Une recherche scientifique a analysé l'effet de la suppression de deux barrages dans un contexte géomorphologique de faible rétention de sédiments de leur retenue. Sans surprise, elle conclut que l'effet local est négligeable. Ces scientifiques alertent sur le fait que les gestionnaires doivent aussi connaître et prendre en compte les résultats négatifs, car tous les chantiers n'ont pas les effets attendus sur des grands barrages à fort volume de retenue (sur lesquels la science s'est largement concentrée depuis 30 ans). Les ouvrages ici étudiés faisaient tout de même 6 et 10 m de haut. Que dire de ceux qui prétendent en France que la suppression de chaussées de moulin de 1 m ou 2 m de hauteur représenterait un enjeu majeur au plan sédimentaire?
La zone étudiée par Collins et al 2020, art cit.
De nombreuses études physiques sur les effacements de barrages ont ciblé des sites stockant des quantités appréciables de sédiments, en particulier les grands barrages de plus de 10 mètres de haut qui occupent l'essentiel de la littérature scientifique sur la question.
Comme le font remarquer Mathias J. Collins (NOAA), Alice R. Kelley (Université du Maine) et Pamela J. Lombard (US Geological Survey), "ces emplacements ont été choisis parce qu'il y a un grand intérêt pour la façon dont les chenaux réagissent aux rejets massifs de sédiments. Notre site d'étude était inhabituel car il se concentrait sur deux barrages relativement grands (6 et 10 m de haut), les plus bas de la rivière Penobscot, dans le Maine, qui stockaient très peu de sédiments."
Voici le résumé de leur travail :
"La plupart des études géomorphologiques des prélèvements de barrages se sont concentrées sur des sites contenant des quantités appréciables de sédiments stockés. Les réactions des chenaux aux rejets de sédiments suscitent un grand intérêt en raison des effets potentiels sur les habitats aquatiques et riverains, et sur les utilisations humaines de ces zones. Pourtant, derrière de nombreux barrages dans le nord-est des États-Unis et dans d'autres régions du monde, seules des accumulations mineures de sédiments sont présentes en raison de petits bassins de retenue, de la conception et de la gestion des barrages au fil de l'eau (entrant ≈ sortant), du faible rendement en sédiments du bassin versant et / ou des lits du chenal dominés par des sédiments grossiers et / ou du substrat rocheux.
Les deux barrages les plus en aval de la rivière Penobscot dans le Maine, aux États-Unis, supprimés en 2012-2013, illustrent ces conditions. Les barrages Great Works et Veazie mesuraient respectivement environ 6 et 10 m de haut. Les levés géophysiques préalables au projet ont montré que des substrats grossiers dominaient les lits des réservoirs et que peu de sédiments étaient stockés dans l'un ou l'autre des bassins - fonctions de la géologie du tronçon, de l'histoire du Quaternaire tardif et des barrages en amont. Des relevés transversaux répétés dans chaque bassin, ainsi que dans les tronçons amont et aval, ont été effectués de 2009 à 2015 pour évaluer les réponses morphologiques des chenaux aux prélèvements. La granulométrie et la turbidité du lit-sédiment ont également été mesurées pour caractériser les changements de texture du lit et des sédiments en suspension.
Les comparaisons de l'enquête avant et après le retrait ont confirmé l'hypothèse que les élévations du lit, la forme des chenaux et les positions de ces chenaux ne changeraient pas substantiellement. Les changements étaient souvent à l'intérieur ou à proximité de notre estimation mesurée d'erreur aléatoire. Notre étude montre que les changements physiques à grande échelle seront probablement minimes lorsque des barrages contenant relativement peu de sédiments sont retirés des lits de cours d'eau résistants à l'érosion. De nombreux barrages éligibles à l'enlèvement présentent ces caractéristiques, ce qui fait de ces observations une étude de cas importante qui n'est en grande partie pas représentée dans la littérature sur l'effacement des barrages."
Les auteurs soulignent notamment dans le texte un problème connu de la littérature scientifique, la non-publication des résultats négatifs, qui a pour effet d'induire en erreur les praticiens d'un domaine :
"Il est utile de rapporter les résultats sans changement, en particulier dans la science de l'effacement des barrages où les résultats peuvent éclairer la pratique. Les résultats de l'absence de changement sont rarement documentés dans la littérature sur la suppression des barrages, et en fait, de nombreuses études se déroulent sur des sites où des changements sont probables ou attendus, en particulier pour les variables de réponse physique (Bellmore et al 2017; Duda et al 2020). Ainsi, la littérature disponible pour informer les praticiens et les parties prenantes locales peut être biaisée pour suggérer qu'ils devraient s'attendre à des changements lorsque, dans de nombreux cas, ces changements sont peu probables. Que les études d'effacement de barrage ne soient pas représentatives des projets d'effacement à d'autres égards, comme la hauteur des barrages et le cadre géographique, aggrave le problème (Bellmore et al 2017)."
Discussion
La question des discontinuités en long de la rivière se posait déjà à certains gestionnaires à la fin du 19e siècle, mais elle a pris sa réelle ampleur avec la période de construction des grands barrages qui a culminé dans le monde occidental entre 1910 et 1980 (tout en continuant aujourd'hui dans les pays en développement). Par leur blocage complet du lit majeur même en crue et par le volume de stockage dans le réservoir, ces barrages étaient différents des ouvrages plus modestes qui les ont précédés.
Notre association a toujours fait observer aux gestionnaires publics des rivières en France que leur littérature de référence concernait ces grands ouvrages, et non les chaussées, seuils et petits barrages souvent anciens formant le principal terrain d'effacement, de sorte que les conclusions souvent avancées sur l'impact sédimentaire étaient déplacées. Par définition, un ouvrage qui peut seulement stocker quelques centaines de mètres cubes, qui est surversé et contourné lors des crues morphogènes, qui est présent depuis des siècles et parfois largement comblé dans sa retenue a peu de chance d'avoir un effet très notable sur le bilan sédimentaire du bassin. Une récente étude sur les moulins a confirmé ce point, en soulignant que leur impact sédimentaire a été surestimé (Peeters et al 2020). Inversement, la possibilité qu'il existe des polluants persistants dans des retenues est peu analysée avant la remobilisation des sédiments (Howard et al 2017). Tout cela nourrit l'idée que l'on produit une expertise ad hoc dans les chantiers d'effacement en France, expertise qui exagère les issues positives mais minimise ou écarte les conséquences négatives. Ce n'est pas ainsi que pourra s'installer la confiance dans les choix de gestion des rivières.
Nous observons hélas! qu'un trop grand nombre de techniciens de rivière voire de bureaux d'études reprennent de manière a-critique l'idée d'un impact sédimentaire important des petits ouvrages et donc d'un gain écologique sur ce compartiment, qui justifierait la dépense publique d'intervention sur les ouvrages et en particulier les coûts d'opportunité des effacements, au lieu de dédier ces ouvrages à des usages utiles pour la société et le vivant. Il faut souhaiter que l'expertise scientifique publique en écologie aquatique, chargée de fonder les politiques sur des preuves convaincantes et de prioriser les enjeux d'intervention sur des bases transparentes, se montre désormais plus précise sur ces sujets.
Référence : Collins MJ et al (2020), River channel response to dam removals on the lower Penobscot River, Maine, United States, River Research and Applications, e pub, DOI : 10.1002/rra.3700
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