La coordination Eaux & rivières humaines, dont Hydrauxois est membre, demande au Premier Ministre et à la ministre de la Transition écologique d'engager une réforme réelle et non déclarative de la politique de continuité dite "écologique". Les arbitrages n'ont pas changé, les destructions de site restent priorisées, des services de l'Etat, des établissements publics (OFB, agence de l'eau) comme des syndicats de rivière continuent de voir les ouvrages hydrauliques et leurs milieux comme des anomalies devant disparaître, et non comme des partenaires de la gestion écologique de la rivière. Cette forme d'écologie punitive et sectaire, selon les termes de M. Castex, se cogne dans le mur du réel. Nous serons condamnés au conflit et nous ne pourrons rien bâtir sans une position claire du ministère à destination de ses administrations de l'eau et de la biodiversité. La gestion équilibrée et durable de l'eau formant la doctrine publique des lois de notre pays n'a jamais été une prime de principe à la destruction des écosystèmes créés par les humains, à la mise à sec des canaux et plans d'eau, à la condamnation des usages locaux de l'eau, dont ceux qui contribuent à la transition écologique. Le gouvernement, déjà assailli de protestations parlementaires et de plaintes judiciaires sur la mise en oeuvre de continuité dite "écologique", va devoir trancher.
Lettre à télécharger (pdf) et à envoyer en copie à votre parlementaire, avec mot d'accompagnement sur le contexte local et demande de saisine de Mme Pompili. Chacun doit se mobiliser pour défendre les patrimoines menacés des rivières et bassins versants.
Monsieur le Premier Ministre,
Madame la ministre de la Transition écologique et solidaire,
La Coordination nationale Eaux & rivières humaines est née de la volonté commune de plusieurs dizaines d’associations, collectifs, syndicats, d’être mieux représentés auprès des pouvoirs publics afin de protéger tous les patrimoines menacés de l’eau. En effet, des acteurs importants de la vie des cours d’eau et des bassins versants – les riverains déjà, mais aussi les moulins, les étangs, les défenseurs du patrimoine historique et paysager, les protecteurs de la biodiversité des milieux lentiques, les gestionnaires privés de plan d’eau et de canaux —, sont actuellement peu représentés, voire exclus pour certains, des instances de concertation comme le comité national de l’eau (CNE) ou les comités de bassins des agences de l’eau.
Il résulte un déficit démocratique majeur concernant la co-construction des politiques de l’eau. La façon dont est mise en œuvre la continuité écologique des cours d’eau l’illustre : c’est une des réformes environnementales les plus problématiques en France, comme l’a reconnu le rapport du CGEDD de 2016 commandité par Mme Ségolène ROYAL. Les modalités déplorables d’exécution de cette réforme ont engendré la perte de confiance qu’avaient les citoyens des sites concernés envers l’administration en charge de l’eau.
Les services de l’Etat (DDT-M et DREAL), les agences de l’eau, l’office français de la biodiversité (OFB), la direction eau & biodiversité du ministère ont exprimé depuis 10 ans un parti-pris permanent (et démontrable) en faveur de la destruction des ouvrages hydrauliques, alors que la loi demande expressément qu’ils soient « gérés, entretenus et équipés » (art L.214-17 CE). Les parlementaires et les élus de terrain ont, à maintes reprises, rappelé au ministère ce qui avait été décidé en 2006 dans la loi sur l’eau comme en 2009 dans la loi créant la Trame verte et bleue, à savoir aménager et non effacer les ouvrages.
Car cette destruction des moulins, étangs, lacs, plans d’eau et canaux pose de nombreux problèmes dont nous sommes témoins sur nos territoires :
- assecs plus sévères, crues plus violentes,
- baisse des nappes, des réserves d’eau potable, des réserves de sécurité incendie,
- suppression d’un potentiel hydro-électrique pourtant facile à relancer,
- élimination de plans d’eau et zones humides avec leurs écosystèmes inféodés,
- déséquilibre et déclin de la biodiversité acquise dans les milieux lentiques,
- destruction du cadre de vie et du paysage appréciés des riverains,
- dépossession des territoires qui subissent des choix arbitrés ailleurs.
Conscient de ces très vives controverses, le ministre de l’écologie a proposé un « plan pour une politique apaisée de continuité écologique » en 2018.
Mais ce plan n’est suivi d’aucun effet, ce qui aggrave la crise de confiance. Ainsi en ce moment même, dans le cadre des SDAGE en cours d’élaboration, les services de l’Etat au sein des agences de l’eau ont proposé de reconduire la prime financière à l’effacement des ouvrages tout en refusant la moindre étude des services écosystémiques attachés aux ouvrages. Pourquoi prétendre à l’apaisement quand les personnels publics sous la tutelle du ministère, en charge de la primo-rédaction des SDAGE, reconduisent volontairement les conditions de la division, alors même qu’ils ont été maintes fois saisis du problème ?
Plus généralement,
- nos adhérents qui optent pour ces solutions douces de mise en conformité au titre de la continuité écologique (construction de passe à poissons ou de rivières de contournement), conformes à l’intérêt général d’une gestion équilibrée de l’eau, se voient opposer un taux de financement public tellement modique qu’il en devient volontairement dissuasif, vu le coût exorbitant des travaux devenant inaccessibles,
- nos adhérents souhaitant relancer l’énergie hydro-électrique au droit de leur site découvrent des exigences administratives dont le coût représente plusieurs dizaines d’années de revenu de micro-exploitation.
Dans un entretien à Ouest-France vous avez dit, monsieur le Premier Ministre : « l’écologie est-elle une priorité ? La réponse est clairement oui. Dans mon esprit, la netteté de cette réponse a sans doute été retardée par les tenants d’une écologie punitive et décroissante, d’une écologie moralisatrice voire sectaire qui, sans doute de parfaite bonne foi, ont beaucoup nui et continuent de desservir la cause. Mais mes années en tant que maire, mon vécu en tant que père, m’ont convaincu de l’urgence de ce combat. »
Nous sommes entièrement en phase avec ce constat.
Nous estimons que :
- détruire le riche patrimoine français des moulins, des étangs, des lacs, des canaux, des barrages, c’est de l’écologie punitive et sectaire,
- méconnaître les dynamiques réelles des rivières déjà fragmentées par les barrages de castors et d’embâcles bien avant que l’homme n’y installe ses propres ouvrages et plans d’eau voici plus de mille ans, c’est de l’écologie punitive et sectaire,
- exercer une forte pression sur les propriétaires en finançant à 95-100% la seule solution de destruction de leur propriété et de ses usages, c’est de l’écologie punitive et sectaire,
- refuser de considérer et d’étudier la biodiversité des milieux aquatiques créés de la main de l’homme au seul motif qu’ils ne sont pas naturels, c’est de l’écologie punitive et sectaire,
- désinformer les élus locaux en affirmant que tout aurait déjà été dicté par l’Europe, qu’il n’existe aucune alternative ni co-construction possible, que le financement public des solutions douces et consensuelles doit forcément être dérisoire, c’est de l’écologie punitive et sectaire.
Une écologie inclusive, réaliste et pragmatique consiste à protéger des rivières sauvages quand elles existent encore, mais aussi à accepter les rivières aménagées par l’homme pour ses besoins et à proposer des améliorations de ces aménagements. Les racines du problème de la continuité écologique sont là, et nulle part ailleurs : au lieu d’améliorer le sort des poissons migrateurs par des solutions de compromis respectant les usages et les biotopes, au lieu de profiter des ouvrages pour atténuer l’impact des sécheresses et pour augmenter l’équipement bas-carbone du pays, certains ont développé une écologie radicale de « retour à la nature » par négation des réalités humaines, historiques, sociales, paysagères. Ce n’est pas dans cette logique de confrontation et d’exclusion que l’on doit concevoir la conservation de la biodiversité au 21e siècle. Car cette biodiversité est bien notre affaire à tous, comme le climat.
Vous visitiez voici peu ensemble, monsieur le Premier Ministre, madame la Ministre, la réserve naturelle de l'étang Saint-Ladre à Boves : cette co-construction de l’homme et de la nature, permettant des usages humains et des épanouissements d’espèces, n’est-elle pas la preuve vivante de l’absurdité à démanteler partout sur argent public des plans d’eau, des biefs et tant de milieux hérités de l’histoire ?
Nous vous posons donc une question simple : le gouvernement français entend-il aujourd’hui engager toute son administration, sans exception, à reconnaître et respecter les ouvrages hydrauliques existants, à encourager leur équipement hydro-électrique, à proposer des solutions de gestion écologique qui ne passent plus par la priorisation de la destruction des sites et de leurs écosystèmes ?
Nous vous remercions par avance de la sincérité et de la clarté de votre réponse.