30/08/2020

Les experts inventent les retenues d'eau qui ne retiennent pas l'eau

Le journal Le Monde nous gratifie d'une tribune d'expert qui le certifie : les retenues évaporent tellement qu'elles ne retiennent pas l'eau. Bizarrement, on fait des retenues depuis 200 générations humaines, même en région chaude, sans s'en être aperçu. Les rivières de France qui bénéficient de  soutiens d'étiage par des réservoirs ayant stocké l'eau d'hiver voient de l'eau en été, quand d'autres subissent des assecs ou des débits très faibles après la destruction des ouvrages formant retenue. Se pourrait-il que les experts militants nous racontent la moitié de l'histoire parce qu'ils défendent une certaine idéologie de la nature? C'est hélas l'hypothèse la plus probable. 



Dans le journal Le Monde (29 août 2020), Christian Amblard (directeur de recherche honoraire au CNRS, vice-président Groupe scientifique de réflexion et d’information pour un développement durable) se livre à une charge violente contre les retenues d'eau.

Il affirme :

"Les barrages sur un cours d’eau assèchent les secteurs situés à leur aval et détruisent ainsi tous les écosystèmes, notamment les agroécosystèmes. Ils brisent la continuité écologique et constituent un obstacle pour beaucoup d’espèces comme les poissons migrateurs. Ils détruisent aussi, en les noyant, les zones humides situées en amont qui jouent un rôle très utile d’éponge, en stockant l’eau en période humide et en la restituant en période sèche.

Alors que les réserves souterraines ne sont pas sujettes à l’évaporation, les retenues d’eau superficielles subissent une très forte évaporation en période de grosses chaleurs et conduisent ainsi à une perte importante de la ressource en eau. Des études récentes (publiées notamment, en 2018, par Katja Friedrich, de l’université du Colorado Boulder, et par Florence Habets et Jérôme Molenat, de Sorbonne Université) montrent que les pertes par évaporation sur les lacs de l’Ouest américain varient de 20 à 60 % des flux entrants. C’est donc une hérésie totale de faire passer en surface les ressources en eaux souterraines, qui assurent une humidification généralisée des sols, pour en perdre une part considérable par évaporation."

Il faut certainement être membre du CNRS pour découvrir qu'une retenue d'eau ne retient pas l'eau, après 5000 ans d'usage des barrages et des digues par les sociétés humaines.

La publication citée de Katja Friedrich et al 2018 est un constat que les services états-uniens de gestion ne disposent pas de mesures correctes des évaporations des grands réservoirs. En rien cette publication n'est une condamnation des retenues, elle vise à optimiser leur gestion en situation de changement climatique : "Une meilleure compréhension, estimation et prévision des taux d'évaporation aidera à gérer cette perte d'eau plus efficacement, en particulier lorsque l'eau est rare", disent les auteurs. Une raison évidente est que si une retenue a accumulé 1 million de m3 en hiver et en évapore 50% en été, cela signifie qu'il reste 500.000 m3 pour des usages humains et pour le vivant. Outre que l'eau évaporée se recondense dans le cycle de l'eau. Que la retenue ne soit pas optimale ne signifie pas qu'elle soit inutile. Mais cela semble échapper à Christian Amblard. Ou alors cela ne lui échappe pas, mais il préfère ne pas l'expliquer aux lecteurs.

La publication citée de Florence Habets et al 2018  est consacrée à la difficulté de connaître et modéliser l'impact réel d'une succession de petits réservoirs sur un bassin versant. Les auteurs soulignent les diverses incertitudes, du fait de la rareté des travaux et de la diversité des indicateurs d'impacts. Concernant les données empiriques (les seules qui vaillent), il est dit dans cet article: "les impacts cumulatifs des petits réservoirs sur l'hydrologie sont le plus souvent estimés à partir du débit annuel, des débits minima et des crues. Il existe un consensus général sur le fait que des ensembles de petits réservoirs entraînent une réduction des pics de crue (Frickel, 1972; Galea et al., 2005; Nathan et Lowe, 2012; Thompson, 2012; Ayalew et al., 2017) allant jusqu'à 45%, d'autant plus que certains réservoirs sont construits comme bassins de rétention des eaux pluviales (Fennessey et al., 2001; Del Giudice et al., 2014). Cependant, une inondation excessive ou une rupture de barrage peut entraîner de grandes inondations (Ayalew et al., 2017), qui peuvent entraîner des victimes, y compris des morts (Tingey-Holyoak, 2014). Ces défaillances peuvent être plus fréquentes pour les petits barrages que pour les grands barrages en raison du manque de politiques adaptées, ce qui peut conduire à un manque d'entretien et à une tendance à stocker l'excès d'eau pour garantir la production (Pisaniello, 2010; Camnasio et Becciu, 2011; Tingey-Holyoak, 2014). On signale également fréquemment que les faibles débits diminuent lorsqu'un ensemble de petits réservoirs est présent dans un bassin (Neal et al., 2000; O'Connor, 2001; Hughes et Mantel, 2010; Nathan et Lowe, 2012; Thompson, 2012) avec une large dispersion (0,3 à 60%), bien que l'eau stockée peut parfois être utilisé pour maintenir un débit minimal (Thomas et al., 2011). La majorité des études se sont concentrées sur le débit annuel des cours d'eau, faisant état d'une diminution du débit annuel moyen allant de 0,2% (Hughes et Mantel, 2010) à 36% (Meigh, 1995). En moyenne, dans environ 30 références, la diminution du débit annuel moyen atteint 13,4% ± 8%".

Cette référence n'informe donc pas sur le volume et l'usage qui est fait de l'eau retenue, sur les échanges au fil de l'an avec les nappes et les sols, etc. Au demeurant, ce travail fait partie d'une expertise conjointe Irstea-Inra dont la principale conclusion était le manque de données robustes disponibles sur cette question. Quand un scientifique n'a pas de données fiables, il ne conclut pas autre chose que la nécessité d'acquérir des connaissances. Il est assez effarant de voir des scientifiques qui exigent des orientations publiques fortes sur des bases faibles. Mais dans le domaine de l'eau, nous sommes habitués à être effarés...

D'autres travaux existent que ceux cités par Christian Amblard (et d'ailleurs Florence Habets, qui prend elle aussi volontiers la parole de manière critique sur ce thème), nous en rappelons quelques-uns ci-dessous. Comme ces travaux sont ignorés, on est obligé de supposer que Christian Amblard s'exprime comme un militant davantage que comme un chercheur dans Le Monde. C'est tout à fait son droit, mais il importe de prévenir les citoyens que les expertises sur l'eau ne sont pas neutres et reflètent souvent l'idéologie de leurs auteurs.

Si les citoyens préfèrent détruire les retenues pour se retrouver avec des rivières à sec ou réduites à des filets d'eau en été, libre à eux. Mais qu'on leur présente les enjeux tels qu'ils sont. Ces enjeux sont par exemple les suivants :
  • quelle eau veut-on sauvegarder, où et pour quels usages?
  • quelles solutions ont montré la capacité à disposer d'eau localement?
  • comment stocke-t-on une part plus importante des excès d'eau de l'automne au printemps, au lieu de les laisser filer à la mer? 
  • quelles connaissances a-t-on sur ce qui retient l'eau dans les sols, les nappes, la végétation riveraine, que ce soit par des moyens techniques ou naturels, les uns n'étant pas exclusifs des autres?
  • quelle rivière veut-on pour ce siècle, "renaturée" quitte à avoir des assecs réguliers car la nature le veut ou préservant des retenues et plans d'eau qui existent souvent depuis le Moyen Age, voire plus tôt?
Christian Amblard a certainement raison dans d'autres préconisations de son article, visant à déployer de nombreux moyens pour conserver l'eau dans différents milieux. Mais la diabolisation des retenues est une absurdité. Nos ancêtres, qui respectaient les sols agricoles, qui n'avaient pas de grandes villes bétonnées, qui ne connaissaient pas le réchauffement moderne, souffraient déjà régulièrement de crues et de sécheresses sévères. Les cartes anciennes montrent que chaque rivière, chaque ruisseau ou presque avait ses retenues. Retrouvons un peu de bon sens, d'humilité et de respect des visions différentes de l'eau, au lieu de se croire investis de certitudes et d'engager des croisades. 

Quelques études qui contredisent la vision en noir et blanc des experts militants

Une zone humide naturelle évapore davantage qu'un étang, contrairement aux idées reçues (Al Domany et al 2020)
Cette étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique. "En termes de politique française de l’eau et d’aménagement du territoire limousin, la préconisation d’effacer les étangs en arguant de leurs effets supposément négatifs dont la diminution de la ressource en eau mérite donc d’être fortement nuancée et de s’appuyer sur plus de données scientifiques rigoureuses."
Al Domany M et al (2020), Une zone humide perd-elle autant, moins ou davantage d’eau par évapotranspiration qu’un étang par évaporation ? Etude expérimentale en Limousin, Annales de géographie, 731, 83-112

Les moulins aident à retenir l'eau dans les bassins versants (Podgórski et Szatten 2020)
Deux chercheurs polonais ayant étudié l'effet morphologique, sédimentaire et hydrologique de moulins présents depuis 7 siècles sur une rivière notent que leur abandon s'est traduit par une perte de la capacité de rétention locale d'eau dans les nappes et de la rétention globale d'eau de surface dans le bassin versant. "Le déclassement des moulins à eau a entraîné un certain nombre de changements importants dans les ressources en eau. Les plus importants d'entre eux sont: la perte de capacité de rétention d'eau dans le bassin versant de la Struga Rychnowska et la baisse du niveau des eaux souterraines à proximité immédiate des anciens réservoirs d'eau. Actuellement, un intérêt renouvelé pour les anciens emplacements des moulins à eau existe, afin de restaurer la rétention d'eau et de les utiliser à des fins de petites centrales hydroélectriques modernes"
Podgórski Z et Szatten D (2020), Changes in the dynamics and nature of sedimentation in mill ponds as an indicator of environmental changes in a selected lake catchment (Chełmińskie Lake District, Poland), Water, 12, 1, 268
Donati F et al (2019), Do rivers upstream weirs have lotics or lentics characteristics?, Geographia Technica, 14, 2, 1-9

Supprimer les ouvrages des moulins à eau incise les rivières et assèche leurs lits majeurs (Maaß et Schüttrumpf 2019)
Deux chercheurs de l'université d'Aix-la-Chapelle montrent que l'implantation millénaire des moulins à eau a modifié progressivement la morphologie des lits mineurs et majeurs des rivières de plaine d'Europe occidentale. Dans ce type de cours d'eau, la suppression des ouvrages de moulin (chaussées, écluses, déversoirs) conduit à des incisions de lit mineur, à des moindres débordements en lit majeur d'inondation (donc des assèchements), à des transferts de sédiments plus fins (plutôt jugés néfastes en colmatage de fond). "Les lits majeurs autour des zones de retenue de l'eau sont plus souvent inondées pendant la période d'activité des moulins que ceux précédant leur construction  en raison des niveaux d'eau plus élevés de la retenue au déversoir, ce qui entraîne une sédimentation relativement élevée dans les plaines inondables. Après l'élimination des moulins, les niveaux d'eau ne sont plus surélevés. Dans les chenaux, le débit ralenti en amont des seuils des moulins entraîne le dépôt de sédiments dans la zone de retenue. La période entre la construction et la destruction des moulins a été si longue que les taux d’inondation du lit majeur et, par conséquent, la sédimentation de ce lit majeur ont diminué en raison de l’augmentation de la hauteur des rives."
Maaß AL, H. Schüttrumpf (2019), Elevated floodplains and net channel incision as a result of the construction and removal of water mills, Geografiska Annaler: Series A, Physical Geography, DOI: 10.1080/04353676.2019.1574209

"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)
Des chercheurs montrent les arbres déclinent dns zones amont de seuils effacés avec divers dysfonctionnements de la plaine alluviale, que des petits barrages dont l'examen démontre qu'ils ne forment pas d'entraves à la mobilité sédimentaire… ce qui les amènent à interroger le discours de justification de ces opérations. "Au cours de la dernière décennie, l'effacement des barrages et des seuils a été promu pour améliorer la continuité au long de nombreuses rivières. Cependant, de telles politiques soulèvent de nombreuses questions socio-écologiques telles que l'acceptabilité sociale, l'intégration des différents usages de la rivière, et l'impact réel sur les écosystèmes de cette rivière"
Dufour S et al (2017), On the political roles of freshwater science in studying dam and weir removal policies: A critical physical geography approach, Water Alternatives, 10, 3,  853-869

Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017)
Une dizaine de biologistes publie une perspective dans Biological Conservation soulignant que les réservoirs des grands barrages ont aussi des intérêts écologiques : ils servent de refuges face aux sécheresses, bloquent des espèces invasives, forment des écosystèmes lacustres ayant leur propre diversité. L'avenir à long terme du vivant après leur effacement n'est pas garanti si l'écosystème originel de la rivière a été très modifié. Et la valeur de l'eau stockée dans les retenues a par ailleurs toute chance de devenir plus forte en situation de réchauffement. "Dans des cours d'eau menacés de sécheresse où les refuges naturels seront perdus, l'implication des projections climatiques sur la valeur des barrages et les impacts de leur suppression doit être prise en compte par les chercheurs et les décideurs".
Beatty S et al (2017), Rethinking refuges: Implications of climate change for dam busting, Biological Conservation, 209, 188–195

Réponse négative de la végétation riveraine à la suppression d'ouvrages hydrauliques (Depoilly et Dufour 2015)
Une étude de long terme faite sur la végétation riveraine de deux fleuves côtiers bas-normands (Orne, Vire) montre que les arbres situés à l'amont de deux ouvrages de moulins effacés en 1997 ont connu une baisse significative de croissance, en particulier les aulnes. Pour les chercheurs, les écosystèmes aquatiques, les écosystèmes riverains, le bâti historique et les pratiques sociales doivent être davantage intégrés dans la programmation multidisciplinaire de la restauration de continuité écologique. "Les résultats de cette étude illustrent en partie la complexité des enjeux politiques et opérationnels qui s’articulent autour de la stratégie de restauration de la continuité écologiques des cours d’eau par suppression des ouvrages de type seuils ou petits barrages. En effet, cette stratégie soulève la question de notre capacité à combiner les effets de telles opérations sur des plans multiples, relevant des dimensions écologistes et socio-culturelles."
Depoilly D et Dufour S (2015), Influence de la suppression des petits barrages sur la végétation riveraine des cours d'eau du nord-ouest de la France, Norois, 237, 51-64

Par ailleurs, de très nombreux travaux scientifiques montrent que les plans d'eau hébergent de la biodiversité et rendent des services écosystémiques. Vous pouvez lire et surtout diffuser ce dossier de 100 références scientifiques produit par la coordination Eaux & rivières humaines. La négation des nouveaux écosystèmes créés au fil de l'histoire par les sociétés humaines relève souvent d'une vision intégriste de la "nature sauvage" comme seule référence possible de la réflexion écologique. Ces vues radicales et marginales n'a pas vocation à devenir la doctrine d'intérêt général de nos politiques publiques.

28/08/2020

La continuité apaisée se met en mode déni de réalité dans le Moniteur

Après le Canard enchaîné, le journal le Moniteur revient sur le décret du 30 juin 2020 qui doit permettre aux casseurs de moulins, barrages, canaux et étangs d'agir sur simple déclaration sans enquête publique pour consulter les citoyens, sans étude d'impact pour analyser les milieux et enjeux. On constate que les services de l'Etat sont encore dans le déni de réalité: le rejet par les riverains de l'absurdité de détruire le patrimoine de leur rivière et de mettre à sec les écosystèmes crées par les ouvrages humains. L'urgence écologique, c'est tout sauf cela en 2020. 


Derrière le blabla bureaucratique de la continuité apaisée, la pelleteuse qui continue de détruire un à un les ouvrages hydrauliques, leurs usages, leurs paysages, leurs milieux associés. On attend du ministère un ordre clair à ses services : la destruction est la solution de dernier recours, les ouvrages ont de la valeur. 

Dans un article du Moniteur, on relève la colère du monde des moulins après le décret scélérat du 30 juin 2020 qui fait entrer les opérations dites de restauration écologique dans le régime de la simple déclaration, cela quel que soit le linéaire impacté. Le problème est que tout et surtout n'importe quoi est devenu de la "restauration écologique" en France. Par exemple, on pourra supprimer une retenue de 10 hectares ou un ouvrage avec canal de 2000 m sans passer par une autorisation avec étude d'impact sur les milieux et enquête publique auprès des riverains de ces sites. Il suffira d'un accord en catimini entre maître d'ouvrage et services de l'Etat, avec dossier bâclé et parfaite indifférence aux milieux perturbés.

Et pour cause, l'ouvrage hydraulique est le diable dans le dogme véhiculé  depuis 10 ans par une fraction militante des services de l'Etat et par quelques lobbies intégristes du "retour à la nature sauvage sans l'homme" ou de la pêche de loisir aux salmonidés comme soi-disant protection de milieux aquatiques. Rien à voir avec les analyses bien plus nuancées des scientifiques, qui ne trouvent pas que des désavantages aux ouvrages et qui tirent la sonnette d'alarme sur l'impossibilité d'une écologie sans intégrer les attentes des riverains.



On peut encore lire dans cet article du Moniteur des choses assez fausses de la part de l'Etat et de certains acteurs du CNE. Ainsi :
Loin des situations décrites dans le Canard enchaîné, les services de l’Etat sont formels : «Aucun seuil ne peut être détruit sans l’accord du propriétaire».
D'abord, le propriétaire n'est pas le seul concerné par un ouvrage hydraulique, et c'est bien le problème du décret scélérat. Une retenue, un bief, un plan d'eau, cela concerne aussi des tiers riverains et ce sont aussi des milieux aquatiques. Un dialogue restreint au propriétaire isolé et au fonctionnaire jacobin, ce n'est pas la bonne manière de procéder. Il faut écouter les gens en France, cesser de faire n'importe quoi au gré des modes des experts qui se contredisent: l'Etat ne voit-il pas la colère du pays et le rejet de ses politiques autoritaires décidées dans un bureau à Paris, pas seulement sur la continuité écologique?

Ensuite, l'administration dissimule toujours la réalité, ce qui n'est pas propice à l'apaisement. Aujourd'hui, les propriétaires reçoivent d'un côté une mise en demeure des services du préfet demandant de mettre leur ouvrage aux normes de la continuité écologique, avec souvent l'option la plus exigeante (passage de toutes espèces même non migratrices), et de l'autre côté ils reçoivent un message de l'agence de l'eau et du syndicat de rivière disant "désolé, la seule solution financée à 100% par l'argent public est l'effacement, pour la passe à poissons vous devrez payer cher de votre poche, 40 à 60% du coût".

Rappelons que cette position est intenable : la loi a prévu expressément le droit à indemnisation quand un particulier est confronté à des charges exorbitantes d'intérêt général. Donc la seule chose à faire pour le propriétaire, c'est de répéter au préfet par courrier recommandé qu'il attend le financement des solutions non destructrices de son ouvrage autorisé. Quand il y a des associations actives comme Hydrauxois et ses consoeurs sur leurs basins bourguignons, les propriétaires sont informés, les préfets reçoivent régulièrement des courriers recommandés de notre part rappelant que nous irons au contentieux si un seul propriétaire adhérent est laissé sans solution solvable de non-destruction de son site. Mais ailleurs, quand il n'y a pas d'association ou de collectif, quand le propriétaire est isolé et en situation de faiblesse, la pression marche, l'arasement ou dérasement passe en force.


"Claude Miqueu se montre d’autant plus déterminé que selon lui, « 95 % des dossiers ne posent aucun problème ». Avant la fin de son mandat, il espère ériger le bassin Adour Garonne comme référence française en matière de continuité écologique apaisée."
Nous pensions que M. Miqueu était plus sérieux. Les dossiers d'aménagement de ponts, de buses, ou d'ouvrages béton de soutien de berge des années 1970 ne sont pas problématiques en général. En revanche, dès que cela concerne des barrages, des moulins, des étangs, des plans d'eau, des canaux d'irrigation, les problèmes sont permanents.

Si M. Miqueu vient sur nos bassins versants, il constatera que 60 à 80% des ouvrages en rivières classées liste 2 sont aujourd'hui en situation de blocage, car les propriétaires ont refusé la seule offre payée sur argent public, à savoir la casse du site (sans indemnisation de la perte de valeur foncière dans le cas du moulin, qui devient simple maison en zone inondable, incapable de produire son énergie).

Au demeurant, le retard massif a été constaté par le rapport CGEDD 2016 : si les gens étaient enthousiastes des solutions proposées, la continuité écologique n'aurait pas accumulé les énormes blocages observés, cela dès le PARCE 2009 où le travail sur les "ouvrages pilotes" avait déjà été un échec en terme d'acceptabiltié et d'efficacité.

La continuité ne sera pas apaisée avec ces manipulations à destination des médias qui ne reflètent en rien la réalité de terrain. Des fédération de moulins et de riverains peuvent être invitées au comité national de l'eau, si le CNE ne retient rien de leurs demandes et que le ministère de l'écologie persiste sur sa lancée, il ne faut rien espérer.

La continuité apaisée a trois conditions minimales :
  • le ministère de l'écologie instruit ses agents que les ouvrages autorisés (moulins, étangs, plans d'eau et autres) doivent être respectés et non détruits, car ils sont conformes à la doctrine française de gestion équilibrée et durable de l'eau;
  • les agences de l'eau cessent de donner la prime à la casse par le soutien maximal à la destruction et le soutien minimal à la passe à poissons ou autres moyens de franchissement, elles accordent au contraire le taux maximal aux solutions douces, multi-usages et consensuelles de franchissement;
  • les ouvrages hydrauliques sont considérés comme des atouts pour les territoires avec une doctrine de gestion équilibrée de l'eau consistant à encourager leur équipement énergétique, favoriser leur stockage d'eau, améliorer leur richesse écologique, soutenir leur animation culturelle et touristique. 
L'apaisement, c'est le respect : une large proportion des représentants de l'Etat, des établissements administratifs et des syndicats de rivière ne respectent toujours pas les ouvrages hydrauliques en 2020. On récolte ce que l'on sème : ce sera de la colère si ce personnel vient encore proposer des financements à 100% pour les seules destructions de site. 

26/08/2020

Députés et sénateurs attendent de Barbara Pompili une clarification sur les ouvrages hydrauliques

Les parlementaires ne comprennent toujours pas : alors qu'ils votent des lois demandant d'aménager sans les détruire les moulins et étangs, mais aussi de favoriser l'équipement hydro-électrique de ces sites, les administrations et les syndicats en charge des rivières semblent avoir comme principale ambition d'en supprimer le plus grand nombre et de compliquer les projets. Qui fait la loi dans notre pays, sinon la volonté du parlement élu? Combien de temps l'administration va-t-elle essayer de déroger à ce que lui disent sans relâche les élus de la République, législature après législature? Cet été, les députés Borowczyk et Perrot, les sénateurs Gabouty et Bonne ont encore interpellé le ministère de l'écologie à propos de cette anomalie. La continuité "apaisée" dont se prévaut fort hypothétiquement le gouvernement, cela consiste à revenir à la loi : valoriser les ouvrages hydrauliques et leurs milieux en améliorant les conditions des poissons migrateurs, mais aussi en respectant les autres usages de l'eau et les autres formes de biodiversité. Tant que tous les fonctionnaires des services techniques des syndicats, des DDT-M, des agences de l'eau, de l'OFB et de la direction ministérielle ne seront pas sur cet horizon de gestion défini par le législateur, il y aura des problèmes de terrain. 



Cet article de la Nouvelle République montre que de nombreux gestionnaires de l'eau n'ont pas intégré les principes d'une politique apaisée de continuité et persistent dans un discours conflictuel où l'ouvrage, réduit à l'état de "verrou", doit disparaître. Que ce discours soit tenu par des militants d'associations privées ou des représentants de lobbies, pourquoi pas. Par des représentants d'administrations ou de structures à agrément public, c'est un problème, car la loi française n'a jamais donné mandat à quiconque pour détruire le patrimoine installé et ses nouveaux écosystèmes.

A l'Assemblée nationale

Question N° 30543de M. Julien Borowczyk (Loire)
M. Julien Borowczyk interroge Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur l'avenir des moulins. La destruction des seuils des moulins, dont 90 % ne constituent pas d'obstacles à la continuité écologique (source OFB), parce qu'ils offrent des avantages écologiques incontournables d'une part, serait inopportune. En effet, lorsque les hommes ont construit la plupart des seuils de moulins, au moyen-âge, ils n'ont rien inventé, ils se sont contentés de copier ce que les castors avaient fait. Leurs ouvrages ont les mêmes propriétés écologiques : biodiversité, amélioration de la qualité de l'eau, alimentations des zones humides. D'autre part, sur le versant économique, les moulins peuvent retrouver leur utilité par la production d'électricité qui contribue à une certaine indépendance énergétique et la production de farine, ingrédient indispensable en période de confinement. Il souhaite connaître son avis sur ce sujet.

Question N°30943 de M. Patrice Perrot (Nièvre) 
M. Patrice Perrot appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la mise en œuvre des dispositions de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, relatives au développement de la production d'hydroélectricité. Pour répondre à l'objectif de neutralité carbone à 2050 et de réduction de 40 % de la consommation d'énergies fossiles d'ici 2030, l'article 1er de ladite loi a ainsi modifié l'article 100-4 du code de l'énergie afin que les politiques nationales encouragent la production d'énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité. Les propriétaires de moulins qui souhaitent valoriser leurs installations en développant des pico centrales, dans le respect de la continuité écologique, s'inquiètent de la traduction concrète de cette disposition. En effet, les délais d'instruction par les services compétents sont souvent très longs et les démarches administratives lourdes. Par ailleurs, les études demandées à la charge du propriétaire sont parfois excessives en termes de coûts, qui pèsent sur la rentabilité même du projet. Alors que l'optimisation des équipements existants peut constituer un élément de l'accroissement de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et que la loi fixe un objectif en matière de développement de la petite hydroélectricité, il lui demande quelles instructions ou mesures concrètes auraient d'ores et déjà ou seront prochainement prises pour confirmer l'ambition ainsi portée par ladite loi.

Au Sénat

Question n° 17482 de M. Jean-Marc Gabouty (Haute-Vienne) 
M. Jean-Marc Gabouty attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les modalités d'application des articles L. 214-18-1 et L. 214-17 du code de l'environnement.
Le législateur, souhaitant répondre à l'urgence écologique et climatique, a posé divers objectifs et notamment la nécessaire restauration de la continuité écologique des cours d'eau tout en tenant compte d'impératifs comme la protection du patrimoine - par exemple des moulins à eaux.
En 2019, le code de l'énergie a complété son arsenal législatif en introduisant un 4° bis à l'article L. 100-4 en mentionnant parmi les énergies renouvelables « la production d'électricité hydraulique, notamment la petite électricité ».
En Haute-Vienne, ainsi que dans de nombreux départements, se situent des moulins «régulièrement» installés au sens de l'article 2 de l'article L. 214-17 du code de l'environnement - comme par exemple le moulin de Bersac sur la commune de Rancon – qui ont vocation à produire de l'électricité.
La réponse publiée le 9 août 2018 (p. 4198) à la question écrite sénatoriale n° 1 874 - mentionne une lecture et une application sensibles des articles L. 214-17 et L. 214-18-1 du code de l'environnement ; et suggère la lecture de divers documents pour en faciliter l'application et la compréhension par les propriétaires, les associations de défenseurs de moulins et de cours d'eau ainsi que par les services de l'État. Sont cités le guide réalisé par les fédérations de défense des moulins et l'association française des établissements publics territoriaux de bassin ou encore le «plan d'action pour une mise en œuvre apaisée de la continuité écologique» ainsi que le règlement européen n° 1100/2007 du conseil en date du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes.
L'application de ces articles nourrit des contentieux avec l'administration et semble susciter encore des divergences d'interprétation entre les fédérations de défense de moulins ou de cours d'eau et les services de l'État.
En conséquence, il lui demande de clarifier les conditions d'application des articles L. 214-18-1 et L. 214 - 17 du code de l'environnement.

Question écrite n° 16736 de M. Bernard Bonne (Loire) 
M. Bernard Bonne attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la nécessaire valorisation du patrimoine hydraulique des rivières dans notre pays.
Malgré 2 milliards d'euros dépensés chaque année par les agences de l'eau, les résultats ne sont pas au rendez-vous et la fracture entre les politiques nationales et les réalités de terrain s'accentue. Or, durant la crise du Covid-19, les petites centrales hydro-électriques ont continué à produire de l'énergie bas carbone, les moulins ont repris ou augmenté leur production d'huile ou de farine afin de faire face aux difficultés d'approvisionnement.
Plus généralement, face aux risques majeurs que notre pays affronte, manque d'indépendance énergétique, retard dans la production bas carbone, sécheresses et canicules, mais aussi grandes crues, déclin de la biodiversité, les ouvrages hydrauliques sont une réponse pertinente.
Or, contrairement à l'esprit de la loi de 2006 qui prévoit explicitement de « gérer, entretenir et équiper » les ouvrages hydrauliques et d'indemniser les charges exorbitantes résultant de travaux de continuité écologique là où ils sont indispensables, l'État dépense l'argent public pour détruire et assécher les seuils de moulins dont 90 % d'entre eux ne constituent pas des obstacles à la continuité écologique.
Aussi, alors que près de 50 000 sites sont ainsi disponibles pour mener une politique locale et active pour l'eau, le climat et les paysages, la biodiversité mais aussi l'économie locale, il souhaite savoir si le Gouvernement entend préserver nos moulins et étangs et non les détruire, et mener une réelle politique de co-construction avec les acteurs de terrain.

24/08/2020

Ce que les riverains européens pensent des petites centrales hydro-électriques au fil de l'eau (Venus et al 2020)

Une équipe européenne de chercheurs a mené une enquête qualitative dans trois pays (Suède, Portugal, Allemagne) pour comprendre la représentation de la petite et moyenne hydro-électricité au fil de l'eau par les riverains. Il en ressort que la capacité à disposer d'une énergie locale indépendante d'intérêt public et la lutte contre le changement climatique sont les deux axes dominants dans les esprits des riverains. L'idée de relancer et équiper des ouvrages existants plutôt qu'en construire de nouveaux figure parmi les plus populaires. Mais il y a aussi des préoccupations sur les écosystèmes et sur les cadres de vie, dont les porteurs de projet devront prendre compte. La capacité à développer de nombreux sites de production décentralisée et de dimensions modestes est un des éléments clé de la transition énergétique, qui ne repose plus seulement sur un maillage de très grosses unités de production. 


Petite centrale hydro-électrique au fil de l'eau, installée dans un ancien moulin (droits réservés). L'idée de ré-utiliser les infrastructures en place plutôt que d'en construire de nouvelles figure parmi les plus appréciées dans l'enquête de riveraineté menée par Terese E. Venus et ses collègues.

Dans l'Union européenne, l'hydroélectricité représente une composante importante de la transition vers les énergies renouvelables, en partie grâce aux infrastructures qui ont été installées au fil des deux derniers siècles. L'Europe a une longue histoire d'exploitation de l'hydroélectricité et une large proportion de son potentiel disponible a été exploitée, d'abord par des réseaux de moulins, puis par des constructions de barrages de plus grandes dimensions, sur les fleuves ou dans les montagnes.

Comme le rappellent Terese E. Venus et ses collègues, "la majorité des sites de grandes usines ayant déjà été aménagée, environ 75% des futurs projets seront de petite ou moyenne capacité (Kelly-Richards et al., 2017; Paish 2002). (...) La majorité de ces petites centrales hydroélectriques sont des systèmes au fil de l'eau (Manzano-Agugliaro et al 2017). Pour faire la distinction entre différentes technologies, l'hydroélectricité au fil de l'eau génère de l'énergie à partir du débit naturel des rivières en utilisant des barrières (c'est-à-dire des seuils ou des barrages) pour diriger l'eau vers une turbine dans un canal (Anderson et al 2015). Il existe trois types différents de systèmes au fil de l'eau: haute chute, basse chute avec diversion, basse chute directement sur le seuil. Alors que les structures à haute chute se trouvent dans les régions montagneuses à forts gradients naturels, les structures à faible hauteur se trouvent dans les rivières à faibles gradients (Anderson et al 2015). Les turbines de basse chute sont considérées comme particulièrement respectueuses des poissons en raison de leur faible vitesse de rotation (Overhoff et Keller  2015). Il existe également des systèmes au fil de l'eau avec retenue, qui permettent un stockage d'énergie à petite échelle à court terme (Sharma et Singh 2013). En revanche, l'hydroélectricité à réservoir utilise un barrage ou une autre barrière pour stocker l'eau dans un lac, et la décharger lorsque l'énergie est nécessaire. Enfin, un système de pompage-stockage pompe (souvent avec de l'énergie renouvelable) de l'eau d'un réservoir inférieur vers un réservoir supérieur afin que l'eau puisse être libérée par les turbines à la demande (Kucukali 2014)."

Comment est perçue cette hydro-électricité, en particulier les petites usines au fil de l'eau, dont la logique n'est pas celle des grands barrages réservoirs?

Pour le savoir, les chercheurs ont mené une enquête qualitative et quantitative auprès des riverains en Allemagne, Suède et Portugal, trois pays qui ont une approche différente de l'hydro-électricité pour son importance dans le mix énergétique, son lien historique ou non à une organisation centralisée, son encadrement règlementaire faible ou avancé. Ils ont fait usage de la méthodologie Q : une étude préalable permet de repérer les idées d'un débat, que l'on soumet au panel afin de le faire réagir et de quantifier la distance à ces idées. Une analyse factorielle permet ensuite de regrouper les publics en groupes d'affinité selon qu'ils partagent des idées. Les chercheurs ont délimité 25 grandes idées réparties en 6 catégories : l'économie (coûts, bénéfices); l'environnement (effets écologiques de l'hydro-électricité); la qualité de vie; la politique publique d'énergie; les préférences comparatives dans le mix énergétique; la participation du public. Leur panel a été formé de 270 personnes après une sélection par une connaissance minimale du sujet.


Une petite centrale hydro-électrique au fil de l'eau jouxte directement la rivière, et elle est souvent installée à l'extrémité du seuil qui barre cette rivière (droits réservés).

Il en ressort quatre axes majeurs ci-après détaillés (les lettres et chiffres renvoient au numéro des répondants par ville : L pour Landshut en Allemagne, V pour Vila Real au Portugal et O pour Örnsköldsvik en Suède).

L'hydro-électricité comme énergie locale permettant l'indépendance (49% de la variance)
"La perspective «l'hydroélectricité pour maintenir le contrôle régional» (facteur 1) se concentre sur les avantages économiques de la production hydroélectrique. Les répondants soutiennent les prix bas de l'énergie et veulent que leur pays soit indépendant de l'énergie: «il n'est pas bon d'être dépendant des autres pays et de leur politique» (L 67). La propriété est un sujet central. L'État devrait posséder des usines au fil de l'eau et leur pays devrait en bénéficier. Cela signifie qu'aucune entreprise étrangère ne devrait exploiter les centrales hydroélectriques de sa région. Les commentaires suivants illustrent ce point de vue: «Il ne faut pas que nos entreprises soient reprises par des entreprises étrangères» (L 60) «Il est important pour la Suède que les municipalités soient propriétaires des centrales hydroélectriques. Et qu'aucune entreprise étrangère ne devrait les posséder. (O 55) «L'énergie [du Portugal] devrait être indépendante des intérêts étrangers» (V 64) De plus, les répondants estiment que «l'eau ne devrait pas être privatisée» (L 69) et «il vaut mieux que [l'hydroélectricité] reste publique »(L 79), en particulier« puisque l'énergie est nécessaire à tous les citoyens, elle devrait être la propriété de l'État »(V 59). Par rapport à d'autres sources d'énergie, l'hydroélectricité au fil de l'eau est considérée comme «sans problème» (L 41)."

L'hydro-électricité comme réponse au changement climatique (29% de la variance)
"La perspective «l'hydroélectricité pour lutter contre le changement climatique» (facteur 2) donne la priorité à la production d'énergie propre. Les répondants soutiennent l'hydroélectricité car elle contribue à atténuer le changement climatique, qui est «le principal problème dont la planète débat» (V 81). Il est donc important que «les sources d'énergie renouvelables réduisent la dépendance aux combustibles fossiles et atténuent le changement climatique» (V 101). Ce groupe valorise la flexibilité et le stockage de l'énergie et se préoccupe moins de la propriété étrangère: «Être [portugais] ou étranger n'est pas pertinent. L'usine doit être gérée de la meilleure façon, indépendamment de la nationalité des propriétaires »(V 65). Cependant, les répondants étaient contre la propriété de l'État: «l'État devrait réglementer la production hydroélectrique, mais les centrales devraient appartenir aux investisseurs» (V 86) parce que «la société ne peut pas être totalement dépendante de l'État. L'État ne devrait légiférer que »(V 134) et« l'État est un mauvais propriétaire »(V 66). Un répondant suédois a noté: «Il devrait y avoir plus de particuliers capables de posséder des centrales hydroélectriques et de les reconstruire» (O 11)."

L'hydro-électricité comme impact sur les écosystèmes (22% de la variance)
"Les répondants liés à la perspective «l'hydroélectricité pour protéger les écosystèmes» (facteur 3) sont préoccupés par les impacts écologiques négatifs. Pour ce groupe, les centrales hydroélectriques «perturbent la nature» (V 2) et «les interventions dans la nature sont toujours mauvaises» (L 43). Ils préfèrent les systèmes fluviaux intacts: «il est important que l'on permette aux rivières de s'écouler librement avec un débit naturel» (O 47) car «les rivières sans hydroélectricité sont belles» (O 24). Ils estiment que la production hydroélectrique devrait être soit à faible impact et bien intégrée dans le débit naturel de la rivière, soit limitée à certaines rivières ou à certains tronçons de rivière: «Il est important de laisser les rivières déjà [équipées] être utilisées et entretenues afin qu'aucune nouvelle des centrales hydroélectriques seront construites »(O 9). Ce groupe se préoccupe de la propriété, surtout si cela signifie perdre son influence sur les plans d'eau locaux: «Nous devons protéger notre ressource la plus précieuse, l'eau, des grands investisseurs» (L 73). Il y a aussi une préférence contre la propriété étrangère: «L'hydroélectricité en Suède devrait appartenir à des entreprises publiques ou suédoises et profiter à la municipalité où elle est située» (O 10)."

L'hydro-électricité comme impact sur le cadre de vie et le bien-être (10% de la variance)
"La perspective «l'hydroélectricité pour promouvoir le bien-être des citoyens» (facteur 4) se concentre sur les effets économiques et sociaux individuels de l'hydroélectricité RoR et seuls les répondants de Vila Real se sont prononcés de manière significative sur ce facteur. Les répondants apprécient les bas prix de l'énergie, l'atténuation écologique et la création d'emplois dans la région. Ils sont préoccupés par les impacts écologiques et le potentiel d'inondations, d'autant plus que «les inondations causent de nombreux dommages et sont de plus en plus fréquentes» (V 50). Le point de vue critique a également été démontré par les préférences des répondants pour d’autres formes d’énergies renouvelables: «Une certaine diversité spatiale est nécessaire. Trop de centrales hydroélectriques existent déjà dans la région »(V 46). Les répondants étaient opposés à l'idée que l'État devrait posséder des centrales hydroélectriques. Par exemple, un répondant a déclaré que «l'État devrait avoir d'autres devoirs. Il doit gérer directement l'eau et les autres biens communs, mais pas l'énergie »(V 82). Un autre répondant a déclaré que «les entreprises privées et les villes devraient également pouvoir posséder des centrales hydroélectriques» (V 111). De plus, selon eux, ce n'est pas le rôle de l'État de produire de l'énergie. Un répondant a expliqué que l'État devrait se concentrer sur ses devoirs comme la préservation «de l'eau et des autres biens communs, mais pas de l'énergie» (V 82)."

Les chercheurs concluent : "La production décentralisée à petite échelle sera un élément important de la transition vers les énergies renouvelables. Une grande partie des futurs projets hydroélectriques sera de plus petits projets hydroélectriques au fil de l'eau. Ainsi, l'hydroélectricité au fil de l'eau représente une opportunité de décentralisation et de coproduction durables. Étant donné que l’ampleur de la transition énergétique durable sera déterminée par les valeurs et le comportement sociaux et économiques du public, il est essentiel de comprendre les points de vue locaux sur l'hydro-électricité au fil de l'eau."

Référence : Venus TE et al (2020), The public’s perception of run-of-the-river hydropower across Europe, Energy Policy, 140, 111422

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22/08/2020

Le bourrage de crâne pour casser les ouvrages en rivière commence au CM2

Un adhérent nous transmet les extraits d'un manuel de CM2 proposant une séance "comment sauver les poissons migrateurs". Un véritable manuel de propagande qui transmet une vision simpliste et fausse de la réalité. Croit-on que l'on va rendre l'écologie honorable et convaincante avec ces méthodes dignes d'Orwell? 

La première page de la fiche de ce manuel rappelle rapidement que le déclin des migrateurs est dû à des multiples facteurs (ouvrages infranchissables, mais aussi surpêche, pollutions, destruction ou altération de habitats et des lits, changement climatique, etc.). Or, la totalité de la séquence est consacrée aux seuls ouvrages hydrauliques. Le rédacteur a donc projeté ses obsessions pour les transmettre aux enfants. On signale plusieurs causes, on se focalise sur une seule : voilà comment propager les idées fixes dans les jeunes esprits, au lieu d'initier à la complexité.

Puis arrive l'objet du délit : l'obstacle à l'écoulement et sa terrifiante retenue.



Le seuil et sa retenue sont décrits comme un enfer biologique : une eau chaude qui s'évapore et asphyxie les poissons. Au demeurant, on ne voit que des poissons — c'est bien connu que tout le vivant aquatique se résume au poisson.

Les écoliers pourraient voir à quoi ressemblent réellement des ouvrages hydrauliques aujourd'hui sommés de disparaître au profit de la continuité, par exemple ceci qui ne paraît pas vraiment une catastrophe écologique:




Ils pourraient aussi voir à quoi ressemble une rivière sans eau après restauration de continuité, par exemple ceci qui n'a pas l'air très favorable au vivant du lit mineur:



Ils pourraient enfin être éduqués au niveau réel d'évaporation ou comparer l'évaporation d'une zone humide naturelle et artificielle, mais ce serait évidemment plus compliqué qu'une caricature. Faisons simple, même si c'est faux.

Le rédacteur ayant convaincu l'enfant que la retenue est un enfer, il prend encore soin de préciser que dès une hauteur de 20 cm, les espèces disparaissent :



C'est terrible. Les écoliers ayant miraculeusement échappé au lavage de cerveau vont peut-être se demander: comment font les espèces pour vivre avec des cascades, chutes, seuils naturels, torrents, rapides, barrages d'embâcles, barrages de castors, éboulis et autres obstacles qui existent depuis des millions d'années, sans parler aussi des assecs? Car c'est quand même le régime normal de la nature, toutes ces discontinuités :



Face à ces terribles obstacles de 20 cm qui font disparaître l'eau et les espèces, il faut agir. Cette image montre la représentation des options.



On voit que l'écolier de CM2 est déjà capable d'apprécier le rapport coût-bénéfice d'un chantier, ce qui est remarquable de maturité (ses parents doivent sûrement travailler à l'agence de l'eau ou à l'office de la biodiversité). On voit aussi que faire passer des "cailloux" serait un enjeu des seuils, alors que la recherche trouve le contraire. De manière surprenante, on montre à l'écolier une situation sans humain : il y a un seuil à peine visible et posé au milieu de nulle part, il ne sert apparemment à rien, il ne détourne pas un bief, il n'y a pas de gens autour. L'écolier doit donc se représenter le fantasme d'une nature sans humain, plutôt que réfléchir à ce que cela signifie d'avoir des humains n'ayant pas les mêmes usages et représentations de la rivière.

Enseigner des informations trompeuses et des explications simplistes qui confortent l'idéologie du moment, ce n'est pas à l'honneur de l'éducation nationale. Les associations de moulins et riverains, les gestionnaires d'étangs de pêche ou de loisir, les syndicats de petite hydro-électricité auront à coeur de se rapprocher de leurs établissements d'enseignement pour proposer des visites de site et corriger le bourrage de crâne subi sur les bancs des classes.