14/12/2020

Les silures dévorent les grandes aloses de la Garonne (Boulêtreau et al 2020)

Jadis, les saumons, aloses et autres migrateurs formaient les poissons de plus grande taille (avec le brochet) dans leur milieu d'eau douce. Mais ce n'est plus le cas avec l'introduction du silure, une espèce venue du Danube qui s'est étendue en Europe occidentale et méridionale. Une étude de chercheurs français menée sur la Garonne montre que ces poissons-chats géants consomment des grandes aloses, et qu'ils sont capables de repérer le comportement particulier de frai de ce migrateur pour profiter d'opportunités alimentaires. On peut certes essayer de réguler le silure dans nos eaux. Mais cela doit nourrir aussi une réflexion sur les objectifs de conservation des poissons migrateurs, qui ne rencontrent plus du tout à l'Anthropocène les conditions de leur expansion maximale voici quelques millénaires, en raison de causes multiples dont la plupart ne vont pas disparaître à court terme. 


Le silure européen Silurus glanis fait partie des 20 plus gros poissons d'eau douce au monde, et c'est le plus gros poisson d'Europe (jusqu'à 2,7 m de longueur totale, deux fois plus que des prédateurs indigènes en France comme le brochet). Sa taille extrême en a fait une espèce populaire pour les pêcheurs sportifs, ce qui a entraîné leur introduction intentionnelle dans certains pays d'Europe de l'Ouest et du Sud.

Mais comme toute espèce introduite, le silure a des effets sur les assemblages d'espèces qui pré-existent à son arrivée dans les rivières. 

De nombreuses espèces de poissons dites "anadromes" migrent entre l'eau de mer et l'eau douce pour frayer. Elle sont généralement protégées de la prédation par d'autres poissons lors de leur migration vers l'amont par leur grande taille à l'âge adulte. Mais les introductions et invasions de nouvelles espèces ont perturbé cette règle ayant émergé de l'évolution, car certaines espèces de poissons prédateurs sont plus grandes que les migrateurs. Dans les eaux douces d'Europe occidentale et méridionale, l'établissement du silure Silurus glanis expose les poissons anadromes adultes à la prédation en augmentant le seuil de taille corporelle auquel les proies deviennent invulnérables. 

Stéphanie Boulêtreau et ses collègues ont analysé le comportement de prédation du silure sur les grandes aloses (Alose alosa), un poisson migrateur jadis commun en Europe, mais aujourd'hui menacé.

Voici le résumé de leur travail : 

"Le silure Silurus glanis est un grand prédateur opportuniste non indigène capable de développer une stratégie de chasse en réponse aux proies nouvellement disponibles là où il a été introduit. La migration de proies anadromes reproductrices comme la grande alose Alosa alosa pourrait représenter cette ressource alimentaire disponible et riche en énergie. Ici, nous rapportons un comportement impressionnant de chasse au silure lors de la reproduction de l'alose dans l'une des principales frayères d'Europe (Garonne, sud-ouest de la France). 

La reproduction de l'alose se compose d'au moins un mâle et une femelle nageant côte à côte, battant la surface de l'eau avec leur queue, ce qui produit un bruit d'éclaboussement audible depuis la rive du fleuve. Le comportement de chasse du silure lors de la reproduction de l'alose a été étudié, la nuit, pendant les mois de printemps, en utilisant à la fois une enquête auditive et vidéo. Simultanément, des individus de poisson-chat ont été pêchés pour analyser le contenu de leur estomac. 

Le silure a perturbé 12% des 1024 actes de frai nocturnes que nous avons entendus, et cette proportion est passée à 37% parmi les 129 actes de frai lorsqu'elle est estimée avec un enregistrement par caméra en basse lumière. Les analyses du contenu stomacal de 251 gros silure (longueur du corps > 128 cm) capturés dans le même tronçon de rivière) ont révélé que l'alose représentait 88,5% des proies identifiées dans le régime alimentaire du silure. 

Ces travaux démontrent que la prédation du silure doit être considérée comme un facteur important de mortalité des aloses. Dans un contexte d'extension de l'aire de répartition européenne du silure dans les eaux douces d'Europe occidentale et méridionale, ce nouvel impact trophique, avec d'autres précédemment décrits pour le saumon ou la lamproie, doit être pris en compte dans les plans européens de conservation des espèces anadromes."

Discussion
Ces travaux confirment d'autres recherches faites dans les eaux françaises sur la prédation des saumons remontants par les silures. Ils soulignent les causes multifactorielles de déclin des migrateurs : outre des barrières physiques, ceux-ci sont confrontés à la pollution, la surpêche et le braconnage, la prédation par de nouvelles espèces, le changement climatique et ses effets océaniques comme fluviaux. 

La stratégie évolutive de la migration permet des gains alimentaires (croissance dans un milieu favorable) mais elle est coûteuse, puisque les animaux y ayant recours parcourent de longue distance, ce qui représente une dépense en énergie et une exposition à divers risques. Le changement progressif des conditions des rivières et des océans à l'Anthropocène est particulièrement défavorable à ces espèces. Cela suggère que si les stratégies de conservation de ces migrateurs visent à juste titre à éviter l'extinction des espèces, elles auront sans doute le plus grand mal à revenir aux quantités d'individus observées avant l'ère moderne. Une discussion des objectifs des politiques publiques en ce domaine serait bienvenue.

Référence : Boulêtreau S et al (2020), ‘The giants’ feast’’: predation of the large introduced European catfish on spawning migrating allis shads, Aquatic Ecology, doi.org/10.1007/s10452-020-09811-8

A lire en complément

11/12/2020

La gestion des étangs piscicoles est appréciée par l'avifaune (Boyer et Bourguemestre 2020)

Le fuligule milouin est une espèce de canard qui a connu une expansion dans les étangs européens à compter de la fin du 19e siècle. Mais l'anatidé a amorcé un déclin à partir des années 1980 et il est considéré comme vulnérable. Un travail de recherche sur les étangs de la Brenne montre que ces plans d'eau sont des habitats d'autant plus favorables qu'ils sont activement gérés, ce qui augmente la productivité piscicole et trophique favorable aux fuligules. C'est un bon exemple de l'évolution de la biodiversité dans les nouveaux écosystèmes créés par les humains. Et une incitation supplémentaire à ne pas opposer sommairement milieux naturels et milieux artificiels, ni biodiversité endémique et biodiversité acquise.


Fuligule mâle, par Neil Phillip (Flickr, CC BY 2.0)

Le fuligule milouin Aythya ferina est un canard plongeur (Anatidés) européen, classé comme espèce vulnérable. Il offre un exemple d'adaptation réussie à un habitat artificiel: le système d'étangs piscicoles. Le fuligule s'est installé à la fin du 19e siècle dans des complexes d'étangs du sud de la Bohême, puis s'est étendu sur une large aire vers le sud-ouest de l'Europe. La hausse du nombre de ses hivernages a été attribuée aux progrès de l'aquaculture dans les systèmes d'étang européens. Mais à partir de la fin des années 1970, un déclin à long terme a commencé dans de nombreuses aires européennes. Il y a donc un besoin d'information sur les facteurs clés affectant l'abondance et le succès de reproduction de cette espèce. Les étangs piscicoles constituent aujourd'hui l'un des habitats les plus couramment utilisés dans de nombreux pays (France, Allemagne, Pologne, République Tchèque), mais la gestion de la pisciculture est susceptible d'affecter positivement ou négativement la vie du fuligule milouin.

Jöel Broyer (OFB, DRAS-Pôle ECLA) et François Bourguemestre (Fédération des chasseurs Indre) ont analysé l'évolution du fuligule milouin dans les étangs de la Brenne. Voici le résumé de leur travail : 

"Les étangs piscicoles constituent un habitat de reproduction majeur pour le fuligule milouin Aythya ferina en Europe. Cette étude a exploré les causes possibles de son déclin récent, en décrivant les conséquences des diverses options de gestion des étangs en Brenne, dans le centre de la France. La densité des couples et le rapport nichée/couple ont été décrits dans un échantillon d'étang soumis à diverses pratiques de gestion, au début des années 2000 et, encore une fois, une décennie plus tard. L'influence de la gestion des étangs sur ces variables a été étudiée par des comparaisons de modèles. 

Au début des années 2000, 69,5% des étangs étudiés étaient fertilisés par les pisciculteurs. Des densités de couples de fuligule milouin plus élevées ont été observées chez ceux qui se nourrissaient artificiellement de la carpe et le rapport nichée/couple était positivement lié à la densité de la biomasse des poissons, à condition que la densité des couples ne soit pas trop élevée. Une décennie plus tard, seuls 25% des étangs étudiés restaient fertilisés. La densité des paires de fuligule milouin était positivement corrélée à la densité de la biomasse des poissons. Mais des ratios nichée/couple plus faibles ont été enregistrés dans les étangs avec alimentation artificielle de la carpe, en raison du fait qu'une densité de couples plus élevée n'y a pas conduit à une augmentation de la densité des couvées. Entre les deux périodes d'étude, le nombre de couples est resté stable dans l'échantillon, mais le rapport nichée/couple a diminué, passant de 0,84 à 0,71. 

Nos résultats soutiennent l'idée que les conditions de l'habitat qui permettent une productivité élevée des poissons étaient également attrayantes pour les couples de fuligules. Ils suggèrent l'hypothèse que la fertilisation des étangs pour améliorer la productivité primaire et, par conséquent, la biomasse des poissons, peut également favoriser le succès de la reproduction des fuligules. Il faut cependant garder à l'esprit que, même avec une gestion active de la pisciculture, la densité de la biomasse des poissons dans les étangs français reste généralement modérée par rapport à celles d'Europe centrale. L'étude n'a révélé aucun effet de la gestion de la chasse puisque l'alimentation de la sauvagine, la lutte contre les prédateurs ou le lâcher de canards colverts n'ont pas influencé de manière significative l'utilisation des étangs par les couples de fuligule ni le rapport nichée/couple".

Ce travail confirme d'autres résultats obtenus par les auteurs en Dombes, Forez ou Brenne (voir par exemple Boyer et al 2015), montrant l'importance de la gestion piscicole des étangs sur la reproduction des Anatidés. La biomasse piscicole et l’état trophique de productivité de l’écosystème sont des facteurs limitants pour les oiseaux.

Référence : Boyer J, Bourguemestre F (2020), Common pochard Aythya ferina breeding density and fishpond management in central France, Wildlife Biology, wlb.00592

09/12/2020

Six députés demandent à Barbara Pompili quand son administration va enfin cesser la casse absurde des moulins et étangs français

Bien loin d'être "apaisée", la continuité écologique nourrit le feu roulant des questions des parlementaires au gouvernement. Six députés, dont quatre de la majorité, s'étonnent ces dernières semaines que le gouvernement ait fait passer le décret scélérat du 30 juin 2020 autorisant la mise à sec des biefs, des canaux, des étangs, des retenues avec destruction des ouvrages sur simple déclaration, sans enquête publique auprès des riverains, sans étude d'impact sur chaque site. Ils font observer que ces ouvrages et ces milieux issus de notre histoire représentent des réserves d'eau, des biotopes pour le vivant, un potentiel hydro-électrique très bas carbone, un patrimoine historique, culturel et paysager. Il serait temps que les bureaucraties ayant programmé la casse du patrimoine français de l'eau reconnaissent explicitement leur erreur d'appréciation, mais aussi que la loi reprécise les contours de la continuité écologique en vue de mettre fin à 10 ans de contentieux permanents.  Il est possible de faire progresser la circulation des poissons par des mesures non destructrices, sans céder à l'horizon intégriste et minoritaire d'une rivière "sauvage" qui serait purgée de toute trace humaine. Il est surtout nécessaire et urgent de recentrer la politique publique de l'eau sur les enjeux apparaissant comme essentiels aux citoyens : prévention du réchauffement climatique par équipement en énergie décarbonée, réduction des pollutions chimiques, gestion des crues et sécheresses frappant de plus en plus durement les territoires, respect des cadres de vie appréciés et de la démocratie locale.


Question N° 34366 de M. Olivier Dassault (Les Républicains - Oise )
M. Olivier Dassault attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur l'effacement et l'aménagement des barrages des moulins prévus dans le décret n° 2020-828 du 30 juin 2020. La démolition des aménagements hydrauliques, qui ont pour certains, plusieurs centaines d'années, est devenue la solution retenue par l'Office de la biodiversité, sans tenir compte des répercussions topographiques, ni des phénomènes de vases communicants. Il s'agit d'une mesure qui entraîne peu à peu l'assèchement de lits dans les environs des ouvrages démantelés. La destruction des digues et des moulins opérée sans études d'impact ni enquêtes publiques met aussi en péril la biodiversité et ne facilite aucunement la libre circulation des poissons migrateurs. Il lui demande donc si des dispositions seront prises rapidement pour supprimer cette réglementation qui va à l'encontre du patrimoine et des milieux aquatiques ruraux.

Question N° 33900 de M. Philippe Chassaing (La République en Marche - Dordogne )
M. Philippe Chassaing appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les conséquences du décret n° 2020-828 du 30 juin 2020 (complété par un arrêté du même jour) modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau. Ce texte dispose que tous les travaux visant à la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques et de la continuité écologique relèvent désormais de la simple déclaration (et non plus de l'autorisation) avec, pour corollaire, de rendre obsolètes les études d'impact environnemental et social, les enquêtes publiques, ainsi que l'information des citoyens et des collectifs de riverains. L'incidence directe est qu'il pourrait être procédé plus facilement à la destruction des milieux en eaux d'origine anthropique, c'est-à-dire façonnés par l'homme au cours de l'histoire (biefs, canaux, étangs, plans d'eau, etc.), sans prendre en considération leur rôle écologique (conservation des biotopes qui se sont constitués dans ces milieux), touristique et patrimonial (les 60 000 moulins de France représentant le troisième patrimoine du pays). En effet, les moulins, qui contribuent à la richesse des paysages et du patrimoine local, lorsqu'ils seront privés des cours d'eau qui les alimentent, risquent d'être condamnés à terme. Alors que le processus d'autorisation et d'enquête publique contradictoire consiste précisément en une procédure d'organisation de la démocratie consultative et délibérative, sa suppression devrait logiquement générer de l'insécurité juridique. Outre le manque d'information sur les projets qui pourraient voir le jour dans leur département, les associations et les élus locaux craignent de ne plus pouvoir former de recours contentieux contre les arrêtés autorisant la destruction des « obstacles à la continuité écologique » dans les cours d'eau. Tandis que la circulaire du 30 avril 2019 relative à « la mise en œuvre du plan d'action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique des cours d'eau » n'a, semble-t-il, guère apaisé les inquiétudes des élus et des collectifs de riverains, ces derniers contestent aujourd'hui les dispositions réglementaires visant à passer outre la concertation locale et réclament une transition écologique qui soit non pas punitive, mais « participative » et raisonnée, appliquée au cas par cas, au plus près du terrain, avec le concours de tous les acteurs locaux et dans l'intérêt commun du territoire. Aussi, il lui demande des précisions sur la finalité du décret susmentionné et si elle entend donner suite aux demandes des groupements d'élus et des associations de défense du patrimoine meunier de retirer - ou à tout le moins d'amender - ce texte.

Question N° 33720 de M. Grégory Besson-Moreau (La République en Marche - Aube )
M. Grégory Besson-Moreau alerte Mme la ministre de la transition écologique sur la question de l'avenir des moulins à eau. Le 30 juin 2020, le précédent Premier ministre a accéléré le processus de destruction des moulins en eau en autorisant par décret le passage d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration concernant les démolitions des barrages des moulins. Cette démarche est censée favoriser la préservation de certaines espèces aquatiques et ainsi présenter des vertus en matière de biodiversité sur le long terme. Or, aucune étude d'impact n'a pour le moment démontré l'utilité de ce changement de paradigme sur l'ensemble du territoire. De la même manière, ces moulins à eau, pour beaucoup vestiges de l'époque médiévale, possèdent un potentiel non négligeable en matière d'hydroélectricité. De plus, les aménagements demandés pour leur maintien sont particulièrement onéreux pour les propriétaires et les subventions accordées insuffisantes. Enfin, les moulins à eau ont un rôle prépondérant en matière d'irrigation des plans d'eau. Il conviendrait alors de s'intéresser aux véritables raisons qui menacent aujourd'hui notre faune aquatique et non de pénaliser les propriétaires de moulins à eau, acteurs séculaires de l'équilibre entre l'activité humaine et la préservation de l'environnement. Aussi, il demande si le Gouvernement entend revenir sur cette décision et entreprendre une concertation visant à déboucher sur une solution respectueuse de l'environnement, de nos traditions et de notre patrimoine historique.

Question N° 32890 de M. Vincent Descoeur (Les Républicains - Cantal)
M. Vincent Descoeur appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les conséquences du décret n° 2020-828 du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau. Tous travaux ayant pour unique objet, la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques pourront être menés sans autorisation, sur simple déclaration, sans étude d'impact ni enquête publique. Il pourra être ainsi procédé facilement à la destruction de tous les milieux aquatiques façonnés par l'homme au cours de l'histoire (biefs, canaux, étangs, plans d'eau). Ceci aura un impact sur l'environnement (avec notamment la destruction des biotopes qui se sont créés dans ces milieux) ainsi que sur le patrimoine. En effet, les moulins qui contribuent à la richesse des paysages et du patrimoine culturel et industriel français, lorsqu'ils seront privés des cours d'eau qui les alimentent, seront condamnés à terme. L'objet sur lequel repose le décret, celui de la « restauration des fonctions naturelles » est infondé. En effet, dans quelle mesure peut-on déterminer si telle fonction est naturelle ou pas sans qu'une étude d'impact ne soit menée ? Ces lieux forgés à la fois par la nature et par l'homme avaient trouvé un équilibre qui va être désormais profondément remis en question. Aussi, il lui demande des précisions sur la finalité d'un tel décret et s'il entend donner suite aux demandes des associations de défense du patrimoine des moulins de retirer ce texte.

Question N° 32702 de Mme Sophie Beaudouin-Hubiere (La République en Marche - Haute-Vienne )
Mme Sophie Beaudouin-Hubiere attire l'attention de Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité, sur la gestion du patrimoine hydraulique français. En effet, un arrêté du 30 juin 2020 a facilité la destruction des retenues d'eau : une simple déclaration, sans étude d'impact ni enquête publique, est nécessaire. Cela alors que les réserves d'eau s'avèrent primordiales en période de sécheresse pour les poissons, pour la vie aquatique, pour la nappe phréatique, pour les réserves en cas d'incendie. Si la destruction a été partiellement justifiée par la nécessité de permettre « la libre circulation des poissons migrateurs », il apparaît que nombre de moulins, y compris les plus anciens, comprennent des passes, chaussées ou échelles à poissons. De même, la politique menée par les agences de l'eau, qui subventionnent intégralement la destruction des barrages de moulins et surfacturent aux propriétaires les aménagements pour les poissons, pose question. Ainsi, elle souhaiterait savoir si elle compte annuler l'arrêté du 30 juin 2020 et plus largement, quelles actions elle compte mener pour protéger les réserves d'eau.

Question N° 32492 de M. Christophe Jerretie (Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés - Corrèze)
M. Christophe Jerretie attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur la question de la préservation et de la sauvegarde des moulins à eau. La loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques prévoit que les ouvrages hydrauliques doivent être « gérés, entretenus et équipés » par leurs propriétaires selon des règles définies par l'autorité administrative. En réalité, les agences de l'eau programment de plus en plus de destructions d'ouvrages hydrauliques. En simplifiant les procédures administratives, le décret du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau permet aux agences de l'eau de continuer plus facilement l'arasement des barrages, faisant ainsi réagir des associations voulant protéger le patrimoine hydraulique français. Cette multiplication des destructions est faite au nom de la continuité écologique et du respect d'une directive-cadre de l'Union européenne visant à améliorer la qualité de l'eau datant de 2000. En effet, les 60 000 ouvrages hydrauliques français seraient des obstacles mettant en péril la continuité écologique des espèces et des sédiments entre les cours d'eau. Néanmoins, les bienfaits en matière de biodiversité de cette politique de destruction sont contestés : les zones humides, qui regroupent une part importante de la faune et de la flore des cours d'eau pourraient être menacées par ces destructions. En conséquence, des milliers d'écosystèmes se retrouveraient en danger par la destruction indirecte de milieux de vie. Des espèces risquent même de disparaître : c'est le cas de la salamandre tachetée qui pourrait voir son habitat s'assécher durant les années à venir. De plus, détruire des moulins revient à détruire un patrimoine qui pourrait s'avérer fort utile en produisant hydroélectricité et farine. À l'heure où la production d'hydroélectricité est mise en valeur (par la loi du 9 novembre 2018 relative à l'énergie et au climat et par celle relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015) et où de plus en plus d'associations se plaignent de voir leur patrimoine hydraulique détruit sans même être consultées par les agences de l'eau, il souhaiterait savoir si le Gouvernement souhaite faire évoluer sa politique de destruction des ouvrages hydrauliques et de continuité écologique en la rendant plus favorable au patrimoine français et à la production d'hydroélectricité.

07/12/2020

Diffuser et utiliser la carte des 25 000 sites français que l'on peut relancer en petite hydro-électricité

Les politiques publiques de prévention du réchauffement climatique accusent des retards, et les Etats sont de plus en plus souvent condamnés devant les cours de justice pour cette raison. En France, nous souffrons notamment d'une mauvaise prise en compte de la petite hydro-électricité, car la direction de l'eau du ministère de l'écologie et son administration ont pris la décision absurde de décourager les relances des moulins par des demandes ingérables, pire encore de détruire ces sites au lieu de les préserver et d'inciter à les équiper. Les associations doivent utiliser la cartographie des sites anciens équipables mise au point par le projet européen RESTOR HYDRO pour saisir les préfets et les élus de la nécessité d'intégrer la relance des petits ouvrages hydrauliques dans tous les schémas et contrats de transition écologique (SRADDET, SAGE, SDAGE, CRTE). 


Le projet européen RESTOR HYDRO a mené dans les années 2010 une évaluation de l’état et du potentiel de restauration de la petite hydroélectricité dans les 27 pays européens. C'est un premier diagnostic, portant notamment sur les sites de moulins, forges, et anciennes usines à eau (voir notre recension de Punys et al 2019).

La carte d'estimation des sites équipables en France est disponible à cette adresse. On peut zoomer sur chaque territoire, ce qui en fait un média d'information très utile. 

Nous souhaitons que cet outil de prise en compte des moulins et autres sites équipables en petite hydro-électricité soit désormais systématiquement intégré :

- dans les schéma régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), qui ont vocation à développer les énergies renouvelables de chaque région,

- dans les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE local, SDAGE de bassin), qui ont vocation à informer les décideurs et citoyens des potentiels énergétiques des cours d'eau,

- dans les contrats territoriaux de relance et de transition écologique (CRTE), qui ont vocation à réduire les émissions carbone de chaque territoire.

Les associations ont vocation à informer les décideurs locaux en utilisant cette cartographie RESTOR HYDRO, mais aussi à l'améliorer par leur connaissance du terrain. A ce sujet, il serait utile que les structures porteuses du projet RESTOR HYDRO mettent les données brutes à disposition en format géolocalisé, afin de permettre une démarche participative (mise à jour et enrichissement des données) ainsi qu'un croisement avec d'autres formats géographiques SIG, pour montrer plus facilement les potentiels par bassins versants ou par régions.

Carte RESTOR HYDRO du potentiel de petite hydro-électricité


A télécharger : Les moulins au service de la transition, le dossier complet (pdf), un document de synthèse pour informer les élus et décideurs des territoires. Les moulins, forges, usines à eau sont présents dans tout le pays, jouissent d'une bonne acceptabilité sociale du fait de leur présence ancienne et offrent des opportunités de déployer une énergie bas-carbone à faible impact environnemental. La transition bien comprise commence par le ré-usage de ce qui est disponible localement et demande peu d'efforts pour être relancé.

04/12/2020

Les stations d'épuration laisseraient passer plus de 100 molécules toxiques dans les eaux françaises (Aemig et al 2021)

Si les années 1980 et suivantes ont vu se développer la lutte contre les nitrates et phosphates, encore inachevée dans plusieurs régions, on commence seulement à mesurer les volumes de micropolluants circulant dans les eaux en France. Dans la première étude de ce genre pour quantifier les contaminants à échelle du pays, les chercheurs ont identifié en sortie de station d'épuration 94 molécules organiques pouvant avoir des effets toxiques sur la santé humaine (88 écotoxiques), 15 molécules inorganiques pouvant avoir une toxicité humaine (19 écotoxiques), pour un total de près de 147 tonnes. Les stations d'épuration ne sont pas prévues pour traiter ces contaminants d'origines très diverses : pesticides, médicaments humains et vétérinaires, hormones, hydrocarbures, métaux lourds, composés de synthèse. L'effet de cette charge toxique sur les milieux aquatiques est très mal documenté à ce jour, malgré leur hausse constante depuis l'après-guerre. Il serait temps que les gestionnaires français de l'eau, au lieu de détruire maladivement des moulins et étangs d'Ancien Régime comme soi-disant pinacle écologique de la rivière "sauvage", s'intéressent sérieusement au dossier de la pollution ainsi qu'à la santé des humains comme à celle des milieux.


Quentin Aemig, Arnaud Hélias et Dominique Patureau (INRAE, ITAP Montpellier, ELSA Montpellier) ont pour la première fois en France tenté de quantifier les micropolluants rejetés par les stations d’épuration. Selon leur modélisation, les 5 milliards de mètres cubes d’eau qui sortent chaque année de ces stations comporteraient environ 147 tonnes de micropolluants.

Voici le résumé de leur travail :
"Les micropolluants émis par les activités humaines représentent une menace potentielle pour notre santé et notre environnement aquatique. Des milliers de substances actives sont utilisées et vont à la STEP via les eaux usées. Pendant le traitement de l'eau, une élimination incomplète se produit. Les effluents rejetés dans l'environnement contiennent encore une partie des micropolluants présents dans les effluents. Ici, nous avons étudié les impacts potentiels sur la santé humaine et le milieu aquatique du rejet de 261 micropolluants organiques et de 25 micropolluants inorganiques à l'échelle de la France. Les données ont été recueillies à partir d'enquêtes nationales, de rapports, d'articles et de travaux de doctorat. Le modèle USE-tox ® a été utilisé pour évaluer les impacts potentiels. Les impacts sur la santé humaine ont été estimés pour 94 micropolluants organiques et 15 inorganiques et sur le milieu aquatique pour 88 micropolluants organiques et 19 inorganiques, soulignant le manque de concentration et de données toxicologiques dans la littérature. Certains hydrocarbures aromatiques polycycliques et pesticides ainsi que l'As et le Zn ont montré les impacts potentiels les plus élevés sur la santé humaine. Certains pesticides, le PCB 101, la βE2, l'Al, le Fe et le  Cu ont montré les impacts potentiels les plus élevés sur l'environnement aquatique."

Ce schéma résume les molécules organiques et inorganiques étudiées (liste des substances, nombre de substances avec au moins une concentration détectable, nombre de substances dépassant la limite de détection dans plus de 10% des prélèvements, substances à toxicité humaine ou environnementale). 




Voici leur conclusion :

"Les impacts potentiels totaux sur la santé humaine ont varié entre 3 et 14 et 761 à 904 DALY [Disability Adjusted Life Year = cumul année de vie perdue] pour les micropolluants respectivement organiques et inorganiques. Les impacts potentiels totaux sur l'environnement aquatique ont varié entre 18 et 22 et 2 408 à 3 407 milliards de PDF.m3.j [Potentially Disappeared Fraction potentielle d'espèces disparues d'un volume) pour les micropolluants respectivement organiques et inorganiques.

Pour la toxicité et l'écotoxicité, les impacts potentiels ont été calculés avec un petit nombre de molécules par rapport à celles qui avaient été sélectionnées. Cela a mis en évidence le manque de données de concentration et de facteurs de caractérisation. La connaissance réelle des effets des micropolluants sur la santé humaine et l'environnement aquatique est limitée.

Nos études ont soulevé la question de la solution pour réduire les impacts des micropolluants organiques sur la santé humaine et l'environnement aquatique. La réduction ou l'interdiction d'utilisation est préférée en France; ici, nous avons mis en évidence que les micropolluants omniprésents (HAP), interdits (PCB) ou naturels (hormone) sont toujours présents dans les effluents et ont contribué à l'impact calculé signifiant que cette solution n'est pas appropriée pour tous les micropolluants. Les traitements tertiaires sont un autre moyen de réduire les rejets dans l'environnement, mais nous devons savoir s'ils sont suffisants pour réduire les micropolluants ayant les impacts les plus élevés et des études pour prouver que les produits de dégradation, le cas échéant, ne sont pas plus toxiques que les composés d'origine. De plus, on peut également s'interroger sur le coût impliqué par l'ajout de traitements tertiaires: il faut savoir si les options de traitement tertiaire disponibles sont efficaces pour éliminer les micropolluants et si elles sont rentables compte tenu de leur coût et de la diminution de l'impact. Nos résultats ont soulevé des questions sur les impacts des micropolluants inorganiques; en effet, ils sont naturellement présents dans l'eau, la plupart des concentrations dans les effluents des stations d'épuration sont proches des concentrations en rivière mais les impacts estimés montraient un risque élevé en raison de ces substances.

USETox® est basé uniquement sur des données de toxicité chronique et ne tient pas compte des perturbations endocriniennes. De plus, les effets des nanomatériaux, des microplastiques, des gènes de résistance, etc. n'ont pas été pris en compte par cette méthode mais peuvent représenter un impact important sur la santé humaine et l'environnement aquatique. Cependant, cette méthode pourrait être utilisée pour comparer différents scénarii: ajout de traitement tertiaire, réduction des émissions à la source, etc. Ici, comme première étape d'estimation des impacts potentiels, nous nous concentrons sur les valeurs de masse moyennes à l'échelle de la France. On sait qu'il existe une variation spatiale et temporelle des émissions de micropolluants (Lindim et al., 2019); une perspective est d'utiliser ce type de méthode à l'échelle du bassin versant, en considérant d'autres émissions provenant de l'agriculture ou des industries."
Parmi les substances les plus nocives pour les humains, 8 représentent seulement 4 % de la masse totale des 94 micropolluants, mais 94 % de leur impact potentiel. Elles se composent de quatre hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du dicofol (insecticide organochloré interdit depuis 2010), d’un retardateur de flammes (banni depuis 2004) ainsi que de deux anti-inflammatoires. Du côté de la faune aquatique, les cinq substances ayant le plus d’effet représentent 2 % du total des flux, mais comptent pour 99 % de l’impact. La cyperméthrine (un insecticide), un PCB, un type d’œstrogène naturel (ßE2), l’amoxicilline (un antibiotique) se révèlent comme les plus dommageables.

Discussion
Les pollutions des cours d'eau et des nappes restent mal évaluées, en raison du très grand nombre de substances chimiques (plusieurs dizaines de milliers) qui sont utilisées dans l'agriculture et l'industrie. Bien que présentes en faibles doses, ces molécules peuvent être toxiques dans certains cas, et leurs effets cumulés sont quasi-impossibles à estimer sur l'ensemble des organismes cibles présents dans les rivières et les plans d'eau. 

Ces résultats sont aussi très inquiétants pour la capacité de la France à respecter la directive cadre européenne sur l'eau, dont l'échéance ultime de résultat est fixée en 2027. Plus des deux-tiers des rivières sont en mauvais état chimique, notamment en raison des HAP et des pesticides. Mais les mesures de routine faites dans le cadre de l'évaluation DCE sont loin de comptabiliser toutes les molécules à effet toxique. 

Il est navrant que l'argent public de l'eau continue d'être dilapidé en France dans des mesures absurdes, comme la destruction des ouvrages anciens (moulins, étangs, plans d'eau), alors que la restauration de la qualité chimique de l'eau n'est toujours pas à portée de vue. Les administrations n'ayant pas été capables de hiérarchiser les enjeux et les priorités pour la société porteront une lourde responsabilité en ce domaine.