Le décret et l'arrêté du 30 juin 2020 parachèvent les réformes de la technostructure de l'eau visant à imposer des dogmes et des arbitrages entre puissants avec un strict minimum de débat et, le cas échéant, de résistance démocratique sur le terrain. Supprimer la publicité des chantiers et l'enquête publique, c'est faire taire les citoyens critiques des politiques publiques de destruction des ouvrages et de leurs milieux.
Voici le schéma simplifié de cette hydrocratie :
L'objectif de l'administration en France est la régulation et la bureaucratisation centrales de la gestion de l'eau sur tout le territoire, y compris les rivières non domaniales. C'est cette administration qui tient les rênes, bien davantage que les politiques (surtout au ministère de l'écologie dont les ministres changent tout le temps). C'est elle qui produit un cadre d'expertise où les choix politiques sont déjà intégrés dans les outils et métriques présentés de manière trompeuse comme "neutres" et "objectifs". Si vous ne cochez pas les cases fixées à l'avance, alors vous pensez et agissez mal.
La réforme territoriale et la création de la compétence GEMAPI (gestion de l'eau, milieux aquatiques, prévention des inondations) allaient déjà dans ce sens. D'un côté, il s'agissait d'une mutualisation et rationalisation des moyens, ce que l'on peut entendre par souci de cohérence sur un bassin. Mais d'un autre côté, en raison de sa complexité normative et de son coût financier, cette compétence GEMAPI échappe aux communes pour aller aux intercommunalités et, le plus souvent, à des syndicats de bassins versants (EPAGE, EPTB) qui regroupent des dizaines à des centaines de communes.
Or cette évolution participe elle-même de la confiscation technocratique :
- le niveau immédiat de perception et discussion des cadres de vie de la commune est effacé au profit du bassin comme niveau de gestion et décision,
- les techniciens et administratifs prennent peu à peu le pouvoir sur les politiques, car la surenchère de normes rend la complexité ingérable pour des petites collectivités,
- les budgets de la GEMAPI et leur mise en oeuvre sont étroitement contrôlés par les administrations publiques des agences de l'eau, de l'OFB, de la DDT-M ou des Dreal de bassin, il n'y a presqu'aucune liberté réelle dans les choix,
- les instances de contrôle démocratique théorique de ce dispositif normatif et financier (comité de bassin des SDAGE, commission locale de l'eau des SAGE) sont sans réel pouvoir d'évaluation et donc d'objection, outre que leurs membres sont nommés par le préfet (ce qui est le niveau le plus médiocre d'une démocratie, un contrôle direct par l'exécutif des paroles recevables),
- l'administration tend partout à favoriser la discussion parallèle avec les lobbies les plus puissants en vue de la fixation des règles, ce qui exclut les plus faibles (à commencer par chaque citoyen) et la pleine publicité des enjeux discutés.
Nous serons chaque rivière qui se défend
La réponse sera symétrique . Le mouvement des riverains attachés à défendre démocratiquement les patrimoines, héritages et usages de l'eau doit se réapproprier les enjeux dont on veut le priver, en particulier avec le nouveau décret scélérat :
- le citoyen (avec son élu local) peut et doit contrôler l'usage de l'argent public, notamment sur un bien privé,
- le citoyen (avec son élu local) peut et doit avoir des garanties sur les conséquences des changements d'écoulement,
- le citoyen (avec son élu local) peut et doit s'assurer que les travaux ne détruisent pas des milieux aquatiques et humides, des espèces localement intéressantes, des paysages et des patrimoines,
- le citoyen (avec son élu local) peut et doit veiller à ce que la dépense de l'eau vise la qualité de l'eau.
A la colère et à l'indignation doivent donc succéder la méthode et la détermination : on ne fera pas reculer l'abus de pouvoir par sa déploration, mais par sa dénonciation, y compris devant la justice; on ne fera pas reculer la captation des pouvoirs par une technocratie sans la remise en cause directe des technocrates qui ont planifié cette confiscation de pouvoir. C'est en ce sens que Hydrauxois conçoit son action. C'est en ce sens que nous avons co-fondé la coordination nationale Eaux & rivières humaines, qui rassemble déjà des dizaines d'associations, collectifs et syndicats partageant le même diagnostic et la même volonté d'agir.
Nota aux associations : première réponse, une requête en annulation contre le décret scélérat sera déposée dans les deux mois au conseil d'Etat. Pour y participer, pensez selon vos statuts à organiser une délibération du CA ou de l'assemblée générale. Et contactez-nous.