18/07/2020

La fragmentation des habitats prédit moins la biodiversité que la quantité de ces habitats (Watling et al 2020)

L'importance donnée à la connectivité ou continuité écologique des milieux a-t-elle été exagérée? C'est la conclusion que l'on peut tirer du travail de 18 chercheurs venant de paraître. Ayant ré-analysé 35 études internationales portant sur 5675 espèces de 8 groupes taxonomiques (dont des amphibiens), ils montrent que la fragmentation de l'habitat ne prédit pas la biodiversité des aires étudiées, le facteur discriminant de la densité d'espèces étant la quantité totale d'habitat disponible, même s'il est fragmenté. Les chercheurs concluent que dans les politiques de conservation écologique, il faut préserver le maximum d'habitat d'intérêt, même petit et isolé, plutôt que privilégier les seuls habitats continus au prétexte de leur continuité. Ce travail renforce plusieurs autres études parues depuis 7 ans, renversant plusieurs décennies de présupposés en faveur de la défragmentation de milieux. Si la poursuite des recherches confirme ces résultats, il faudra réviser totalement la philosophie de certaines mesures comme les Trames verte et bleue en France: elles ont été construites par centrage sur la continuité écologique, et dans le cas de la Trame bleue, elles font parfois disparaître certains habitats. 

Dans la seconde moitié du 20e siècle a émergé l'idée que la fragmentation des milieux (discontinuités écologiques) est une cause importante de disparition des espèces et de baisse de la biodiversité. Mais depuis les années 2010, cette hypothèse est remise en question, notamment sur les milieux terrestres. La cause en est la difficulté à distinguer entre fragmentation et disparition d'habitats : quand on dit qu'un milieu a été fragmenté, c'est généralement qu'une partie de ce milieu a été artificialisée (par exemple, la construction de routes ou l'apparition de cultures dans un milieu forestier à l'origine). Mais le problème est-il alors dans la fragmentation en elle-même, ou simplement dans la disparition de parties de l'habitat, sans lien particulier au caractère discontinu du milieu?

Lenore Farhig et ses équipes ont déjà publié des travaux montrant que le facteur fragmentation est sans importance par rapport au facteur perte d'habitat (voir Fahrig 2017, 2019). Une nouvelle recherche publiée par 18 scientifiques appuie ces conclusions.

Ce schéma permet de comprendre les hypothèses à tester :
dans un paysage local (défini par le cercle), on a une certaine densité d'espèces (le carré noir). Mais les habitats au sein du paysage sont différents : un seul grand habitat continu (cercle a), la même surface d'habitat mais discontinue (cercle b), un petit habitat continu (cercle c), la même surface mais en habitat discontinu (cercle d).

D'après l'hypothèse de la fragmentation comme impact, les cercles a et c sont censés avoir davantage d'espèces que les cercles b et d. D'après l'hypothèse alternative des chercheurs (appelée hypothèse de la quantité d'habitat), les cercles a et b et les cercles c et d ont les mêmes densités d'espèces, ce qui compte est la quantité d'habitat disponible davantage que leur continuité (donc a et b auront davantage d'espèces que c et d).

Les études confirment l'hypothèse de la qualité d'habitat disponible. Voici le résumé de la recherche:

"Des décennies de recherche suggèrent que la richesse en espèces dépend des caractéristiques spatiales des parcelles d'habitat, en particulier de leur taille et de leur isolement. En revanche, l'hypothèse de la quantité d'habitat prédit que 
(1) la richesse en espèces dans des parcelles de taille fixe (densité d'espèces) est plus fortement et positivement liée à la quantité d'habitat autour de la parcelle qu'à la taille des parcelles ou à l'isolement; 
(2) la quantité d'habitat prédit mieux la densité des espèces que la taille des parcelles et l'isolement combinés, 
(3) il n'y a aucun effet de la fragmentation de l'habitat en soi sur la densité des espèces et 
(4) la taille des parcelles et les effets d'isolement ne deviennent pas plus forts avec la diminution de la quantité d'habitat. 
Les données sur huit groupes taxonomiques provenant de 35 études dans le monde corroborent ces prévisions. La conservation de la densité des espèces nécessite de minimiser la perte d'habitat, quelle que soit la configuration des parcelles dans lesquelles cet habitat est contenu."

Plus en détail, la fragmentation est non seulement sans effet significatif par rapport à la quantité d'habitat, mais dans certains cas associée à un gain de densité d'espèces :
"Nous n'avons trouvé aucune preuve d'effets négatifs cohérents de la fragmentation en soi sur la densité des espèces. La fragmentation en soi n'était pas incluse dans le modèle le plus plausible de densité des espèces dans plus de 85% des études examinées (29 sur 33 études). Dans les quatre études avec un effet détectable de la fragmentation en soi sur la densité des espèces, cet effet était positif (études 12, 14 et 15, toutes sur les plantes de la forêt atlantique du Brésil et étude 24 sur les amphibiens et les reptiles au Mexique). Ce résultat est globalement cohérent avec un examen des réponses à la fragmentation en soi (Fahrig 2017). Bien que nous ne disposions pas de données à partir desquelles nous pouvons déduire le ou les mécanismes sous-jacents à ces réponses à la fragmentation en soi, de nombreuses possibilités existent (voir la figure 3 dans Fahrig et al.2019), y compris les effets de bord positifs ou négatifs, la réduction ou l'amélioration du succès du mouvement et un risque réduit de perturbations spatialement autocorrélées. Cependant, étant donné que la fragmentation en soi n'était que rarement incluse dans certains modèles, il semble que ces mécanismes n'ont généralement pas d'effets importants sur le nombre d'espèces dans les placettes d'échantillonnage. Nos résultats soulignent la valeur de l'hypothèse de la quantité d'habitat en tant que modèle nul par rapport auquel les mécanismes de fragmentation de l'habitat (Fletcher et al.2018) peuvent être comparés. Les études devraient d'abord contrôler la quantité d'habitat avant d'invoquer des mécanismes alternatifs pour expliquer les changements dans la densité des espèces dans les paysages fragmentés (Fahrig 2003)."
Les chercheurs concluent sur la nécessité de réviser les politiques de conservation écologique en attachant d'abord de l'importance à la préservation des habitats (continus ou discontinus) pour le vivant:
"Les humains ont modifié plus de 40% de la superficie terrestre de la Terre (Barnosky et al. 2012), ce qui rend de plus en plus important l'identification d'actions de conservation pragmatiques qui atténuent la perte de biodiversité. L'hypothèse de que quantité d'habitat implique que pour maintenir la densité des espèces (diversité alpha), tout l'habitat est précieux pour la conservation, qu'il se trouve dans une petite parcelle ou isolée. Les stratégies de conservation telles que la restauration de l'habitat (Bernal et al.2018) et le paiement de services écosystémiques qui n'offrent des avantages qu'aux propriétaires fonciers préservant de grandes parcelles sapent la valeur cumulative économique et écologique des petites parcelles d'habitat (Banks-Leite et al.2012, Hern andez - Ruedas et al.2014). Préserver et restaurer autant d'habitat que possible est le meilleur moyen de minimiser les pertes d'espèces."
Discussion
Dans le domaine aquatique (et non terrestre comme cette étude), la continuité écologique (en long) a été valorisée selon deux angles assez différents: la fragmentation serait mauvaise pour des poissons spécialisés migrateurs (qui rencontrent des obstacles impossibles à franchir) et elle serait mauvaise en soi car produisant des habitats séparés. Si le premier angle reste exact (un poisson ne peut pas franchir un grand barrage), le second paraît désormais plus douteux. D'autres travaux ont montré qu'à l'échelle de l'évolution, la fragmentation est productrice de la biodiversité des poissons d'eau douce (Tedesco et al 2017) et des analyses de biodiversité ne montrent pas de lien clair à la densité de barrage à diverses échelles des bassins (Van Looy et al 2014Kuczynski et al 2018).

Par ailleurs, la mise en oeuvre de la continuité écologique en long par destruction de barrage entraîne aussi des destructions d'habitats en place : quand on efface un ouvrage hydraulique, on fait souvent disparaître une retenue, un canal de dérivation (bief) et donc on baisse toutes choses égales par ailleurs la surface en eau disponible pour le vivant. En ce cas, le choix a toute chance d'être mauvais pour la capacité d'accueil des espèces de milieux aquatiques ou humides, lesquelles ne se résument évidemment pas à la petite fraction du vivant que représentent des poissons spécialisés ayant besoin de migration. Cela ne signifie pas que la protection de ces poissons migrateurs est sans objet, en particulier quand l'espèce est menacée. Mais les choix de conservation devraient prendre en compte la globalité des milieux et espèces, pas juste l'optimisation pour certains taxons. Au demeurant, l'importance historique donnée aux poissons migrateurs ne doit pas tant à l'écologie qu'à l'halieutique et à l'existence d'usagers pêcheurs ayant attiré l'attention du gestionnaire sur cette cible particulière de l'action publique (par exemple Thomas et Germaine 2018).

Enfin, la nature des habitats concernés et des biodiversités analysées est à débattre : le milieu lentique ou quasi-lentique d'une retenue n'est pas le milieu lotique (courant) de la rivière. Les espèces adaptées au milieu lotique sont certes pénalisées localement par le changement de milieu, mais d'autres colonisent la retenue à laquelle elles sont mieux adaptées. On doit donc s'interroger sur l'échelle spatiale du bilan de biodiversité (Primack et al 2018), sur le choix de focaliser ou non sur des espèces endémiques (Schlaepfer 2018) ou encore le bilan réel en espèces des mesures (Neeson et al 2018).

Au final, l'écologie est une science qui connaît aujourd'hui un grand dynamisme, notamment grâce à l'acquisition de données massives sur les milieux et espèces, analysables en systèmes d'information géographique. Il peut en résulter des remises en question de paradigmes antérieurs, ce qui est le lot commun de la science. Méfions-nous des "fossilisations" gestionnaires où une strate des connaissances passées est érigée en principe intangible parce que l'on recherche des idées simples face à des réalités complexes. Comme l'écologie devient une politique publique, et que la restauration écologique de milieux gagne des fonds importants, il s'agit d'être en phase avec les conclusions de la recherche.

Référence : Watling JI et al (2020), Support for the habitat amount hypothesis from a global synthesis of species density studies, Ecology Letters, 23, 4, 674-681

16/07/2020

L'assèchement des étangs et marais, une politique publique (Dumont et Dumont 1845)

Assécher les eaux stagnantes, laisser filer les eaux courantes... ce programme est un fil directeur des aménagements du territoire mais aussi des politiques publiques en France depuis plusieurs siècles. Il est notamment à l'origine de la disparition de presque toutes les zones humides du pays, avec leur biodiversité. Nous publions un extrait d'un essai de deux publicistes du 19e siècle, Adrien Dumont et Aristide Dumont, permettant de comprendre l'idéal de santé publique et de la valorisation agricole qui présidait à cet objectif du point de vue de l'Etat et de ses hauts fonctionnaires. Egalement de comprendre la construction sociale et politique des paysages que nous connaissons — paysages réputés "naturels" au prix de notre ignorance de leur histoire longue. Même aujourd'hui, on trouve certaines réminiscences de cette période et de cet imaginaire dans la valorisation symbolique de l'eau courante, assimilée par divers acteurs à sa "qualité", en opposition à une eau stagnante que l'on suspecte d'être "dégradée".


Adrien Dumont (1813-1869), magistrat, avocat à la Cour de Paris, publiciste, et Aristide Dumont (1819-1902), ingénieur des Ponts et chaussées, ancien élève de l'école Polytechnique, ont publié en 1845 un ouvrage sur l'organisation légale des cours d'eau. Le document est intéressant pour l'histoire du droit, mais aussi pour l'histoire des institutions et la compréhension de la manière dont la haute fonction publique a de longue date orienté la gestion de la nature en France.

Les auteurs homonymes y expriment une idéologie administrative dominante à leur époque. Nous publions ici deux extraits représentatifs sur les marais et les étangs. Ces zones humides y sont dépréciées comme inutiles, de moindre rendement que l'agriculture, source d'insalubrité (épidémie, épizootie). Les marais doivent être desséchés pour les auteurs — ce qui correspond à une longue tradition. Cette doctrine sera poursuivie jusque dans les années 1980. Après le vote de la loi sur l'eau en 1992, le rapport du préfet Bernard (1994) constatera que les deux tiers des zones humides ont disparu en France entre la fin du 19e siècle et la fin du 20e siècle. Quant aux étangs, Dumont et Dumont se montrent à peine plus tolérants à leur égard que pour les marais. Ils regrettent que le préfet ne soit pas plus dirigiste dans leur création et leur interdiction, évoquant avec nostalgie la loi du 14 frimaire an II ordonnant que tous les étangs du pays soient mis à sec...

Extraits

Le mot marais s'applique aux lieux situés en fond de bassin, couverts d'eaux qui deviennent stagnantes faute de canaux d'écoulement.

La législation a toujours tendu à encourager le dessèchement des marais.

Ces desséchements - présentent, en effet, un double but d'intérêt public. En restituant à la culture de vastes terrains, ils détruisent une des causes qui nuisent à la santé des hommes et à la prospérité des végétaux.

Un édit du mois de janvier 1607 contenait quelques dispositions éminemment favorables aux dessèchements. Non seulement la noblesse et le clergé pouvaient sans déroger s'intéresser dans ces entreprises, mais encore on exemptait de tous droits les matériaux nécessaires à leur exécution. Les terres desséchées devenaient nobles, n'étaient frappées d'aucun impôt pendant vingt ans , et les étrangers qui venaient se fixer sur les terrains. assainis étaient naturalisés de plein droit.

Dans le système des lois les plus anciennes, la moitié du fonds desséché était délaissée à l'entrepreneur du dessèchement; peu importait qu'il convînt au propriétaire de garder la totalité de ses terres, que l'amélioration n'eût été que d'une très-légère importance, cette inflexible proportion de la moitié ne se modifiait par aucun motif de convenance,

par aucune règle de justice. Les nombreuses difficultés survenues entre les concessionnaires de desséchement et les propriétaires de marais, ayant forcé d'avoir recours à d'autres moyens, on autorisa les entrepreneurs à exproprier les propriétaires à la charge de leur payer le prix des marais; mais il n'était que trop évident que cette expropriation heurtait directement toutes les habitudes , tous les droits de la propriété. D'ailleurs , cette faculté donnec t aux entrepreneurs n'était pas toujours pour eux un encouragement, car ils se trouvaient dans la nécessité de dépenser de grands capitaux au moment même Oll ils avaient besoin de toutes leurs ressources pour l'exécution des travaux.

L'assemblée nationale considéra les desséchements comme une mesure très-essentielle, et la loi du 5 janvier 1791 fut la preuve de toute sa sollicitude à cet égard ; mais cette loi ayant consacré de nouveau le principe de l'expropriation préalable, resta sans exécution, soit par l'effet du système vicieux qu'elle avait adopté, soit à cause des grands événements politiques qui la suivirent.

Cette législation exigeait d'autant plus une réforme qu'elle se lie intimement à l'intérêt général, à la santé, à la vie des hommes , et à l'accroissement des produits du territoire.

La loi du 16 septembre 1807 a été substituée à celle de 1791. Aujourd'hui, les entrepreneurs ne deviennent pas plus propriétaires d'une partie du terrain assaini qu'ils n'ont le pouvoir d'exproprier les marais à dessécher.

(...) Quoi qu'il en soit, il existe encore en France 800,000 hectares de marais ; c''est la quatre-vingt-septième partie du territoire ; ces terrains une fois assainis sont d'une qualité excellente, et on peut facilement en obtenir un revenu moyen de 100 fr. Supposons donc ces marais desséchés, et notre revenu agricole s'accroît immédiatement d'une somme de 80 millions; qui représente un capital de 2 milliards 500 millions. Si à cet accroissement de richesse on ajoute tous les avantages sanitaires qui doivent résulter des dessèchements, on aura la mesure de toute l'importance que le législateur doit y attacher. (...)



On appelle étang un amas d'eau réuni dans un terrain dont la partie inférieure est fermée par une digue ou une chaussée et dans lequel on nourrit ordinairement du poisson.

Sous l'empire des coutumes il était généralement permis de faire, de son autorité privée, des étangs sur son héritage, pourvu qu'on n'entreprît point sur les chemins ni sur les droits d'autrui.

Le projet du code rural apportait une restriction à cette liberté en prescrivant l'autorisation préalable du préfet dans le cas où la superficie de l'étang excéderait cinquante hectares, ou si la chaussée, quelle que fût la superficie de l'étang, devait être placée sur ou contre un chemin public. Dans cette double hypothèse le préfet était chargé de consulter le conseil municipal et les propriétaires intéressés.

Ce projet n'ayant pas été adopté, les étangs restent placés sous les règles du droit commun, en sorte que chacun a la faculté d'en établir sur son terrain à la seule condition de s'adresser au préfet pour faire fixer la hauteur de la chaussée ou du déversoir et de prendre des mesures telles que le gonflement des eaux ne puisse porter préjudice aux propriétaires supérieurs et que leur écoulement ait lieu sans nuire à ceux dont les fonds sont situés en aval.

Il est à regretter que l'autorisation de l'administration ne soit pas nécessaire pour l'établissement des étangs dont les émanations occasionnent trop souvent dans nos campagnes des maladies épizootiques; d'ailleurs ils occupent une étendue de terrain qui, livrée à la culture, donnerait de nouveaux éléments de prospérité à l'industrie agricole.

L'assemblée nationale avait compris combien la destruction des étangs est commandée dans l'intérêt de la salubrité et de l'agriculture. Aussi a-t-elle rendu une loi spéciale (Voy. la loi du 11 sept. 1792) pour autoriser les conseils généraux (aujourd'hui les préfets) à ordonner cette destruction , sur la demande formelle des conseils généraux des communes, et d'après les avis des administrateurs du district, lorsque les étangs peuvent occasionner, par la stagnation de leurs eaux, des maladies épidémiques ou épizootiques, ou que par leur position ils sont sujets à des inondations qui envahissent et ravagent les propriétés inférieures.

Bientôt le législateur fit un pas de plus. L'existence de cette sorte de propriété lui parut incompatible avec le salut des habitants et, par une loi du 14 frimaire an II, il ordonna que, sauf quelques exceptions, tous les étangs seraient mis à sec, sous peine de confiscation au profit des citoyens non propriétaires des communes où sont situés lesdits étangs.

Le sol des étangs desséchés devait être ensemencé en grains de mars ou planté en légumes propres à la subsistance de l'homme.

Mais cette dernière loi fut malheureusement rapportée par une autre du 13 messidor an III.

Cette nouvelle loi chargea les administrateurs du département de faire reconnaître par des agents les moyens de faire prospérer l'agriculture, et de rendre l'air plus salubre, dans les contrées connues ci-devant sous les noms de Sologne, Bresse et Brenne; d'y faire cesser, ainsi que dans toutes les autres parties de la république, les abus résultant de l'élévation des eaux pour le service des moulins; de donner aux rivières obstruées et encombrées un libre cours; d'indiquer les mesures les plus efficaces pour ordonner et faire maintenir les lois de police, tant sur le cours des eaux d'étangs que des marais qui se forment annuellement; d'ouvrir notamment dans les trois contrées ci-dessus désignées des canaux de navigation pour le tout être présenté au plus tard dans le délai de trois mois à la convention, et être statué par elle sur les mesures les plus efficaces pour chaque contrée.

Source : Dumont Adrien, Dumont Aristide (1845), De l'organisation légale des cours d'eau sous le triple point de vue de l'endiguement, de l'irrigation et du desséchement, ou Traité des endiguements, des alluvions naturelles et artificielles, des irrigations...: avec la jurisprudence, suivi d'un exposé de la législation lombarde, L. Mathias, paris, 535 p.

A lire aussi
La mémoire des étangs et marais (Derex 2017)
La mémoire des fleuves et rivières (Lévêque 2019)
Mille ans d'histoire des zones humides

15/07/2020

Les scientifiques appellent à explorer d'urgence les "trésors cachés" mais négligés des milieux aquatiques d'origine humaine (Koschorreck et al 2020)

Dix chercheurs européens tirent à leur tour la sonnette d'alarme : les milieux aquatiques et humides anthropiques (d'origine humaine), qui représentent 90% des plans d'eau et 30% des surfaces en eau de l'Europe, ont été purement et simplement effacés du radar de la directive cadre européenne sur l'eau et de sa mise en oeuvre par chaque pays. Or, quoique créés par les humains, ces milieux ont des effets sur les cycles biogéochimiques, sur les services écosystémiques et sur la biodiversité. Les chercheurs appellent à combler ce fossé alarmant et dommageable de connaissance sur ces nouveaux biotopes. Ce travail, comme de nombreux autres recensés sur notre site, montre que le mouvement des riverains est fondé à défendre partout en France des milieux aujourd'hui menacés d'assèchement et de destruction par des politiques publiques mal conçues et mal informées. Dépassons d'urgence certaines approches incomplètes de l'écologie aquatique, cessons de détruire sans savoir, informons les propriétaires et gestionnaires des règles de bonne gestion de ces milieux. 


Plan d'eau d'agrément (pêche) et d'abreuvement dans un fond de vallon à rû intermittent, dans une zone agricole de tête de bassin du Serein (Auxois), avec ses marges humides. Non seulement ces milieux ne sont pas analysés scientifiquement pour leurs peuplements et leurs services rendus, contrairement aux rivières, mais les directives administratives en France les considèrent a priori comme dégradation et encouragent leur destruction. Les sciences de l'eau condamnent désormais ces approches trop rudimentaires.


La directive cadre européenne sur l'eau a-t-elle oublié des milieux aquatiques essentiels à la compréhension de l'eau et des bassins versants en Europe? Matthias Koschorreck et 9 collègues européens le pensent. Voici le résumé de leur publication:

"Les plans d'eau artificiels comme les fossés, les étangs, les déversoirs, les réservoirs, les échelles à poissons et les canaux d'irrigation sont généralement construits et gérés de manière à optimiser leurs objectifs. Cependant, ces systèmes aquatiques créés par l'homme ont également des conséquences imprévues sur les services écosystémiques et les cycles biogéochimiques. Les connaissances sur leur fonctionnement et les éventuels services écosystémiques supplémentaires sont médiocres, en particulier par rapport aux écosystèmes naturels. 

Une analyse SIG indique qu'à l'heure actuelle, seuls ~10% des eaux de surface européennes sont couvertes par la directive-cadre européenne sur l'eau et qu'une fraction considérable des systèmes exclus sont probablement des systèmes aquatiques créés par l'homme. Il existe un décalage évident entre la possible importance élevée des plans d'eau d'origine humaine et leur faible représentation dans la recherche et les politiques scientifiques. 

Nous proposons un programme de recherche pour dresser un inventaire des écosystèmes aquatiques d'origine humaine, soutenir et faire avancer la recherche pour approfondir notre compréhension du rôle de ces systèmes dans les cycles biogéochimiques locaux et mondiaux ainsi que pour identifier d'autres avantages pour la société. Nous soulignons la nécessité d'études visant à optimiser la gestion des systèmes aquatiques d'origine humaine compte tenu de toutes leurs fonctions et à soutenir des programmes conçus pour surmonter les obstacles à l'adoption de stratégies de gestion optimisées."

Dans le détail, les chercheurs rappellent que la directive européenne sur l'eau (DCE) a centré ses analyses sur une fraction des écoulements naturels, mais du même coup ignoré l'analyse et le suivi de nombreuses réalités hydrologiques :
"la DCE ne couvre qu'une fraction des eaux de surface existantes. Une première estimation utilisant des bases de données publiques révèle qu'environ 90% des masses d'eau douce européennes (lacs, rivières, ruisseaux) ne relèvent pas de la DCE, ce qui indique un grand manque d'informations en termes de nombres, de superficie, de volumes, d'hydrologie , biogéochimie, écologie et services écosystémiques des systèmes d'eau douce. Notre analyse montre que les rapports de la DCE couvrent environ 70% de la superficie des eaux de surface européennes et ne parviennent pas spécifiquement à traiter les petits plans d'eau, qui sont connus pour avoir un impact conséquent sur les cycles biogéochimiques (Holgerson et Raymond 2016). Surtout, bien qu'il vise à inclure les fonctions et les exigences des écosystèmes écologiques et sociétaux, la DCE ne parvient pas à aborder certains aspects, tels que les processus fondés sur l'eau qui contribuent aux émissions de gaz à effet de serre (GES) (Moss et al. 2011). Le fait que les plans d'eau artificiels soient pour la plupart exclus de la proposition de règle américaine sur la qualité de l'eau (EPA 2015) montre que nos conclusions ne se limitent pas à l'Europe."

Exemple sur une analyse altimétrique: tous les plans d'eau en jaune sont ignorés des bases de données de la directive cadre européenne. Or, ces réseaux de plans d'eau sont par exemple connus pour avoir une importance dans la biodiversité bêta et gamma des invertébrés et des plantes. Extrait de Koschorreck et al 2020, art cit. 

Les chercheurs soulignent que le caractère artificiel d'un plan d'eau et son usage initial (irrigation, énergie, agrément...) ne préjugent pas de sa valeur écologique et des services associés.

A propos des étangs, ils soulignent par exemple :
"Bien que le but principal des étangs d'aquaculture soit la production, ils fournissent également diverses autres fonctions de l'écosystème telles que la régulation des inondations, la régulation du climat, le maintien de la complexité structurelle et la biodiversité dans le paysage et / ou la rétention des sédiments, de la matière organique, des nutriments et micro-polluants et peuvent être utilisés pour les loisirs (Boyd et al. 2010; Gaillard et al. 2016; Four et al. 2017). Les objectifs de chaque étang peuvent entrer en conflit les uns avec les autres, le compromis le plus courant entre les besoins de maximiser la production de poisson et les besoins de bonne qualité de l'eau, les manipulations de l'eau et les services écosystémiques (Pechar 2000; Verdegem et Bosma 2009)."
Ou encore à propos des seuils (déversoirs) et petits barrages :
"les petits plans d'eau artificiels dérivés des déversoirs sont extrêmement actifs en termes de processus biogéochimiques, modifiant profondément la structure et le fonctionnement des écosystèmes fluviaux loin en aval de leur emplacement (Fencl et al. 2015). Ils abritent un certain nombre de services écosystémiques offrant des avantages à la société comme la production d'électricité, les infrastructures d'irrigation ou les loisirs (Winemiller et al. 2016). Cela est particulièrement vrai dans les pays arides et semi-arides, où les lacs naturels de plaine sont rares, et les écosystèmes créés par l'homme tels que les déversoirs sont souvent les seules caractéristiques lacustres du paysage."
Au final, les chercheurs observent une carence des connaissances scientifiques sur ces milieux aquatiques artificiels
"Nous avons identifié ici un certain nombre de lacunes importantes dans les connaissances:
- Les informations sur l'abondance et la couverture surfacique de ces systèmes sont encore insuffisantes. Ces informations sont à la base d'une mise à l'échelle des effets.
- Les informations sur le cycle biogéochimique dans ces systèmes sont médiocres. On ne sait pas dans quelle mesure le fonctionnement biogéochimique de ces systèmes de plans d'eau artificiels est comparable ou s'écarte des systèmes naturels.
- Les multiples services socio-écologiques fournis par les différents plans d'eau créés par l'homme doivent être identifiés.
- Les options de gestion et leur interaction avec et effet sur la biogéochimie ne sont pas suffisamment explorées."
Pour y remédier, les auteurs insistent sur la nécessité de développer une analyse scientifique rigoureuse:
"Sur la base de cette analyse, nous proposons un programme de recherche:
- Soutenir la construction d'un inventaire des différents systèmes. Les approches prometteuses sont l'utilisation de bases de données publiques intégrant des données de télédétection et des flux de travail, et des réseaux de capteurs distribués in situ.
- Soutenir et faire avancer la recherche pour approfondir notre compréhension de la biogéochimie des systèmes d'eau artificiels. Les études sur les émissions de gaz à effet de serre et la dynamique des nutriments sont particulièrement pertinentes.
- Soutenir la recherche sur l'identification des avantages pour la société, y compris les pêcheurs, les agriculteurs, l'industrie, les agences gouvernementales, les utilisateurs récréatifs et les visiteurs qui ne relèvent pas de la fonctionnalité immédiate de ces systèmes.
- Soutien sécurisé aux études visant à l'optimisation de la gestion des systèmes d'eau d'origine humaine compte tenu de la fonctionnalité immédiate de ces systèmes ainsi que de leurs autres services.
- Soutenir et faire progresser les programmes conçus pour surmonter les obstacles à l'adoption de stratégies de gestion optimisées."
Discussion
Le travail de Matthias Koschorreck et de ses collègues n'est pas isolé. Un nombre croissant de chercheurs pointe que les représentations ayant alimenté le directive cadre sur l'eau de 2000 en Europe (ou la loi sur l'eau de 2006 en France) sont incomplètes. Le paradigme de l'eau comme milieu naturel devant se comprendre par approche biophysique exclusive est défaillant à inspirer une politique publique équilibrée. D'une part, il ignore la dimension sociale de l'eau et des services rendus par des écosystèmes. D'autre part, il méconnaît plusieurs millénaires d'occupation des bassins versants ayant non seulement modifié les fonctionnements naturels des rivières, mais aussi créé d'innombrables milieux anthropiques, que l'on appelle souvent des "nouveaux écosystèmes" (voir par exemple Chester et Robson 2013, Sneddon et al 2017, Hill et al 2018, Clifford et Hefferman 2018, Evans et Davis 2018, Mooij et al 2019, Touchart et Bartout 2020).

L'ignorance de ces milieux aquatiques et humides d'origine humaine est problématique car elle prive leurs propriétaires privés comme les gestionnaires publics d'informations qui pourraient être utiles à une meilleure gestion au plan de préservation de l'eau, du bilan carbone, de la dépollution ou encore de la conservation de la biodiversité. Elle est encore plus critique dans des pays comme la France où une politique d'Etat autoritaire a considéré que tout ouvrage hydraulique est un problème a priori au regard d'une naturalité ou fonctionnalité idéale des cours d'eau, ce qui a produit à partir de 2009 un engagement public (financier et règlementaire) en faveur de la destruction de ces ouvrages et de leurs milieux (réforme dite de "continuité écologique").

A de multiples reprises, nous avons alerté les préfets, les agences de l'eau, l'office de la biodiversité, le ministère de l'écologie et les parlementaires sur le manque de connaissance de ces milieux et sur le caractère bâclé des études d'impact qui en sont faites (voir ce guide pour des études de terrain plus conformes aux observations de la science contemporaine et non à des vues essentiellement halieutiques, voir cet article sur les biais d'expertise qui n'intègrent pas les dimensions multiples de l'eau). Certains font évoluer peu à peu leur discours, comme des agences de l'eau cessant de considérer tout ouvrage hydraulique comme problème en soi (à défaut d'engager activement leur analyse socio-écologique, hélas). D'autres se braquent au contraire sur des choix faits dans les années 1990 dont on mesure pourtant les limites épistémologiques et les oppositions suscitées. Il est temps de remettre à jour la politique de l'eau en France, en l'adaptant aux connaissances en évolution rapide. C'est d'autant plus nécessaire que le changement climatique, plus intense que prévu selon certains modèles, est en train d'imposer son agenda et de faire de l'eau un enjeu majeur en Europe. Face à ce défi, le programme consistant à simplement valoriser un état antérieur de la nature et à condamner toute artificialisation est insatisfaisant. Et dangereux.

Référence : Koschorreck M (2020), Hidden treasures: Human-made aquatic ecosystems harbour unexplored opportunities, Ambio, 49, 531–540

13/07/2020

La cour administrative de Bordeaux condamne aux dépens les fonctionnaires casseurs de droit d'eau

La cour d'appel de Bordeaux donne tort au ministère de l'écologie qui voulait casser un droit d'eau fondé en titre pour motif de ruine partielle de l'ouvrage. Dans ce cas, le droit d'eau avait aussi été associé à une autorisation ultérieure (en 1939) et limitée dans le temps, mais les juges rappellent que cette limite était nulle car contraire au caractère perpétuel des droits fondés en titre. Cette affaire rappelle la réalité: les responsables du ministère de l'écologie ne cessent de harceler les moulins et étangs en essayant de contester leur existence légale ou de décourager leur remise en service, afin de les détruire ensuite comme "sans usage". Il est urgent que tous les propriétaires et riverains rejoignent des associations combatives pour répondre à ces abus de pouvoir, au lieu parfois de plier par méconnaissance du droit. Quant à l'idée d'une "politique apaisée" de continuité écologique, elle demande manifestement d'opérer une révolution culturelle chez certains fonctionnaires. Ou bien de confier le dossier à d'autres que ceux l'ayant fait échouer dans la brutalité et la défiance. Il est vain de nier la réalité des ouvrages ou d'espérer leur disparition, mais urgent de leur donner un sens conforme aux attentes de la gestion durable de l'eau et de la transition écologique.


Les faits
Une société a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du préfet de l'Ariège du 28 octobre 2014 déclarant un moulin déchu de son droit fondé en titre, de reconnaître le droit fondé en titre attaché au moulin et de fixer sa consistance légale à 67 KW.

La procédure
Par un jugement n°1405931 du 20 janvier 2017, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté préfectoral du 28 octobre 2014 et reconnu le droit fondé en titre du moulin. Mais le ministère de la transition écologique et solidaire a fait appel.

Le jugement
La cour d'appel note que le déchaussement d'une partie du barrage par une crue n'empêche pas sa reconstruction et que les autres éléments nécessaires à l'usage de l'eau sont tous présents :
"Il résulte de l'instruction, et notamment du dossier établi par un bureau d'études et remis par la société au préfet en vue de l'établissement de la consistance légale du droit d'eau et de la déclaration des travaux nécessaires à la remise en eau du moulin, qu'après la crue de 1996, le barrage, d'une longueur initiale de 21,35 mètres, a été détruit dans sa partie aval sur un linéaire de 11 mètres et que la vanne de prise d'eau a disparu, de sorte que le Saurat a retrouvé son cours naturel et que le canal d'amenée a été en partie comblé. Il résulte toutefois également de l'instruction et notamment du dossier présenté par la société, que l'ouvrage de prise d'eau peut être restauré par la reconstruction des 11 mètres détruits, par l'installation d'une vanne d'entrée et d'une vanne de décharge et par une légère reprise de la crête de la partie subsistante du barrage. Il n'est par ailleurs pas contesté qu'ainsi qu'il est indiqué dans le dossier de la société, le tracé du canal d'amenée, d'une longueur de 255 mètres, est encore nettement marqué, que les bajoyers maçonnés de ce canal d'amenée, présents sur une longueur de 165 mètres, le reste du canal étant simplement creusé dans le terrain naturel, sont en place, que le canal de fuite est également en état, que le tracé du chenal de décharge est lui aussi visible, que la remise en eau ne nécessitera d'un curage des canaux, une restauration du fond et un retalutage et que l'une des deux roues à aubes présentes dans l'usine est encore en place. Dans ces conditions, comme l'a jugé le tribunal, et alors même qu'environ la moitié de l'ouvrage de prise d'eau doit être reconstruit et que l'exploitant projette de restaurer le bâtiment de l'usine, de refaire le bassin de mise en charge situé à l'amont immédiat de l'usine et d'installer une vis hydrodynamique, il ne peut être considéré que les dégradations subies par le moulin, quel que soit le coût des réparations, impliquent la reconstruction complète des éléments essentiels de l'ouvrage et qu'elles caractériseraient un état de ruine permettant de justifier la perte du droit fondé en titre."

Le juge note aussi qu'un précédent arrêté préfectoral de 1939 ayant limité l'autorisation dans le temps ne peut être opposé, car le caractère perpétuel du droit d'eau a préséance :
"L'installation a fait l'objet d'un arrêté préfectoral du 13 juillet 1939 qui prévoit une durée d'autorisation d'exploitation de 75 ans expirant le 13 juillet 2014 et pour une puissance maximale de 67 KW. L'article 19 de cet arrêté prévoyait que l'administration pouvait prononcer la déchéance de l'autorisation si l'exploitation cessait pendant cinq ans. Mais ainsi que l'ont estimé les premiers juges, en se fondant également sur les dispositions de l'arrêté du 13 juillet 1939 qui fixaient une durée d'utilisation du droit à 75 ans alors que le droit fondé en titre n'est pas limité dans le temps, le préfet de l'Ariège a entaché sa décision d'une erreur de droit."
Au final, "le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé l'arrêté du 28 octobre 2014, a reconnu l'existence du droit fondé en titre du moulin (...) et a fixé sa consistance légale".

Ici, le propriétaire du moulin ne s'en est pas laissé conter. Il avait les moyens psychologiques et économiques de résister à ce qu'il percevait à raison comme une erreur d'appréciation voire un abus de pouvoir. Mais combien de maîtres d'ouvrage isolés, connaissant mal le droit, croyant naïvement que l'autorité publique est sincère, ont été soumis à de telles pressions et ont abandonné, perdant et leur droit d'eau et leur ouvrage hydraulique dans la foulée? Toutes les associations locales doivent proposer une aide juridique aux moulins et autres ouvrages de leur rivière, afin de faire cesser ce genre de dérive et d'opposer un front uni aux administrations de l'eau. En particulier sur les cours d'eau classées en liste 2 au titre de la continuité écologique, où tous les ouvrages doivent être au bon niveau d'information par rapport à la loi, aux administrations, aux syndicats de bassin et aux fédérations de pêche.

Référence : CAA de Bordeaux, arrêt N°18BX00755, 16 juin 2020

12/07/2020

La France doit réviser d'urgence sa gestion de l'eau et cesser de détruire les retenues

La France métropolitaine reçoit 500 milliards de m³ d'eau apportés par la pluie et la neige, l'évaporation représente de 300 milliards de m³, 10 milliards de m³ viennent des pays voisins, soit un volume annuel total des eaux renouvelables de l'ordre de 200 milliards de m³. Or, les prélèvements en eau douce en France représentent environ 30 milliards de m3 par an, soit sept fois moins. Pourquoi, en dehors des zones arides, souffrons-nous de sécheresses à répétition, d'assecs et de restrictions? Car l'eau est mal gérée. Nous ne la retenons pas assez dans des zones humides naturelles et artificielles des bassins versants, nous bétonnons au lieu de végétaliser et d'assurer le cycle local de l'eau, les eaux urbaines sont ré-injectées vers la mer avec de surcroît des pollutions. A l'heure des risques climatiques qui seront croissants au cours du siècle, nous devons changer notre culture de l'eau, bien précieux pour le vivant et la société. Ou plutôt la retrouver, car les générations précédentes devaient déjà affronter l'incertitude faite d'excès ou de rareté selon les saisons. Nous publions ci-dessous le point de vue de l'association Culture Nature 71, qui déplore notamment l'aberration de la destruction actuelle des retenues par l'administration et de certains "écologistes" manifestement égarés dans des impasses. 



Des catastrophes imputées au réchauffement climatique pourraient être évitées par une gestion appropriée des ressources naturelles. A commencer par l'eau, le bien commun le plus précieux, garant de la vie. Et dont le cycle en relation avec le couvert végétal est un puissant régulateur du climat.

Un paradoxe qui s'accentue : trop d'eau par moment, manque d'eau à d'autres moments
L'alternance de sécheresses et d'inondations depuis 20 ans a une cause rarement évoquée : la très mauvaise gestion des précipitations ! En France métropolitaine, cela représente 503 milliards de m³ d'eau, provenant des chutes de pluie et de neige réparties sur 70 à 200 journées, selon les régions.

Cependant, une pluie même forte n'est pas un raz de marée. Depuis le 4 novembre 2019 [et jusqu'au 27 janvier 2020), La Garonne a évacué plus de 3 milliards de m3 d'eau douce vers la mer (mesure de débit effectué à Tonneins (cf vigiecrue.fr). Cela représente deux fois le volume de la consommation totale de toute la région Nouvelle Aquitaine (potable, agricole et industrie). Comment, dans ces conditions, peut-on manquer d'eau à certains moments de l'année ?

Annuellement, les rejets en mer d'eau douce par les rivières de Nouvelle Aquitaine sont supérieurs à 15 milliards de m3 ... pour une consommation totale de 1.5 milliards. Par le captage de seulement 10% des crues, il y aurait moins d'inondation; mais surtout plus jamais de déficit en eau. Les départements les plus touchés par les inondations et les fortes crues sont ceux qui étaient en manque d'eau l'été dernier.

Et c'est tout à fait logique : c'est justement parce que dans ces départements, il n'y a pas de retenue de l'eau des précipitations hivernales que les crues sont gigantesques. Et n'ayant procédé à aucune retenue d'eau l'hiver, ces mêmes départements manque d'eau en été … Consternant mais logique !

Pour réguler les crues il faut créer des bassins d'expansion et des retenues… les fameuses retenues que les DDT font détruire massivement sur toute la France (le projet est à 100 000 destructions d'ouvrage…) au nom de la continuité écologique des cours d'eau. Les inondations sont provoquées par des ruissellements sur des surfaces étanches ou saturées en eau, en captant les ruissellements le plus en amont possible des bassins versants :
on évite les inondations en aval et les pollutions de rivières dues au lessivages des sols,
on régule le débit des rivières (moins d'étiage), et
on favorise les infiltrations.

Une pluie même forte ne provoque pas d'inondations quand le ruissellement est géré le plus en amont possible des bassins versants ; c'est quand on ne régule pas que des inondations se produisent.

Depuis les années 2000 la situation hydrologique française ne fait que se dégrader : d'année en année, on cumule des restrictions d'eau de plus en plus longues, alors que la consommation d'eau (potable, agricole et industrie) ne représente que 2.5% des pluies !

2019 a été une année record : toute la France était en restriction d'eau ou en crise majeure d'approvisionnement.

La planète n'a pas perdu une goutte d'eau depuis sa création. On ne consomme pas l'eau, on l'utilise. Elle est recyclée à 100%.

Le problème n'est pas la quantité disponible mais la mauvaise gestion de l'eau : si on passe trois saisons consécutives sans rétention de l'eau de pluie, forcément, il y a inondation l'hiver et pénurie d'eau l'été.

La mauvaise gestion de l'eau par non respect des lois de son cycle
L'eau est un bien commun, la nature nous l'apporte à tous de la même façon : en surface et à domicile. Il faut appréhender correctement le rôle des surfaces d'exposition et cycle naturel de l'eau: précipitations et évaporation. Sur les continents, 70% des précipitations proviennent de l'évapotranspiration (de la végétation) et seulement 30% de l'évaporation en mer. Pas d'évaporation, pas de pluie. C'est pour cela qu'il ne pleut pas dans les déserts.

Les campagnes alimentent les nappes phréatiques alors que le béton des villes détourne massivement l'eau vers la mer via les rivières. Et, surtout, les eaux usées, une fois assainies sont également rejetées dans les rivières où elles regagnent la mer, donc sans être recyclées pour la végétation.

Nous sommes dans une situation de crise parce que l'on gère une quantité alors qu'on doit gérer un flux. La logique n'est pas du tout la même : pour avoir de l'eau, il faut entretenir le cycle à la « source » : précipitations et évaporation.

Les forets de feuillus utilisent 70% des pluies et en infiltrent seulement 30%. Comme on a défriché pour cultiver, on a coupé ce cycle l'été. En végétalisant un maximum de surfaces l'été, ce qui peut nécessiter d'irriguer, on va rétablir le cycle. A surface égale, une foret de feuillus évapore 2 à 3 fois plus d'eau qu'un simple plan d'eau ; d'où l'extrême importance de végétaliser toutes les surfaces (villes et campagnes) l'été. Les forets de conifères évaporent deux fois moins d'eau. Elles apportent deux fois moins de pluies et donc brûlent tous les étés.

Les ruissellements de surfaces provoquent des inondations, un manque d'infiltration et des pollutions. En les captant avec des réserves collinaires, on résout ces trois problèmes et on puise moins fortement dans les nappes l'été.

Les erreurs commises dans les zones urbanisées
Les grandes zones urbaines puisent l'eau dans des nappes phréatiques dont elles ont bloqué l'alimentation par l'artificialisation des sols. Elles rejettent les eaux usées, après retraitement (dans le meilleur des cas), dans les cours d'eau qui les emportent dans la mer au lieu de la ré-infiltrer ou de la recycler pour des usages non domestiques comme l'arrosage. En zones habitées, l'eau de pluie est captée pour être évacuée. Les nouvelles zones artificialisées sont aux normes, mais c'est très insuffisant.

Le code de l'environnement impose un traitement et une infiltration de tous les rejets (pluies et eaux usées pour les villes, les maisons individuelles, et l'industrie) pour ne pas perturber le cycle de rechargement des nappes phréatiques. Quand les infiltrations ne sont pas possibles, l'eau doit être recyclée pour des usages non domestiques comme l'arrosage (irrigation). Si le code était appliqué par les villes et l'industrie, les nappes ne s'épuiseraient pas.

Notre réseau de distribution d'eau potable date des années 1950. Auparavant, tout le monde faisait des réserves pour avoir de l'eau l'été. Et, si d'aventure, on manquait d'eau, on construisait des structure pouvant accueillir de nouvelles réserves … Question de bon sens!

On détruit les retenues au nom de la continuité écologique des cours d'eau. Les anciens construisaient des retenues pour avoir de l'eau et de l'énergie « propre ». On les détruit alors qu'on manque d'eau et qu'on voudrait sortir du nucléaire… Une retenue permet de réguler les crues, donc de limiter les inondations et d'améliorer les infiltrations.

Pourquoi toucher aux barrages tant qu'on n'a pas résolu nos problèmes d'eau et d'énergie ? Peut-être faudrait-il même en construire ! Si le débit de la Seine n'était pas régulé par quatre grands réservoirs (lac-réservoirs d'Amance-Aube, de Pannecière-Yonne, d'Orient-Seine et du Der-Marne), Paris serait inondée tous les hivers et en déficit tous les étés…! Les crues sont provoquées uniquement par les ruissellements et la seule façon de prévenir les crues, c'est de réguler le débit de la rivière le plus en amont possible du bassin versant avec des réserves collinaires.

Les erreurs commises dans les zones agricoles
Il faut changer de paradigme : la végétation ne consomme pas d'eau ; elle apporte des pluies. Le bilan hydrique des surfaces végétales est toujours positif. C'est pourquoi, l'eau agricole ne doit pas être intégrée à l'eau économique, parce qu'elle entretient le cycle. Couper l'irrigation c'est comme couper la pompe à eau des continents.

Dans les années 2000, on a finit par épuiser les nappes l'été. La répartition des prélèvements était la suivante : 46% agricole, 34% potable et 12% industrie. Il était facile d'accuser l'agriculture et de lui couper l'eau. Mais, ce qui aurait du rester une mesure provisoire s'est transformé en moyen de gestion de la ressource. Dès que les nappes baissent, on coupe l'irrigation sans jamais rechercher de compensation donc sans jamais résoudre le vrai problème : le détournement massif et illégal de l'eau douce par les villes non conformes au code de l'environnement.

D'après le calcul suivant : 34% + 12% = 46%, si l'eau potable et industrielle était recyclée dans les champs, on diviserait par deux les prélèvements dans les nappes phréatiques. Et, si on y ajoute l'eau qui ruisselle sur le béton des villes, on pourrait irriguer la totalité de la surface agricole utile de la région Nouvelle Aquitaine (781 000 hectares de béton qui détournent annuellement 5 milliards de m3 d'eau douce vers la mer au lieu de l'infiltrer, c'est 3 fois la consommation trois de toute la région en eau potable, à usage agricole et industriel).

Les coupures systématiques de l'irrigation, dès que les nappes baissent l'été ont ancré dans l'opinion publique, la croyance dans l'idée que l'irrigation est le problème; en occultant le fait que les villes rejettent 10 fois plus d'eau dans les rivières, et que les prélèvements agricoles représentent seulement 1% des précipitations annuelles.

Et, surtout, on oublie le fait, crucial, pour l'alimentation du cycle de l'eau que la végétation est notre pompe à eau.

Alors, effectivement, en coupant la pompe, on n'a plus de ponction dans les réserve, mais on n'a non plus de ré-alimentation de ses réserves … Si les agriculteurs avaient pu constituer des réserves l'hiver pour irriguer l'été, le détournement des villes serait passé inaperçu (hormis les problèmes de pollution). Mais comme l'irrigation a été désignée responsable des pénuries d'eau , les « écologistes » ont bloqué la construction de réserve (Sivens, Caussade, etc ..) et même poussé à la réduction de 10% par an des surfaces irriguées depuis 20 ans.

Bilan de l'opération : on s'enfonce d'année en année dans les problèmes, faute de comprendre qu'au lieu de réparer la fuite en ville on coupe la pompe dans les campagnes. Ceci a, de plus, de graves conséquences sur le climat, la biodiversité et notre sécurité alimentaire !

Les nappes phréatiques profondes sont alimentées par les nappes superficielles, elles mêmes alimentées par les pluies et c'est la végétation qui alimentent les pluies.

Le drainage de certaines surfaces agricoles ne pose pas de problème à condition que les fossés collecteurs soient raccordés à des bassins de rétentions pour utiliser l'eau l'été ou l'infiltrer dans les nappes. Les fossés ont été creusés pour capter les ruissellements et à ce titre ils ne doivent pas rejoindre les rivières ou de manière exceptionnelle.

Le cycle de l'eau comme régulateur du climat
On devrait remplacer le mot irrigation par « entretien du climat ». A surface égale, un champ irrigué l'été évapore autant d'eau qu'une foret de feuillus. Et, un champ irrigué ne pourra jamais utiliser plus d'eau l'été qu'il n'a reçu l'hiver.

Il faut savoir que la différence de température l'été entre un champ vert et un champ sec est de 20°C. Sur des millions d'hectares l'impact sur le climat est énorme. Depuis des années, la Nouvelle Aquitaine ressemble à un désert l'été pendant que les villes continuent à déverser de l'eau douce dans la mer (pour la métropole de Bordeaux, ça représente une moyenne annuelle de 1 millions de m3 par jour …de quoi irriguer 180 000 hectares).

Végétaliser et arroser l'été pour refroidir et hydrater est parfaitement normal; et, ne pas le faire pose problème. Pour cela, il faut anticiper le besoin en été et prévoir des réserves en conséquence l'hiver !

La moitié de l'énergie solaire est évacuée par l'évaporation de l'eau (entropie). Sans, la chaleur est stockée dans les sols et les canicules s'installent. Les villes commencent à comprendre qu'il faut végétaliser l'été; mais, en même temps, on laisse sécher des millions d'hectares de terres nourricières…

Le cycle de l'eau comme garant de la biodiversité et de la production alimentaire
La base de toutes les chaines alimentaires se trouve dans la biodiversité des sols. Les micro-organismes des sols sont indispensables à toute la vie sur la planète. Or, un sol sec, c'est un sol mort, c'est pourquoi il est indispensable de maintenir une couverture végétale vivante, sur les sols agricoles, l'été.

Ce principe est d'ailleurs imposé par la PAC, mais non respecté dans les pratiques, à cause d'une mauvaise gestion de l'eau. En laissant sécher les champs l'été, non seulement, on nuit gravement à notre sécurité alimentaire mais on coupe le cycle des pluies et les rivières sèchent.

Si les sols agricoles se minéralisent et se dégradent c'est par une exposition de plus en plus longue au soleil l'été. La température des sols peut monter à plus de 50°C ce qui est fatal aux micro-organismes. Ceci explique une grande partie de l'effondrement de la biodiversité; et, notamment des populations d'oiseaux qui sont insectivores. Dans le bocage de Gatine, il y a des haies, pas de labour et pas de pesticide; pourtant, la biodiversité disparait tous les étés sur des périodes de plus en plus longues. Même les éleveurs disparaissent !… Alors qu'il suffirait de pouvoir puiser dans les nappes phréatiques reconstituées par les infiltrations ou des réserves constitué par retenue des ruissellement de l'hiver. Il faut créer d'urgence les fameuses réserves collinaires évoquées par le Ministre de l'agriculture… Mais pas dans 10 ans, cet hiver !

On aura sauvé le climat et la biodiversité quand les campagnes seront vertes l'été. Nos saisons sont dictées par les forets de feuillus : les forets sont vertes l'été, il faut que nos champs le soient aussi !

Reprendre politiquement en considération le cycle de l'eau
On ne se soucie plus, au quotidien d'où vient l'eau et comment fonctionne le cycle de l'eau. On utilise l'eau, comme on consomme toutes sortes de ressources sans se soucier de leur renouvellement.

Le sujet du cycle de l'eau revient sur le tapi avec les perturbations qu'entrainent les erreurs commises dans sa gestion, comme nous venons de le voir. Le changement climatique accentue la gravité des conséquences de ces erreurs ; et, rend encore plus impératif la nécessité d'y remédier.

On ne peut pas dissocier climat, eau et biodiversité, tout est intimement lié. Pas d'eau pas de vie !

Pour trouver des leviers d'action, nous allons sortir de l'Hexagone et faire une excursion en Inde, dans la région du Rajastan, où la situation hydrique est précaire depuis bien plus longtemps qu'en France.

Lors de la colonisation par les Anglais, la gestion ancestrale, qui comprenait l'aménagement de bassins d'infiltration, a été abandonnée à la faveur de la création des réseaux de distribution d'eau et d'assainissement. Les Européens ont imposé leur technologie et leur insouciance à l'égard du cycle de l'eau.

Dans certaines régions, les nappes phréatiques sont devenues déficitaires, les cours d'eau se sont taris et les terres sont devenues progressivement arides… dans l'indifférence générale des technocrates et politiques en place. Jusqu'à ce que les populations locales, elles-mêmes, se retroussent les manches et remettent en place, avec les moyens du bord, les bassins de rétentions et d'infiltration que leurs ancêtres avaient prévus. Il a fallu un mouvement citoyen et solidaire pour rétablir en quelques années le cycle de l'eau (rechargement des nappes phréatiques superficielles et profondes, réalimentant les cours d'eau) qui a permis, à nouveau, de végétaliser les terres agricoles et rétablir leur production.

Cette gestion démocratique de la ressource en eau, c'est faite à l'insu du pouvoir en place, qui manifestement n'a ni la compétence pour animer un mouvement vraiment démocratique, ni la motivation même, car aucun prestige personnel, ni gain financier n'est à la clé.

Cette expérience est rapportée par Bénédicte Manier, journaliste dans son livre «Un million de révolutions tranquilles», paru en 2012 aux éditions Les Liens qui Libèrent. Cette expérience peut nous inspirer, si nous voulons nous agir pour la gestion des biens communs, dont l'eau, source de toute vie en est l'emblème.

Yves Robert et Denise, association Culture Nature 71

Illustrations : les béalières de l'Ardèche, source et droits Noz Infos. Le nom de ces systèmes d'irrigation traditionnelle vient du gaulois Bedul, qui a aussi donné le bief en langue d'oil. Ces petits canaux sillonnant les collines sont abreuvés par les eaux de pluie ou de rivière.