02/09/2020

Le mouvement de la nouvelle conservation veut changer les politiques de biodiversité

On en parle très peu en France, mais les choix de conservation de la biodiversité sont l'objet d'intenses débats dans le monde des savants, des experts et des gestionnaires. On constate un certain échec de la conservation traditionnelle, qui était fondée sur une stricte opposition de la nature et de la société, sur l'idée que seuls les espaces sauvages et les espèces endémiques sont d'intérêt, sur la réduction de l'humain au statut d'impact dont il faut supprimer au maximum la présence. Avec parfois des dérives d'oppression de populations locales pour imposer des réserves naturelles, ce qui n'est pas sans rappeler évidemment des débats actuels en France. La nouvelle conservation prend acte de l'émergence multiséculaire de l'Anthropocène, du caractère hybride de la nature co-construite par l'humain, de l'existence de nouveaux écosystèmes et de la nécessité de protéger aussi bien la biodiversité ordinaire que des paysages scéniques ou des espèces rares. Nous introduisons à ce débat, en observant que de nouvelles approches de conservation de la nature permettraient de dépasser certains conflits, comme ceux de la restauration écologique de la continuité des rivières en France. 


La conservation de la biodiversité est au coeur de la démarche écologique moderne. Elle a émergé dès le 19e siècle en Europe et aux Etats-Unis, lorsque les effets concrets de la révolution industrielle et des libertés démocratiques d'usage de la propriété privée ont commencé à exercer des impacts visibles, parfois spectaculaires, sur des espèces et sur des milieux naturels. Aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon, cette conservation a donné lieu à deux écoles de pensée au 20e siècle : les "préservationnistes" considérant que la nature sauvage protégée strictement, comme par exemple dans les parcs naturels, est la voie majeure pour préserver la biodiversité; les "conservationnistes" estimant qu'il fallait diffuser des usages raisonnés de la nature, et des usages partagés avec le non-humain, mais non engager une séparation stricte entre un monde sauvage et un monde humain.

Le débat n'a jamais cessé depuis. Mais il a été rallumé au début de la décennie 2010 par l'ouverture d'une section de débats sur la "nouvelle conservation" dans la revue de référence Biological Conservation (Minter et Miller 2011) puis par un article en 2012 de Peter Kareiva et Michelle Marvier, What is conservation science? dans la revue Bioscience. Un autre texte d'orientation de 2015, des mêmes auteurs avec Robert Lalasz, a évoqué "la conservation à l'Anthropocène".

L'évolution des connaissances et expériences en écologie depuis 30 ans a changé la donne
L'article de Kareiva et Marvier en 2012 prenait acte de 30 ans d'évolution de la science de la conservation dans toutes ses disciplines, 30 ans depuis la parution d'un autre texte fondateur, celui de Michael E. Soulé en 1985, What is conservation biology?

Parmi les points mis en avant par Kareiva et Marvier :
  • la conservation doit être fondée sur la science et la preuve, notamment sur son efficacité,
  • la conservation doit être fondée sur des bases de données rigoureuses et mises à jour, notamment pour définir des priorités à budget contraint,
  • la conservation doit prendre en compte le facteur humain en sortant de la représentation du biologiste et écologue "sauveur de la nature" face au reste de l'humanité trop souvent réduite à l'état indiscriminé d'"impact sur la biodiversité",
  • la conservation doit adopter une approche multidisciplinaire où la dynamique de la biodiversité s'apprécie aussi par des sciences humaines et sociales, pas seulement naturelles.
Par ailleurs, prenant en compte l'évolution des réalités et des connaissances depuis les années 1980, Kareiva et Marvier ont fait observer que :
  • la nature vierge n'existe plus, on a ré-évalué l'ancienneté de l'influence humaine sur les milieux depuis la préhistoire et, à l'âge de l'Anthropocène, il n'existe plus de milieux complètement indemnes du changement climatique, de l'introduction d'espèces exotiques ou d'autres facteurs;
  • la "conservation forteresse" fondée sur l'exclusion des humains pour faire des zones sauvages protégées a été l'objet de vives critiques pour certaines de ses dérives, son mépris de la justice sociale, ses penchants néo-colonialistes;
  • la conservation est liée au bien-être humain à travers des services rendus par les écosystèmes, et elle ne peut être adossée seulement au choix éthique particulier et non partagé par tous d'une "valeur intrinsèque" de chaque espèce non-humaine;
  • la nature s'est révélée plus résiliente qu'on ne le croyait, capable de retrouver des biodiversités et des fonctionnalités après des catastrophes locales, souvent dans un état nouveau différent de l'état antérieur mais pas forcément moins riche à terme;
  • la tragédie des communs au sens de Garett Hardin n'est pas une fatalité, des expériences montrent que des gestions de milieux avec activités humaines et règles écologiques peuvent exister (approche des biens communs au sens d'Elinor Ostrom).
De nombreux débats ont suivi ce texte, parfois très virulents (l'écologie soulève des passions, même chez les savants). Deux écoles principales se dessinent désormais : la conservation traditionnelle voulant poursuivre les conceptions définies du 20e siècle et la nouvelle conservation proposant d'autres approches pour le 21e siècle. On trouve des informations intéressantes sur le site du projet The Future of Conservation qui mène une enquête sur les représentations de la conservation de biodiversité par les publics de professionnels concernés. Le point est aussi abordé avec une approche plus politique dans un ouvrage venant de paraître, The Conservation Revolution (Buscher et Fletcher 2020).

Des représentations différentes de la nature et de la dimension sociale de l'écologie
Le tableau ci-après offre quelques exemples des différences entre les écoles. Ce ne sont pas des points de vue strictement endossés par chacun — beaucoup de personnes engagées dans la conservation n'éprouvent pas le besoin de se référer à une "chapelle" —, mais plutôt des sensibilités. Il n'en reste que pas moins que, du point de vue épistémologique, les paradigmes des approches ne sont pas les mêmes, ce qui a ensuite des conséquences sur les choix de gestion.



Dans le domaine épistémologique, ce sont davantage les partisans d'une séparation nature-culture ou nature-société qui ont imposé leur marque jusqu'à présent. On peut considérer cette question comme le noeud de la divergence : la nouvelle conservation défend une écologie plus holistique où l'humain doit être regardé comme part intégrante de la nature, pour le meilleur et pour le pire. Dans le monde anglo-saxon, la controverse "park versus people" sur les "réfugiés de la conservation" est née de la dimension anti-humaniste attribuée à certains conservationnistes qui préfèrent sanctionner des populations locales pour sauvegarder la vie sauvage, y compris par des pressions peu démocratiques. Mais elle s'est vite associée à un débat plus profond : quel sens donner à la construction intellectuelle d'une nature "sauvage" (Cronon 1995) si la réalité nous révèle une nature anthropisée, à bas bruit dans les sociétés traditionnelles et à niveau intense dans les sociétés modernes?

L'approche d'une partie de l'écologie scientifique a été centrée au 20e siècle sur l'étude des milieux très peu impactés par l'humain (nature vierge, pristine, sauvage) et posés comme la norme de ce que doit être la naturalité. Du même coup, tout ce qui s'écarte de cette norme est perçu au pire comme une dégradation, ou au mieux comme une évolution neutre sans signification.

Un exemple concret : les instances comme l'Union internationale de conservation de la nature ne considèrent pas les espèces exotiques comme dignes de suivi lorsqu'elles s'installent durablement dans des milieux (et les classent dans la liste noire des espèces invasives si elles menacent des milieux à forte présence d'espèces endémiques). Donc même si un écosystème local gagne des espèces et que ces espèces s'insèrent dans les réseaux trophiques, ce n'est pas considéré comme gain ni même comptabilisé comme un événement notable. Or de toute évidence, les processus de l'évolution s'appliquent sur les propriétés biologiques et fonctionnelles des organismes, assemblages d'organismes et interactions avec les milieux, sans tenir compte des provenances des populations. On ne peut guère comprendre et prédire l'avenir du vivant si l'on est dans le déni de sa dynamique actuelle et de ses nouvelles configurations (voir par exemple Boltovskoy,et al 2018 sur cette controverse sur les espèces exotiques, ainsi que le livre de vulgarisation couvrant de nombreuses controverses entre scientifiques de Pearce 2015).

Une approche pour analyser les impensés et dépasser les contradictions des politiques de l'eau en France et en Europe
Il y a d'autres exemples, et non des moindres. Par exemple la directive cadre européenne sur l'eau, adoptée en 2000, considérée comme le texte international le plus ambitieux sur la préservation des milieux aquatiques, a repris dans sa structure normative l'existence d'un "état de référence" formé par la masse d'eau sans impact humain.

Du même coup, les indicateurs de cette directive sont orientés dans la logique de la conservation traditionnelle, et si des "masses d'eau fortement modifiées" sont reconnues dans le texte, les gestionnaires ne savent pas vraiment comment les traiter ni même les identifier. Toutes les masses d'eau ont en réalité été fortement anthropisées en Europe depuis le Néolithique, ce que la recherche depuis les années 1990 a amplement montré. On désigne par exemple comme "naturel" ou "renaturé" un paysage de méandre qui est en réalité un style fluvial stabilisé tardivement après le Moyen Âge, non un état naturel de la morphologie du bassin (voir Lespez et al 2015). Mais les rédacteurs de la directive européenne 2000 n'ont pas eu ces éléments à l'esprit et malgré 20 ans de publications scientifiques, il n'est pas clair que la Commission européenne mesure l'évolution des enjeux et des représentations.

Concernant les politiques de la nature et en particulier de l'eau en France, la dichotomie entre conservation traditionnelle et nouvelle conservation n'a jamais été formalisée à notre connaissance, même si l'on a vu des débats de-ci de-là (par exemple Alexandre et al 2017, ou le livre de Lévêque 2017).

De toute évidence, une partie des experts publics mobilisés sur ces questions (à l'Office français de la biodiversité, au Museum d'histoire naturelle, dans des laboratoires de recherche) et ayant l'oreille des décideurs des politiques écologiques en tient plutôt pour la vision traditionnelle de la conservation. Nous pouvons le voir à différentes caractéristiques des choix et des chantiers publics dans le domaine de l'eau:
  • il n'existe aucun programme systématique d'étude des nouveaux écosystèmes aquatiques (étangs, canaux, lacs, etc.) qui sont plutôt dépréciés comme des "obstacles à la continuité écologique de la rivière", sans intégrer le fait que ce sont aussi des biotopes d'origine anthropique,
  • il n'existe aucun intérêt pour les espèces non-natives ou non-locales, celles-ci étant ignorées ou jugées négligeables si elles se trouvent dans une zone contraire à ce que serait une biotypologie naturelle (au sens de nature sans humain) de la rivière,
  • il existe un programme de "renaturation" qui, même lorsqu'il prétend s'intéresser à l'angle de la fonctionnalité davantage que de la biodiversité, consiste basiquement à dire que la meilleure rivière sera la rivière la plus débarrassée de tout impact humain, idéalement la rivière redevenue "libre et sauvage" avec un strict minimum d'activités autorisées. 
La rencontre de cette vision avec l'appréciation de la nature vécue par les riverains a parfois fait des étincelles, comme dans le cas des destructions à marche forcée d'ouvrages hydrauliques présents de longue date et qui avaient créé localement des milieux et paysages. Les sciences humaines et sociales ont été peu présentes dans la conception de ces politiques, largement inspirées des hydrobiologistes et des tenants de la rivière comme phénomène physique, non social.

On notera que la nouvelle conservation n'est pas hostile sur le principe à l'idée de renaturer ou ré-ensauvager certains espaces, ce qui est une option (encore expérimentale) parmi d'autres. Simplement, elle insiste sur divers points :
  • la renaturation relève d'expériences locales, elle ne doit pas être l'instrument supposé généralisable d'une représentation fausse et intenable de la "nature sans humain" comme vérité scientifique ou comme norme juridique,
  • la renaturation ne produira pas le retour à un état antérieur de la nature ni un état futur figé de la nature, les contraintes de l'Anthropocène resteront présentes (les changements biogéochimiques comme le climat, la circulation des exotiques, etc.),
  • la renaturation doit s'envisager dans des lieux idoines, déjà largement désertés d'activités humaines (par exemple zones en déprise agricole), sans contraindre les populations encore présentes mais en les associant à des bénéfices tangibles,
  • la renaturation ne doit pas être l'alibi de haute ambition pour négliger l'attention à la biodiversité ordinaire (que celle-ci soit native ou acquise) par des mesures plus simples ou plus consensuelles, aussi souvent moins coûteuses,
  • la renaturation doit analyser les services écosystémiques rendus à la société comme issue de ses chantiers, car des dépenses ont peu de chance d'être durablement et largement consenties si elles sont déconnectées des attentes humaines.
Il nous semble que ces nouvelles approches de la conservation à l'Anthropocène seraient de nature à dépasser des confits nés de la mise en oeuvre de la continuité écologique des rivières. Du côté des acteurs publics, il s'agirait de revenir sur un discours un peu naïf et simpliste des années 1990-2020 où l'on a d'un seul coup plaqué une volonté de restauration écologique sans tenir compte des réalités locales et sans préciser la vision globale où cette restauration prend sens (une nature hybride et non le retour à une nature pure; une nature socialement co-construite et non technocratiquement normée selon une naturalité décrétée). Du côté des propriétaires et riverains de ces sites, il s'agirait d'intégrer le fait que la biodiversité et la fonctionnalité des milieux sont des sujets d'attention, que les gestions des ouvrages peuvent évoluer et s'améliorer en fonction des connaissances, que la conservation des nouveaux écosystèmes que l'on a créés devient elle aussi un enjeu pour la société, et donc pour les maîtres d'ouvrages.

31/08/2020

Un décret entérine l'exclusion des moulins, des étangs et des riverains des agences de l'eau

Le mépris de la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie pour le monde des ouvrages hydrauliques est effarant : alors que le gouvernement communique sur la "continuité écologique apaisée", il vient de publier un nouveau décret estival qui entérine l'exclusion des moulins, des étangs, des riverains des comités de bassin des agences de l'eau. C'est-à-dire là où se décident les normes d'action publique et là où se distribuent les financements publics. Cela après avoir promulgué au début de l'été un autre décret qui supprime toute enquête publique et toute étude d'impact environnemental dans les destructions des ouvrages hydrauliques et assèchements de leurs milieux. Dans le même temps, les services administratifs des agences de l'eau essaient de faire voter la prime maximale à la casse des barrages et digues jusqu'en 2027. La farce de la continuité apaisée n'a servi qu'à donner aux bureaucrates de l'eau une image imméritée de concertation, pour endormir la vigilance parlementaire, diviser les représentants des ouvrages et enterrer le rapport incendiaire du CGEDD rendu public en 2017. L'heure n'est plus au débat, mais au combat contre cette administration à la dérive. 


Créées par la loi sur l'eau de 1964, les agences de l'eau gèrent les grands bassins hydrographiques du pays, Loire, Seine, Rhône, etc. Le fonctionnement de ces agences est très critiquable, car elles reflètent la gouvernance de l'époque de leur naissance, à savoir un mélange assez opaque de technocratie et de corporatisme. Les services représentant l'Etat sont à la manoeuvre dans la construction des textes. Les membres du comité de bassin sont définis par le gouvernement et nommés par le préfet. La société est très mal représentée — au demeurant, bien peu de Français seraient capables d'expliquer ce qu'est une agence de l'eau ou un SDAGE. Les débats sont confidentiels, les lobbies tentent de faire évoluer les textes administratifs à l'avantage de leur idéologie ou de leur intérêt. Loin du principe de subsidiarité où chaque rivière décide de son avenir par échange des acteurs locaux en fonction des enjeux locaux, les agences de l'eau participe à la gouvernance verticale et autoritaire d'un modèle de plus en plus plus technocratique, fermé et éloigné du citoyen.

A défaut d'autre chose et dans l'attente d'un toilettage démocratique de cette institution vieillie, le comité de bassin des agences de l'eau est le seul endroit où la société peut espérer une représentation. L'enjeu n'est pas mince : les agences de l'eau ont un budget annuel total de l'ordre de 2 milliards € et leur planification, appelée SDAGE, a la forme d'un arrêté opposable, donc d'une contrainte sur les tiers.

Un décret paru au journal officiel du 18 août 2020, entrant en vigueur le 1er janvier 2021, modifie les articles D. 213-17, D. 213-19 et D. 213-20 du code de l’environnement relatifs aux comités de bassins. Cette évolution tient compte des ajustements apportés par l’article 34 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 relative à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages à la composition des comités de bassin de métropole.

Cet article 34 de la loi biodiversité de 2016 prévoyait que les comités de bassin incluent dans un de leurs collèges des "représentants des usagers non économiques de l'eau, des milieux aquatiques, des milieux marins et de la biodiversité". Cette notion large d'usager non économique permet diverses possibilités au gouvernement. De toute évidence, les moulins, les étangs, les plans d'eau, les lacs, les lavoirs, les douves et plein d'autres usages locaux de l'eau entrent dans cette catégorie.

Concernant la représentation de la société dans les comités de bassin des agences de l'eau, voici les membres selon le nouveau décret :
« Art. D. 213-19-2.-I.-Dans chaque comité de bassin, le collège prévu au 2° de l'article L. 213-8 comprend au moins un représentant :« 1° Des associations agréées de protection de la nature, dont une ayant compétence dans le domaine du littoral ou des milieux marins lorsque le bassin a une façade littorale, proposé par les instances représentatives de ces associations présentes sur le bassin ;« 2° Des conservatoires régionaux d'espaces naturels mentionnés à l'article L. 414-11 présents sur le bassin, proposé par la Fédération des conservatoires d'espaces naturels ;« 3° Des associations actives en matière d'activités nautiques, proposé par la Fédération française de canoë kayak et sports de pagaie ;« 4° Des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique, proposé par la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique ;« 5° Des instances cynégétiques, proposé par la Fédération nationale des chasseurs ;« 6° Des associations agréées de défense des consommateurs, proposé par les instances représentatives des associations de consommateurs présentes sur le bassin. »
« Art. D. 213-19-3.-Dans chaque comité de bassin, le collège prévu au 2° bis de l'article L. 213-8 comprend au moins un représentant :« 1° De l'agriculture, sur proposition de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture ;« 2° De l'agriculture biologique, sur proposition de la Fédération nationale d'agriculture biologique des régions de France ;« 3° De la sylviculture, sur proposition du Centre national de la propriété forestière ;« 4° De la pêche professionnelle en eau douce, sur proposition du Comité national de la pêche professionnelle en eau douce, lorsque l'activité est présente sur le bassin ;« 5° De l'aquaculture, sur proposition de la Fédération française d'aquaculture en lien avec le Comité interprofessionnel des produits de l'aquaculture, lorsque l'activité est présente sur le bassin ;« 6° De la pêche maritime, sur proposition du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins lorsque le bassin a une façade maritime ;« 7° De la conchyliculture, sur proposition du Comité national de la conchyliculture, lorsque le bassin comporte une façade maritime ;« 8° Du tourisme, sur proposition des instances représentatives de cette activité dans le bassin ;« 9° De l'industrie, sur proposition d'un collège regroupant sur le bassin les présidents des chambres de commerce et d'industrie régionales, les présidents des représentations régionales du Mouvement des entreprises de France et le président de la coopération agricole. Dans les bassins comportant une façade maritime, est proposé au moins un représentant d'une industrie compétente dans le domaine du tourisme littoral et d'une industrie portuaire en relation avec le milieu marin ;« 10° De distributeurs d'eau, sur proposition de la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau ;« 11° De producteurs d'électricité et des producteurs d'hydroélectricité, sur proposition de l'Union française de l'électricité. Sur le bassin Rhône-Méditerranée, un représentant supplémentaire est proposé par la Compagnie nationale du Rhône ;« 12° Des sociétés d'aménagement régional, sur proposition du collège des présidents des sociétés d'aménagement régional pour les bassins Adour-Garonne et Rhône-Méditerranée. »
Les moulins, les étangs privés et familiaux, les riverains, les associations de protection du patrimoine culturel, paysager et historique lié à l'eau sont à nouveaux exclus de ces comités de bassin. Quant à l'hydro-électricité, elle est surtout représentée par des gros producteurs qui sont à 100 lieux des problématiques rencontrées par des milliers de petits sites en injection ou en autoconsommation.

Les bureaucrates publics de l'eau pensent-ils que les citoyens concernés vont accorder la moindre légitimité à des décisions (les SDAGE) dont ils sont purement et simplement exclus? A part dans la Chine populaire et dans quelques régimes peu enviés au plan des libertés démocratiques, où voit-on des pouvoirs qui s'arrogent le droit de normer des activités sans que les premiers concernés aient toute capacité à participer à la construction de la norme dès le départ, et non à en subir une pseudo "concertation" quand tout est déjà décidé sans eux? Ces hauts fonctionnaires sont-ils conscients que leurs faits et gestes sont désormais largement connus et diffusés, donc qu'ils préparent des lendemains difficiles à leurs agents de terrain quand ils vont se présenter sur les sites pressentis pour l'action publique?

Les technocraties aquatiques confirment qu'elles entendent continuer la politique active de pression en vue de détruire le maximum de sites en rivière, comme le montre déjà la scandaleuse proposition de reconduite de la prime à la casse des agences de l'eau pour le SDAGE 2022-2027.

Un moulin détruit, un étang détruit, un canal détruit ne reviendront pas. Ni leurs paysages, ni leurs usages, ni leurs milieux, ni leurs resources en eau. C'est maintenant qu'il faut défendre ce patrimoine menacé et bloquer leur destruction, pas quand une administration à la dérive aura joué la montre pour mettre devant le fait accompli.

Nous appelons les acteurs concernés à prendre leur responsabilité, en particulier ceux dont le nom a été utilisé pour cautionner le soi-disant apaisement au comité national de l'eau. Ce n'est pas grave et c'est même normal d'avoir testé une concertation, on ne peut que féliciter ceux qui ont essayé. Mais ce serait grave de ne pas conclure quand le test échoue de manière si évidente et que le ministère de l'écologie vous méprise publiquement de manière si arrogante.

Il ne faut plus dépenser d'énergie inutile à discuter avec une haute administration qui ne souhaite pas réviser ses dogmes, mais plutôt dénoncer ses turpitudes dans les médias, informer les parlementaires du mépris et du contournement des lois qu'ils votent, engager des recours en justice sur un maximum de sites menacés, dénoncer auprès de l'opinion les casseurs qui dilapident l'argent public et les lobbies qui les applaudissent. C'est la responsabilité historique des défenseurs d'un patrimoine en train de disparaître ouvrage par ouvrage, mais aussi de tous ceux qui ne veulent pas voir dans leur pays le triomphe d'une écologie punitive et sectaire, pour reprendre les termes d'un Premier Ministre fort peu cohérent avec lui-même.

Source : Décret n° 2020-1062 du 17 août 2020 relatif aux comités de bassin

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30/08/2020

Les experts inventent les retenues d'eau qui ne retiennent pas l'eau

Le journal Le Monde nous gratifie d'une tribune d'expert qui le certifie : les retenues évaporent tellement qu'elles ne retiennent pas l'eau. Bizarrement, on fait des retenues depuis 200 générations humaines, même en région chaude, sans s'en être aperçu. Les rivières de France qui bénéficient de  soutiens d'étiage par des réservoirs ayant stocké l'eau d'hiver voient de l'eau en été, quand d'autres subissent des assecs ou des débits très faibles après la destruction des ouvrages formant retenue. Se pourrait-il que les experts militants nous racontent la moitié de l'histoire parce qu'ils défendent une certaine idéologie de la nature? C'est hélas l'hypothèse la plus probable. 



Dans le journal Le Monde (29 août 2020), Christian Amblard (directeur de recherche honoraire au CNRS, vice-président Groupe scientifique de réflexion et d’information pour un développement durable) se livre à une charge violente contre les retenues d'eau.

Il affirme :

"Les barrages sur un cours d’eau assèchent les secteurs situés à leur aval et détruisent ainsi tous les écosystèmes, notamment les agroécosystèmes. Ils brisent la continuité écologique et constituent un obstacle pour beaucoup d’espèces comme les poissons migrateurs. Ils détruisent aussi, en les noyant, les zones humides situées en amont qui jouent un rôle très utile d’éponge, en stockant l’eau en période humide et en la restituant en période sèche.

Alors que les réserves souterraines ne sont pas sujettes à l’évaporation, les retenues d’eau superficielles subissent une très forte évaporation en période de grosses chaleurs et conduisent ainsi à une perte importante de la ressource en eau. Des études récentes (publiées notamment, en 2018, par Katja Friedrich, de l’université du Colorado Boulder, et par Florence Habets et Jérôme Molenat, de Sorbonne Université) montrent que les pertes par évaporation sur les lacs de l’Ouest américain varient de 20 à 60 % des flux entrants. C’est donc une hérésie totale de faire passer en surface les ressources en eaux souterraines, qui assurent une humidification généralisée des sols, pour en perdre une part considérable par évaporation."

Il faut certainement être membre du CNRS pour découvrir qu'une retenue d'eau ne retient pas l'eau, après 5000 ans d'usage des barrages et des digues par les sociétés humaines.

La publication citée de Katja Friedrich et al 2018 est un constat que les services états-uniens de gestion ne disposent pas de mesures correctes des évaporations des grands réservoirs. En rien cette publication n'est une condamnation des retenues, elle vise à optimiser leur gestion en situation de changement climatique : "Une meilleure compréhension, estimation et prévision des taux d'évaporation aidera à gérer cette perte d'eau plus efficacement, en particulier lorsque l'eau est rare", disent les auteurs. Une raison évidente est que si une retenue a accumulé 1 million de m3 en hiver et en évapore 50% en été, cela signifie qu'il reste 500.000 m3 pour des usages humains et pour le vivant. Outre que l'eau évaporée se recondense dans le cycle de l'eau. Que la retenue ne soit pas optimale ne signifie pas qu'elle soit inutile. Mais cela semble échapper à Christian Amblard. Ou alors cela ne lui échappe pas, mais il préfère ne pas l'expliquer aux lecteurs.

La publication citée de Florence Habets et al 2018  est consacrée à la difficulté de connaître et modéliser l'impact réel d'une succession de petits réservoirs sur un bassin versant. Les auteurs soulignent les diverses incertitudes, du fait de la rareté des travaux et de la diversité des indicateurs d'impacts. Concernant les données empiriques (les seules qui vaillent), il est dit dans cet article: "les impacts cumulatifs des petits réservoirs sur l'hydrologie sont le plus souvent estimés à partir du débit annuel, des débits minima et des crues. Il existe un consensus général sur le fait que des ensembles de petits réservoirs entraînent une réduction des pics de crue (Frickel, 1972; Galea et al., 2005; Nathan et Lowe, 2012; Thompson, 2012; Ayalew et al., 2017) allant jusqu'à 45%, d'autant plus que certains réservoirs sont construits comme bassins de rétention des eaux pluviales (Fennessey et al., 2001; Del Giudice et al., 2014). Cependant, une inondation excessive ou une rupture de barrage peut entraîner de grandes inondations (Ayalew et al., 2017), qui peuvent entraîner des victimes, y compris des morts (Tingey-Holyoak, 2014). Ces défaillances peuvent être plus fréquentes pour les petits barrages que pour les grands barrages en raison du manque de politiques adaptées, ce qui peut conduire à un manque d'entretien et à une tendance à stocker l'excès d'eau pour garantir la production (Pisaniello, 2010; Camnasio et Becciu, 2011; Tingey-Holyoak, 2014). On signale également fréquemment que les faibles débits diminuent lorsqu'un ensemble de petits réservoirs est présent dans un bassin (Neal et al., 2000; O'Connor, 2001; Hughes et Mantel, 2010; Nathan et Lowe, 2012; Thompson, 2012) avec une large dispersion (0,3 à 60%), bien que l'eau stockée peut parfois être utilisé pour maintenir un débit minimal (Thomas et al., 2011). La majorité des études se sont concentrées sur le débit annuel des cours d'eau, faisant état d'une diminution du débit annuel moyen allant de 0,2% (Hughes et Mantel, 2010) à 36% (Meigh, 1995). En moyenne, dans environ 30 références, la diminution du débit annuel moyen atteint 13,4% ± 8%".

Cette référence n'informe donc pas sur le volume et l'usage qui est fait de l'eau retenue, sur les échanges au fil de l'an avec les nappes et les sols, etc. Au demeurant, ce travail fait partie d'une expertise conjointe Irstea-Inra dont la principale conclusion était le manque de données robustes disponibles sur cette question. Quand un scientifique n'a pas de données fiables, il ne conclut pas autre chose que la nécessité d'acquérir des connaissances. Il est assez effarant de voir des scientifiques qui exigent des orientations publiques fortes sur des bases faibles. Mais dans le domaine de l'eau, nous sommes habitués à être effarés...

D'autres travaux existent que ceux cités par Christian Amblard (et d'ailleurs Florence Habets, qui prend elle aussi volontiers la parole de manière critique sur ce thème), nous en rappelons quelques-uns ci-dessous. Comme ces travaux sont ignorés, on est obligé de supposer que Christian Amblard s'exprime comme un militant davantage que comme un chercheur dans Le Monde. C'est tout à fait son droit, mais il importe de prévenir les citoyens que les expertises sur l'eau ne sont pas neutres et reflètent souvent l'idéologie de leurs auteurs.

Si les citoyens préfèrent détruire les retenues pour se retrouver avec des rivières à sec ou réduites à des filets d'eau en été, libre à eux. Mais qu'on leur présente les enjeux tels qu'ils sont. Ces enjeux sont par exemple les suivants :
  • quelle eau veut-on sauvegarder, où et pour quels usages?
  • quelles solutions ont montré la capacité à disposer d'eau localement?
  • comment stocke-t-on une part plus importante des excès d'eau de l'automne au printemps, au lieu de les laisser filer à la mer? 
  • quelles connaissances a-t-on sur ce qui retient l'eau dans les sols, les nappes, la végétation riveraine, que ce soit par des moyens techniques ou naturels, les uns n'étant pas exclusifs des autres?
  • quelle rivière veut-on pour ce siècle, "renaturée" quitte à avoir des assecs réguliers car la nature le veut ou préservant des retenues et plans d'eau qui existent souvent depuis le Moyen Age, voire plus tôt?
Christian Amblard a certainement raison dans d'autres préconisations de son article, visant à déployer de nombreux moyens pour conserver l'eau dans différents milieux. Mais la diabolisation des retenues est une absurdité. Nos ancêtres, qui respectaient les sols agricoles, qui n'avaient pas de grandes villes bétonnées, qui ne connaissaient pas le réchauffement moderne, souffraient déjà régulièrement de crues et de sécheresses sévères. Les cartes anciennes montrent que chaque rivière, chaque ruisseau ou presque avait ses retenues. Retrouvons un peu de bon sens, d'humilité et de respect des visions différentes de l'eau, au lieu de se croire investis de certitudes et d'engager des croisades. 

Quelques études qui contredisent la vision en noir et blanc des experts militants

Une zone humide naturelle évapore davantage qu'un étang, contrairement aux idées reçues (Al Domany et al 2020)
Cette étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique. "En termes de politique française de l’eau et d’aménagement du territoire limousin, la préconisation d’effacer les étangs en arguant de leurs effets supposément négatifs dont la diminution de la ressource en eau mérite donc d’être fortement nuancée et de s’appuyer sur plus de données scientifiques rigoureuses."
Al Domany M et al (2020), Une zone humide perd-elle autant, moins ou davantage d’eau par évapotranspiration qu’un étang par évaporation ? Etude expérimentale en Limousin, Annales de géographie, 731, 83-112

Les moulins aident à retenir l'eau dans les bassins versants (Podgórski et Szatten 2020)
Deux chercheurs polonais ayant étudié l'effet morphologique, sédimentaire et hydrologique de moulins présents depuis 7 siècles sur une rivière notent que leur abandon s'est traduit par une perte de la capacité de rétention locale d'eau dans les nappes et de la rétention globale d'eau de surface dans le bassin versant. "Le déclassement des moulins à eau a entraîné un certain nombre de changements importants dans les ressources en eau. Les plus importants d'entre eux sont: la perte de capacité de rétention d'eau dans le bassin versant de la Struga Rychnowska et la baisse du niveau des eaux souterraines à proximité immédiate des anciens réservoirs d'eau. Actuellement, un intérêt renouvelé pour les anciens emplacements des moulins à eau existe, afin de restaurer la rétention d'eau et de les utiliser à des fins de petites centrales hydroélectriques modernes"
Podgórski Z et Szatten D (2020), Changes in the dynamics and nature of sedimentation in mill ponds as an indicator of environmental changes in a selected lake catchment (Chełmińskie Lake District, Poland), Water, 12, 1, 268
Donati F et al (2019), Do rivers upstream weirs have lotics or lentics characteristics?, Geographia Technica, 14, 2, 1-9

Supprimer les ouvrages des moulins à eau incise les rivières et assèche leurs lits majeurs (Maaß et Schüttrumpf 2019)
Deux chercheurs de l'université d'Aix-la-Chapelle montrent que l'implantation millénaire des moulins à eau a modifié progressivement la morphologie des lits mineurs et majeurs des rivières de plaine d'Europe occidentale. Dans ce type de cours d'eau, la suppression des ouvrages de moulin (chaussées, écluses, déversoirs) conduit à des incisions de lit mineur, à des moindres débordements en lit majeur d'inondation (donc des assèchements), à des transferts de sédiments plus fins (plutôt jugés néfastes en colmatage de fond). "Les lits majeurs autour des zones de retenue de l'eau sont plus souvent inondées pendant la période d'activité des moulins que ceux précédant leur construction  en raison des niveaux d'eau plus élevés de la retenue au déversoir, ce qui entraîne une sédimentation relativement élevée dans les plaines inondables. Après l'élimination des moulins, les niveaux d'eau ne sont plus surélevés. Dans les chenaux, le débit ralenti en amont des seuils des moulins entraîne le dépôt de sédiments dans la zone de retenue. La période entre la construction et la destruction des moulins a été si longue que les taux d’inondation du lit majeur et, par conséquent, la sédimentation de ce lit majeur ont diminué en raison de l’augmentation de la hauteur des rives."
Maaß AL, H. Schüttrumpf (2019), Elevated floodplains and net channel incision as a result of the construction and removal of water mills, Geografiska Annaler: Series A, Physical Geography, DOI: 10.1080/04353676.2019.1574209

"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)
Des chercheurs montrent les arbres déclinent dns zones amont de seuils effacés avec divers dysfonctionnements de la plaine alluviale, que des petits barrages dont l'examen démontre qu'ils ne forment pas d'entraves à la mobilité sédimentaire… ce qui les amènent à interroger le discours de justification de ces opérations. "Au cours de la dernière décennie, l'effacement des barrages et des seuils a été promu pour améliorer la continuité au long de nombreuses rivières. Cependant, de telles politiques soulèvent de nombreuses questions socio-écologiques telles que l'acceptabilité sociale, l'intégration des différents usages de la rivière, et l'impact réel sur les écosystèmes de cette rivière"
Dufour S et al (2017), On the political roles of freshwater science in studying dam and weir removal policies: A critical physical geography approach, Water Alternatives, 10, 3,  853-869

Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017)
Une dizaine de biologistes publie une perspective dans Biological Conservation soulignant que les réservoirs des grands barrages ont aussi des intérêts écologiques : ils servent de refuges face aux sécheresses, bloquent des espèces invasives, forment des écosystèmes lacustres ayant leur propre diversité. L'avenir à long terme du vivant après leur effacement n'est pas garanti si l'écosystème originel de la rivière a été très modifié. Et la valeur de l'eau stockée dans les retenues a par ailleurs toute chance de devenir plus forte en situation de réchauffement. "Dans des cours d'eau menacés de sécheresse où les refuges naturels seront perdus, l'implication des projections climatiques sur la valeur des barrages et les impacts de leur suppression doit être prise en compte par les chercheurs et les décideurs".
Beatty S et al (2017), Rethinking refuges: Implications of climate change for dam busting, Biological Conservation, 209, 188–195

Réponse négative de la végétation riveraine à la suppression d'ouvrages hydrauliques (Depoilly et Dufour 2015)
Une étude de long terme faite sur la végétation riveraine de deux fleuves côtiers bas-normands (Orne, Vire) montre que les arbres situés à l'amont de deux ouvrages de moulins effacés en 1997 ont connu une baisse significative de croissance, en particulier les aulnes. Pour les chercheurs, les écosystèmes aquatiques, les écosystèmes riverains, le bâti historique et les pratiques sociales doivent être davantage intégrés dans la programmation multidisciplinaire de la restauration de continuité écologique. "Les résultats de cette étude illustrent en partie la complexité des enjeux politiques et opérationnels qui s’articulent autour de la stratégie de restauration de la continuité écologiques des cours d’eau par suppression des ouvrages de type seuils ou petits barrages. En effet, cette stratégie soulève la question de notre capacité à combiner les effets de telles opérations sur des plans multiples, relevant des dimensions écologistes et socio-culturelles."
Depoilly D et Dufour S (2015), Influence de la suppression des petits barrages sur la végétation riveraine des cours d'eau du nord-ouest de la France, Norois, 237, 51-64

Par ailleurs, de très nombreux travaux scientifiques montrent que les plans d'eau hébergent de la biodiversité et rendent des services écosystémiques. Vous pouvez lire et surtout diffuser ce dossier de 100 références scientifiques produit par la coordination Eaux & rivières humaines. La négation des nouveaux écosystèmes créés au fil de l'histoire par les sociétés humaines relève souvent d'une vision intégriste de la "nature sauvage" comme seule référence possible de la réflexion écologique. Ces vues radicales et marginales n'a pas vocation à devenir la doctrine d'intérêt général de nos politiques publiques.

28/08/2020

La continuité apaisée se met en mode déni de réalité dans le Moniteur

Après le Canard enchaîné, le journal le Moniteur revient sur le décret du 30 juin 2020 qui doit permettre aux casseurs de moulins, barrages, canaux et étangs d'agir sur simple déclaration sans enquête publique pour consulter les citoyens, sans étude d'impact pour analyser les milieux et enjeux. On constate que les services de l'Etat sont encore dans le déni de réalité: le rejet par les riverains de l'absurdité de détruire le patrimoine de leur rivière et de mettre à sec les écosystèmes crées par les ouvrages humains. L'urgence écologique, c'est tout sauf cela en 2020. 


Derrière le blabla bureaucratique de la continuité apaisée, la pelleteuse qui continue de détruire un à un les ouvrages hydrauliques, leurs usages, leurs paysages, leurs milieux associés. On attend du ministère un ordre clair à ses services : la destruction est la solution de dernier recours, les ouvrages ont de la valeur. 

Dans un article du Moniteur, on relève la colère du monde des moulins après le décret scélérat du 30 juin 2020 qui fait entrer les opérations dites de restauration écologique dans le régime de la simple déclaration, cela quel que soit le linéaire impacté. Le problème est que tout et surtout n'importe quoi est devenu de la "restauration écologique" en France. Par exemple, on pourra supprimer une retenue de 10 hectares ou un ouvrage avec canal de 2000 m sans passer par une autorisation avec étude d'impact sur les milieux et enquête publique auprès des riverains de ces sites. Il suffira d'un accord en catimini entre maître d'ouvrage et services de l'Etat, avec dossier bâclé et parfaite indifférence aux milieux perturbés.

Et pour cause, l'ouvrage hydraulique est le diable dans le dogme véhiculé  depuis 10 ans par une fraction militante des services de l'Etat et par quelques lobbies intégristes du "retour à la nature sauvage sans l'homme" ou de la pêche de loisir aux salmonidés comme soi-disant protection de milieux aquatiques. Rien à voir avec les analyses bien plus nuancées des scientifiques, qui ne trouvent pas que des désavantages aux ouvrages et qui tirent la sonnette d'alarme sur l'impossibilité d'une écologie sans intégrer les attentes des riverains.



On peut encore lire dans cet article du Moniteur des choses assez fausses de la part de l'Etat et de certains acteurs du CNE. Ainsi :
Loin des situations décrites dans le Canard enchaîné, les services de l’Etat sont formels : «Aucun seuil ne peut être détruit sans l’accord du propriétaire».
D'abord, le propriétaire n'est pas le seul concerné par un ouvrage hydraulique, et c'est bien le problème du décret scélérat. Une retenue, un bief, un plan d'eau, cela concerne aussi des tiers riverains et ce sont aussi des milieux aquatiques. Un dialogue restreint au propriétaire isolé et au fonctionnaire jacobin, ce n'est pas la bonne manière de procéder. Il faut écouter les gens en France, cesser de faire n'importe quoi au gré des modes des experts qui se contredisent: l'Etat ne voit-il pas la colère du pays et le rejet de ses politiques autoritaires décidées dans un bureau à Paris, pas seulement sur la continuité écologique?

Ensuite, l'administration dissimule toujours la réalité, ce qui n'est pas propice à l'apaisement. Aujourd'hui, les propriétaires reçoivent d'un côté une mise en demeure des services du préfet demandant de mettre leur ouvrage aux normes de la continuité écologique, avec souvent l'option la plus exigeante (passage de toutes espèces même non migratrices), et de l'autre côté ils reçoivent un message de l'agence de l'eau et du syndicat de rivière disant "désolé, la seule solution financée à 100% par l'argent public est l'effacement, pour la passe à poissons vous devrez payer cher de votre poche, 40 à 60% du coût".

Rappelons que cette position est intenable : la loi a prévu expressément le droit à indemnisation quand un particulier est confronté à des charges exorbitantes d'intérêt général. Donc la seule chose à faire pour le propriétaire, c'est de répéter au préfet par courrier recommandé qu'il attend le financement des solutions non destructrices de son ouvrage autorisé. Quand il y a des associations actives comme Hydrauxois et ses consoeurs sur leurs basins bourguignons, les propriétaires sont informés, les préfets reçoivent régulièrement des courriers recommandés de notre part rappelant que nous irons au contentieux si un seul propriétaire adhérent est laissé sans solution solvable de non-destruction de son site. Mais ailleurs, quand il n'y a pas d'association ou de collectif, quand le propriétaire est isolé et en situation de faiblesse, la pression marche, l'arasement ou dérasement passe en force.


"Claude Miqueu se montre d’autant plus déterminé que selon lui, « 95 % des dossiers ne posent aucun problème ». Avant la fin de son mandat, il espère ériger le bassin Adour Garonne comme référence française en matière de continuité écologique apaisée."
Nous pensions que M. Miqueu était plus sérieux. Les dossiers d'aménagement de ponts, de buses, ou d'ouvrages béton de soutien de berge des années 1970 ne sont pas problématiques en général. En revanche, dès que cela concerne des barrages, des moulins, des étangs, des plans d'eau, des canaux d'irrigation, les problèmes sont permanents.

Si M. Miqueu vient sur nos bassins versants, il constatera que 60 à 80% des ouvrages en rivières classées liste 2 sont aujourd'hui en situation de blocage, car les propriétaires ont refusé la seule offre payée sur argent public, à savoir la casse du site (sans indemnisation de la perte de valeur foncière dans le cas du moulin, qui devient simple maison en zone inondable, incapable de produire son énergie).

Au demeurant, le retard massif a été constaté par le rapport CGEDD 2016 : si les gens étaient enthousiastes des solutions proposées, la continuité écologique n'aurait pas accumulé les énormes blocages observés, cela dès le PARCE 2009 où le travail sur les "ouvrages pilotes" avait déjà été un échec en terme d'acceptabiltié et d'efficacité.

La continuité ne sera pas apaisée avec ces manipulations à destination des médias qui ne reflètent en rien la réalité de terrain. Des fédération de moulins et de riverains peuvent être invitées au comité national de l'eau, si le CNE ne retient rien de leurs demandes et que le ministère de l'écologie persiste sur sa lancée, il ne faut rien espérer.

La continuité apaisée a trois conditions minimales :
  • le ministère de l'écologie instruit ses agents que les ouvrages autorisés (moulins, étangs, plans d'eau et autres) doivent être respectés et non détruits, car ils sont conformes à la doctrine française de gestion équilibrée et durable de l'eau;
  • les agences de l'eau cessent de donner la prime à la casse par le soutien maximal à la destruction et le soutien minimal à la passe à poissons ou autres moyens de franchissement, elles accordent au contraire le taux maximal aux solutions douces, multi-usages et consensuelles de franchissement;
  • les ouvrages hydrauliques sont considérés comme des atouts pour les territoires avec une doctrine de gestion équilibrée de l'eau consistant à encourager leur équipement énergétique, favoriser leur stockage d'eau, améliorer leur richesse écologique, soutenir leur animation culturelle et touristique. 
L'apaisement, c'est le respect : une large proportion des représentants de l'Etat, des établissements administratifs et des syndicats de rivière ne respectent toujours pas les ouvrages hydrauliques en 2020. On récolte ce que l'on sème : ce sera de la colère si ce personnel vient encore proposer des financements à 100% pour les seules destructions de site. 

26/08/2020

Députés et sénateurs attendent de Barbara Pompili une clarification sur les ouvrages hydrauliques

Les parlementaires ne comprennent toujours pas : alors qu'ils votent des lois demandant d'aménager sans les détruire les moulins et étangs, mais aussi de favoriser l'équipement hydro-électrique de ces sites, les administrations et les syndicats en charge des rivières semblent avoir comme principale ambition d'en supprimer le plus grand nombre et de compliquer les projets. Qui fait la loi dans notre pays, sinon la volonté du parlement élu? Combien de temps l'administration va-t-elle essayer de déroger à ce que lui disent sans relâche les élus de la République, législature après législature? Cet été, les députés Borowczyk et Perrot, les sénateurs Gabouty et Bonne ont encore interpellé le ministère de l'écologie à propos de cette anomalie. La continuité "apaisée" dont se prévaut fort hypothétiquement le gouvernement, cela consiste à revenir à la loi : valoriser les ouvrages hydrauliques et leurs milieux en améliorant les conditions des poissons migrateurs, mais aussi en respectant les autres usages de l'eau et les autres formes de biodiversité. Tant que tous les fonctionnaires des services techniques des syndicats, des DDT-M, des agences de l'eau, de l'OFB et de la direction ministérielle ne seront pas sur cet horizon de gestion défini par le législateur, il y aura des problèmes de terrain. 



Cet article de la Nouvelle République montre que de nombreux gestionnaires de l'eau n'ont pas intégré les principes d'une politique apaisée de continuité et persistent dans un discours conflictuel où l'ouvrage, réduit à l'état de "verrou", doit disparaître. Que ce discours soit tenu par des militants d'associations privées ou des représentants de lobbies, pourquoi pas. Par des représentants d'administrations ou de structures à agrément public, c'est un problème, car la loi française n'a jamais donné mandat à quiconque pour détruire le patrimoine installé et ses nouveaux écosystèmes.

A l'Assemblée nationale

Question N° 30543de M. Julien Borowczyk (Loire)
M. Julien Borowczyk interroge Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur l'avenir des moulins. La destruction des seuils des moulins, dont 90 % ne constituent pas d'obstacles à la continuité écologique (source OFB), parce qu'ils offrent des avantages écologiques incontournables d'une part, serait inopportune. En effet, lorsque les hommes ont construit la plupart des seuils de moulins, au moyen-âge, ils n'ont rien inventé, ils se sont contentés de copier ce que les castors avaient fait. Leurs ouvrages ont les mêmes propriétés écologiques : biodiversité, amélioration de la qualité de l'eau, alimentations des zones humides. D'autre part, sur le versant économique, les moulins peuvent retrouver leur utilité par la production d'électricité qui contribue à une certaine indépendance énergétique et la production de farine, ingrédient indispensable en période de confinement. Il souhaite connaître son avis sur ce sujet.

Question N°30943 de M. Patrice Perrot (Nièvre) 
M. Patrice Perrot appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la mise en œuvre des dispositions de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, relatives au développement de la production d'hydroélectricité. Pour répondre à l'objectif de neutralité carbone à 2050 et de réduction de 40 % de la consommation d'énergies fossiles d'ici 2030, l'article 1er de ladite loi a ainsi modifié l'article 100-4 du code de l'énergie afin que les politiques nationales encouragent la production d'énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité. Les propriétaires de moulins qui souhaitent valoriser leurs installations en développant des pico centrales, dans le respect de la continuité écologique, s'inquiètent de la traduction concrète de cette disposition. En effet, les délais d'instruction par les services compétents sont souvent très longs et les démarches administratives lourdes. Par ailleurs, les études demandées à la charge du propriétaire sont parfois excessives en termes de coûts, qui pèsent sur la rentabilité même du projet. Alors que l'optimisation des équipements existants peut constituer un élément de l'accroissement de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et que la loi fixe un objectif en matière de développement de la petite hydroélectricité, il lui demande quelles instructions ou mesures concrètes auraient d'ores et déjà ou seront prochainement prises pour confirmer l'ambition ainsi portée par ladite loi.

Au Sénat

Question n° 17482 de M. Jean-Marc Gabouty (Haute-Vienne) 
M. Jean-Marc Gabouty attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les modalités d'application des articles L. 214-18-1 et L. 214-17 du code de l'environnement.
Le législateur, souhaitant répondre à l'urgence écologique et climatique, a posé divers objectifs et notamment la nécessaire restauration de la continuité écologique des cours d'eau tout en tenant compte d'impératifs comme la protection du patrimoine - par exemple des moulins à eaux.
En 2019, le code de l'énergie a complété son arsenal législatif en introduisant un 4° bis à l'article L. 100-4 en mentionnant parmi les énergies renouvelables « la production d'électricité hydraulique, notamment la petite électricité ».
En Haute-Vienne, ainsi que dans de nombreux départements, se situent des moulins «régulièrement» installés au sens de l'article 2 de l'article L. 214-17 du code de l'environnement - comme par exemple le moulin de Bersac sur la commune de Rancon – qui ont vocation à produire de l'électricité.
La réponse publiée le 9 août 2018 (p. 4198) à la question écrite sénatoriale n° 1 874 - mentionne une lecture et une application sensibles des articles L. 214-17 et L. 214-18-1 du code de l'environnement ; et suggère la lecture de divers documents pour en faciliter l'application et la compréhension par les propriétaires, les associations de défenseurs de moulins et de cours d'eau ainsi que par les services de l'État. Sont cités le guide réalisé par les fédérations de défense des moulins et l'association française des établissements publics territoriaux de bassin ou encore le «plan d'action pour une mise en œuvre apaisée de la continuité écologique» ainsi que le règlement européen n° 1100/2007 du conseil en date du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes.
L'application de ces articles nourrit des contentieux avec l'administration et semble susciter encore des divergences d'interprétation entre les fédérations de défense de moulins ou de cours d'eau et les services de l'État.
En conséquence, il lui demande de clarifier les conditions d'application des articles L. 214-18-1 et L. 214 - 17 du code de l'environnement.

Question écrite n° 16736 de M. Bernard Bonne (Loire) 
M. Bernard Bonne attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la nécessaire valorisation du patrimoine hydraulique des rivières dans notre pays.
Malgré 2 milliards d'euros dépensés chaque année par les agences de l'eau, les résultats ne sont pas au rendez-vous et la fracture entre les politiques nationales et les réalités de terrain s'accentue. Or, durant la crise du Covid-19, les petites centrales hydro-électriques ont continué à produire de l'énergie bas carbone, les moulins ont repris ou augmenté leur production d'huile ou de farine afin de faire face aux difficultés d'approvisionnement.
Plus généralement, face aux risques majeurs que notre pays affronte, manque d'indépendance énergétique, retard dans la production bas carbone, sécheresses et canicules, mais aussi grandes crues, déclin de la biodiversité, les ouvrages hydrauliques sont une réponse pertinente.
Or, contrairement à l'esprit de la loi de 2006 qui prévoit explicitement de « gérer, entretenir et équiper » les ouvrages hydrauliques et d'indemniser les charges exorbitantes résultant de travaux de continuité écologique là où ils sont indispensables, l'État dépense l'argent public pour détruire et assécher les seuils de moulins dont 90 % d'entre eux ne constituent pas des obstacles à la continuité écologique.
Aussi, alors que près de 50 000 sites sont ainsi disponibles pour mener une politique locale et active pour l'eau, le climat et les paysages, la biodiversité mais aussi l'économie locale, il souhaite savoir si le Gouvernement entend préserver nos moulins et étangs et non les détruire, et mener une réelle politique de co-construction avec les acteurs de terrain.