11/06/2020

Huit siècles dans la vie d'un ruisseau français (Leblé et Poirot 2019)

Des fouilles et analyses d'archéologie préventive ont permis de mettre en évidence huit siècles d'évolution du fond de vallon autour d'un ruisseau de Tremblay-en-France. Cette recherche montre des variations importantes du lit, des berges, de la nappe et de l'hydraulique de surface, tenant aux occupations humaines successives, mais aussi au changement climatique lors de la phase du Petit Âge glaciaire. De tels travaux rappellent que nos cours d'eau de l'aire européenne sont des co-constructions de l'humain et du non-humain, ce que certains nomment une "socio-nature" ou une "nature hybride". Cela rend assez douteux et simplistes les discours publics actuels sur la "renaturation" de ces cours d'eau - comme s'il existait un seul modèle de nature idéale du passé à retrouver - ou sur l'existence d'un "état de référence" de ces cours d'eau par rapport auquel nous pourrions juger, dans l'absolu, de leurs propriétés physiques et écologiques. 

Photo extraite de Leblé et Poirot 2019, art cit.

Dans les années 2010, une opération d’archéologie préventive est menée au lieu-dit Chemin des Ruisseaux à Tremblay-en-France, dans le département de la Seine-Saint-Denis. Les travaux d'extension d'une entreprise y avaient révélé les vestiges d'une occupation médiévale très dense sur le versant de la vallée.

Geoffrey Leblé et Agata Poirot ont publié une analyse de l'occupation du lieu, en particulier de la morphologie du lit et des berges. L'étude du remplissage sédimentaire a mis en évidence six grandes séquences de dépôts, chacune ayant façonné la topographie et l’identité du fond de vallon. Ce schéma montrent les profils de fond de vallon qui se sont succédés dans le temps :

Extrait de Leblé et Poirot 2019, art cit.


Les six séquences organisent l'histoire du fond de vallon depuis le Moyen Age.

La séquence 1 indique les plus bas niveaux alluviaux, "un environnement de dépôt très humide, mais plus bas de près de deux mètres que la surface actuelle, et daté immédiatement après la principale phase d’occupation du site (Moyen-Âge central)". La sédimentation alluviale se réalise au gré de dépôts argileux qui colmatent le fond de la vallée, sans doute principalement le fait de l’aménagement anthropique. On ne peut exclure une occupation de type moulin ou pêcherie à cette époque.

La séquence 2 est datée par radiocarbone du XVIe au XVIIe siècles, soit pendant le Petit Âge Glaciaire (période froide dans l'Hémisphère Nord, surtout en Europe). Elle est "marquée par une nouvelle dynamique alluviale puisque le méandrage du ruisseau a laissé des traces jusque dans le transect étudié. L’incision observée en coupe n’est pas de nature anthropique comme on l’a cru à première vue, mais bien d’origine naturelle." Les années froides du petit Âge glaciaire européen sont marquées par des hivers très humides, connus pour avoir "profondément et durablement modifié les cours d’eau de plus faible énergie".

La séquence 3 a enregistré un dépôt limoneux en bas et argileux en haut, signalant un environnement hydraulique déconnecté du courant principal. Ce peut être lié aux grandes crues ont affecté le Bassin parisien au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle. "Ces épisodes de débordement interviennent préférentiellement lorsque le lit de la rivière est encombré, aussi on peut supposer que l’entretien des berges n’était pas régulier au cours de cette période."

Les séquences 4 à 6 sont marquées surtout par la remontée du niveau de la nappe phréatique.

La séquence 4 a enregistré deux épisodes colluviaux successifs, probablement à peu de temps d’intervalle : "La présence de sédiments très calcaires pourrait être la marque de labours profonds en amont de la pente, ou bien de la mise en place massive du marnage et du chaulage comme en Sarthe au XVIIIe siècle. Au niveau régional, les XVIIIe et XIXe siècles apparaissent comme la période d’érosion la plus importante, liée à l’essor des cultures extensives et aux hivers rigoureux".

Les sédiments de la séquence 5 indiquent quant à eux "une adaptation de la nappe phréatique à la présence d’une importante quantité de sédiments qui encombrent le lit, sous la forme d’une remontée nette de la nappe". Il y a eu alors "un rehaussement significatif du lit mineur du Sausset, et donc un exhaussement de la nappe phréatique". On peut y lire la matérialisation physique du lit majeur sur un versant voué à l’agriculture. La séquence 6 est essentiellement constituée de remblais contemporains.

Les auteurs concluent notamment : "les conséquences du Petit Âge Glaciaire peuvent être facilement appréciées au sein de tels contextes, et la mise en œuvre d’études sédimentaires plus complètes et systématiques pourraient permettre à terme d’évaluer les débits moyens des crues qui ont sévi à cette période. Dans le contexte de déstabilisation climatique rapide que nous connaissons, ces connaissances pourraient être utiles pour l’anticipation des risques au niveau local et régional".

Discussion
Cette étude rappelle que la morphologie des bassins versants et des cours d'eau évolue sans cesse dans le temps, et que l'on ne peut s'abstraire des occupations humaines pour la comprendre. Elle pose d'intéressantes questions quand on applique ses enseignements aux politiques publiques de l'eau menées en France et en Europe.

Comme on le sait, les pouvoirs publics en charge de l'écologie des milieux aquatiques ont adopté en France un paradigme de la "renaturation" ou "restauration de la nature", de manière assez peu débattue, essentiellement sous l'influence d'experts ayant une représentation biophysique de la nature. Mais de quelle "nature" parle-t-on ici, alors que les paramètres d'évolution du ruisseau sont sous influence humaine de longue date (et le restent bien entendu, à diverses échelles de temps et d'espace)? Pareillement, la directive cadre européenne sur l'eau - conçue en comité assez restreint dans les années 1990, avec des experts partageant le même type d'approche biophysique - a affirmé que l'on devait juger un cours d'eau selon un "état de référence" adossé à l'état de milieux très peu ou pas anthropisés. Mais là encore, que signifie cette référence dont l'humain serait exclu ou quasi-exclu? En quoi doit-on s'y référer si les cours d'eau ont une existence sociale autant que physique? De fil en aiguille, quelles réalités biologiques et morphologiques retient-on comme "dans la norme", quelles réalités humaines exclut-on comme "hors de la norme"?

Quand un pouvoir veut s'exercer en minimisant les contradictions, il a parfois recours à un procédé que l'on nomme la naturalisation : laisser entendre qu'une option est "dans la nature des choses", c'est dire qu'on ne peut pas vraiment s'y opposer puisqu'il en est ainsi. L'idéal du cours d'eau naturel agit parfois de la sorte pour ses promoteurs : que leur vision soit la seule vision que l'on puisse avoir puisque telle serait la "vraie" nature du cours d'eau. Nous devons identifier, dénoncer et renverser ce procédé rhétorique partout où il s'exerce : il n'y a jamais que des choix humains. La renaturation en est un, bien sûr, mais parmi d'autres, ni plus ni moins légitime en soi que d'autres. Et loin d'être l'apanage d'experts décidant seuls des règles, de tels choix doivent toujours se justifier démocratiquement, en particulier quand ils impliquent dépenses publiques et contraintes normatives.

Référence : Leblé G., A. Poirot (2019), Rythmes d’évolution d’un fond de vallon du Moyen-Âge à l’époque moderne : étude géoarchéologique de la haute vallée du Sausset (Tremblay-en-France), Géomorphologie : relief, processus, environnement, 25, 1, 69-78.

10/06/2020

Le syndicat des énergies renouvelables appelle à une relance bas-carbone, avec l'énergie des rivières

Dans un dossier venant de paraître et adressé aux décideurs, le syndicat des énergies renouvelables (SER) appelle à la relance énergétique bas-carbone. C'est un marché de 300 milliards d'euros, dont une bonne part est perdue aujourd'hui en importation d'énergie fossile, ce qui est mauvais pour la stabilité du climat comme pour la balance commerciale. Parmi les énergies renouvelables à soutenir : l'énergie de l'eau, présente sur le linéaire exceptionnel de 500 000 km de cours d'eau que compte notre pays. Extraits du document.

Extraits du SER

La crise sanitaire qui frappe la planète depuis plusieurs mois va générer des bouleversements majeurs. L’économie française est violemment impactée et il faudra du temps pour que l’ensemble des indicateurs socio-économiques retrouvent une trajectoire positive. 


Cette situation particulièrement difficile nous donne néanmoins, collectivement, une opportunité inédite : celle d’ancrer les choix économiques, politiques et énergétiques dans la transition énergétique et d’en faire le levier essentiel du redémarrage de l’économie.

Depuis plusieurs semaines, les différentes formes d’énergies renouvelables ont démontré leur très grande résilience sur le plan technique. Leur caractère décentralisé a participé de manière importante à la sécurité d’approvisionnement du pays dans des conditions sanitaires et de sécurité satisfaisantes.

Dans les prochains mois et années, les énergies renouvelables permettront d’apporter des réponses concrètes aux trois objectifs qui doivent orienter le plan de relance : 
favoriser la création d’emplois et de valeur ajoutée dans nos territoires ; 
décarboner notre économie (en particulier dans les secteurs de l’industrie, du bâtiment et de la mobilité), seule garantie de générer des emplois et des activités durables  ; 
et développer la filière industrielle des énergies renouvelables en France.

Sur la base d’un marché intérieur solide, les entreprises françaises seront, par ailleurs, mieux armées pour l’export sur un marché annuel représentant près de 300 milliards d’euros (...)

Hydro-électricité

Mesure 1
Garantir la pérennité et faciliter le développement du parc hydroélectrique.

  • Donner de la visibilité aux acteurs de la filière sur les modalités et perspectives de mise en concurrence et de prolongation des concessions hydroélectriques ;
  • Lancer des procédures d’octroi par mise en concurrence de nouvelles concessions sur sites vierges ;
  • Réévaluer toute mesure visant ou conduisant à brider les capacités de flexibilité de l’hydroélectricité de façon à les limiter pour faciliter l’insertion des autres énergies renouvelables.
  • Réintroduire la possibilité d’autoriser en procédure simplifiée les activités hydro accessoires d’une activité principale déjà autorisée ;
  • Accélérer la mise en œuvre des rénovations des centrales de moins de 4,5MW en publiant au plus tôt l’arrêté fixant les conditions du complément de rémunération pour ces installations ;
  • Accompagner la mise en œuvre des dispositions de l’article 43 de la loi énergie-climat permettant des augmentations de puissance, sans prolongation de la durée de la concession, pour faire des travaux sur les aménagements hydroélectriques un levier d’entrainement de l’écosystème industriel de PME et ETI de la filière ;
  • Sensibiliser les préfets à l’instruction rapide des projets EnR, en particulier aux lauréats des Appels d’Offres CRE, pour permettre leur construction au plus tôt.

Mesure 2
Mieux concilier hydroélectricité et continuité écologique, dans la droite ligne du plan de politique apaisée de restauration de la continuité écologique.

  • Systématiser les démarches d’analyses coût-efficacité sur les mesures préconisées ;
  • Mettre en œuvre et sécuriser juridiquement la priorisation des mises en conformité des ouvrages ;
  • Étudier les possibilités de révision de classement des cours d’eau, au cas-par-cas et sur la base de critères scientifiques.

Mesure 3
Éviter la caducité des autorisations de travaux régulièrement accordées avant le début des mesures de confinement et permettre leur exécution hors des périodes et délais prescrits, dès la reprise de l’activité et pour une durée supplémentaire d’une année.

Source : SER 2020, Les énergies renouvelables : un levier de la relance économique 

Commentaire
L'association Hydrauxois considère que la priorité doit être donnée à l'équipement des ouvrages en place. Il existe au moins 20 000 moulins pouvant être relancés (voir le travail de recherche de Punys et al 2019) et des milliers de barrages ayant d'autres usages (eau potable, irrigation, navigation, loisirs, régulation de crue), mais pas d'équipement hydro-électrique. Avant d'envisager de nouvelles constructions et artificialisations, c'est d'abord l'équipement de ces sites présents depuis longtemps, ne créant pas de nouveaux impacts sur les riverains ou sur le vivant, qui doit être soutenu. Il serait fort peu écologique de continuer la politique actuelle qui consiste à détruire des ouvrages existants et leurs milieux — dont certains ont acquis de la biodiversité — pour en construire d'autres. C'est aux antipodes de l'esprit de sobriété et de ré-usage qui est censé être à l'oeuvre dans une transition énergétique. De surcroit, les moulins et usines à eau historiques se sont souvent installés dans des lieux les plus propices à l'usage énergétique, comme l'a observé la recherche (voir Edgeworth 2018), donc il serait assez aberrant de ne pas profiter de cette continuité historique.

Un autre besoin est la visibilité des politiques publiques sur le soutien durable à la filière de petite hydro-électricité. Le prix des équipements - qui est un obstacle sur des marchés trop restreints - ne peut baisser que s'il existe une perpective de développement assurée sur un grand nombre de sites, permettant notamment de relancer des lignes de production standardisée de turbines, de roues, de vis ou d'hydroliennes. Les atermoiements des choix publics et la complexité inutile (pour les sites en place) des dossiers nuisent considérablement à ce développement industriel et commercial depuis 10 ans.

09/06/2020

La députée Magne rappelle au gouvernement que la loi encourage la petite hydro-électricité

Le gouvernement ne cesse de proclamer sa vertueuse intention d'engager pleinement la France sur la voie de la transition bas-carbone... mais son administration ne poursuit pas toujours cet effort. C'est le cas en particulier de la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, qui continue l'incroyable politique à contre-emploi de destruction des barrages hydro-électriques déjà en place dans le pays. Mais aussi, trop souvent, de découragement des relances de moulins par des demandes kafkaïennes venant d'agents administratifs ne cachant pas parfois leur franche hostilité. La députée Marie-Ange Magne vient de demander à la ministre Elisabeth Borne de clarifier ce point. Si les parlementaires ont inscrit la promotion de la petite hydro-électricité dans la loi, c'est pour que le gouvernement et son administration appliquent pleinement cette loi, et non cherchent à s'en détourner au mépris de la volonté exprimée par les représentants élus des citoyens. Notre pays doit cesser de mettre des bâtons dans les roues de ses moulins!


Installation d'une turbine à côté d'une roue, dans la chambre d'eau d'un moulin. Partout en France, particuliers et collectivités se déclarent intéressés par l'énergie de l'eau, un des atouts du pays dans la transition bas-carbone. Mais les dossiers doivent être facilités au plan réglementaire, et non bloqués par des complexités administratives sans fin dont notre pays a le secret.

Lors du vote de la loi énergie et climat à l'automne 2019, les députés et sénateurs ont clairement demandé que la petite hydro-électricité soit intégrée dans les stratégies bas-carbone de la France. C'est désormais écrit noir sur blanc dans le code de l'énergie, article L 100-4 : "pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs (..) d’encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité"

Le gouvernement avait à l'époque donné un avis négatif à cette disposition, ce qui indique la puissance des lobbies travaillant près du cabinet du ministre de l'écologie (voir ce texte sur François de Rugy et ce texte sur Emmanuelle Wargon). Mais il n'a heureusement pas été suivi par sa propre majorité parlementaire. Nous connaissons la chanson : les lobbies de la destruction des moulins et barrages préfèrent échanger directement avec les administrations non élues, ce qui leur évite le débat parlementaire où ils sont systématiquement mis en minorité du fait du caractère radical et conflictuel de leurs vues. Car de l'avis de la plupart, c'est une idée absurde de dépenser un argent public rare à détruire des ouvrages hydrauliques pouvant avoir de nombreux intérêts. 

Dans une question posée à Elisabeth Borne, ministre de l'écologie, la députée Marie-Ange Magne s'inquiète de la mise en oeuvre de cette nouvelle loi énergie et climat, en particulier la disposition sur la petite hydro-électricité. En voici le texte.

Question N° 30174 de Mme Marie-Ange Magne 
Mme Marie-Ange Magne attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la mise en œuvre des dispositions de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 sur l'énergie et le climat relatives au développement de la production d'hydroélectricité. La loi a ainsi modifié l'article 100-4 du code de l'énergie qui dispose désormais que « pour répondre à l'urgence écologique et climatique », il est opportun que la politique nationale « encourage la production d'énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité ». De nombreux propriétaires de moulins cherchent ainsi à valoriser leurs installations en déposant des dossiers pour des projets de petite hydroélectricité. Malheureusement, les délais d'instruction par les services compétents sont souvent très longs et les démarches administratives fastidieuses. De plus, les études demandées par l'administration sont parfois excessives en termes de coût pour l'exploitant, condamnant ainsi sa rentabilité. Pourtant, le développement de la petite hydroélectricité peut être un élément essentiel dans l'accroissement de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Elle souhaiterait ainsi connaître les mesures envisagées par le Gouvernement afin de lever les freins administratifs et faciliter le développement de ces projets pour « encourager la petite hydroélectricité ».

Rappelons quelques points de droit :

  • un ouvrage de moulin ou petite usine hydraulique autorisé (fondé en titre ou sur titre) n'a pas à déposer une nouvelle demande d'autorisation, la loi reconnaît son existence (article L 214-6 code environnement, précisé par jurisprudence constante du conseil d'Etat protégeant les droits d'eau),
  • l'administration demande un "porté à connaissance" au préfet (article R 214-18-1 code environnement), qui peut être un simple courrier avec présentation des travaux prévus, et ne doit pas s'engager dans des frais inconsidérés de bureaux d'études (les complications dont parle la députée, lorsque des services instructeurs n'ayant aucune envie réelle d'instruire une relance font des demandes totalement disproportionnées sur des sites déjà en place, autorisés, alors qu'il n'y a impact hydrologique et morphologique par rapport à l'existant),
  • le préfet ne peut exiger au seul motif d'une relance hydro-électrique la mise en oeuvre de la continuité écologique en montaison (il peut l'exiger si la rivière est par ailleurs classée au titre de l'article L 214-17 code environnement, ce qui induit cette obligation légale, mais la production d'électricité est normalement cause de dérogation telle que le stipule la loi dans l'article L 214-18-1 code environnement),
  • la continuité en dévalaison doit être assurée, par le débit minimum biologique ou débit réservé (article L 214-8 code environnement) et par des protections ad hoc au niveau de l'entrée de la chambre d'eau si la relance concerne une turbine rapide (évitement de la mortalité des poissons par une grille et une goulotte de dévalaison si besoin).

L'un des motifs pour lesquels l'association Hydrauxois a requis au conseil d'Etat l'annulation de la note technique dite de "politique apaisée de continuité écologique" est le refus dans cette note de considérer que toute relance hydro-électrique d'ouvrage autorisé en rivière est recevable par l'administration, ce qui est contraire à la loi française sur la transition énergétique comme aux directives européennes sur ce thème.

Il ne peut y avoir d'apaisement avec le monde des petits ouvrages hydrauliques si l'administration est toujours dans une culture de déni de leur existence et de leurs vocations diverses, dont celle de produire de l'énergie. A l'heure où tout le monde clame la nécessité de baisser l'énergie fossile (encore 70% des usages finaux en France) pour la remplacer par des solutions électriques à source renouvelable (dont l'énergie de l'eau), c'est tout de même un comble d'avoir encore des fonctionnaires en charge de l'écologie qui freinent cette ambition nationale. Notre pays doit cesser de mettre des bâtons dans les roues de ses moulins!

A lire en complément
Dossier complet sur les moulins au service de la transition énergétique

06/06/2020

L'impact sédimentaire des moulins et petits ouvrages anciens de rivière a été surestimé (Peeters et al 2020)

Une équipe franco-belge de chercheurs a étudié l'impact sédimentaire des déversoirs anciens sur une petite rivière de Wallonie, le Bocq. Pas moins de 74 ouvrages sont présents sur la rivière, les plus anciens datant du 14e siècle. L'analyse montre que l'impact des déversoirs est très limité spatialement, volumétriquement et en nature des sédiments concernés. Le vieillissement des structures tend à restaurer des transits complets. Ce résultat n'est en rien une surprise pour les riverains de ces ouvrages, qui constatent au fil des crues que le transit des sédiments n'y est pas bloqué. C'est une contradiction scientifique supplémentaire des dogmes de l'administration française sur le soi-disant impact grave des moulins et étangs de nos bassins versants.


Les études sur les grands barrages ont montré que ceux-ci modifient la morphologie de la rivière, notament en retenant des grands volumes de sédiments de toutes dimensions (des vases aux blocs rocheux) dans leurs réservoirs. Mais ces barrages ont des propriétés spécifiques : haute dimension, grand volume de retenue, ancrage sur toute la largeur du lit majeur. Qu'en est-il est des petits ouvrages (moulins, étangs, seuils anti-affouillement) qui sont bien plus nombreux sur les rivières?

Pour le savoir, Alexandre Peeters et ses collègues (université de Paris-CNRS et de Liège UR SPHERES) ont étudié une petite rivière de Wallonie (Belgique), le Bocq. Sa pente est de 2% en moyenne, sa puissance de 30 W/m2. Les ouvrages de cette rivière, dont certains datant du 14e siècle, sont caractéristiques des sites anciens que l'on trouve sur les cours d'eau européens (cf image ci-dessus, extrait de Peeters et al 2020 art cit).  La hauteur des ouvrages va de 40 à 230 cm. Les vannes, quand elles sont présentes, ne sont pas souvent manoeuvrées en raison de l'absence d'usage. Certaines ont disparu.

Voici le résumé de leur travail :

"La restauration du transfert actif de la charge de fond dans les rivières touchées par l'homme a reçu une attention croissante ces dernières années, notamment en réponse à la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE), qui exige que la continuité des rivières ne soit pas perturbée par des caractéristiques anthropiques telles que les barrages ou les déversoirs. 

La rivière Bocq (233 km2), un cours d'eau à gradient modéré en Wallonie, en Belgique, possède une ressource hydraulique qui était auparavant largement exploitée avec 74 déversoirs (jusqu'à 2,3 m de haut) sur 43 km. Nous avons examiné les effets de sept anciens déversoirs abandonnés sur le transport de la charge de fond pour trois types de déversoirs différents (définis par la présence et la position du système d'écluse). 

Premièrement, les estimations de volume de la charge de lit stockée dans les réservoirs indiquent que, malgré leur vieillesse, les réservoirs n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% remplis par rapport à la capacité volumique du réservoir) et n'ont pas beaucoup évolué depuis 1989-1990. Deuxièmement, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit en amont, en aval et à l'intérieur des réservoirs, et les mesures directes du transport des sédiments (particules de scories et cailloux marqués PIT) ont démontré que la charge de fond continue d'être transportée hors du réservoir, même si le piégeage sélectif d’éléments plus grossiers a été observée à l’intérieur du réservoir. Des particules dans la plage de la médiane peuvent passer sur la crête des déversoirs, mais les éléments les plus grossiers ont tendance à rester dans les réservoirs. Cet effet de piégeage est atténué lorsque le déversoir a des vannes de chasse ouvertes ou effondrées qui facilitent le transfert de la charge de fond. Cela indique que les déversoirs agissent comme des barrières qui laissent passer la charge de fond, bien que le cadre géomorphologique individuel joue un rôle principal dans la détermination de la continuité locale des sédiments. 

Ces résultats suggèrent que la connectivité de la rivière est moins affectée qu'on ne le pensait initialement et qu'elle est susceptible d'augmenter au fil du temps à mesure que les vieux déversoirs tombent progressivement en ruine. Cela doit être reconnu lors de la planification des projets d'élimination des obstacles."

Dans leur travail, les auteurs détaillent :

"Les vieux déversoirs abandonnés dans cette étude n'agissent pas complètement comme des pièges à sédiments, et une grande partie de l'approvisionnement grossier en charge de fond peut passer à travers les déversoirs et continuer à être transportée hors du réservoir. Cela a été démontré en estimant les volumes de sédiments stockés dans sept réservoirs, qui n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% par rapport à la capacité volumique du réservoir). Ce volume n'a pas beaucoup évolué depuis 1989-1990 pour les trois déversoirs étudiés en détail. De plus, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit et l'évaluation des concentrations de particules de scories menées en amont et en aval des réservoirs suggèrent que la charge du lit continue d'être transportée hors du réservoir, à l'exception des clastes plus grossiers piégés dans la partie centrale du réservoir. La partie en aval des réservoirs présentait une rampe à sédiments en pente douce qui facilitait le passage de sédiments de fond de lit plus fins sur la crête du déversoir."

Les chercheurs concluent : "sur 74 déversoirs présents le long du cours de 43 km de la rivière Bocq, seuls 34 d'entre eux représentent encore un obstacle potentiel à la continuité de la charge de fond. Nos résultats indiquent que ces 34 barrières potentielles ne perturbent pas complètement le transfert de la charge de lit. À tout le moins, ils l'empêchent partiellement en raison d'un ralentissement du transport de la charge de lit et d'un piégeage sélectif des éléments les plus grossiers. Par conséquent, l'évaluation de l'effet cumulatif des déversoirs sur la connectivité des rivières à plus grande échelle est une tâche complexe."

Discussion
Les résultats d'Alexandre Peeters et des co-auteurs ne sont pas une surprise pour les riverains des moulins et autres petits ouvrages hydrauliques des rivières. L'examen visuel de ces ouvrages montre que les variations sédimentaires sont très localisées et que les lits aval de la rivière ne sont pas dénués de charge de fond à diverses granulométries. En période de crue, ces ouvrages sont en général noyés et contournés par le flux liquide portant cette charge solide. Leurs réservoirs, de volume modeste, ne sont que partiellement remplis. L'ensemble de ces caractéristiques ne suggère en rien une altération grave des fonctionnalités physiques de la rivière. Par ailleurs outre le diagnostic de site, ce sont les pratiques sur les bassins versants qui changent aussi la charge et la nature des sédiments venant à la rivière. Des reprises forestières ou au contraire des artificialisations (constructions, cultures) vont modifier le flux des sédiments, à diverses échelles de temps, ce qui suppose une étude dynamique et historique du bassin versant (voir le texte de Jean-Paul Bravard, spécialiste de cette question).

Les conclusions de cette recherche sont évidemment très éloignées de la tentative de diabolisation des petits ouvrages hydrauliques par l'administration française et par certains lobbies. On a dit aux élus et aux riverains que ces ouvrages avaient des impacts graves sans jamais mesurer (sauf exception) la réalité sédimentaire et sans relativiser sa portée. Encore moins en s'interrogeant sur les finalités de l'action publique, les métriques superficielles et jargons autoréférents d'une certaine écologie d'Etat remplaçant le débat démocratique sur ce que les riverains attendent finalement d'un cours d'eau. Sortons au plus vite de ces errements, qui mènent à dépenser de l'argent public sur des enjeux écologiques mineurs ou inexistants, mais aussi à détruire un patrimoine d'intérêt pour beaucoup.

Référence : Peeters A et al (2020), Can coarse bedload pass through weirs?, Geomorphology, 359, 107131

A lire également :

02/06/2020

Les parlementaires observent que la continuité écologique des rivières n'est pas apaisée pour les moulins

Trois députés et sénateurs ont posé des questions écrites à Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, sur le sort réservé aux moulins et autres ouvrages hydrauliques. Cette actualité parlementaire suggère que la continuité dite "écologique" n'est toujours pas "apaisée", comme le voulait le plan du gouvernement lancé à la va-vite en 2018. Et pour cause : la haute administration refuse de reconnaître explicitement la valeur des ouvrages en rivière (énergie, patrimoine, économie locale, paysage, rétention d'eau, milieux aquatiques et humides) donc l'absence d'intérêt général à financer sur argent public une politique de destruction, malgré les protestations permanentes de riverains et élus depuis 10 ans. C'est devenu un véritable point noir dans les politiques d'écologie, qui ont besoin d'efficacité et de consensus, non de gabegie et de conflit. A l'heure où le pays traverse une crise sanitaire, économique et sociale, avec besoin de territoires qui valorisent toutes leurs ressources, un changement de doctrine et de méthode s'impose pour dépasser les erreurs des années 2000 et 2010. Mais il n'est toujours pas au rendez-vous. 


Image Ouest-France, DR

Valoriser le patrimoine hydraulique des rivières
Question n° 29774 de M. Pascal Brindeau, député
M. Pascal Brindeau attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la valorisation du patrimoine hydraulique des rivières françaises. Depuis le début de la crise sanitaire, les petites centrales hydroélectriques ont continué à produire de l'énergie bas-carbone, les moulins ont repris ou augmenté la production locale de farine et d'huile face aux difficultés d'approvisionnement, mettant en lumière l'importance des moulins, retenues, barrages, canaux et de tous les ouvrages hydrauliques que comptent les cours d'eau français. Or, depuis des années, le patrimoine hydraulique français est particulièrement menacé et beaucoup d'ouvrages sont détruits par décision des représentants de l'État ou des agences de l'eau, alors même que ces ouvrages sont acteurs de la transition écologique, qu'ils favorisent les circuits courts et la production locale, qu'ils contribuent à retenir et répartir l'eau tout au long de l'année et qu'ils apportent des zones refuges pour le vivant aquatique. La pesanteur administrative et le manque d'autonomie locale semblent aller à l'encontre d'une politique de l'eau qui serve l'intérêt général et la préservation de la biodiversité. Parmi les mesures urgentes à mettre en place pour préserver et valoriser le patrimoine hydraulique des rivières françaises, il semble indispensable de prendre sans attendre un moratoire sur la destruction des ouvrages hydrauliques et de se montrer enfin à l'écoute des associations locales très engagées pour la mise en place de solutions adaptées aux réalités de terrain et aux impératifs environnementaux. Il souhaite donc connaître les mesures envisagées par le Gouvernement pour la préservation et la valorisation du patrimoine hydraulique des rivières françaises.

Démolition d'un patrimoine centenaire et de ses zones humides
Question écrite n° 14382 de M. Jean-Marie Janssens, sénateur
M. Jean-Marie Janssens attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la question de la préservation et de la sauvegarde des moulins à eau. Selon l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), l'écoulement nécessaire pour préserver la biodiversité serait empêché par plus de 60 000 obstacles dont les barrages, les moulins à eau et les écluses, mettant en péril la continuité écologique des espèces et des sédiments entre les cours d'eau. Au nom de cette politique de continuité écologique, la destruction de centaines de moulins à eau est ainsi envisagée, synonyme de démolition pure et simple de notre patrimoine français. Dans le département du Loir-et-Cher, un moulin construit il y a près de 400 ans est ainsi menacé de destruction, alors même qu'il n'a jamais suscité la moindre controverse. Cette politique s'avèrerait en réalité désastreuse pour la sauvegarde et la protection des zones humides, véritables viviers de la faune et de la flore dans nos territoires. Ce sont en effet des milliers d'écosystèmes qui se retrouveraient menacés par ces destructions indirectes de milieux sauvages qui entraînent des ruptures d'équilibres naturels. Enfin, ces destructions de moulins entraveraient le développement de la microélectricité, générant pour certains moulins, des ressources économiques et énergétiques importantes. Aujourd'hui, trente-trois associations ont déposé des recours contre les propositions d'arasement, d'effacement, au nom de la continuité écologique. Il souhaite savoir si le Gouvernement entend empêcher la destruction des moulins à eau et faire évoluer la politique de continuité écologique pour la rendre plus respectueuse du patrimoine culturel français et de la biodiversité.

Blocage et manque de bon sens de l'administration
Question écrite n° 15101 de M. Jean Louis Masson, sénateur
M. Jean Louis Masson attire l'attention de Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur le fait que le moulin de Fouligny (Moselle) est un des rares moulins à eau qui continue à fonctionner dans l'est de la France. Depuis plus de cinq siècles, il fournit une farine qui est particulièrement appréciée par les boulangers lorrains. Or le propriétaire de ce moulin doit faire des aménagements et depuis plusieurs années, il se heurte au blocage des services de l'État, lesquels ne veulent pas comprendre qu'un moulin à eau doit se situer en bordure d'une rivière et donc en zone humide. C'est toute la différence avec un moulin à vent, qui lui, doit se trouver en haut d'une colline. Dans la mesure où ce moulin fonctionne depuis plusieurs siècles et que comme tout moulin à eau, il est confronté aux variations de débit de la rivière, il lui demande s'il serait possible de faire preuve d'un peu de bon sens, faute de quoi plusieurs emplois qui existent depuis des siècles et une activité artisanale faisant partie du patrimoine historique seraient amenés à disparaître.