28/06/2020

L'interprétation française de la directive européenne sur l'eau a fait disparaître un demi-million de plans d'eau des nomenclatures (Touchart et Bartout 2020)

Deux limnologues de l'université d'Orléans viennent de publier un article intéressant sur la notion de "masse d'eau", un concept administratif issu de la traduction française et mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau. La directive européenne parlait de "water body". Les auteurs montrent que la masse d'eau a été détournée du sens qu'elle avait à l'origine en océanographie et limnologie, pour devenir un quasi-synonyme de fleuve ou rivière concernant les eaux de surface. Mais dans ce processus, l'administration française a fait disparaître la singularité du demi-million de plans d'eau que comporte notre pays, au profit d'une approche fluviocentrée. Une erreur que l'on peut juger dramatique tant la recherche européenne et internationale insiste désormais sur la valeur environnementale de ces plans d'eau, dans la parfaite indifférence de ceux qui ont fait de "l'eau courante sans obstacle" le seul horizon de leur gestion, et qui ne veulent pas sortir aujourd'hui de leur confort intellectuel.


Laurent Touchart et Pascal Bartout, chercheurs-enseignants à l'université d'Orléans, experts des lacs et milieux lentiques (limnologie), livrent une intéressante réflexion sur l'apparition en France du concept de "masse d'eau", dans le cadre de l'application de la directive européenne sur l'eau (DCE) adoptée en 2000 et transposée en 2004 dans le droit français.

La masse d'eau désigne, dans la littérature scientifique pré-DCE 2000, un volume en trois dimensions que l'on isole pour l'analyser, en général dans un océan ou un lac, à partir de discontinuités qui donnent sens à l'analyse :
"la masse d’eau (water mass, Wassermasse, водная масса, masa de agua), grâce à une longue histoire pluriséculaire marquée par sa stabilité épistémologique, est un concept qui a fait l’unanimité de la communauté scientifique internationale jusqu’en l’an 2000. Terme rigoureusement défini et communément utilisé par les océanographes et les limnologues, il concernait aussi, par extension, les cours d’eau, du moins au niveau de leur embouchure dans la mer ou dans un lac. Dans toutes les acceptions scientifiques classiques, l’important reste la notion de volume en trois dimensions formant une subdivision d’un volume plus grand, délimitée par des discontinuités internes à celui-ci. L’emboîtement d’échelles est inhérent au concept, une masse d’eau étant une portion d’un objet hydrologique, en général l’océan, une mer ou un lac. Dans le cadre des trois dimensions, les discontinuités séparant les masses d’eau ont tout de même, le plus souvent, une composante verticale plus marquée, les plans d’eau, qu’ils soient marins ou lacustres, étant, par essence même, stratifiés en couches de différentes densités. La composante horizontale n’est cependant jamais absente, et, quand elle devient prédominante, exerce une grande influence sur la productivité biologique, le long de fronts. Du fait de l’action des courants, et aussi de certaines ondes comme les seiches internes, les discontinuités séparant les masses d’eau sont mouvantes. En tant que discontinuités aqueuses, leur représentation cartographique est dynamique et ne peut être figée par des points de repère terrestres fixes."

Le DCE a créé le concept gestionnaire de "water body", différent de "water mass" en anglais, que la France a choisi de traduire par "masse d'eau" :
"Dans son sens administratif français actuel, la masse d’eau apparaît comme une expression nouvelle, issue de la Directive-cadre européenne sur l’eau de 2000, ainsi définie : « ‘masse d’eau de surface’: une partie distincte et significative des eaux de surface telles qu’un lac, un réservoir, une rivière, un fleuve ou un canal, une partie de rivière, de fleuve ou de canal, une eau de transition ou une portion d’eaux côtières » (Le Parlement Européen, 2000, article 2, définition 10). (...) Il est remarquable que, en anglais, ce soit le terme de « body of water » qui soit nouvellement défini (The European Parliament, 2000). Celui de « water mass » n’est pas employé par la DCE, qui laisse les océanographes et limnologues anglo-saxons continuer à l’utiliser dans son sens originel. La plupart des traductions effectuées dans les autres langues de la Commission européenne sont littéralement calquées sur l’anglais : la version allemande de la DCE écrit « Wasserkörper », la version italienne « corpo idrico », roumaine « corp de apă », ou encore slovène « telo vode ».  (...) la version en langue française de la Directive-cadre européenne sur l’eau a fait le choix de la « masse d’eau », un terme qui renvoie aux mers et aux lacs, alors qu’il ne sera question dans l’immense majorité des cas que d’eaux courantes, qui renvoie à un volume d’eau, alors qu’il ne sera question que de discontinuités en plan, qui renvoie à des limites de densité d’eau, alors qu’il ne sera question que de segmentation par des confluents."
Ce faisant, l'administration française a été conduite à faire disparaître un demi-million de plans d'eau de la nomenclature, pour centrer son approche sur la seule logique fluviale :
"Dans la pratique, l’administration française a construit 9748 MECE « masses d’eau cours d’eau » et seulement 429 MEPE « masses d’eau plan d’eau » (décompte effectué le 5 septembre 2019 à partir de la plateforme ouverte des don- nées publiques françaises, transmis par E. Hulot, DDT-87). Les MECE représentent donc 96 % du total et les MEPE 4 %. Cette élimination de 99,92 % des plans d’eau de notre pays, puisque, dans la réalité, il y a en France 554 566 plans d’eau de plus d’un are (Bartout et Touchart, 2013), a été rendue possible par l’invention de la limite de superficie de 50 ha, au-delà de laquelle un plan d’eau peut être défini et reconnu en tant que tel. Cette limite, qui n’est fondée sur aucune rupture du fonctionnement limnologique d’un plan d’eau qui aurait un fondement scientifique, est celle qui a été administrativement imposée pour faire une exception au fluvio-centrage de la DCE et des circulaires françaises. Parmi de nombreux exemples de ce fluvio-centrage, on peut citer la circulaire de 2005 précisant la typologie des masses d’eau, dont les schémas indiquent clairement qu’un plan d’eau d’origine fluviatile doit obligatoirement, qu’elle que soit sa taille, appartenir à une MECE (République Française, 2005)."
Ce fluvio-centrisme, formé autour du paradigme du libre écoulement de l'amont vers l'aval, a conduit à gommer les échanges se tenant autour des stockages et déstockages d'eau dans les bassins:
"La perte de la notion de volume en trois dimensions, ainsi que, à l’intérieur de la dimension horizontale, la très nette survalorisation de la direction longitudinale, dans le sens fluvial d’amont en aval, si possible sans rupture, sans ralentissement, sans emmagasinement d’eau, va à l’encontre de l’essence même de l’hydrosystème. Ainsi, curieusement, depuis une quinzaine d’années que le terme d’hydrosystème est régulièrement cité et revendiqué dans les documents officiels, comme les SDAGE, son vrai fondement scientifique, celui de redonner leur place aux échanges latitudinaux et verticaux, ainsi qu’aux alternances de stockage et déstockage, est moins suivi. Par le sens nouveau donné à la masse d’eau, le jargon administratif s’est éloigné de la signification scientifique originelle. Incontestablement, de nouveaux groupements scientifiques se sont formés, dominés par une mise en avant de l’aspect technique des Systèmes d’Informations Géographiques, qui cartographie des limites fixes aux nouvelles masses d’eau, aux dépens de la continuité épistémologique et des réflexions ancrées dans une évolution progressive tendant à prendre la mesure de la complexité de fonctionnement des objets hydrologiques, dont le caractère fluctuant des limites et seuils internes en fonction des échelles de temps est une manifestation majeure."
Il en résulte des aberrations hydrogéologiques, où par exemple une grande cascade naturelle ne produira pas selon l'administration deux masses d'eau distincts amont et aval, mais aussi des incompréhensions citoyennes voire des conflits sociaux, où la pratique familiale et locale autour d'un plan d'eau devient une anomalie du continuum de la masse d'eau idéalisée :
"La critique que nous faisons de cette nouvelle masse d’eau devra donner lieu à d’autres recherches, qui ouvriront vers des réflexions plus poussées sur les non-dits qui sous-tendent l’opposition trop simple entre ladite continuité d’un cours d’eau et les ruptures. La manière actuelle d’envisager cette opposition tend, selon nous, à éloigner la législation européenne et sa déclinaison en France de certaines réalités de terrain. Ainsi, selon les documents officiels, une cascade naturelle formée d’abrupts infranchissables de plus d’une centaine de mètres de hauteur ne forme pas de rupture hydrogéomorphologique nécessitant de distinguer deux masses d’eau. En revanche, plus de 99,9 % des propriétaires d’étangs français, y compris médiévaux, voient leur plan d’eau n’être qu’une « masse d’eau cours d’eau ».  Or la perception de ces gestionnaires locaux de leur territoire, dont les enquêtes scientifiques montrent qu’ils caractérisent les étangs par des qualificatifs comme «familial, amical, convivial» (Ardillier-Carras, 2007), est loin de se réduire à un ensemble d’impacts sur un cours d’eau. Ce genre de décalage rend sans doute difficile l’appropriation du discours européen par certaines catégories de la population, alors même que la concertation et la participation de l’ensemble du public sont censées être l’un des fers de lance de la politique de l’eau depuis 2000."
Discussion
Un autre effet dommageable de la posture de l'administration française est la négation du plan d'eau comme zone de biodiversité et hydro-disponibilité pour le vivant. Pour nombre de chercheurs étudiant ces milieux (voir par exemple Davies et al 2008, Chester et Robson 2013, Clifford et Hefferman 2018, Hill et al 2018), l'indifférence des gestionnaires est un problème pour la conservation, et la DCE 2000 en particulier était peu attentive à cette question. Le cas a été aggravé en France car les nouvelles orientations publiques ont opté dans les années 2000 pour un paradigme de "renaturation" du "continuum fluvial" ignorant totalement ces réalités, ne débloquant pas de moyens pour analyser spécifiquement leur écologie et leur hydrologie, appelant parfois à les faire disparaître sans la moindre prudence sur les milieux asséchés et sur les évolutions locales futures en situation de changement climatique.

Références : Touchart L, Bartout P (2020), La masse d’eau : le détournement administratif d’un concept géographique, BSGLg, 74, 65-78

26/06/2020

Un guide multi-critères pour une continuité apaisée et informée au droit des moulins, étangs, plans d'eau

La Coordination Eaux & rivières humaines vient de publier un guide d'instruction pour l'étude des ouvrages hydrauliques dans le cadre de la continuité écologique apaisée. Ce guide a pour but de s'assurer que les services de l'Etat (DDT-M, OFB), des syndicats de rivière et de leurs maîtres d'oeuvre (bureaux d'études) prennent en considération l'ensemble des enjeux sur chaque ouvrage : droit, culture, paysage, hydrologie, écologie, énergie, riveraineté, usages locaux, analyse coût-avantage. Le guide doit être adressé par chaque association au préfet (ci-dessous, modèle de courrier) et par chaque propriétaire au maître d'oeuvre. Nous sommes persuadés que si une analyse multi-critères est réellement menée, les solutions préférables apparaîtront d'elles-mêmes. Encore faut-il étudier les ouvrages, les milieux et les usages, au lieu de faire des copier-coller sur quelques critères très limités.



Télécharger :
Guide de bonnes pratiques en analyse d'ouvrages hydrauliques
Modèle de courrier au préfet

Notre constat est simple : il n’y aura aucune politique apaisée de continuité écologique si les expertises continuent à ignorer des informations essentielles sur les ouvrages, leurs milieux, leurs usages.

Aujourd'hui, quand on étudie un ouvrage hydraulique en cours d’eau classé au titre de la continuité écologique, on évacue en général un grand nombre de paramètres importants. L’analyse est faite par un bureau d’études privé (parfois une fédération de pêche) avec de nombreux biais. On choisit certains aspects (quelques poissons spécialisés en général), mais on ignore ou on traite sommairement des dimensions essentielles : le patrimoine culturel, le paysage, les usages dont l’énergie, la biodiversité hors poissons spécialisés, la ressource en eau, l’adaptation au changement climatique, les coûts et les risques.

Ce nouveau guide liste l’ensemble des informations que la CNERH souhaite voir apparaître désormais dans chaque étude de continuité écologique payée par l’argent public des agences de l’eau, des syndicats de rivière (EPTB, EPAGE) ou des collectivités.



Ce guide est aussi un élément de protection juridique de vos adhérents.

En l’envoyant au préfet avec une lettre d’accompagnement (cf modèle en lien ci-dessus), vous prévenez les autorités administratives qu’elles doivent respecter la loi en faisant des préconisations informées et proportionnées.

Si les administrations et les maîtres d’œuvre travaillant sur préconisation administrative ne respectent pas les demandes faites dans ce guide, le propriétaire de bonne foi pourra considérer qu’aucune solution conforme à l’ensemble des textes encadrant le droit de l’environnement et le droit civil ne lui a été proposée. Il est nécessaire de formaliser ces échanges, car en cas de mise en demeure de l’administration, ce sont des pièces que nous opposerons si besoin au juge pour démontrer qu’il y a eu carence de l’administration dans ses obligations de préconisation adaptée.


25/06/2020

Le jury citoyen, une bonne initiative mais encore très perfectible

La Convention citoyenne pour le climat a rendu ses conclusions en faveur de la transition bas-carbone. Cet exercice de démocratie participative est une avancée dans la manière de concevoir les débats, mais il a aussi mis en lumière des limites et des biais. Notre association étant favorable à des jurys citoyens dans l'élaboration des projets de bassin versant, aujourd'hui confisqués par des administrations et des lobbies, voici quelques observations pour en faire des outils plus représentatifs. 

Décidée par le Président de la République suite au mouvement des Gilets jaunes contre la taxe carbone et les 80 km/h, la Convention citoyenne pour le climat a réuni pendant 9 mois cent cinquante personnes tirées au sort. Elle avait pour mandat de définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale. Les conclusions, sous forme de 150 propositions, ont été rendues le 21 juin dernier.

Initiative existant déjà en France dans le passé sous la forme de jurys citoyens, le format et les conclusions de cette Convention ont suscité diverses réserves.

Les observateurs ont ainsi fait remarquer que la Convention a évité beaucoup de sujets centraux dans la transition bas-carbone (par exemple Arnaud Gossement dans Actu Environnment) :
  • rien sur le nucléaire,
  • rien sur la fiscalité carbone,
  • rien sur le soutien aux énergies renouvelables,
  • rien sur le déploiement concret des machines énergétiques (moteurs, chaudières etc.) alternatives au fossile.
Par ailleurs, les 150 mesures proposées manquent de rigueur :
  • on ne connaît pas le CO2 réellement évité à chaque mesure,
  • on ne connaît pas le coût estimé du CO2 évité,
  • on ne connaît pas le financement public et privé,
  • on ne sait pas si les mesures sont déjà présentes ou non dans le droit, et compatibles avec ce droit le cas échéant.
Plusieurs limites sont apparues dans la conception même du processus.

Le volontariat, un biais de représentation imparfaite. Contrairement à un jury d'assises, où la participation est obligatoire à peine d'amende, le jury citoyen a été recruté par tirage au sort mais sur la base du volontariat. Or, c'est un problème si l'on veut approcher correctement l'avis de tous sur des projets incluant des normes ou des taxes : les gens volontaires sur un sujet ne sont pas représentatifs du consentement, il faut aussi avoir l'avis des gens que le sujet n'intéresse pas ou peu (et qui consentent souvent moins à des efforts). En l'espèce, il semble qu'entre un tiers et les deux-tiers des citoyens contactés ont refusé de participer, donc on a un biais d'exclusion de beaucoup de citoyens sur ce critère.

L'expertise, un biais d'information sélective. Un autre point a été soulevé, notamment par des chercheurs étudiant le déroulement du processus, l'opacité dans le choix des expertises devant informer les citoyens sur des sujets complexes où chacun est a priori assez ignorant au départ (voir Le Monde 19/02/20220). Or, comme nous le savons, l'expertise n'a rien de neutre en de nombreux domaines, elle peut aussi exprimer des préjugés et préférences des experts. De plus, ces experts ne sont pas d'accord entre eux sur des méthodes et des conclusions.

L'ampleur du sujet, un biais de superficialité cognitive. Enfin, beaucoup de jurys citoyens dans le monde sont dédiés à des sujets assez précis, l'approbation ou l'évaluation d'une réforme du droit, d'un projet d'aménagement. Cette concentration du sujet (par sa géographie, sa thématique, son secteur ou autre) aide à cadrer la réflexion et à nourrir sur un objet délimité des idées nombreuses. Ici, en raison du fait que le carbone est lié à toutes les activités humaines, les thèmes ont débordé sur de nombreux domaines (par exemple la construction, la voiture, le bâtiment, l'isolation, l'avion, le plastique, l'agriculture...). Mais finalement, est-ce dans la capacité et dans le rôle de 150 citoyens d'avoir des idées de réformes sur tant de sujets, en si peu de temps, alors que chacun mériterait déjà une réflexion sur sa complexité?

Faire davantage participer les citoyens à la démocratie est une bonne chose, et permet de lutter contre le sentiment actuel de confiscation de l'exercice démocratique par le couple formé des grands élus et des experts, trop coupés du terrain et tendant à un entre-soi déconnecté des réalités vécues. Mais il faut que l'exercice soit mieux conçu :
  • des jurys citoyens plus locaux, pour une démocratie de terrain sur les choix concernant les cadres de vie,
  • des sujets mieux cernés, afin que les citoyens comprennent plus facilement les tenants et aboutissants, sans se disperser sur plein de thèmes différents,
  • des informations plus ouvertes, diverses et transparentes, afin que tous les avis informés soient entendus dans le processus de réflexion,
  • des obligations plus strictes de réflexion sur les financements, afin que les choix soient réalistes et responsables.

24/06/2020

Sauver le lac de la Roche-Qui-Boit de la destruction sur ordre de l'administration

Des riverains associés sous le nom "Les loutres de la Roche-qui-Boit" appellent Elisabeth Borne, ministre de l'écologie, à stopper la destruction du barrage et du lac sur la Sélune, qui héberge notamment le mammifère aquatique protégé. Ils lancent une pétition en ligne: soutenons-les contre les insupportables casseurs des patrimoines des rivières françaises. Nous devons tourner la page de cette continuité écologique destructrice qui provoque partout des assèchements de milieux, des conflits sociaux et des gabegies économiques. 



Texte de la pétition:

Sauver l'habitat de la Loutre d'Europe en baie du Mont Saint Michel !

À l'heure où les enjeux liés à l'environnement, la biodiversité, sont de plus en plus présents dans les débats publics, la présence de la loutre d'Europe, espèce protégée, dans le lac de la Roche-qui-Boit mais aussi au pied du barrage de la Roche-qui-boit jusqu'au moulin de Quincampoix.. est confirmée et rendue publique en Juin 2019 par arrêté préfectoral - source 

Cette information cruciale n'a été communiquée ni à Chantal Jouanno au ministère de l’environnement en 2009 ni à Nicolas Hulot en 2018 lorsque la décision fut prise d'araser les barrages de la Sélune.

L'un des arguments phares sur laquelle s'appuie cette décision est l'impossibilité pour les poissons migrateurs de circuler librement. Tout cela omettant totalement l'existence d’un piégeage permettant de répondre à la montaison des poissons présents à l'aval de la Roche-qui-Boit, piégeage analogue à ce qui existe depuis 10 ans sur la Garonne - voir la vidéo 

Au delà d'être devenu l'habitat naturel de la loutre, le lac de la roche-qui-boit se trouve être un véritable atout face aux différentes menaces liées au réchauffement climatique. Ce lac est plurifonctionnel. Il répond à la sécurité des sécheresses et de certaines inondations. En effet, les barrages ont l'avantage de ralentir les inondations et d'être utiles pour les prévenir - un petit rappel historique. De plus, l'appauvrissement des sols agricoles, l’arasement des talus et l'urbanisation grandissante depuis plus d'un siècle place plusieurs villages alentours, habitants, agriculteurs, ouvriers, intérimaires, entreprises, bétails sous la menace de crues et de glissements de terrains qui seraient plus importants et plus violents si le barrage n’existait pas. Et tout cela sans compter toute la faune et la flore qui se sont parfaitement réapproprié ce nouvel écosystème créé par le barrage et qui sont aujourd'hui condamnées à disparaître. Ce n'est pas seulement la loutre, c'est tout cet écosystème que nous cherchons à préserver, tout ce qui se développe depuis tant d'années autour de celui ci. 

La biodiversité est aujourd'hui notre meilleure assurance vie !

La loutre animal protégé 
Il serait tout à fait paradoxal d'amener cette affaire au pénal dans l'espoir de réussir à faire classer le lac de la Roche-qui-Boit, habitat des loutres d'Europe, au patrimoine historique, culturel et solidaire. En effet en France la loi est claire : Détruire ou enlever les œufs ou les nids des animaux des espèces protégées, Mutiler ces animaux, les tuer ou les capturer, et perturber intentionnellement ces animaux dans leur milieu naturel est passible de 3 ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende.
Dans le cas où l'infraction serait commise au cœur d'un parc naturel, l'amende est doublée. Sur le plan pénal les entreprises, ouvriers, intérimaires qui participeraient à la destruction de l’habitat de la loutre risquent gros (bande organisée) 
« Le fait de commettre les infractions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 415-3 du présent code en bande organisée, au sens de l'article 132-71 du code pénal, est puni de sept ans d’emprisonnement et 750 000 € d'amende. » - Source

La police judiciaire de l'environnement
Plus que jamais nous devons faire preuve de solidarité et notamment envers la nature. Aidez nous à faire entendre cet appel au Ministère de la Transition Écologique et Solidaire et ainsi à préserver le lac et le barrage de la Roche-Qui-Boit et leur précieuse biodiversité.

Pour plus d'informations ou pour toute demande n'hésitez pas à nous contacter : lesloutresdelarochequiboit@gmail.com 

Pour signer cette pétition et soutenir la défense de la Roche-Qui-Boit, c'est ici

20/06/2020

Qui va définir les services environnementaux justifiant des paiements? (Kolinjivadi 2020)

Les paiements pour services environnementaux (ou écosytémiques), dits PSE, sont à la mode en Europe et émergent en France. La collectivité paie un propriétaire car il adopte des pratiques favorables à l'environnement. Mais dans le forum de la revue Water Alternatives, un chercheur belge souligne que ce procédé est opaque, voire injuste : des bureaucraties expertes tendent à prédéfinir et normaliser ce qu'est un service sans tenir compte des liens intimes que des populations entretiennent avec l'eau ou le sol sur chaque territoire, donc sans intégrer la manière dont les services sont vécus et définis. Nous traduisons ici ce texte intéressant pour le public francophone. Il rappelle que pour beaucoup de chercheurs en sciences humaines et sociales, il n'existe pas de nature coupée de l'humain, mais toujours une nature appréciée et interprétée par l'humain. C'est vrai dans les rapports Nord-Sud, comme rappelé ici, mais aussi bien au sein de chaque société du Nord et du Sud. Nous suggérons que le monde des moulins et étangs, très sensible à cette notion de lien historique et social, réfléchisse aux implications des PSE. Après tout, bien gérer un ouvrage hydraulique et ses dépendances, n'est-ce pas aussi rendre des services aux environnements locaux? Au nom de quoi des experts le nieraient si demain cette réalité est perçue, montrée et revendiquée? Les acteurs des rivières doivent développer ces réflexions nouvelles, car nous entrons dans une période de redéfinition locale et globale des biens communs comme l'eau ou la biodiversité, mais aussi d'évolution de leur gestion. 


Roselière dans l'étang-retenue d'un moulin de l'Ource (21). Cet hydrosytème hérité du Moyen Age héberge de nombreuses espèces (dont la cigogne noire, protégée), contribue à la qualité des milieux aquatiques, permet des agréments locaux. Pourquoi ne pas considérer qu'une gestion attentive de ce type d'ouvrages hydrauliques justifierait de services écosystémiques? Et qui doit en juger si l'on commence à définir des paiements pour de tels services? 

La conditionnalité comme dépossession? 
L'injustice socioculturelle des «paiements pour services écosystémiques» (PSE)

"Les «paiements pour services écosystémiques» (PSE) [NDT : en français, souvent appelés paiements pour services environnementaux] ont été salués comme des accords volontaires visant à indemniser les individus pour les «services écosystémiques» (désormais SE) qu'ils fournissent à d'autres. Le PSE vise à aligner les avantages privés et publics de la conservation et a été particulièrement populaire comme mécanisme pour améliorer la qualité de l'eau en encourageant les pratiques d'utilisation des terres qui réduisent la sédimentation ou la contamination des sols aux frontières des zones agricoles. Les PSE dans les bassins versants fonctionnent le plus souvent en encourageant les utilisateurs des terres à adopter des pratiques d'utilisation spécifiques qui protégeront les sols (par exemple, retirer les terres en pente de la production ou le reboisement pour empêcher l'envasement des réservoirs), ou la qualité des eaux souterraines (par exemple, en limitant l'utilisation de nitrates pour préserver la potabilité de l'eau de source). Les paiements sont souvent déterminés en égalant ou en dépassant le coût d'opportunité économique du changement de pratiques d'utilisation des terres. Les paiements sont généralement distribués individuellement aux ménages participants ou, dans certains cas, aux communautés d'utilisateurs des terres, comme dans le cas du programme mexicain de paiement des services hydrologiques. 

L'évaluation des projets de PSE repose sur la notion de "conditionnalité", ce qui signifie que les paiements aux utilisateurs des terres dépendent de la preuve que le SE (par exemple, une meilleure qualité de l'eau) a été atteint ou, plus fréquemment, que l'utilisation convenue des terres selon les pratiques qui servent de base à l'accord a été mise en œuvre. Que les projets de PSE atteignent ou non leurs objectifs, le cadre de ces accords et les relations homme-nature qu'ils représentent ont de nombreuses ramifications cachées, et même insidieuses. Ce sont ces préoccupations que cette intervention aborde.

Les relations sociales intimes entre les gens et leur territoire
Dans son essai de 2014, "Qu'est-ce que la terre?" l'anthropologue Tanya Murray Li a écrit sur la façon dont la «terre» est assemblée en «ressource» par un réseau sophistiqué de scientifiques, d'investisseurs, de techniciens, de responsables gouvernementaux et d'acteurs non gouvernementaux. Grâce aux efforts de ces experts, la «terre» et «l'eau» deviennent des ressources tangibles à gouverner par l'attribution de droits de propriété. Pourtant, la terre, et en fait l'eau, ne sont pas des objets solides qui peuvent être, selon les mots de Li, enroulés comme une natte. Ils offrent ce qu'elle appelle des «opportunités» [affordance] ou des relations sociales intimes entre les gens et leur territoire. Ces opportunités reflètent la notion d'abondance et elles sont imprégnées de cultures qui ont généré des interactions significatives avec l'environnement vivant et non vivant, à des moments et des endroits spécifiques, et à travers des histoires de mémoire collective transmises depuis des temps immémoriaux. Un attachement ou un sentiment d'appartenance à la terre et aux eaux crée des identités sociales, qui à leur tour façonnent les possibilités infinies qu'offre la terre. Tout comme la matérialité fluide de l'eau elle-même, les opportunités qui caractérisent les relations homme-nature sont toujours émergentes, toujours transformantes, mais toujours présentes.

Lorsque les avantages de la terre ou de l'eau pour les personnes sont définis comme des services écosystémiques (SE) «d'approvisionnement», «régulateurs» ou «culturels», un certain degré de cette intimité et de la fluidité matérielle et sociale des relations homme-nature devient fixé artificiellement dans le temps et l'espace. Bien que cela puisse être fait pour des raisons politiques et économiques, les relations émergentes de ces "opportunités" sont disciplinées en catégories stériles rendues lisibles pour cartographier et attribuer des valeurs monétaires à des bassins versants plus "multifonctionnels". Les résultats écologiques sont ensuite évalués par la modélisation technique et la manipulation de ces catégories SE abstraites et proclamés comme une "science" à part entière, approuvés et légitimés par le biais de forums scientifiques et politiques comme le Groupe d'experts intergouvernemental sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Dans le processus, la diversité épistémologique et ontologique est réduite à des constructions sociales faciles à catégoriser comme SE. Cette objectivation est largement imposée par un lien entre des universitaires du Nord, des agences d'aide multilatérale et des consultants financés par le Nord. Cela signifie que l'injustice et l'iniquité dans les politiques de "services écosystémiques" seront à la base de leur fonctionnement, plutôt que quelque chose qui peut être résolu par une conception et une mise en œuvre plus inclusives.

Le PSE va encore plus loin dans cette violence épistémique. Après avoir déjà présumé que les SE sont des réalités scientifiques objectives qui peuvent être identifiées, mesurées, cartographiées et accordées sans équivoque, les systèmes de PSE tentent d'engager des négociations entre les utilisateurs des terres et de l'eau en introduisant des incitations idéalement alignées sur le coût d'opportunité économique de leur "livraison." Ce qui a commencé comme une reconnaissance des formes intimes de connexion et de relations avec la terre et l'eau se termine par leur objectivation en tant qu'ES et, par la suite, l'échange de ces valeurs par des incitations économiques.

Cela ne signifie pas que les paiements ne peuvent pas être avantageux. Ils peuvent l'être s'ils engendrent de nouveaux types de relations sociales qui se fondent sur l'intendance de la terre et de l'eau. Les facteurs qui conduisent à ces résultats potentiellement positifs refléteront la manière dont les incitations répondent aux besoins individuels et collectifs des utilisateurs des terres et de l'eau. Cependant, en supposant que des paiements peuvent être effectués pour "fournir" efficacement des moyens de subsistance, on n'apprécie pas le déroulement dynamique des relations homme-nature qui sont continuellement mises en place. De telles relations ne peuvent pas être "livrées" car elles sont immédiatement modifiées dès qu'elles sont objectivées et inscrites dans une transaction PES conditionnelle. Une bonne analogie ici est l'amitié. Une amitié émerge souvent spontanément de l'attention et de l'affection. Mais que se passe-t-il si une amitié n'est faite pour "exister" qu'à la remise conditionnelle d'une liste de contrôle de ce qui compte comme amitié? Cette amitié changerait sûrement son caractère dans le second par rapport au premier.

Ainsi, la question se pose alors: si les SE sont créés par un cadre d'experts externes qui tentent de traduire les ressources foncières et l'eau profondément situées et souvent intangibles en "ressources" plus facilement manipulables, par exemple, "la gestion des bassins versants", alors qu'arrive-t-il aux affinités qui se perdent dans cette traduction? Qu'arrive-t-il aux régimes fonciers coutumiers fonciers et hydriques qui impliquent diverses manières de connaître la terre et l'eau, et qui ne peuvent pas être compris comme des "ressources" économiquement excluables ou rivales comme le sont des constructions comme les crédits de carbone ou les permis d'échange de la qualité de l'eau? Ainsi, l'impératif d'exiger la conditionnalité dans les PSE modifiera inévitablement les opportunités qui façonnent et sont elles-mêmes façonnées par les pratiques socioculturelles. Cette altération peut risquer de déposséder les gens de ces avantages ou elle peut en générer de nouveaux; mais leur caractère changera inévitablement malgré tout.

Des experts "externes" déterminant les services ou une autonomie culturelle?
Cette nuance est à peine reconnue par les théoriciens du PSE, qui restent déterminés à privilégier la stricte conditionnalité écologique à la «prestation des SE» par-dessus tout, avec peu de considération pour l'équité sociale ou la justice. La perversité de la conditionnalité réside dans la séquence: a) identifier d'abord les avantages de la nature pour des personnes spécifiques (plus souvent déjà prédéterminés comme SE par des "experts" externes) et ensuite b) licencier efficacement ces mêmes personnes en exigeant que les avantages de cette nature soient prioritaires avant tout pour assurer la soi-disant efficacité écologique des PSE. Cela est particulièrement problématique lorsque les catégories de SE ne sont même pas à discuter dans des mécanismes de financement durable à grande échelle financés par le Nord comme le Fonds vert pour le climat. Les mécanismes de financement internationaux comme REDD + qui tentent de «regrouper» les SE, pour la séquestration du carbone, la qualité de l'eau et la biodiversité, tournent déjà et traitent des SE abstraits, limitant la discussion uniquement à la manière dont la conditionnalité peut être réalisée plus efficacement.

Les SE peuvent en effet servir d'outil pédagogique pour illustrer à quel point les usages de la terre et de l'eau sont plus que ce qui semble à première vue. Mais pour certaines personnes, en particulier les communautés autochtones qui ont maintenu des relations relativement harmonieuses avec leurs terres et leurs eaux, cette reconnaissance et cette codification n'ont pas besoin d'être explicitées - et surtout pas par les "experts" du Nord. En plus de perpétuer les héritages coloniaux peu recommandables dans la hiérarchisation des connaissances occidentales sur les autres, cela peut avoir l'effet contre-intuitif de réifier les relations socio-écologiques qui existent, qui existent. De telles relations n'ont pas besoin d'être expliquées et simplifiées dans des récits occidentaux, et encore moins regroupées en paiements conditionnels alignés sur les coûts d'opportunité économiques.

Si les érudits et les praticiens de (P)SE sont prêts à céder leur place ici, ils pourraient en venir à percevoir comment les négociations incitatives sont monnaie courante pour les utilisateurs des terres et de l'eau naviguant constamment entre le désir d'une plus grande autonomie culturelle sur leurs terres et leurs eaux et les impératifs des ouvertures de l'État et du marché, qui les obligent à considérer les opportunités de la terre et de l'eau comme des «ressources». Une plus grande attention aux premiers peut aider à identifier comment les incitations peuvent favoriser une plus grande cohésion sociale et une meilleure appropriation de la génération d'opportunités nouvelles sur la terre et l'eau. Cependant, tant que la communauté (P)ES continuera de poursuivre ce dernier, l'injustice et l'iniquité dans ces programmes et politiques seront à la hauteur.

Vijay Krishnan Kolinjivadi

Vijay est chercheur post-doctoral à l'Institut des politiques de développement (IOB) de l'Université d'Anvers (Belgique). Écologiste de formation et titulaire d'un doctorat sur les dimensions sociopolitiques de la gestion intégrée des ressources en eau, ses recherches se concentrent sur les intersections de l'économie écologique et de l'écologie politique pour comprendre la complexité socio-écologique. Il effectue des recherches théoriques et empiriques sur les initiatives des PSE depuis plus d'une décennie.

Référence: Li, T.M. (2014), What is Land? Assembling a resource for global investment. Transactions of the Institute of British Geographers 39, 4, 589-602.

Source de ce texte (anglais) Les intertitres sont de la rédaction.

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