05/07/2020

Face à la négation de la démocratie riveraine par les administrations, chacun doit devenir un gardien des rives et des eaux

Colère, indignation : la publication du décret et de l'arrêté du 30 juin 2020 suscite de nombreuses émotions négatives chez les amoureux des rivières et de leurs patrimoines. Il faut comprendre son sens politique : de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère à la réforme "GEMAPI" et à ses maîtres d'ouvrages publics, on assiste à l'éviction complète de la démocratie des rivières au profit d'une gestion administrative et technocratique. On veut décider de la vie des gens en appuyant sur des boutons dans des bureaux. Cette tentative de coup de force doit avoir pour réponse la ré-affirmation par les citoyens et leurs élus locaux de la volonté de protéger leurs cadres de vie et la capacité démocratique à choisir ces cadres de vie, dans une perspective de développement local, partagé et durable. Cet engagement de chacun est le préalable à un changement des règles du jeu pour sortir d'un régime sclérosé et égaré n'ayant peu à peu de démocratique que les apparences formelles. Soutenez et rejoignez partout les associations et les collectifs qui s'engagent pour leurs rivières, leurs patrimoines, leurs usages, leurs vies humaines comme non-humaines.

Le décret et l'arrêté du 30 juin 2020 parachèvent les réformes de la technostructure de l'eau visant à imposer des dogmes et des arbitrages entre puissants avec un strict minimum de débat et, le cas échéant, de résistance démocratique sur le terrain. Supprimer la publicité des chantiers et l'enquête publique, c'est faire taire les citoyens critiques des politiques publiques de destruction des ouvrages et de leurs milieux.

Voici le schéma simplifié de cette hydrocratie :



L'objectif de l'administration en France est la régulation et la bureaucratisation centrales de la gestion de l'eau sur tout le territoire, y compris les rivières non domaniales. C'est cette administration qui tient les rênes, bien davantage que les politiques (surtout au ministère de l'écologie dont les ministres changent tout le temps). C'est elle qui produit un cadre d'expertise où les choix politiques sont déjà intégrés dans les outils et métriques présentés de manière trompeuse comme "neutres" et "objectifs". Si vous ne cochez pas les cases fixées à l'avance, alors vous pensez et agissez mal.

La réforme territoriale et la création de la compétence GEMAPI (gestion de l'eau, milieux aquatiques, prévention des inondations) allaient déjà dans ce sens. D'un côté, il s'agissait d'une mutualisation et rationalisation des moyens, ce que l'on peut entendre par souci de cohérence sur un bassin. Mais d'un autre côté, en raison de sa complexité normative et de son coût financier, cette compétence GEMAPI échappe aux communes pour aller aux intercommunalités et, le plus souvent, à des syndicats de bassins versants (EPAGE, EPTB) qui regroupent des dizaines à des centaines de communes.

Or cette évolution participe elle-même de la confiscation technocratique :
  • le niveau immédiat de perception et discussion des cadres de vie de la commune est effacé au profit du bassin comme niveau de gestion et décision,
  • les techniciens et administratifs prennent peu à peu le pouvoir sur les politiques, car la surenchère de normes rend la complexité ingérable pour des petites collectivités,
  • les budgets de la GEMAPI et leur mise en oeuvre sont étroitement contrôlés par les administrations publiques des agences de l'eau, de l'OFB, de la DDT-M ou des Dreal de bassin, il n'y a presqu'aucune liberté réelle dans les choix,
  • les instances de contrôle démocratique théorique de ce dispositif normatif et financier (comité de bassin des SDAGE, commission locale de l'eau des SAGE) sont sans réel pouvoir d'évaluation et donc d'objection, outre que leurs membres sont nommés par le préfet (ce qui est le niveau le plus médiocre d'une démocratie, un contrôle direct par l'exécutif des paroles recevables),
  • l'administration tend partout à favoriser la discussion parallèle avec les lobbies les plus puissants en vue de la fixation des règles, ce qui exclut les plus faibles (à commencer par chaque citoyen) et la pleine publicité des enjeux discutés.  
Dans le domaine de l'eau comme en d'autres, la France semble souffrir d'une sorte d'étrange sécession de l'administration publique, estimant qu'elle doit conduire les affaires en perdant un minimum de temps avec les débats politiques comme avec les attentes sociales, préférant des discussions opaques de coursive.

Nous serons chaque rivière qui se défend
La réponse sera symétrique . Le mouvement des riverains attachés à défendre démocratiquement les patrimoines, héritages et usages de l'eau doit se réapproprier les enjeux dont on veut le priver, en particulier avec le nouveau décret scélérat :
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit contrôler l'usage de l'argent public, notamment sur un bien privé,
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit avoir des garanties sur les conséquences des changements d'écoulement,
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit s'assurer que les travaux ne détruisent pas des milieux aquatiques et humides, des espèces localement intéressantes, des paysages et des patrimoines,
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit veiller à ce que la dépense de l'eau vise la qualité de l'eau.
Pour ces enjeux, il nous faut des outils permettant des interventions de nature juridique et politique. Tout citoyen ou toute association peut signaler au juge une infraction aux lois. Toute commune peut si besoin se retirer d'un syndicat et reprendre la gestion de l'eau sur son territoire. Il n'y a pas de fatalité à subir une servitude, il y a un devoir à la dénoncer.

A la colère et à l'indignation doivent donc succéder la méthode et la détermination : on ne fera pas reculer l'abus de pouvoir par sa déploration, mais par sa dénonciation, y compris devant la justice; on ne fera pas reculer la captation des pouvoirs par une technocratie sans la remise en cause directe des technocrates qui ont planifié cette confiscation de pouvoir. C'est en ce sens que Hydrauxois conçoit son action. C'est en ce sens que nous avons co-fondé la coordination nationale Eaux & rivières humaines, qui rassemble déjà des dizaines d'associations, collectifs et syndicats partageant le même diagnostic et la même volonté d'agir.

Nota aux associations : première réponse, une requête en annulation contre le décret scélérat sera déposée dans les deux mois au conseil d'Etat. Pour y participer, pensez selon vos statuts à organiser une délibération du CA ou de l'assemblée générale. Et contactez-nous.

02/07/2020

Un décret scélérat autorise la destruction des moulins, canaux, étangs et plans d'eau sur simple formalité, sans étude d'impact ni enquête publique!

Détruire une chaussée de moulin, assécher un bief, un canal ou un étang, effacer un plan d'eau, changer le lit de la rivière: tout cela est désormais possible sur simple déclaration et non autorisation comme avant. C'est-à-dire sans étude d'impact environnemental et social, sans enquête publique, sans information des citoyens. Par un décret et un arrêté venant de paraître au journal officiel, la technostructure de l'eau met bas les masques : en guise de "continuité apaisée" à laquelle ont pu croire quelques naïfs, c'est le blanc-seing à la destruction facilitée et accélérée des héritages de nos rivières. Provocation pour les amoureux du petit patrimoine des bassins, mais aussi erreur majeure sur le rôle écologique de ces milieux en eau d'origine anthropique, lesquels méritent une protection accrue et non une facilitation de leur destruction par des apprentis-sorciers obéissant à des modes sous-informées. Hydrauxois a demandé à ses conseils de travailler à une double riposte : requête en annulation de ces textes et formulaire simplifié de plainte pénale de terrain, qui permettra à tout citoyen ou association d'attaquer les chantiers qui détruisent la ressource et les milieux en eau.  [Mise à jour novembre 2022: notre association a obtenu l'annulation du décret par le conseil d'Etat.]



Le décret n°2020-828 du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau vient de paraître au journal officiel.

Il est complété par un arrêté du 30 juin 2020 définissant les travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques relevant de la rubrique 3.3.5.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement, aussi paru au journal officiel.

Le premier texte crée un nouveau type de travaux en rivière, tenant à la "restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques".
« 3.3.5.0. Travaux, définis par un arrêté du ministre chargé de l'environnement, ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, y compris les ouvrages nécessaires à cet objectif (D).« Cette rubrique est exclusive de l'application des autres rubriques de la présente nomenclature.« Ne sont pas soumis à cette rubrique les travaux n'atteignant pas les seuils des autres rubriques de la présente nomenclature. »
En clair, tous les travaux de restauration morphologique et de continuité écologique entrent désormais dans la catégorie des simples déclarations (D) et non des autorisations. Cela sans limite d'impact même si des milliers de mètres linéaires de rivière et canaux ou des milliers de mètres carrés de plans d'eau sont affectés.

L'arrêté donne la mesure de tout ce qui est concerné:
1° Arasement ou dérasement d'ouvrage en lit mineur ;2° Désendiguement ;3° Déplacement du lit mineur pour améliorer la fonctionnalité du cours d'eau ou rétablissement du cours d'eau dans son lit d'origine ;4° Restauration de zones humides ;5° Mise en dérivation ou suppression d'étangs existants ;6° Remodelage fonctionnel ou revégétalisation de berges ;7° Reméandrage ou remodelage hydromorphologique ;8° Recharge sédimentaire du lit mineur ;9° Remise à ciel ouvert de cours d'eau couverts ;10° Restauration de zones naturelles d'expansion des crues ;11° Opération de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques prévue dans l'un des documents de gestion suivants, approuvés par l'autorité administrative :a) Un schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) visé à l'article L. 212-1 du code de l'environnement ;b) Un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) visé à l'article L. 212-3 du code de l'environnement ;c) Un document d'objectifs de site Natura 2000 (DOCOB) visé à l'article L. 414-2 du code de l'environnement ;d) Une charte de parc naturel régional visée à l'article L. 333-1 du code de l'environnement ;e) Une charte de parc national visée à l'article L. 331-3 du code de l'environnement ;f) Un plan de gestion de réserve naturelle nationale, régionale ou de Corse, visé respectivement aux articles R. 332-22, R. 332-43, R. 332-60 du code de l'environnement ;g) Un plan d'action quinquennal d'un conservatoire d'espace naturel, visé aux articles D. 414-30 et D. 414-31 du code de l'environnement ;h) Un plan de gestion des risques d'inondation (PGRI) visé à l'article L. 566-7 du code de l'environnement ;i) Une stratégie locale de gestion des risques d'inondation (SLGRI) visée à l'article L. 566-8 du code de l'environnement ;12° Opération de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques prévue dans un plan de gestion de site du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres dans le cadre de sa mission de politique foncière ayant pour objets la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels tels qu'énoncés à l'article L. 322-1 susvisé.
C'est donc une machine de guerre pour tuer la démocratie des rivières et des bassins versants, faciliter la destruction de tous les milieux aquatiques façonnés par l'humain au cours de l'histoire (biefs, canaux, étangs, plans d'eau), destruction qui sera réduite à une simple formalité interne aux administrations, sans lien au public.

Nous avions mis en garde voici un an, lors de la courte enquête publique sur ce projet de décret. Mais rien n'y a fait, malgré les nombreuses oppositions exprimées lors de cette enquête.

La fin du régime d'autorisation sous prétexte de "restauration de fonctionnalités naturelles" signifie ainsi pour les collectifs et associations impliqués sur la continuité écologique, et pour les citoyens en général :

  • quasi-impossibilité d'être informés des projets (la déclaration est un simple courrier sans publicité à la DDT-M), 
  • absence d'étude des impacts riverains / usages / environnement, 
  • fin de l'enquête publique qui permettait aux citoyens de s'exprimer (en général, contre les casses) et aux associations de préparer des recours contentieux éventuels contre l'arrêté d'autorisation
  • possibilité de casser "à la chaîne" pour les maîtres d'ouvrage de type syndicats de rivière ou fédérations de pêche.
Face à ce danger majeur de régression du droit des riverains et du droit de l'environnement, l'association Hydrauxois :
  • a immédiatement mandaté son conseil juridique pour une analyse du texte en vue d'une requête en annulation,
  • demande aux parties prenantes du processus dit de "continuité écologique apaisée" de tirer les conséquences de cette provocation sur des soi-disant "concertations" dont le résultat est une déclaration de guerre aux ouvrages et aux milieux que ces parties prenantes sont censées défendre,
  • appelle l'ensemble des associations, collectifs et syndicats à non seulement exprimer leur indignation aux parlementaires et à la ministre de l'écologie, mais aussi à organiser sur chaque terrain la réponse militante et judiciaire que méritent les dérives des fonctionnaires de l'eau.
Alors que le processus d'autorisation et d'enquête publique est justement une procédure d'organisation de la démocratie consultative et délibérative, leur suppression aura pour conséquence une insécurité pour tout le monde : les plaintes seront des démarches individuelles et imprévisibles, les services publics à l'origine de ces troubles dans la vie des riverains ne seront évidemment pas tranquillisés dans l'exercice de leurs fonctions. Quant à la continuité des rivières, elle sera plus que jamais synonyme de violence institutionnelle, de dogme sans preuve de bénéfices, d'absurdité anti-écologique et anti-sociale.

Nous allons travailler à un guide simplifié de dépôt de plainte pénale pour destruction de milieux et mise en danger des tiers par changement d'écoulement, qui permettra d'ouvrir rapidement des instructions contre tous les projets refusant de faire des études complètes d'impacts sur les milieux et les tiers.

La cour administrative de Marseille casse le classement "continuité écologique" des rivières de Corse!

Des hauts fonctionnaires associés à des lobbies ont cru pouvoir "se payer" les petits ouvrages hydrauliques des rivières françaises. Mais la société a résisté et c'est eux qui sont en train de payer le prix de cette erreur. La cour d'appel administrative de Marseille vient ainsi de poser que le classement des cours d'eau de Corse au titre de la continuité écologique est irrégulier. Si le préfet a reçu EDF et Veolia, outre les usuels pêcheurs, canyoners et environnementalistes, il n'a pas jugé bon de concerter avec les petits producteurs d'hydro-électricité, qui se trouvent lésés. Espérons que ce jugement soit confirmé au conseil d'Etat, où notre ministère de l'écologie et sa direction eau & biodiversité en déroute ne manqueront pas de tenter une cassation. Mais les faits sont déjà établis, et désormais connus : le club fermé des hydrocrates a essayé de s'accaparer les rivières dans le mépris de la diversité des riverains et des usagers. L'action de l'administration sur la continuité dite "écologique" est en train de sombrer dans la confusion la plus complète : ce dogme est défait par des cours de justice, critiqué par des recherches scientifiques, refusé par un nombre croissant de riverains. Vous voulez une continuité "apaisée"? Mais tirez donc les leçons de ce qui se passe, revenez sur vos erreurs et respectez enfin les ouvrages des rivières!


Moulin à farine de châtaigne en Corse, source, tous droits réservés.

Au départ de cette procédure contentieuse, la société UNITe a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2015 par lequel le préfet de Corse a établi la liste des cours d'eau mentionnée au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le bassin de Corse — ou, à titre subsidiaire, d'annuler partiellement cet arrêté en tant qu'il classe sur cette liste la rivière Manganello.

Le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande. La cour d'appel de Marseille vient de casser le jugement de Bastia.

La cour relève d'abord l'obligation de concertation inscrite dans le droit de l'environnement:
"Aux termes de l'article R. 214-110 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : "Le préfet du département établit un avant-projet de liste à l'issue d'une concertation avec les principaux représentants des usagers de l'eau dans le département, la fédération départementale ou interdépartementale des associations de pêche et de protection du milieu aquatique, les associations agréées de protection de l'environnement qu'il choisit et la commission locale de l'eau lorsqu'il existe un schéma d'aménagement et de gestion des eaux approuvé. (...) / Le préfet coordonnateur de bassin établit un projet de liste par bassin ou sous-bassin et fait procéder à l'étude, prévue au II de l'article L. 214-17, de l'impact sur les différents usages de l'eau des inscriptions sur cette liste projetées ; cette étude comporte une analyse des coûts et des avantages économiques et environnementaux, en distinguant les avantages marchands et non marchands. (...)"."

Elle en déduit:
"Il résulte des dispositions précitées que l'autorité administrative compétente est tenue, lorsqu'elle envisage de classer des cours d'eau au titre du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, de procéder à une concertation préalable à l'établissement de l'avant-projet de liste de ces cours d'eau, notamment avec les principaux représentants des usagers de l'eau dans le département."
Or, la préfecture a soigneusement choisi ses interlocuteurs lors du classement des cours d'eau, et a notamment exclu ceux qui pouvaient représenter la petite hydro-électricité:
"Pour justifier que l'obligation mentionnée à l'article 3 ci-dessus a effectivement été satisfaite, la ministre produit devant la Cour une lettre du préfet de Corse en date du 18 décembre 2013 conviant ses destinataires à une " réunion inter-départementale de lancement de la concertation ", prévue le 8 janvier 2014. La ministre joint à cette lettre un document comportant les coordonnées des personnes à qui cette lettre est censée avoir été adressée. Figurent majoritairement parmi ces personnes des représentants de collectivités territoriales, d'établissements publics et d'association ainsi que vingt personnes nommément désignés en qualité de " professionnels du canyonisme ". Si des représentants des sociétés EDF et Véolia sont également mentionnés sur cette liste, il n'est pas allégué par la ministre qu'ils auraient été mandatés pour représenter l'ensemble des exploitants d'ouvrages de production hydroélectrique présents sur le territoire Corse, particulièrement les petits producteurs d'énergie hydro-électrique, lesquels doivent être regardés comme faisant partie des principaux représentants des usagers de l'eau au sens et pour l'application des dispositions de l'article de l'article R. 214-110"
Dès lors, le plaignant est fondé sur la question de l'irrégularité de la procédure:
"Dans ces conditions, et eu égard, en outre, aux effets du classement d'un cours d'eau au titre du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui fait obstacle à ce qu'une autorisation ou une concession puisse être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique, la société UNITe est fondée à soutenir qu'en ne conviant à la concertation au stade antérieur à l'établissement de l'avant-projet de liste aucun des petits producteurs d'énergie hydro-électrique, le préfet de Corse a méconnu les dispositions de l'article R. 214-110. Par suite, l'arrêté querellé a été pris au terme d'une procédure irrégulière. Cette irrégularité est de nature, en l'espèce, à avoir privé la société d'une garantie."
Conclusion : le moyen mis en avant par le plaignant et reconnu par la cour administrative de Marseille ne va pas manquer d'intéresser les conseillers juridiques des associations de protection des patrimoines des rivières ou de promotion de la transition énergétique bas-carbone. En effet, ces acteurs des rivières sont exclus en routine des cercles de décisions et programmations. Ce sera un argument de plus pour demander l'annulation de diverses dispositions contraires à la gestion concertée, équilibrée et durable de l'eau.

Du point de vue politique et démocratique, il devient manifeste que la réforme de continuité écologique a été orchestrée dans le mépris des citoyens des bassins versants ayant vocation à discuter de leur avenir. Le "dialogue environnemental" a été réduit à une entente cordiale entre quelques lobbies industriels et clientèles s'accordant sur un partage des eaux à leur profit, sous l'oeil bienveillant d'une direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie ayant essayé de propager la détestation des ouvrages hydrauliques. Des hauts fonctionnaires de cette DEB n'appelaient-ils pas ouvertement à liquider 90% des ouvrages et à "encercler les récalcitrants". Il n'y aura pas d'apaisement de la continuité écologique avec les responsables qui en ont fait un échec, que ce soit au ministère ou dans les agences de l'eau. L'Etat doit désormais envoyer un signal clair de respect des ouvrages en rivière et de dénonciation des mauvaises pratiques à leur encontre.

Bien entendu, ce jugement rappelle aussi l'absolue nécessité de défendre ses droits et d'adopter au plus vite une culture juridique trop peu répandue sur les rivières. Si vous recevez encore des mises en demeure administratives de détruire des ouvrages ou d'être acculé à la ruine au nom de cette continuité die "écologique", contactez une association, un collectif ou un syndicat pour organiser votre défense. Ou signalez-vous à Hydrauxois. La seule réponse à l'injustice est la tolérance zéro.

Référence : CAA de Marseille, arrêt n° 18MA02830, 19 juin 2020 

01/07/2020

Un nouveau titulaire de droit d'eau peut reprendre un contentieux contre l'administration ouvert par son prédécesseur

Le conseil d'Etat vient de condamner une nouvelle fois l'administration dans une affaire de moulin. Un arrêté préfectoral de Mayenne avait annulé un droit d'eau et était contesté. Mais le propriétaire était décédé en cours d'instance, et son successeur a voulu reprendre la procédure. Ce qui fut refusé par une cour. Les conseillers d'Etat donnent finalement raison au nouveau propriétaire, qui défend en l'occurrence un droit réel immobilier (le droit d'eau) régulièrement acquis et déclaré. Il n'y aura bien entendu aucun "apaisement" sur les moulins et ouvrages hydrauliques tant que leurs propriétaires ou riverains seront ainsi obligés de subir le harcèlement administratif et d'engager des procédures longues pour se protéger des abus de pouvoir ou des carences de l'Etat. Si l'on veut calmer ce dossier et le porter de manière constructive, il faudra probablement le retirer aux hauts fonctionnaires qui l'ont envenimé et égaré par des instructions délétères aux préfets et aux services administratifs...



Voici les faits jugés :
"le préfet de la Mayenne a, par une décision du 27 janvier 2012, constaté la perte du droit fondé en titre à l’usage de l’eau attaché au moulin de l’Ermitage, situé en bordure de la rivière La Jouanne sur le territoire de la commune d’Argentré. Son propriétaire, M. C…, a saisi le tribunal administratif de Nantes d’une demande en annulation de cette décision, rejetée par un jugement du 23 juin 2016. Par l’arrêt attaqué du 9 novembre 2018, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté comme irrecevable l’appel formé contre ce jugement par M. B…, nouveau propriétaire du moulin acquis auprès de la succession de M. C…, décédé le 28 avril 2015, au motif qu’il n’avait pas la qualité de partie à la première instance."

Le conseil d'Etat pose que le droit d'eau est un droit réel immobilier transmis en même temps que le moulin, donc un accessoire de la chose vendue ou transmise au sens du code civil :
'aux termes de l’article 1675 du code civil :  » L’obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel. « . Le droit à l’usage de l’eau attaché à un moulin fondé en titre étant un droit réel immobilier, il résulte de ces dispositions que, lorsque le moulin auquel est attaché le droit est vendu, ce droit est, sauf clause contraire, transmis à l’acquéreur et celui-ci est en conséquence fondé à reprendre l’instance introduite par le vendeur relative à l’existence de ce droit.'
Il rappelle aussi que le droit administratif demande notification de changement de titulaire du droit d'eau :
"Le cas échéant, en cas de décès du propriétaire initial ayant introduit l’instance, la reprise de celle-ci par le nouveau propriétaire est par ailleurs conditionnée à la notification prévue par l’article R. 634-1 du code de justice administrative"
Les conseillers annulent l'arrêt de la cour d'appel administrative, en soulignant que le nouveau propriétaire et titulaire du droit d'eau est fondé à défendre son existence contre l'arrêté préfectoral attaqué, même s'il n'est pas celui qui a déposé le recours en première instance :
"Pour rejeter comme irrecevable l’appel de M. B… à l’encontre du jugement du tribunal administratif rejetant cette demande, la cour administrative d’appel a estimé que M. B…, qui se prévalait de sa seule situation de nouveau propriétaire du moulin de l’Ermitage et non d’héritier de M. C…, n’avait pas qualité pour reprendre l’instance introduite par ce dernier devant le tribunal administratif, et qu’il ne pouvait pas, par suite, être regardé comme une partie de première instance. En statuant ainsi, alors qu’ainsi qu’il est dit au point 2, M. B… était fondé, en sa qualité de nouveau propriétaire du moulin, à reprendre en son nom et à son profit l’instance introduite par M. C…, relative au droit à l’usage de l’eau attaché à ce bien, et qu’il avait, par suite, la qualité de partie à l’instance devant le tribunal administratif, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit."
L'Etat est donc condamné à charge. Ce qui arrive de plus en plus souvent dans ces affaires de moulins et autres ouvrages fondés en titre, où le harcèlement administratif se traduit par des revers juridiques pour les fonctionnaires de l'eau. Comme d'habitude, une seule conclusion : défendez vos droits, c'est aussi par le recours systématique en justice contre les carences, les abus de pouvoir, les erreurs d'interprétation que nous ferons cesser le scandale actuel de la persécution des ouvrages et de la destruction de leurs milieux par l'Etat.

Référence : Conseil d'Etat, arrêt n° 426887, 17 juin 2020

Voir aussi le blog Landot

28/06/2020

L'interprétation française de la directive européenne sur l'eau a fait disparaître un demi-million de plans d'eau des nomenclatures (Touchart et Bartout 2020)

Deux limnologues de l'université d'Orléans viennent de publier un article intéressant sur la notion de "masse d'eau", un concept administratif issu de la traduction française et mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau. La directive européenne parlait de "water body". Les auteurs montrent que la masse d'eau a été détournée du sens qu'elle avait à l'origine en océanographie et limnologie, pour devenir un quasi-synonyme de fleuve ou rivière concernant les eaux de surface. Mais dans ce processus, l'administration française a fait disparaître la singularité du demi-million de plans d'eau que comporte notre pays, au profit d'une approche fluviocentrée. Une erreur que l'on peut juger dramatique tant la recherche européenne et internationale insiste désormais sur la valeur environnementale de ces plans d'eau, dans la parfaite indifférence de ceux qui ont fait de "l'eau courante sans obstacle" le seul horizon de leur gestion, et qui ne veulent pas sortir aujourd'hui de leur confort intellectuel.


Laurent Touchart et Pascal Bartout, chercheurs-enseignants à l'université d'Orléans, experts des lacs et milieux lentiques (limnologie), livrent une intéressante réflexion sur l'apparition en France du concept de "masse d'eau", dans le cadre de l'application de la directive européenne sur l'eau (DCE) adoptée en 2000 et transposée en 2004 dans le droit français.

La masse d'eau désigne, dans la littérature scientifique pré-DCE 2000, un volume en trois dimensions que l'on isole pour l'analyser, en général dans un océan ou un lac, à partir de discontinuités qui donnent sens à l'analyse :
"la masse d’eau (water mass, Wassermasse, водная масса, masa de agua), grâce à une longue histoire pluriséculaire marquée par sa stabilité épistémologique, est un concept qui a fait l’unanimité de la communauté scientifique internationale jusqu’en l’an 2000. Terme rigoureusement défini et communément utilisé par les océanographes et les limnologues, il concernait aussi, par extension, les cours d’eau, du moins au niveau de leur embouchure dans la mer ou dans un lac. Dans toutes les acceptions scientifiques classiques, l’important reste la notion de volume en trois dimensions formant une subdivision d’un volume plus grand, délimitée par des discontinuités internes à celui-ci. L’emboîtement d’échelles est inhérent au concept, une masse d’eau étant une portion d’un objet hydrologique, en général l’océan, une mer ou un lac. Dans le cadre des trois dimensions, les discontinuités séparant les masses d’eau ont tout de même, le plus souvent, une composante verticale plus marquée, les plans d’eau, qu’ils soient marins ou lacustres, étant, par essence même, stratifiés en couches de différentes densités. La composante horizontale n’est cependant jamais absente, et, quand elle devient prédominante, exerce une grande influence sur la productivité biologique, le long de fronts. Du fait de l’action des courants, et aussi de certaines ondes comme les seiches internes, les discontinuités séparant les masses d’eau sont mouvantes. En tant que discontinuités aqueuses, leur représentation cartographique est dynamique et ne peut être figée par des points de repère terrestres fixes."

Le DCE a créé le concept gestionnaire de "water body", différent de "water mass" en anglais, que la France a choisi de traduire par "masse d'eau" :
"Dans son sens administratif français actuel, la masse d’eau apparaît comme une expression nouvelle, issue de la Directive-cadre européenne sur l’eau de 2000, ainsi définie : « ‘masse d’eau de surface’: une partie distincte et significative des eaux de surface telles qu’un lac, un réservoir, une rivière, un fleuve ou un canal, une partie de rivière, de fleuve ou de canal, une eau de transition ou une portion d’eaux côtières » (Le Parlement Européen, 2000, article 2, définition 10). (...) Il est remarquable que, en anglais, ce soit le terme de « body of water » qui soit nouvellement défini (The European Parliament, 2000). Celui de « water mass » n’est pas employé par la DCE, qui laisse les océanographes et limnologues anglo-saxons continuer à l’utiliser dans son sens originel. La plupart des traductions effectuées dans les autres langues de la Commission européenne sont littéralement calquées sur l’anglais : la version allemande de la DCE écrit « Wasserkörper », la version italienne « corpo idrico », roumaine « corp de apă », ou encore slovène « telo vode ».  (...) la version en langue française de la Directive-cadre européenne sur l’eau a fait le choix de la « masse d’eau », un terme qui renvoie aux mers et aux lacs, alors qu’il ne sera question dans l’immense majorité des cas que d’eaux courantes, qui renvoie à un volume d’eau, alors qu’il ne sera question que de discontinuités en plan, qui renvoie à des limites de densité d’eau, alors qu’il ne sera question que de segmentation par des confluents."
Ce faisant, l'administration française a été conduite à faire disparaître un demi-million de plans d'eau de la nomenclature, pour centrer son approche sur la seule logique fluviale :
"Dans la pratique, l’administration française a construit 9748 MECE « masses d’eau cours d’eau » et seulement 429 MEPE « masses d’eau plan d’eau » (décompte effectué le 5 septembre 2019 à partir de la plateforme ouverte des don- nées publiques françaises, transmis par E. Hulot, DDT-87). Les MECE représentent donc 96 % du total et les MEPE 4 %. Cette élimination de 99,92 % des plans d’eau de notre pays, puisque, dans la réalité, il y a en France 554 566 plans d’eau de plus d’un are (Bartout et Touchart, 2013), a été rendue possible par l’invention de la limite de superficie de 50 ha, au-delà de laquelle un plan d’eau peut être défini et reconnu en tant que tel. Cette limite, qui n’est fondée sur aucune rupture du fonctionnement limnologique d’un plan d’eau qui aurait un fondement scientifique, est celle qui a été administrativement imposée pour faire une exception au fluvio-centrage de la DCE et des circulaires françaises. Parmi de nombreux exemples de ce fluvio-centrage, on peut citer la circulaire de 2005 précisant la typologie des masses d’eau, dont les schémas indiquent clairement qu’un plan d’eau d’origine fluviatile doit obligatoirement, qu’elle que soit sa taille, appartenir à une MECE (République Française, 2005)."
Ce fluvio-centrisme, formé autour du paradigme du libre écoulement de l'amont vers l'aval, a conduit à gommer les échanges se tenant autour des stockages et déstockages d'eau dans les bassins:
"La perte de la notion de volume en trois dimensions, ainsi que, à l’intérieur de la dimension horizontale, la très nette survalorisation de la direction longitudinale, dans le sens fluvial d’amont en aval, si possible sans rupture, sans ralentissement, sans emmagasinement d’eau, va à l’encontre de l’essence même de l’hydrosystème. Ainsi, curieusement, depuis une quinzaine d’années que le terme d’hydrosystème est régulièrement cité et revendiqué dans les documents officiels, comme les SDAGE, son vrai fondement scientifique, celui de redonner leur place aux échanges latitudinaux et verticaux, ainsi qu’aux alternances de stockage et déstockage, est moins suivi. Par le sens nouveau donné à la masse d’eau, le jargon administratif s’est éloigné de la signification scientifique originelle. Incontestablement, de nouveaux groupements scientifiques se sont formés, dominés par une mise en avant de l’aspect technique des Systèmes d’Informations Géographiques, qui cartographie des limites fixes aux nouvelles masses d’eau, aux dépens de la continuité épistémologique et des réflexions ancrées dans une évolution progressive tendant à prendre la mesure de la complexité de fonctionnement des objets hydrologiques, dont le caractère fluctuant des limites et seuils internes en fonction des échelles de temps est une manifestation majeure."
Il en résulte des aberrations hydrogéologiques, où par exemple une grande cascade naturelle ne produira pas selon l'administration deux masses d'eau distincts amont et aval, mais aussi des incompréhensions citoyennes voire des conflits sociaux, où la pratique familiale et locale autour d'un plan d'eau devient une anomalie du continuum de la masse d'eau idéalisée :
"La critique que nous faisons de cette nouvelle masse d’eau devra donner lieu à d’autres recherches, qui ouvriront vers des réflexions plus poussées sur les non-dits qui sous-tendent l’opposition trop simple entre ladite continuité d’un cours d’eau et les ruptures. La manière actuelle d’envisager cette opposition tend, selon nous, à éloigner la législation européenne et sa déclinaison en France de certaines réalités de terrain. Ainsi, selon les documents officiels, une cascade naturelle formée d’abrupts infranchissables de plus d’une centaine de mètres de hauteur ne forme pas de rupture hydrogéomorphologique nécessitant de distinguer deux masses d’eau. En revanche, plus de 99,9 % des propriétaires d’étangs français, y compris médiévaux, voient leur plan d’eau n’être qu’une « masse d’eau cours d’eau ».  Or la perception de ces gestionnaires locaux de leur territoire, dont les enquêtes scientifiques montrent qu’ils caractérisent les étangs par des qualificatifs comme «familial, amical, convivial» (Ardillier-Carras, 2007), est loin de se réduire à un ensemble d’impacts sur un cours d’eau. Ce genre de décalage rend sans doute difficile l’appropriation du discours européen par certaines catégories de la population, alors même que la concertation et la participation de l’ensemble du public sont censées être l’un des fers de lance de la politique de l’eau depuis 2000."
Discussion
Un autre effet dommageable de la posture de l'administration française est la négation du plan d'eau comme zone de biodiversité et hydro-disponibilité pour le vivant. Pour nombre de chercheurs étudiant ces milieux (voir par exemple Davies et al 2008, Chester et Robson 2013, Clifford et Hefferman 2018, Hill et al 2018), l'indifférence des gestionnaires est un problème pour la conservation, et la DCE 2000 en particulier était peu attentive à cette question. Le cas a été aggravé en France car les nouvelles orientations publiques ont opté dans les années 2000 pour un paradigme de "renaturation" du "continuum fluvial" ignorant totalement ces réalités, ne débloquant pas de moyens pour analyser spécifiquement leur écologie et leur hydrologie, appelant parfois à les faire disparaître sans la moindre prudence sur les milieux asséchés et sur les évolutions locales futures en situation de changement climatique.

Références : Touchart L, Bartout P (2020), La masse d’eau : le détournement administratif d’un concept géographique, BSGLg, 74, 65-78