L'Union européenne vient de décider de baisser d'ici 2030 de 55% les émissions carbone par rapport à 1990. Dix ans pour une inflexion majeure... mais en 20 ans, la France a baissé de 20% seulement ces émissions, sans compter le carbone importé qui a augmenté dans l'intervalle. Aujourd'hui, 70% de la consommation énergétique finale en France provient encore du pétrole, du gaz ou du charbon, trois sources fossiles de gaz à effet de serre. Pour tenir les objectifs climat, il faut donc changer de braquet, cesser de croire que nous avons le temps ou le choix, arrêter de se payer de mots et de faire des discours non suivis d'effets. En particulier, il est urgent de retirer le dossier de l'hydro-électricité à la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, car cette administration détruit depuis 10 ans le potentiel de production des seuils et barrages en rivière tout en faisant tout pour décourager la relance des petits sites. Une attitude qui peut conduire à la condamnation de l'Etat français, au vu des contentieux en justice climatique qui fleurissent depuis 5 ans.
Le 18 décembre 2020, l'Union européenne et les 27 États-membres ont soumis à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc) leurs nouveaux plans d'action climatique, appelés "contributions nationales déterminées" au titre de l'Accord de Paris. Le Conseil européen a adopté un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'au moins 55 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 (contre -40 % précédemment), afin d'atteindre en 2050 la neutralité carbone. Cette décision doit être inscrite dans la législation européenne.
Mais la France est-elle en situation de tenir de tels engagements?
Dans son rapport annuel 2020, le Haut conseil pour le climat (HCC) rappelle que "les quatre principaux secteurs émetteurs [de carbone] demeurent le transport (30 %) puis l’agriculture, le bâtiment et l’industrie (entre 18 et 20 % chacun). Les retards accumulés du transport et du bâtiment sont ceux qui pèsent le plus dans les déficits carbone des années passées."
L’empreinte carbone de la France s’élève selon le HCC à 749 Mt éqCO2, soit 11,5 t éqCO2 par habitant. Avec des émissions territoriales s’élevant à 445 Mt éqCO2, soit 6,7 t éqCO2 par habitant, l’empreinte carbone de la France est donc environ 70 % plus élevée que ses seules émissions sur le sol: s'y ajoutent les émissions importées (304 Mt éqCO2), qui ont fortement augmenté depuis 30 ans.
La réalité : 70% de l'énergie qui fait tourner le pays est toujours fossile
Si l'on regarde la consommation territoriale d'énergie en France, hors importation donc, on s'aperçoit que le mix énergétique reste carboné à 70 % :
Part des sources d'énergie dans la consommation finale en France.
Source des données : services statistiques du gouvernement, 2020.
Nous sommes donc très loin de la neutralité carbone, très loin également de 55% de baisse des émissions par rapport à 1990. Pour y parvenir, il faut avancer sur les postes de transport, chauffage, industrie et agriculture. Cela passe nécessairement par une forte hausse de la production électrique, soit pour produire de l'électricité, soit pour produire des dérivés secondaires comme l'hydrogène (par électrolyseur).
Comme le montre le graphique ci-dessus, la totalité du parc installé nucléaire, hydraulique solaire, éolien ne produit en fait que 20% de l'énergie finale consommée, alors même qu'il faut encore en changer 70%. Ni le soleil, ni le vent, ni la biomasse, ni l'eau, ni l'atome ne peuvent à eux seuls, chacun pris isolément, produire cette quantité. Et le modèle de la grande centrale du 20e siècle ne suffit pas davantage à tenir les objectifs, ce sont des dizaines de milliers de sites modestes et décentralisés de production qui doivent émerger au cours des trois prochaines décennies.
Des contentieux climatiques qui fleurissent, car les citoyens exigent des actes
Les objectifs climatiques ne sont pas seulement une question politique, mais aussi une question juridique puisque les traités internationaux et les directives européennes obligent l'Etat français.
En conséquence de l'accord de Paris, les contentieux climatiques contre les Etats (parfois contre des entreprises) se multiplient. La judiciarisation des actions relatives au changement climatique est un phénomène mondial, comme l'a souligné le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), dans son rapport The Status of Climate change litigation : a global review (mai 2017). En 2018, plus de 1.000 contentieux en matière climatique étaient ainsi recensés dans le monde, répartis sur 25 pays.
En Europe, la Cour de justice de l'Union Européenne (arrêt du 13 août 2018) a jugé recevable la plainte des familles contre le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, plainte soutenant que l'objectif climatique 2030 est inadéquat et invoquant une violation des droits. Au Pays-Bas, 886 citoyens néerlandais ont intenté une action contre leur pays. La Cour suprême des Pays-Bas a rejeté (20 décembre 2019) le pourvoi de l'État néerlandais contre la décision d'appel lui ordonnant de réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 25 % d'ici fin 2020, par rapport à 1990.
En France, quatre associations (l'Affaire du siècle) ont lancé en 2019 une action contre l'Etat pour carence fautive dans sa politique climatique, avec le soutien en ligne de plus de deux millions de personnes. Le litige est encours d'examen par la justice.
La France a gelé l'hydro-électricité en raison de l'idéologie anti-barrage de son administration de l'eau
Dans ce contexte de retard et d'urgence à décarboner la consommation énergétique du pays restant à 70% fossile, la position défendue par les gouvernements sur l'hydro-électricité est intenable. La gestion de ce dossier a été confiée pour les petites puissances de moins de 500 kW (sans doute 50 000 sites équipables en France dont 25 000 de moulins) à la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie. Non seulement cette direction n'a pas de culture énergétique, mais son obsession est de détruire le maximum d'ouvrages permettant de produire de l'hydro-électricité et, pour ceux qui ne sont pas détruits, d'opposer des procédures et des exigences rendant impossibles les chantiers. Même dans le domaine des grands barrages, le gouvernement a décidé de détruire deux ouvrages EDF en état de fonctionnement sur la Sélune. Soit 50 millions € d'argent public à faire disparaître une source d'énergie locale bas-carbone.
Si nous étions en avance sur nos objectifs climatiques, ou si nous avions des perspectives d'une source d'énergie abondante, bon marché, à échelle pour remplacer les 70% fossile de notre consommation, une telle position pourrait au moins se justifier par une latitude pour choisir les énergies que nous voulons développer. Mais ce n'est pas le cas du tout.
Bloquer le développement de l'hydro-électricité et pire encore détruire le potentiel hydro-électrique déjà en place pour faire plaisir au lobby de la pêche au saumon ou au lobby naturaliste désirant ré-ensauvager la France est une faute. L'administration doit incessamment changer de doctrine, d'autant que les parlementaires ont encore rappelé par la loi énergie-climat de 2019 que "pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs (..) d’encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité". Les fonctionnaires eau et biodiversité doivent appliquer les lois votées par les élus des citoyens, et non tenter de les contourner pour poursuivre les objectifs internes de leur administration. Plus largement, l'Etat français doit cesse sa politique de gribouille où l'action publique poursuit des objectifs contradictoires et couvre des choix arbitraires.