22/08/2020

Le bourrage de crâne pour casser les ouvrages en rivière commence au CM2

Un adhérent nous transmet les extraits d'un manuel de CM2 proposant une séance "comment sauver les poissons migrateurs". Un véritable manuel de propagande qui transmet une vision simpliste et fausse de la réalité. Croit-on que l'on va rendre l'écologie honorable et convaincante avec ces méthodes dignes d'Orwell? 

La première page de la fiche de ce manuel rappelle rapidement que le déclin des migrateurs est dû à des multiples facteurs (ouvrages infranchissables, mais aussi surpêche, pollutions, destruction ou altération de habitats et des lits, changement climatique, etc.). Or, la totalité de la séquence est consacrée aux seuls ouvrages hydrauliques. Le rédacteur a donc projeté ses obsessions pour les transmettre aux enfants. On signale plusieurs causes, on se focalise sur une seule : voilà comment propager les idées fixes dans les jeunes esprits, au lieu d'initier à la complexité.

Puis arrive l'objet du délit : l'obstacle à l'écoulement et sa terrifiante retenue.



Le seuil et sa retenue sont décrits comme un enfer biologique : une eau chaude qui s'évapore et asphyxie les poissons. Au demeurant, on ne voit que des poissons — c'est bien connu que tout le vivant aquatique se résume au poisson.

Les écoliers pourraient voir à quoi ressemblent réellement des ouvrages hydrauliques aujourd'hui sommés de disparaître au profit de la continuité, par exemple ceci qui ne paraît pas vraiment une catastrophe écologique:




Ils pourraient aussi voir à quoi ressemble une rivière sans eau après restauration de continuité, par exemple ceci qui n'a pas l'air très favorable au vivant du lit mineur:



Ils pourraient enfin être éduqués au niveau réel d'évaporation ou comparer l'évaporation d'une zone humide naturelle et artificielle, mais ce serait évidemment plus compliqué qu'une caricature. Faisons simple, même si c'est faux.

Le rédacteur ayant convaincu l'enfant que la retenue est un enfer, il prend encore soin de préciser que dès une hauteur de 20 cm, les espèces disparaissent :



C'est terrible. Les écoliers ayant miraculeusement échappé au lavage de cerveau vont peut-être se demander: comment font les espèces pour vivre avec des cascades, chutes, seuils naturels, torrents, rapides, barrages d'embâcles, barrages de castors, éboulis et autres obstacles qui existent depuis des millions d'années, sans parler aussi des assecs? Car c'est quand même le régime normal de la nature, toutes ces discontinuités :



Face à ces terribles obstacles de 20 cm qui font disparaître l'eau et les espèces, il faut agir. Cette image montre la représentation des options.



On voit que l'écolier de CM2 est déjà capable d'apprécier le rapport coût-bénéfice d'un chantier, ce qui est remarquable de maturité (ses parents doivent sûrement travailler à l'agence de l'eau ou à l'office de la biodiversité). On voit aussi que faire passer des "cailloux" serait un enjeu des seuils, alors que la recherche trouve le contraire. De manière surprenante, on montre à l'écolier une situation sans humain : il y a un seuil à peine visible et posé au milieu de nulle part, il ne sert apparemment à rien, il ne détourne pas un bief, il n'y a pas de gens autour. L'écolier doit donc se représenter le fantasme d'une nature sans humain, plutôt que réfléchir à ce que cela signifie d'avoir des humains n'ayant pas les mêmes usages et représentations de la rivière.

Enseigner des informations trompeuses et des explications simplistes qui confortent l'idéologie du moment, ce n'est pas à l'honneur de l'éducation nationale. Les associations de moulins et riverains, les gestionnaires d'étangs de pêche ou de loisir, les syndicats de petite hydro-électricité auront à coeur de se rapprocher de leurs établissements d'enseignement pour proposer des visites de site et corriger le bourrage de crâne subi sur les bancs des classes.

21/08/2020

Les services rendus par la végétation des rives (Riis et al 2020)

On estime que 80% des habitats des rives, et en particulier les couverts végétaux, ont été altérés au cours des deux derniers siècles en Europe. Or, cet espace de transition entre l'eau et la terre, appelé écotone, a un rôle majeur dans la dynamique des écosystèmes et dans les services qu'ils rendent à la société. Une quinzaine de chercheurs font un passage en revue de la littérature scientifique internationale à ce sujet.


Ci-dessus : quatre types de végétation rivulaire selon l'importance relative de l'humidité des sols et des formations boisées, extrait de Riis el al 2020, art cit. 

Tenna Riis et ses collègues publient dans BioScience un passage en revue des services rendus par la ripisylve, ou végétation des berges et des rives. Les auteurs observent :
"La végétation rivulaire des systèmes fluviaux est un complexe d'unités de végétation le long du réseau fluvial qui est fonctionnellement lié aux autres composants du système fluvial et à la zone environnante (Naiman et al 2005). C'est un écotone hybride et ouvert: il est hybride parce qu'il résulte de la co-construction par des processus humains et naturels, et il est ouvert parce que la terre bordant les systèmes fluviaux interagit avec la rivière et les processus associés (Dufour et al 2019). La zone riveraine se caractérise donc par une forte variabilité spatiale et temporelle principalement due à des conditions bioclimatiques, géomorphologiques et d'utilisation des terres, qui évoluent toutes dans le temps sous les influences naturelles et humaines. La végétation riveraine dans le contexte de cet article est définie comme la végétation établie dans le lit majeur, c'est-à-dire la partie du paysage terrestre allant de la ligne des hautes eaux vers les hautes terres, où les nappes phréatiques élevées influencent la végétation et le sol (Naiman et al 1993 )."
Cette ripisylve a connu de nombreuses dégradations à l'ère moderne :
"La végétation rivulaire a la capacité de fournir une quantité de services écosystémiques disproportionnée par rapport à son étendue dans le paysage (par exemple, Sweeney et Newbold 2014) en raison de ses caractéristiques d'écotone et des ses fonctions écologiques (Capon et al. 2013). Cependant, la végétation rivulaire est soumise à une pression importante due à une série d'activités anthropiques, telles que la modification du régime de perturbation, la régulation du débit des cours d'eau par les barrages, la pollution, le changement d'affectation des terres, la récolte du bois, le détournement de l'eau, l'exploitation minière, la déforestation, et aux espèces envahissantes (par exemple, Goodwin et al 1997, Poff et al 2011). En Europe, on estime que 80 % des habitats riverains naturels ont disparu au cours des 200 dernières années (Naiman et al 1993). La perte de végétation riveraine est généralement immense dans les pays développés ; par exemple, elle a diminué de 85 à 95 % en Californie, en Arizona et au Nouveau-Mexique, la plupart des pertes étant attribuées au pâturage (NRC 2002). À l'inverse, des efforts croissants sont entrepris pour récupérer la ripisylve avec un succès variable selon la restauration (par exemple, introduction active de plantes hydrogéomorphiques, reconversion des plaines d'inondation, contrôle du pâturage et des espèces envahissantes (González et al 2015)."
L'article donne un aperçu des services écosystémiques fournis par la ripisylve en adoptant une approche structurée pour identifier ces services, décrire leurs caractéristiques et classer leur importance. La tableau ci-après détaille chaque service dans quatre principaux types de végétation rivulaire (herbacées, forêts, forêts humides, zones humides).


Les services jugées les plus importants sont ainsi:

  • la fourniture d'habitats à d'autres espèces, dont celles permettant le biocontrôle des invasives
  • le filtrage de divers polluants
  • la séquestration du carbone
  • le contrôle de l'érosion
  • la régulation des crues et rétention de l'eau
  • le dépôt des sédiments dans le lit majeur

En conclusion, les auteurs regrettent que les projets de restauration écologique ignorent trop souvent la végétation des berges et rives :
"La sévère dégradation mondiale des écosystèmes d'eau douce a constitué une menace majeure pour le services écosystémiques des zones riveraines et de leur végétation. Cette tendance négative a continué d'augmenter au cours des siècles et plus sévèrement depuis 1950, même si les implications économiques sont graves (par exemple, en raison des dommages causés par les inondations), et dans de nombreux endroits, cette tendance négative pourrait même s'intensifier en raison du changement climatique ( par exemple, Capon et al 2013). Par conséquent, la restauration de la plaine d'inondation et de la ripisylve représenterait une pratique importante pour atténuer les effets de cette dégradation et dans de nombreux endroits; cela se produit déjà. Néanmoins, nous considérons qu'actuellement, la plupart des projets de restauration aquatique visent uniquement à améliorer l'habitat ou la qualité de l'eau, mais risquent de manquer d'autres services écosystémiques important".
Référence : Riis T et al (2020), Global overview of ecosystem services provided by riparian vegetation, BioScience, 70, 6, 501-514

19/08/2020

Le Canard enchaîné dévoile le jeu trouble de la "continuité écologique"

Le Canard enchaîné consacre un grand article au jeu politico-administratif trouble qui entoure la destruction à marche forcée des moulins, étangs et plans d'eau en France, au nom de la continuité écologique. Barbara Pompili, nouvelle ministre de l'écologie depuis cet été, dit vouloir prendre connaissance d'un dossier... qu'elle connaît en réalité par coeur pour en avoir été actrice depuis 2016, déjà au même ministère. Casser des ouvrages hydrauliques a peut-être été une forme particulière du "en même temps" cher à une certaine gouvernance: je détruis le patrimoine ancien mais en même temps je laisse polluer, réchauffer et vider l'eau des rivières. Or cela ne tient plus. Les cartes postales de soi-disant "rivière sauvage" crée à la pelleteuse sont des cautères sur une jambe de bois, des gabegies d'argent public, des diversions des enjeux prioritaires de l'écologie et des territoires. Barbara Pompili devra trancher le noeud gordien. Les associations doivent l'y aider en demandant à leurs députés et sénateurs de l'interpeller au parlement pour engager l'arrêt de la casse des ouvrages hydrauliques et la promotion de leur gestion écologique. 

Extrait du Canard enchaîné, droits réservés.

Dans un remarquable article du Canard enchaîné  intitulé "les moulins à eau condamnés au naufrage" (19 août 2020), le journaliste Alain Guédé décrit de manière très juste et visiblement bien informée la campagne insensée de destruction des moulins, des étangs, des barrages et des plans d'eau que mène une fraction de l'administration publique depuis 10 ans.

En particulier, le journaliste souligne l'opposition entre les politiques, (ministres, parlementaires) qui ne cessent de dire que la loi de 2006 ne signifie pas la destruction des ouvrages hydrauliques, et l'administration (direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, office français de la biodiversité ex Onema, agences de l'eau), qui poursuit son propre agenda en organisant la pression règlementaire et financière pour favoriser les arasements d'ouvrage.

Dans le même temps, comme le souligne Alain Guédé, on ne cesse de trouver des excuses pour retarder la limitation sérieuse des pollutions de l'eau, et on dépense de l'argent public en faveur des acteurs économiques ayant le plus de poids dans les agences de l'eau. Le moulin que l'on casse de manière spectaculaire à la pelleteuse, c'est le cache-sexe de l'échec à mettre en oeuvre la directive cadre européenne sur l'eau qui ciblait en toute priorité le recul des pollutions chimiques. Et cela arrange pas mal de monde aux comités de bassin des agences de l'eau.



Dans cet article, la ministre de la transition écologique et solidaire Barbara Pompili dit vouloir "prendre connaissance du dossier".

Mais Barbara Pompili connaît parfaitement ce dossier! Elle a été secrétaire d'Etat à la biodiversité auprès de Ségolène Royal en 2016, présidente de commission Développement durable de l'assemblée nationale après 2017. A ce poste, nul n'ignore que la continuité écologique a déjà déclenché deux rapports d'audit du commissariat général de l'environnement et du développement durable, irrigué plusieurs rapports parlementaires, provoqué le vote de plusieurs amendements dans les lois récentes, suscité des centaines de questions députés et sénateurs indignés de voir détruits les moulins, les usines hydro-électriques, les réserves d'eau.

Le dossier est simple à comprendre pour Barbara Pompili: malgré l'appel à la "continuité écologique apaisée" et la réitération que la destruction n'est pas la seule solution ni la solution prioritaire, il y a dans l'administration placée sous sa tutelle des fonctionnaires qui persistent dans l'agenda contraire, à savoir prime financière à la seule casse des barrages, digues, seuils et chaussées, harcèlement règlementaire afin de rendre si complexe et coûteuse la propriété d'un ouvrage hydraulique que l'on est poussé à en accepter la disparition.

Ces pratiques reviendront à la figure de Barbara Pompili aussi longtemps qu'elles persisteront, par exemple en ce moment même l'élaboration des SDAGE où les services de l'Etat demandent d'accorder le maximum de financement à la casse du patrimoine hydraulique français. Madame la ministre et son cabinet n'échangent pas avec les directions administratives des agences de l'eau?

En réalité, cette question de la continuité écologique est un noeud gordien des représentations de l'écologie, et en particulier de la conservation de la biodiversité :
  • soit on a une écologie de la nature sans l'humain voire contre l'humain, qui vise à restaurer de la "rivière sauvage" et à interdire des usages, car la seule bonne et véritable nature serait celle qui est libre de toute interférence avec des contraintes humaines. En ce cas, on milite pour faire disparaître toute trace de modification humaine d'un milieu physique, comme par exemple des moulins, étangs, barrages et lacs sur une rivière. C'est l'idéologie (dite aujourd'hui "conservationniste traditionnelle" ou "mainstream") de nombreux agents en charge de la biodiversité, mais aussi le paradigme d'une partie des experts et chercheurs conseillant la technocratie (ou hydrocratie, disent d'autres chercheurs...); 
  • soit on a une écologie de la conciliation, qui prend acte des nouveaux écosystèmes de l'Anthropocène (la nature avec l'humain), de la construction socio-historique de la nature et de la nécessité de composer de nouveaux paysages du vivant, ce qui correspond à la "nouvelle conservation" ayant émergé depuis 15 ans, sur la base de travaux scientifiques actualisant nos connaissances mais aussi sur la base des nombreux conflits ayant émaillé l'histoire de la création de réserves sauvages en ignorant les populations et leurs attentes. Ces nouveaux paysages du vivant pourront être "sauvages" (au sens de peu impactés par l'humain) ou "hybrides" (au sens de co-construits par l'humain), l'enjeu n'est plus de chercher partout une naturalité idéale et perdue comme on le faisait au 20e siècle, mais de cibler ce qui dégrade le plus le vivant, de viser la préservation des espèces les plus menacées et de travailler aussi bien à la biodiversité ordinaire. 
Ce noeud gordien, Barbara Pompili devra le trancher. Si ce n'est elle, un successeur. Car la controverse ne s'arrêtera pas. Les riverains des milieux, patrimoines et cadres de vie que l'on menace de détruire reviendront à la charge autant que nécessaire. Que chacun profite de la rentrée pour saisir les députés et sénateurs afin que cesse, une fois pour toutes, le harcèlement administratif contre le patrimoine hydraulique du pays.

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18/08/2020

Enquête sur la gestion piscicole des plans d'eau

L'Irstea (aujourd'hui Inrae) a publié voici quelques mois les résultats d'une enquête sur la gestion des plans d'eau en France, centrée sur le suivi piscicole par des associations et fédérations de pêche. Quelques résultats et commentaires.


L’ichtyofaune (populations de poissons) des cours d’eau français fait l’objet d’un suivi de longue date au travers du réseau hydrobiologique et piscicole (RHP) mis en place dès les années 1990 par le Conseil supérieur de la pêche (CSP). Mais la faune piscicole des plans d’eau est restée peu étudiée. Des campagnes de mesure ont été menées dans les années 2010 pour mettre au point des indicateurs de qualité en réponse à la directive cadre européenne sur l'eau de 2000 : indice ichtyofaune lacustre (IIL) et indice ichtyofaune retenues (IIR). Toutefois, 90% des plans d'eau ne sont pas répertoriés par la France, car les plus nombreux d'entre eux, installés sur des cours d'eau ou déconnectés, ne sont pas isolés aujourd'hui comme objets d'étude et de gestion à part entière.

L'Irstea (fusionné depuis dans l'Inrae) avait mené une enquête sur les plans d'eau en 1998. Une nouvelle étude vient de paraître. Un questionnaire a été envoyé à des structures de pêche (fédérations ou associations) qui gèrent des plans d'eau. Au total, 84 réponses ont été obtenus sur 70 départements. Au total, 964 plans d’eau ont été mentionnés au cours de l’enquête : 190 lacs naturels, 369 retenues, 107 gravières et 298 petits plans d’eau. Le chiffre est assez faible puisque la France compterait en réalité 500 000 plans d'eau.

Le nombre d’inventaires piscicoles sur la période 1989-2019 pour chaque type de milieu montre que les plans d'eau sont très peu suivis, avec moins de 10 relevés par an sur la période 1989-2012, davantage ensuite dans la phase de mise en place d'indicateurs IIL et IIR :



La principale activité en plan d'eau gérée par les pêcheurs est le déversement d'espèces :


Nombre de déversements rapportés sur 4 années :



Les six espèces principalement concernées par ces déversements sont : le brochet (Esox lucius), le gardon (Rutilus rutilus), le sandre (Sander lucioperca), la tanche (Tinca tinca), le black-bass  (Micropterus salmoides) et la perche (Perca fluviatilis). Elles représentent 73% des déversements totaux. Au total, 22 espèces sont concernées par des alevinages ou des empoissonnements :


Les actions sur l'habitat représentent 28% des interventions. Ce sont d'abord des entretiens dans 42% des cas (faucardage, entretien des berges), des améliorations dans 31% des cas (abris, récifs artificiels, réouverture de zones humides, passes à poissons, gestion des marnages, roselières) et des créations de frayères dans 27% des interventions, avec le brochet comme espèce cible dans la moitié des cas.

Des destructions d'espèces sont aussi observées sur 49 plans d’eau répartis dans 19 départements entre 2000 et 2018. Parmi les 15 espèces visées, le poisson chat est la plus fréquente.

Des introductions non contrôlées d’espèces ont été notées sur 149 plans d’eau : 6 gravières, 37 petits plans d’eau, 15 lacs naturels et 91 retenues. Le silure est la principale espèce de poisson introduite dans les plans d’eau français de manière incontrôlée (102 plans d’eau concernés). Le poisson-chat et la perche soleil sont les deux autres espèces de poissons les plus introduites. On note aussi l’introduction récente de gobie à taches noires (Neogobius melanostomus), d’écrevisses de Louisiane et de pseudorasbora (Pseudorasbora parva).

Au final, cette étude nous inspire plusieurs commentaires:
  • les plans d'eau sont peu suivis par rapport à leur importance numérique dans le réseau hydrographique français, ce qui témoigne d'un biais déjà observé pour les milieux lotiques plutôt que lentiques en ce qui concerne l'inventaire, la protection et la gestion des milieux aquatiques,
  • le suivi est orienté par la finalité halieutique et piscicole, car elle a des maîtres d'ouvrages spécialisés en interlocuteurs des experts, mais la recherche scientifique montre aussi l'importance écologique des plans d'eau pour d'autres assemblages (plantes, invertébrés, amphibiens, reptiles, mammifères, oiseaux) et leur rôle de conservation dans la biodiversité régionale, outre leurs usages sociaux,
  • il serait souhaitable de développer une gestion écologique intégrée des plans d'eau, et de mobiliser davantage en science participative d'autres acteurs à coté des structures de pêche (professionnels de la pisciculture, étangs et lacs de loisirs, particuliers)
Référence : Daupagne L et al (2019), Enquête sur la gestion piscicole des plans d’eau français. Synthèse nationale, Irstea, 60 p.

16/08/2020

Même en sécheresse et canicule, les inconscients dénigrent et détruisent les retenues d'eau

Alors que les civilisations sédentaires du néolithique stockent et canalisent l'eau depuis 5 millénaires, nous avons aujourd'hui quelques "sachants" expliquant que les retenues ne retiennent pas l'eau. Et les plus grands médias se font l'écho de leurs propos. A quoi riment ces absurdités alors que le changement climatique annonce des périodes de sécheresses et canicules à répétition, que déjà sous nos yeux des poissons meurent en masse dans des cours vidés d'eau? Quelle est cette idéologie délétère qui non seulement diabolise la création de retenues et de canaux, mais qui organise aussi leur destruction dans tous les territoires? Quand les lits et les puits seront à sec, croit-on que les responsables du désastre ne seront pas inquiétés? Si la modération des usages domestiques, agricoles et industriels en période de tension est une évidence, la nécessité d'avoir une politique de gestion des retenues d'eau l'est tout autant. Cette gestion inclut la dimension écologique des ouvrages. Aucun chantier ne doit réduire la ressource locale, et des projets de territoire doivent être construits autour de la maîtrise assumée des écoulements, cela tant par des solutions fondées sur la nature que par des solutions fondées sur la technique. 


Dans l'Aube comme ailleurs, un nombre croissant de rivières à sec en été. © L'Est éclair, droits réservés. 

Dans un article intitulé "Face à la sécheresse, les retenues d’eau artificielles, une solution de très court terme" (8 août 2020), le journal Le Monde donne la parole à des experts qui remettent en question l'intérêt des retenues d'eau. En voici l'extrait concerné.
« Bien sûr qu’il faut retenir l’eau, mais dans les sols, pas en surface où une bonne part va s’évaporer par fortes chaleurs, affirme l’hydrogéologue Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et vice-président du Groupe scientifique de réflexion et d’information pour un développement durable et de l’association Preva (Protection de l’entrée des volcans d’Auvergne). Des études récentes ont conclu que les pertes sur les lacs de l’Ouest américain peuvent atteindre 20 % à 60 % des flux entrants, c’est considérable. D’autres, réalisées en Espagne, ont conclu que dans les régions les plus équipées de barrages, les sécheresses sont deux fois plus intenses et plus longues. »

Les retenues d’eau assèchent les tronçons de rivières situés en aval, détruisent les écosystèmes, noient les zones humides. La problématique est la même pour les grandes bassines, explique-t-il en substance. « C’est donc une hérésie totale de faire passer les ressources en eau souterraines en surface au profit de seulement 6 % des terres équipées pour être irriguées », conclut-il.

Son point de vue est partagé par nombre d’hydrologues. Ainsi Florence Habets, chercheuse en hydrométéorologie (directrice de recherche CNRS et professeure attachée à l’Ecole normale supérieure) déclarait-elle au Monde, à l’été 2019 : «Le moyen le plus efficace de garder la ressource hydrique, ce sont les nappes et les sols qui se gorgent de volumes conséquents et les transfèrent vers le sous-sol. Augmenter nos capacités de stockage avec l’idée que nous pourrons poursuivre les mêmes activités, les mêmes cultures aux rendements fantastiques, est un leurre (…). En outre, le remplissage de ces infrastructures en automne peut contribuer à augmenter la durée des pénuries.»

Chaque année, sécheresses et canicules se répètent désormais. Chaque année, nous avons droit aux mêmes éléments de langage de la part de certains experts et médias. Nous avions déjà exprimé l'an passé notre irritation face à la manière dont les choses sont présentées.


Cette carte de l'Observatoire national des étiages (Onde) montre les rivières sans écoulement visible (orange) ou à sec (rouge) en juillet 2020.


Les chercheurs Inresta et Onema ont produit entre 2013 et 2016 une synthèse sur les effets cumulés des retenues (Carluer et al 2016). L'une de leurs principales conclusions est que le sujet est aujourd'hui très mal traité par la recherche en dehors du cas particulier des grands barrages-réservoirs. On manque des données physiques de mesure (rétention, infiltration, évaporation) sur les différents types de retenues, de géologie et d'hydrologie. A dire vrai, on ne sait même pas combien de plans d'eau sont présents sur les territoires, car la directive cadre européenne et son interprétation française les ont fait disparaître du radar (Touchart et Bartout 2020).

Le schéma suivant, extrait de cette expertise de 2016, rappelle que les retenues ont aussi un rôle d'infiltration de l'eau vers les sols et les nappes, ce qui est encore plus vrai quand ces retenues dérivent des canaux (servant à l'irrigation, l'énergie, l'agrément selon les cas) et donc multiplient les occasions d'échange hydrologique.



Si le but est de stocker et répartir (en surface, en sol, en nappe, en croissance végétale) les eaux excédentaires de l'autonome au printemps pour affronter de la meilleure manière possible les étés, comment les réseaux de retenues et de canaux peuvent-ils être jugés inutiles? Pourquoi réduire la question à la sécheresse agricole - certes, première cause de consommation d'eau en été -, alors que la sécheresse hydrologique a aussi comme enjeu la présence locale d'eau partout pour le vivant et pour la société? Les poissons des petites rivières et leurs riverains, les villages traversés par des biefs, les étangs et leurs habitants n'ont-ils pas eux aussi droit à la considération?

Voici 2 ans, huit scientifiques ont fait tourner des modèles climatiques et hydrologiques pour analyser la possible évolution des sécheresses au 21e siècle, en distinguant la sécheresse météorologique (défaut de précipitations), la sécheresse agricole (sols secs), la sécheresse hydrologique (baisse des nappes et débits). Leur travail (encore provisoire car les modèles doivent s'améliorer) montre que les épisodes de sécheresses devraient globalement s'aggraver dans la plupart des régions du monde, surtout aux latitudes moyennes comme la France et l'Europe. Plus on émet de gaz à effet de serre, plus l'impact sera fort: la prévention par transition énergétique est donc déjà une première nécessité. Les auteurs montrent aussi que l'on peut conjurer les sécheresses agricoles, mais au risque d'aggraver les sécheresses hydrologiques si l'usage de l'eau est localement excessif, notamment pour l'irrigation. Il devient donc indispensable d'avoir une vue précise de la ressource en eau de chaque bassin et de ses connexions à l'aval, tant pour les besoins de la société que pour la préservation des milieux aquatiques (Wan et al 2018).

Des travaux récemment parus montrent que la préservation des retenues de moulins, d'étangs ou de plans d'eau a des intérêts pour la gestion de l'eau. Or ces milieux sont aujourd'hui détruits et asséchés au nom d'une continuité écologique exigeant que toute l'eau passe dans le lit mineur et ne soit plus retenue, même si cela élimine des milieux aquatiques et humides en place comme des plans d'eau ou des canaux. Le résultat est souvent la discontinuité hydrique en été, avec des lames d'eau faibles offrant peu de refuge au vivant, voire des assecs éliminant toute vie aquatique.

Deux chercheurs de l'université d'Aix-la-Chapelle montrent que l'implantation millénaire des moulins à eau a modifié progressivement la morphologie des lits mineurs et majeurs des rivières de plaine d'Europe occidentale. Dans ce type de cours d'eau, la suppression des ouvrages de moulin (chaussées, écluses, déversoirs) conduit à des incisions de lit mineur, à des moindres débordements en lit majeur d'inondation (donc des assèchements), à des transferts de sédiments plus fins (plutôt jugés néfastes en colmatage de fond) (Maaß et Schüttrumpf 2019).

Une étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique (Al Domany et al 2020).

Deux chercheurs polonais ayant étudié l'effet morphologique, sédimentaire et hydrologique de moulins présents depuis 7 siècles sur une rivière notent que leur abandon s'est traduit par une perte de la capacité de rétention locale d'eau dans les nappes et de la rétention globale d'eau de surface dans le bassin versant (Podgórski et Szatten 2020).

Dix chercheurs européens ont tiré la sonnette d'alarme : les milieux aquatiques et humides anthropiques (d'origine humaine), qui représentent 90% des plans d'eau et 30% des surfaces en eau de l'Europe, ont été purement et simplement effacés du radar de la directive cadre européenne sur l'eau et de sa mise en oeuvre par chaque pays. Or, quoique créés par les humains, ces milieux ont des effets sur les cycles biogéochimiques, sur les services écosystémiques et sur la biodiversité (Koschorreck et al 2020).

Dans une récente revue, trois chercheurs soulignent que les besoins en eau des sociétés ont peu de chance de décroître à horizon prévisible, et que chaque bassin se retrouve confronté à la question d'un stockage optimal de l'eau (Eriyagama et al 2020). Cette optimalité concerne la forme des stockages, pouvant être concentrée/centralisée ou au contraire plus ou moins distribuée:



L'optimalité exige aussi de prendre en compte ensemble les dimensions écologiques, sociales et économiques des choix démocratiques :


De tels travaux sont nombreux (lire les textes référencés en bas de cet article). On en vient donc à se demander : est-ce au nom d'une idéologie, ou d'un pouvoir bureaucratique, que certains dénigrent les retenues d'eau? Quand vague de chaleur après vague de chaleur les milieux aquatiques français seront asséchés, tandis que l'administration aura bloqué les projets de retenues et détruit celles qui existent au nom du dogme de  la continuité prétendument "écologique", ces acteurs prendront-ils la responsabilité de leurs propos?

La question de l'eau est cruciale pour le vivant, avec un grand nombre d'espèces de milieux aquatiques et humides déjà sous pression, en état vulnérable. Elle est cruciale pour la société qui devra affronter des étés de plus en plus chauds et stressants. Elle est cruciale pour l'économie, dont des pans entiers sont à l'arrêt si les ressources sont taries. Il ne faut plus penser cette question selon des oppositions anciennes entre "naturel" et "artificiel" : des retenues gérées de manière écologiquement responsable, conçues ou aménagées pour ne pas entraver la circulation d'espèces qui en ont besoin, font partie des solutions. Ce n'est qu'un des outils d'une plus vaste panoplie. Mais un outil à assumer et utiliser.

Réponse à quelques idées reçues
Idée reçue #04: "Les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration de la rivière"
Idée reçue #09 : "Seuils, digues et barrages nuisent aux services rendus par les écosystèmes, qui demandent des rivières libres"
Idée reçue #10 : "Etangs et retenues réchauffent toujours les rivières et nuisent gravement aux milieux" 
Idée reçue #16: "L'évaporation estivale des retenues nuit fortement aux rivières"
Idée reçue #17: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique" 

Orientations pour une gestion durable de l'eau
Sécheresses et conditions climatiques extrêmes: les risques sont-ils correctement pris en compte dans la gestion des rivières?
Trois bilans à mener sur les bassins versants pour anticiper les crises de demain
Hausse des pluies extrêmes en France et rôle des ouvrages hydrauliques
Face aux sécheresses comme aux crues, conserver les ouvrages de nos rivières au lieu de les détruire
Le gouvernement doit cesser de négliger le rôle des plans d'eau, biefs et zones humides