurent valables alors que les outils – comme le budget vert, déjà mentionné – se développent et se perfectionnent. En outre, un usage plus opérationnel des indicateurs de bien-être (nouveaux indicateurs de richesse, indicateurs des objectifs de développement durable) permettra de mieux éclairer cette transition."

Les associations de défense des patrimoines des rivières et plans d'eau doivent demander aux préfets, aux parlementaires, aux élus locaux et aux gestionnaires de l'eau que ces principes soient pris en compte dans toute la programmation publique.

Cela exige notamment :
Référence citée : Haut Conseil pour le climat (2020), Climat, Santé, mieux prévenir, mieux guérir. Accélérer la transition juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques, 24 p.

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