11/02/2021

Aux sources de la Seine, on tourne la page de la casse brutale et absurde des ouvrages en rivière

Après dix ans de harcèlement des ouvrages hydrauliques en vue de les faire disparaître, la nouvelle équipe du syndicat Sequana, dirigée par Philippe Vincent, entend tourner la page de la continuité écologique destructrice pour ouvrir celle de la continuité "apaisée". Nombre de chantiers avaient fait disparaître des chutes, retenues, étangs et biefs de ce magnifique pays en tête du bassin de la Seine. Or, les ouvrages hydrauliques, remontant aux cisterciens du Moyen Âge pour les plus anciens, présentent de formidables atouts pour le développement durable du territoire, qui vient d'être en partie intégré au parc national des forêts de Champagne et Bourgogne. 


Photo extraite du journal Le Châtillonnais et l'Auxois, droits réservés. 

Dans son édition du 4 février 2021, le journal le Châtillonais et l'Auxois publie un entretien avec Philippe Vincent, le nouveau président du syndicat (Epage) Sequana. Cet établissement regroupe 126 communes de Côte d'Or, Yonne et Haute-Marne en charge de la gestion des cours d'eau et milieux aquatiques du bassin versant amont de la Seine, qui s'étend des sources de la Seine jusqu'à la limite avec le département de l'Aube.

Les associations Hydrauxois et Arpohc, suivies de consoeurs comme l'association des riverains de Chamesson, ont eu des rapports difficiles avec Sequana comme avec d'autres syndicats en tête de bassin bourguignonne de la Seine et de l'Yonne. 

L'agence de l'eau Seine-Normandie, la DDT et l'Office français de la biodiversité (ex Onema) ont mené dès le début des années 2010 une campagne agressive visant expressément à la destruction des ouvrages hydrauliques. Loin de s'y opposer, la précédente équipe du syndicat adoptait ce discours sans esprit critique, voire avec une volonté de renaturation et ré-ensauvagement des milieux allant très au-delà des termes de la loi. La même chose fut observée avec le syndicat SMBVA sur l'Armançon, plus au sud du département de la Côte d'Or. La dimension historique et énergétique des ouvrages était négligée, leurs milieux en eau n'ont fait l'objet d'aucune étude sérieuse de biodiversité hors le seul prisme des poissons migrateurs et rhéophiles. Les propriétaires se sont vus offrir des ponts d'or public pour détruire les ouvrages et assécher les biefs (jusqu'à 100% de prise en charge, avec divers travaux d'aménagement en sus) alors qu'ils étaient l'objet d'une instruction hostile et de subventions très faibles voire nulles s'ils désiraient conserver les ouvrages hydrauliques, les retenues et les biefs en eau. Sur les bassins de la Seine et de l'Ource, de nombreux ouvrages ont été détruits à contre-coeur, car c'était la seule solution financée. Mais c'est aussi sur ce bassin que Gilles Bouqueton et sa compagne, soutenus par nos associations et par une cagnotte de citoyens donateurs, ont obtenu après 7 ans de lutte obstinée une victoire décisive au conseil d'Etat en 2019 (arrêt moulin du Boeuf). Les conseillers ont condamné sur toute la ligne des pressions illégale menées par les représentants du ministère de l'écologie. 


Cela relève aujourd'hui du passé, en tout cas pour ce qui est de la politique syndicale. La nouvelle équipe de l'Epage Sequana entend désormais prendre au mot la "continuité apaisée" telle qu'elle est officiellement promue par le ministère de l'écologie. Et l'apaisement signifie que l'on ne regarde plus les moulins, forges et étangs comme des adversaires de l'écologie, mais comme des partenaires du territoire.

Le président de Sequana précise ainsi :"Les effacements d'ouvrages sont liés à une politique environnementale. La loi qui régit ces actions n'oblige pas l'effacement mais l'aménagement pour respecter la continuité écologique et les débits minimums biologiques. Un ouvrage n'ayant plus aucun usage pourrait effectivement être supprimé. Mais il faut être très prudent. Un ouvrage quel qu'il soit a eu une utilité et aujourd'hui avec les assecs de ces dernières années, toutes les retenues d'eau auront une action sur l'écoulement de nos cours d'eau et donc une préservation de la ressource. Autre point important souvent négligé, la prise en compte des aspects patrimoniaux et sociétaux, paysager et historiques concernant ces ouvrages, mais également tous les monuments, lavoirs... au fil de l'eau qui fait que notre territoire est aujourd'hui Parc National".

Il entend également rouvrir le dossier de certaines dépenses votées par la précédente équipe, mais ne correspondant pas à l'intérêt général du Châtillonnais et à la protection de la ressource en eau : "Aujourd'hui, nous avons une problématique importante liée à l'effacement de l'étang de Rochefort-sur-Brevon. Le propriétaire vient d'accepter l'effacement, la commune semble d'accord, mais nous pensons que cet argent public serait mieux investi dans l'alimentation du réseau d'eau potable que dans ce projet sur un bien privé aux bénéfices discutables en termes de continuité écologique. Nous allons revenir très rapidement sur ce sujet".

Rappelons qu'à Rochefort-sur-Brevon, véritable petit joyau du patrimoine sidérurgique du Châtillonnais, le syndicat Sequana proposait de dépenser 80 000 euros d'argent public pour détruire des radiers de vannages et réduire considérablement la superficie de l'étang, cela alors que l'aménageur reconnaissait que la rivière Brevon présente des éperons rocheux naturels qui la rendent de toute façon infranchissable aux poissons... Pourquoi cette gabegie? Pourquoi l'administration avait-elle classée la rivière en 2012 en "liste 2" au titre de la continuité écologique? Ce sont toutes ces incohérences qui excèdent les riverains, alors que l'argent public est si rare et que l'eau renvoie à de multiples enjeux d'intérêt général. 

Les associations félicitent la nouvelle équipe du syndicat Sequana, et entendent mobiliser les propriétaires d'ouvrages hydrauliques au service des projets de territoire. Face à la sévérité croissante des assecs comme à la brutalité des crues, à la nécessité de développer l'énergie locale bas-carbone, au besoin de protéger les milieux aquatiques et les zones humides, beaucoup de travail nous attend. Les moulins, forges, étangs et plans d'eau du territoire sont des atouts à valoriser, en particulier avec le création du parc national des forêts des Champagne et Bourgogne, impliquant un tourisme de qualité et de proximité à inventer. 

07/02/2021

Des barrages en rivières alpines et pré-alpines ont des effets intéressants sur la température et les invertébrés (Petruzziello et al 2021)

Une équipe de chercheurs italiens a comparé des tronçons de rivières alpines et pré-alpines selon la présence ou l'absence de barrages. Contrairement aux idées reçues, les barrages réservoirs de tête de bassin ont montré des conditions favorables au maintien d'une température fraîche et à la diversité biologique des familles de macro-invertébrés. Cet effet ne se retrouve pas pour les barrages au fil de l'eau, dont l'impact est cependant faible car leur température reste proche de celle des tronçons naturels. Les ouvrages (réservoir ou fil de l'eau) tendent aussi à augmenter la productivité trophique et disponibilité des matériaux organiques. Etudier les milieux sans préjugé sur leur caractère "sauvage" ou "modifié" permet d'objectiver les réalités et de prendre les bonnes décisions à leur sujet. On espère que l'administration française de l'eau se convertira à cette démarche, au lieu d'instruire à charge le dossier des ouvrages hydrauliques... 



Les zones étudiées et comparées dans l'étude, sur les rivières Goglio et Sanguigno (Lombardie), de l'amont vers l'aval. Extrait de Petruziello et al 2021, art cit

L'étude d'Antonio Petruzziello et de ses collègues a été réalisée dans les vallées alpines du Goglio dans le nord de l'Italie. Le Sanguigno est le principal affluent gauche du Goglio. Les deux cours d'eau ont été sélectionnés car ils diffèrent principalement par la présence de réservoirs de haute altitude : le Goglio se caractérise par la présence de cinq réservoirs qui régulent le débit, tandis que le régime d'écoulement de Sanguigno est considéré comme "vierge" (il sert dans la recherche comme système de référence). Les réservoirs de haute altitude sont utilisés à des fins hydroélectriques et ne libèrent qu'un débit environnemental minimum dans le Goglio. En aval du confluent de Goglio et Sanguigno, les activités anthropiques dans le bassin versant deviennent plus importantes, avec la présence de peuplements urbains et de centrales hydroélectriques au fil de l'eau. La diversité des 7 sites étudiés de l'amont avers l'aval permet donc diverses comparaisons : zone vierge, zone à réservoir seul, zone à centrale au fil de l'eau et activités humaines, zone avec très peu de pollutions sur le versant (amont) et zone avec davantage de pollutions (aval). 

Nous traduisons ici la conclusion des chercheurs, qui ont étudié la température, l'hydrologie, les débris organiques et les macro-invertébrés des différentes zones : 

"La présence de centrales hydroélectriques (réservoirs de haute altitude ou centrales au fil de l'eau) modifie l'écosystème fluvial au regard de tous les aspects étudiés dans cette étude: composition des communautés de macroinvertébrés, dégradation de la matière organique et régime thermique.

Les communautés de macroinvertébrés qui habitent des sites vierges sont généralement moins diversifiées que dans d'autres sites et plus spécialisées pour les environnements hautement rhéophiles en raison de la forte influence des événements à haut débit. Dans notre étude de cas, le tronçon soumis à l'effet de barrage à haute altitude a montré les meilleures conditions pour la plupart des familles de macroinvertébrés en raison de l'abondance de nourriture (en particulier particules grossières de matière organique CPOM et bois mort) et la réduction du stress dû aux événements de débit élevé. Nous n'avons identifié aucune famille qui pourrait être considérée comme représentative de conditions non perturbées. Le manque observé de taxons représentatifs pour les sites non perturbés pourrait également être dû à la résolution taxonomique grossière (c'est-à-dire au niveau de la famille) et l'identification au niveau de la sous-famille pourrait avoir produit des réponses spécifiques différentes. Cela mettrait en évidence l'importance d'une résolution systématique et la nécessité de développer des mesures à échelle de communautés capables d'évaluer correctement ce type d'altérations.

Les communautés de macroinvertébrés dans le tronçon soumis à des altérations hydrologiques et chimiques ont été caractérisées par l'abondance de familles qui peuvent tolérer des conditions perturbées telles que les Leuctridae, Limoniidae et Simuliidae, soulignant que, comme souvent rapporté dans la littérature, les altérations dues aux charges polluantes anthropiques sont plus faciles à identifier que les altérations dues aux altérations hydrologiques.

La disponibilité de la matière organique est positivement affectée par les barrages à haute altitude. Dans les sites vierges, les sacs de feuilles étaient souvent retirés du lit de la rivière, ce qui réduisait la disponibilité de cette source de nourriture pour la communauté des macroinvertébrés. À l'inverse, les processus de dégradation ne semblaient être que légèrement modifiés par la présence du réservoir de haute altitude car les mailles et le temps de séjour étaient les deux seuls facteurs ayant un effet significatif sur les taux de rupture. De plus, nos résultats soulignent que l'apport estival de CPOM dans les cours d'eau de tête de bassin peut être une source alimentaire importante, comparable à l'apport hivernal de feuilles récemment tombées. Cela peut être d'une grande importance dans les sites vierges où les effets d'événements à haut débit raccourcissent le temps de séjour de la matière organique.

Le régime thermique est profondément modifié par les barrages à haute altitude et moins influencé par les conditions météorologiques. Les conséquences écologiques des altérations thermiques doivent être spécifiquement étudiées, en particulier avec des expériences de mésocosme ou des études de cas idéales qui permettent de démêler l'effet du régime thermique et du régime d'écoulement sur les populations biologiques. Ces altérations rendent les tronçons de cours d'eau moins soumis aux effets du changement climatique et surtout aux canicules qui deviennent de plus en plus fréquentes et intenses dans les milieux alpins et pré-alpins. Les réservoirs atténuent l'influence atmosphérique sur la température de l'eau des cours d'eau tandis que les sites au fil de l'eau la renforcent dans les tronçons détournés. Là où ces deux altérations étaient présentes, le régime thermique du cours d'eau était plus similaire à celui naturel que les tronçons soumis à un seul type d'altération et profondément influencés par les conditions météorologiques.

Cette recherche a fourni des éléments pour une meilleure compréhension de l'impact des retenues fluviales sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes fluviaux. Ces éléments peuvent être d'une grande utilité dans la planification des stratégies de gestion visant à protéger la qualité environnementale des cours d'eau affectés par la présence de centrales hydroélectriques, avec une référence particulière à l'importance croissante du changement climatique."

Ce schéma montre les variations de température des tronçons. 


On observe que les tronçons de cours d'eau bénéficiant de lâcher d'eau des barrages ont des conditions plus fraîches en été (mais moins froides en hiver).

Ce schéma montre la répartition des familles d'invertébrés aquatiques selon les tronçons. 


Comme l'exposent les chercheurs dans l'abstract de leur travail, "les tronçons altérés par des réservoirs de haute altitude ont les meilleures conditions pour la plupart des familles de macro-invertébrés en raison de conditions de débit plus stables".

Discussion
Une rivière modifiée par des ouvrages hydrauliques ne montre pas les mêmes propriétés chimiques, physiques et biologiques qu'une rivière non modifiée. Mais au-delà de ce constat trivial, est-ce un problème pour le vivant ou pour la société? Peut-on se contenter de généralités en présumant que toute modification est mauvaise car s'écartant d'une référence naturelle? Quelles sont les conséquences de nos choix sur les ouvrages dans une période marquée par un changement thermique et hydrologique rapide en lien au réchauffement climatique? 

La réponse à ces questions n'est pas tranchée, contrairement à ce qu'affirment en France des administrations et des lobbies ayant décidé que les ouvrages hydrauliques représentaient un problème majeur et justifiaient une politique de destruction sur argent public, contrairement au choix pluriséculaire d'aménager les cours d'eau. La manière dont la société juge les ouvrages hydrauliques dépend étroitement des métriques que l'on choisit pour les étudier. Si ces métriques sont conçues dès le départ pour calculer une différence entre un milieu naturel et un milieu modifié, puis pour qualifier de "mauvaise" cette différence, alors de toute évidence, on conclura très souvent que l'ouvrage est "mauvais". Si ces métriques sont neutres de jugement, si elles actent que la nature est aussi bien formée de zones vierges que de zones modifiées par les humains, si elles intègrent tous les paramètres par lesquels une société évalue son environnement et des riverains leur cadre de vie (non seulement écologiques, mais aussi sociaux et économiques), alors on s'obligera à observer les différences sans préjugé et à débattre démocratiquement de leur intérêt.

Référence : Petruzziello A et al (2021), Effects of high-altitude reservoirs on the structure and function of lotic ecosystems: a case study in Italy, Hydrobiologia, epub, doi.org/10.1007/s10750-020-04510-9

03/02/2021

L'Etat français condamné pour préjudice du fait de son action climatique insuffisante

Des associations regroupées sous le label l'Affaire du siècle, soutenues par 2,3 millions de citoyens, ont engagé un contentieux contre l'Etat français pour son incapacité à tenir les objectifs climatiques des lois et traités signés par lui. Par un jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique. Il juge que la carence partielle de l’Etat français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité. Si le jugement de première instance doit encore être confirmé jusqu'au conseil d'Etat, c'est déjà une excellente nouvelle pour les associations de protection des ouvrages hydrauliques menacés de destruction et pour les syndicats d'hydro-électricité: les entraves à la relance énergétique voire les démantèlements de sites producteurs par des administrations sous la tutelle du ministère de l'écologie pourront être poursuivies en justice sur cette base nouvelle. La priorité donnée au climat signifie que la destruction du patrimoine hydraulique, de son potentiel énergétique et de ses milieux aquatiques doit cesser.


En mars 2019, les associations Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France ont introduit des requêtes contentieuses afin de faire reconnaître la carence de l’Etat français dans la lutte contre le changement climatique, d’obtenir sa condamnation à réparer le préjudice écologique et de mettre un terme aux manquements de l’Etat à ses obligations (voir notre précédent article).

Dans son jugement rendu le 3 février 2021, le tribunal souligne d'abord que "le préjudice écologique invoqué par les associations requérantes doit être regardé comme établi", en rappelant les conclusions du GIEC et de  l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique. Le retard pris dans la baisse des émissions carbone accentue des impacts attendus :  accélération de la perte de masse des glaciers, aggravation de l’érosion côtière, risques de submersion, augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, tels que les canicules, les sécheresses, les incendies de forêts, les précipitations extrêmes, les inondations et les ouragans - "risques auxquels sont exposés de manière forte 62 % de la population française".

Le tribunal note ensuite que par ses engagements internationaux (convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, accord de Paris), européens (Paquet énergie climat) et nationaux (Charte de l'environnement dans la Constitution, diverses lois de programmation énergétique), l'Etat s'est engagé lui-même à des objectifs contraignants:
"Il résulte de ces stipulations et dispositions que l’État français, qui a reconnu l’existence d’une « urgence » à lutter contre le dérèglement climatique en cours, a également reconnu sa capacité à agir effectivement sur ce phénomène pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes. À cet effet, il a choisi de souscrire à des engagements internationaux et, à l’échelle nationale, d’exercer son pouvoir de réglementation, notamment en menant une politique publique de réduction des émissions de gaz à effet de serre émis depuis le territoire national, par laquelle il s’est engagé à atteindre, à des échéances précises et successives, un certain nombre d’objectifs dans ce domaine." 
Le tribunal souligne que la France ne respecte pas les objectifs carbone qu'elle s'est fixée sur la période 2015-2018, le fait de fixer de nouveaux objectifs plus ambitieux à horizon 2030 n'étant pas de nature à justifier le non-respect des engagements déjà actés :
"la circonstance que l’État pourrait atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 et de neutralité carbone à l’horizon 2050 n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité dès lors que le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué". 
Au final, les juges retiennent que :
  • l’Etat doit être regardé comme responsable d’une partie du préjudice dès lors qu’il n’a pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre,
  • les demandes de réparation pécuniaire des associations sont rejetées,
  • la réparation en nature du préjudice écologique est retenue, un supplément d’instruction est cependant prononcé, assorti d’un délai de deux mois fin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’Etat pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation,
  • le préjudice moral est reconnu avec versement de la somme d’un euro demandée par chacune des requérantes.
Notre commentaire
L'Etat français souffre d'un problème manifeste : il passe son temps à s'engager avec une haute ambition sur tous les sujets à la fois, en supposant que "l'intendance suivra" et que des moyens permettront de poursuivre tous ses objectifs en même temps. Pas de réflexion à long terme, pas de priorité, une accumulation de traités, directives, lois et règlements dans tous les sens. Au bout d'un moment, cette manière de gouverner ne tient plus et cogne dans le mur de la réalité : l'Etat est tenu par les actes auxquels il appose sa signature, il est l'objet de contentieux venant tant de l'Union européenne que de ses propres citoyens s'il ne respecte pas ses engagements. 

Dans le cas du climat, notre association et toutes ses consoeurs soulignent depuis 10 ans l'erreur manifeste et l'aberration intellectuelle consistant à mener une politique de démantèlement des barrages et usines hydro-électriques, de destruction et assèchement des retenues et des canaux, alors même que la prévention du réchauffement climatique et l'adaptation à ses effets exigent tout le contraire : préserver les ouvrages, équiper les ouvrages en production énergétique, améliorer les ouvrages en gestion de l'eau. 

Un Etat qui détruit le patrimoine hydraulique et le potentiel hydro-électrique de son pays en pleine phase de transition énergétique et adaptation climatique est devenu inaudible et illégitime. Nous appelons toutes nos consoeurs associatives et syndicales, tous les collectifs riverains, tous nos adhérents et sympathisants à s'engager pour la protection de sites hydrauliques menacés, à développer des projets de relances énergétiques et à promouvoir des rivières durables dans le cadre de la transition écologique. A la lueur de cette jurisprudence nouvelle, nous appelons également les fédérations nationales de moulins, les associations nationales de riverains et les syndicats de petite hydro-électricité à envisager avec nous l'ouverture d'un contentieux contre le ministère de la transition écologique et solidaire, dont les arbitrages sur les ouvrages en rivière aggravent la crise climatique et mènent à des résultats que le tribunal administratif de Paris vient de condamner. 

Source : jugements n°1904967, 1904668, 1904972, 1904976/4-1 du tribunal administratif de Paris, 3 février 2021

02/02/2021

Les parlementaires s'inquiètent de la préservation du patrimoine hydraulique, le ministère de l'écologie les égare

La destruction du patrimoine hydraulique des moulins, des étangs et des barrages continue de susciter l'indignation ou l'inquiétude des élus des citoyens, qui ne comprennent pas pourquoi l'argent public est dépensé à cette fin. Le sénateur Darnaud s'en alarmait l'été dernier après bien d'autres, face notamment à des rivières à sec qui n'ont plus aucune continuité. La réponse faite par le ministère de l'écologie est hélas à nouveau dilatoire. Nous appelons donc plus que jamais nos parlementaires à clarifier le statut de protection des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux à l'occasion de la prochaine loi Climat et résilience, mais surtout à mobiliser ces ouvrages au service de la transition écologique. 


Question écrite n° 17475 de Mathieu Darnaud (Ardèche - Les Républicains), publiée dans le JO Sénat du 30/07/2020 - page 3369 :

"M. Mathieu Darnaud attire l’attention de Mme la ministre de la transition écologique au sujet des inquiétudes exprimées sur la menace planant sur le patrimoine hydraulique de la France.

Il rappelle que l’article L. 214-17 du code de l’environnement dispose que l’entretien des ouvrages hydrauliques se fait en concertation avec les propriétaires ou exploitants.

Malgré cela on constate aujourd’hui de nombreuses destructions d’ouvrages tels moulins, barrages ou canaux. Ces dernières sont effectuées sans réelle réflexion sur l’importance patrimoniale de ces ouvrages, leur utilité économique et le rôle qu’ils jouent dans le maintien de la biodiversité, leur disparition provoquant dans certains territoires un assèchement des milieux aquatiques et humides.

Il demande donc si le Gouvernement entend prendre des mesures comme un moratoire sur la destruction de ces ouvrages, et s’il entend s’engager sur une politique générale de valorisation du patrimoine hydraulique de la France, aujourd’hui menacé."

Voici nos commentaires sur la réponse du ministère
"Face au double défi de l’effondrement de la biodiversité et d’un maintien de la qualité de l’eau, la restauration de la continuité écologique est une politique importante pour l’atteinte du bon état des cours d’eau et pour respecter nos engagements à préserver la biodiversité d’eau douce."
Il n'existe à ce jour aucune démonstration claire d'un lien entre d'une part la présence d'ouvrages sur une rivière, en particulier les ouvrages anciens majoritaires (moulins, forges, etc.), d'autre part le bon état écologique et chimique au sens de la directive cadre européenne sur l'eau. De nombreuses rivières de têtes de bassin ont des moulins et des étangs, pourtant elles sont aussi classées en bon état ou très bon état au titre de la DCE. De nombreux poissons migrateurs étaient encore présents sur un large linéaire de cours d'eau en 1850, pourtant quasiment tous les ouvrages de moulins et beaucoup d'ouvrages d'étangs en lit mineur étaient déjà là (voir Merg et al 2020). Les causes du déclin du vivant ne sont donc pas là. D'autres rivières ont vu leurs ouvrages disparaître, pourtant elles sont toujours déclassées en état mauvais ou moyen au titre de la DCE, pour d'autres raisons (souvent les pollutions, parfois les altérations hydrologiques). Des travaux de recherche ont par ailleurs montré que des hydrosystèmes artificiels car nés d'ouvrages humains peuvent abriter des espèces menacées d'extinction : le vivant ne se demande pas si une retenue et un bras en eau sont d'origine humaine ou naturelle dès lors qu'il peut s'y installer. La notion de continuité écologique est donc ici avancée comme un principe général de bon état écologique alors que dans la réalité, il convient d'évaluer au cas par cas les fonctionnalités et les biodiversités des cours d'eau et des plans d'eau, mais aussi de se demander quel type de nature nous voulons comme cadre de vie (voir ce dossier complet sur le sujet).

Ce que ne dit pas non plus le ministère : la continuité écologique en long concerne avant tout, depuis 150 ans de législation, quelques espèces de poissons migrateurs. L'intérêt très soutenu pour ces poissons, loin d'être les seules espèces menacées ou les seules espèces d'intérêt pour la société et pour les milieux, s'explique davantage par l'existence d'un public de pêcheurs que par un raisonnement de priorisation écologique. Les demandes sociales sont toutes légitimes, mais le législateur doit comprendre pourquoi on fait beaucoup de choses sur certains sujets et s'interroger sur la proportionnalité de cet engagement. Les budgets de l'écologie ne sont pas extensibles à l'infini, des phénomènes comme la disparition de 80% des zones humides depuis un siècle sont eux aussi très alarmants pour la diversité des milieux et des espèces, ainsi que pour le cycle de l'eau et la recharge locale des nappes. De plus, au sein des poissons migrateurs, certains sont réellement menacés d'extinction et demandent des efforts conséquents de sauvegarde, d'autres sont plus communs et ne devraient pas faire l'objet de mesures disproportionnées (on pense à de nombreux chantiers se justifiant par la truite fario, souvent sans que ce soit autre chose qu'une volonté de maximiser son abondance locale de frayères, en vue de la pêcher in fine, et sans démonstration que la truite a localement reculé du fait des ouvrages que l'on détruit). 
"L’importance de cette politique de restauration de la continuité écologique des cours d’eau a été réaffirmée en France par les Assises de l’eau en juin 2019 et le plan biodiversité qui prévoit de restaurer la continuité sur 50 000 km de cours d’eau d’ici à 2030. La stratégie biodiversité 2020 de la Commission européenne en fait également un enjeu majeur, elle inclut un objectif de restauration de 25 000 km de cours d’eau d’ici 2030."
Nous avons ici un cas flagrant de surtransposition française des choix européens: l'Union s'engage à assurer la continuité de 25.000 km en 10 ans sur l'ensemble du territoire européen, la France seule entend le faire sur 50.000 km et sur son seul territoire, en 5 ans (le délai de la loi). C'est un manque de réalisme : l'action publique française est incapable d'avoir les ambitions de ses moyens. Il en résulte la confusion observée, de grandes promesses, de fortes contraintes, mais pas assez de moyens financiers et humains pour les réaliser et les accompagner.
"La mise en œuvre de cette politique sur le terrain est toutefois délicate car elle doit être conciliée avec le déploiement des énergies renouvelables dont fait partie l’hydroélectricité, la préservation du patrimoine culturel et historique, ou encore le maintien d’activités sportives en eaux vives participant au développement de nos territoires."
Le problème de la mise en oeuvre "délicate" de la continuité écologique est très simple : depuis dix ans, la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie a indiqué à son administration (agence de l'eau, DREAL de bassin, DDT-M, office de la biodiversité ex Onema) que la solution privilégiée devait être la destruction des ouvrages. Ce choix, allant très au-delà de ce que dit la loi, vise la "renaturation" (en fait l'idéal de retour de la rivière "sauvage") et il n'est donc pas compatible avec les autres enjeux : hydro-électricité, patrimoine bâti et paysager, maintien de la ressource en eau (effet de retenue et diffusion de l'eau en sol et nappe), maintien des habitats aquatiques et humides d'origine humaine (retenues, biefs) qui forment de nouveaux biotopes depuis longtemps. 

Il existe d'autres solutions que la destruction : gestion des vannes, passes à poisson rustiques ou techniques, rivières de contournement. Mais ces solutions, conformes à la loi et conformes aux autres enjeux de l'eau, n'ont pas fait l'objet d'un financement public préférentiel ni d'une instruction administrative favorable. Tant que ce blocage-là persistera, la continuité ne sera pas apaisée. Dès que ce blocage sera levé, dès que l'administration sera donc au service de la préservation des ouvrages dans une logique de modernisation écologique et énergétique, les blocages disparaîtront.
"Par ailleurs, des difficultés persistent, par exemple en terme de financement de certaines solutions techniques d’intervention sur les ouvrages, points sur lesquels le ministère continue de travailler."
Le ministère n'a pas besoin de "travailler" beaucoup : il suffit que ses représentants au sein des agences de bassin, qui sont les primo-rédacteurs des SDAGE, engagent  les financements publics à 80-100% dans les solutions douces et non destructrices de continuité. Ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui dans les plus grands bassins (voir cet article), les associations y sont en contentieux contre la "prime à la casse" mise en avant par des fonctionnaires (et quelques lobbies) poursuivant leur propre programme de renaturation non prévue dans la loi. 
"Répondant aux objectifs du Gouvernement de simplification administrative, et demandée par les collectivités gestionnaires des cours d’eau et milieux humides, la rubrique 3.3.5.0 relative aux travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques exclusivement soumise à déclaration au titre de la loi sur l’eau, créée par le décret n° 2020-828 du 30 juin 2020, vise principalement à faciliter la réalisation de travaux qui vont dans le sens d’un meilleur fonctionnement des écosystèmes naturels et de l’atteinte des objectifs de la directive cadre sur l’eau. Cette simplification ne met pas en péril le patrimoine et ne remet pas en cause le droit de propriété des riverains (droit à valeur constitutionnelle, qui n’est en rien modifié par les textes précités et demeure préservé par les mêmes dispositions qu’auparavant)."
Le ministère de l'écologie atteint ici un niveau orwellien de manipulation du langage. Le décret scélérat du 30 juin 2020 a pour but explicite de simplifier la destruction du patrimoine hydraulique en en faisant une simple déclaration sans enquête publique ni étude d'impact approfondie. Comment peut-on dire que cela ne "met pas en péril" un patrimoine quand le but affiché est d'accélérer sa disparition? 

Des associations dont Hydrauxois ont demandé l'annulation de ce décret au conseil d'Etat, mais aussi de plusieurs autres textes du ministère de l'écologie  depuis 2019 qui indiquent tout le contraire de la volonté d'apaisement affichée dans la novlangue ministérielle. Le gouvernement et son administration doivent arrêter de tordre les faits et de travestir les réalités : les citoyens sont désormais bien informés et pointent immédiatement ces manoeuvres.
"Dans la grande majorité des cas, la solution technique trouvée a consisté à aménager l’ouvrage (mise en place d’une passe à poisson, d’une rivière de contournement, abaissement du seuil…), sans qu’il n’y ait suppression du barrage ou du seuil."
En l'état de nos connaissances, cette assertion est mensongère. La seule source publique ayant essayé d'estimer la nature des chantiers de continuité écologique est le rapport d'audit du CGEDD 2016. Dans ce document, les rapporteurs indiquent que les bassins ayant le plus classé de cours d'eau sont aussi ceux où l'on observe le plus grand taux de destruction : 75% en Seine-Normandie, 74% en Artois-Picardie, 58% en Loire-Bretagne, 52% en Rhin-Meuse. Cela ne correspond nullement à la "grande majorité" des chantiers respectant les ouvrages, c'est exactement l'inverse.

Conclusion : les parlementaires sont de nouveaux égarés par la réponse de la ministre de l'écologie préparée par la direction eau et biodiversité. Une administration qui tient de tels discours est une administration dont l'action ne sera pas respectée, ce qui malheureusement n'est pas propre à l'eau en France. Nous appelons les parlementaires à restaurer la rigueur et la sincérité dans l'expression de l'Etat, à jouer pleinement leur rôle de contrôle de l'action publique et à supprimer dans la loi toute ambiguïté sur le désir de préserver le patrimoine hydraulique français. La continuité en long doit désormais être conforme à la diversité des attentes des citoyens et adaptée à tous les besoins de la transition écologique en cours.

29/01/2021

Les écrevisses signal changent rapidement les écosystèmes d'eau douce (Galib et al 2021)

En étudiant 18 cours d'eau du nord de l'Angleterre avec des données de long terme, trois chercheurs observent que l'écrevisse signal est associée à des variations significatives des poissons benthiques, des salmonidés et des invertébrés. Une espèce de chabot semble avoir totalement disparu des rivières concernées par l'invasion. L'étude menée avec des cas contrôles montre que ni les variations d'habitat ni les évolutions de pollution n'expliquent les effets observés, qui sont donc rapportés à la présence ou à l'absence de l'espèce invasive. Les premières années d'invasion touchent les invertébrés, surtout les moins mobiles, puis un effet sur les poissons est observé après 7-8 ans. Les espèces invasives ne sont pourtant pas intégrées dans la mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau comme facteur causal d'évolution des marqueurs biologiques des cours d'eau. 


L'écrevisse signal, dite aussi écrevisse de Californie ou écrevisse du Pacifique. Photo par  Astacoides, CC BY-SA 3.0.

Parmi les causes du déclin de la biodiversité endémique dans le monde, l'invasion biologique joue un rôle notable. Les espèces non indigènes entraînent une modification de la structure et du fonctionnement de l'écosystème récepteur. Les écrevisses sont considérées de ce point de vue comme une menace majeure pour les communautés endémique dans les habitats d'eau douce du monde entier: elles sont de grande taille, plutôt à longue durée de vie, omnivores (invertébrés, macrophytes, périphytes, détritus, poissons, autres écrevisses). Les écrevisses sont mêmes considérées par certains chercheurs comme des ingénieurs des écosystèmes, du fait de leur rôle dans la modification des taux de traitement détritique et des densités de certaines plantes.

L'écrevisse signal (Pacifastacus leniusculus, Dana) est l'une de ces écrevisses envahissantes les plus répandues. Elle présente toutes les qualités requises pour un grand succès de colonisation: large tolérance physiologique et écologique, forte propension à la dispersion, croissance rapide, maturation précoce et  grande fécondité. Leur effet exact reste mal connu. Par exemple, à ce jour, aucune étude n'avait mesuré la relation entre les salmonidés jeunes de l'année (YoY) et l'écrevisse signal à l'état sauvage. 

Shams M. Galib et ses collègues ont mené une étude à la méthodologie soigneuse sur le rôle de l'écrevisse signal dans l'écosystème de tête de bassin (zone à truite) d'un fleuve côtier du nord de l'Angleterre, la Tees (située dans la chaîne montagneuse des Pennines). 

Voici la synthèse de leurs observations : 

"1. Les impacts de l'écrevisse signal invasive Pacifastacus leniusculus sur les espèces et les écosystèmes locaux sont largement reconnus, mais principalement à travers des études à petite échelle et des expériences en laboratoire qui ne reflètent pas toujours les impacts dans la nature. Les effets enregistrés de l'écrevisse signal sur les populations de poissons sont équivoques. Dans cette étude, utilisant les approches avant–après/contrôle–impact et contrôle-impact, les effets de l'invasion de l'écrevisse signal sur les poissons endémiques, en particulier les poissons benthiques et les salmonidés jeunes de l'année, et les communautés de macro-invertébrés, ont été déterminé à plusieurs échelles spatiales et temporelles au moyen de trois éléments d'étude corrélés (S1 – S3), dans les cours d'eau des têtes du bassin de la rivière Tees, en Angleterre.

2. En S1, nous avons échantillonné les poissons et les macro-invertébrés benthiques de 18 cours d'eau de la même manière en 2011 et 2018. Ces cours d'eau ont été classés en deux groupes: (1) non envahis (sans écrevisses signal dans les deux années d'échantillonnage; n = 7); et (2) les cours d'eau envahis (avec l'écrevisse signal), comprenant des cours d'eau pré-envahis (envahis avant 2011; n = 8) et nouvellement envahis (envahis entre 2011 et 2018, n = 3). Malgré des conditions d'habitat similaires les deux années (toutes les variables p> 0,05), les communautés de poissons et de macroinvertébrés ont changé au fil du temps dans les cours d'eau pré-envahis et par comparaison avec les cours d'eau non envahis. Un déclin de l'abondance des poissons benthiques et des salmonidés jeunes a été observé dans les cours d'eau pré-envahis et nouvellement envahis. La disparition complète du chabot fluviatile Cottus perifretum suite à l'invasion de l'écrevisse signal a été enregistrée dans deux cours d'eau pré-envahis.

3. Dans la deuxième étude, S2, nous avons évalué les différences intra-cours d'eau chez les poissons et les macroinvertébrés dans deux cours d'eau Tees en comparant des sections avec des écrevisses signal (envahies) et sans (non envahies). Par rapport aux sections non envahies, la richesse taxonomique et l'abondance des poissons et des macroinvertébrés étaient significativement plus faibles dans les sections envahies, et l'ensemble des communautés différaient également de manière significative.

4. En S3, des données à long terme (depuis 1990) de la qualité de l'eau et des macro-invertébrés de six cours d'eau Tees comprenant ceux envahis par les écrevisses signal (n = 3) et non envahies (n = 3) ont été analysées. La qualité de l'eau a montré peu de changement, ou une amélioration, au fil du temps, mais des changements importants dans la richesse taxinomique des macro-invertébrés et la structure de la communauté se sont produits après l'invasion des écrevisses. Les changements à long terme dans les communautés de macro-invertébrés dans les cours d'eau envahis étaient généralement dus au déclin des taxons plus sédentaires tels que les mollusques et les trichoptères à fourreau.

5. Une perturbation écologique généralisée et à long terme se produit en raison de l'invasion d'écrevisses signal dans les cours d'eau des hautes terres du bassin versant de Tees qui peut conduire à une disparition complète de certaines espèces de poissons benthiques, ainsi qu'à une réduction des densités de salmonidés jeunes et à un déplacement vers communautés de macro-invertébrés moins diversifiées, dominées par des taxons plus mobiles et résistants aux écrevisses."

Discussion
Plus les données de terrain s'accumulent, plus il est manifeste que les écosystèmes aquatiques peuvent changer sur des périodes de temps assez courtes, et pour des causes diverses. L'idée qu'il existe une stabilité de ces écosystèmes à l'équilibre était le paradigme encore dominant de l'écologie dans la seconde moitié du 20e siècle. Mais l'accumulation des preuves suggère qu'il faut plutôt y voir un manque de données de qualité à l'époque, ayant mené à des modèles qui sous-estimaient la dynamique des milieux. De surcroît, les pressions de l'Anthropocène se sont accélérées à partir des années 1940-1950 (voir Steffen et al 2015), donc le rythme d'évolution du vivant se modifie également.

Cette étude sur l'écrevisse signal souligne un point intéressant : des critères biologiques (invertébrés, poisons) peuvent changer sans que les paramètres pris en compte par la directive cadre européenne sur l'eau (habitat, pollution) soient concernés. Or, cette directive forme l'outil règlementaire à la base des métriques de qualité des rivières et plans d'eau, des analyses pression-impact et des choix d'action des gestionnaires. Il n'existe par exemple aucune mesure standardisée du taux de colonisation et invasion biologique des cours d'eau par des espèces non endémiques — non seulement pour les écrevisses, mais pour les nombreuses espèces qui circulent désormais, des microbes aux mammifères en passant par les plantes. On voit la difficulté de faire coïncider des approches technocratiques qui figent la connaissance à un instant donné avec la réalité du progrès rapide des observations et des connaissances.

Référence : Galib SM et l (2021), Strong impacts of signal crayfish invasion on upland stream fish and invertebrate communities, Freshwater Biology, 66, 2, 223-240