Les poissons migrateurs doivent franchir les barrières naturelles ou humaines, mais ils doivent également éviter trop de désorientation, de pertes énergétiques en effort de nage ou d'exposition à la prédation dans les retenues des barrages. Une étude menée en Suède sur des smolts de saumon atlantique radiomarqués montre que cet impact dépend de la largeur du réservoir. Quand celle-ci est modeste et que l'exploitant renforce le débit par lâcher d'eau au moment de la migration, l'impact devient négligeable pour le saumon. Ce résultat permet de penser a fortiori que les retenues de moulins et petites centrales hydrauliques au fil de l'eau, de dimensions toujours modestes, n'ont pas d'impacts marqués sur la circulation des saumons.
La rivière étudiée par les chercheurs (extrait de Harbitch et al art cit)
La rivière Mörrumsån est une rivière régulée du sud de la Suède, sur un bassin versant de 3369 km3 composée principalement de forêts et de terres agricoles. Le Mörrumsån coule sur 186 km à travers cinq lacs naturels et six barrages hydroélectriques avec réservoirs, avant de se jeter dans la mer Baltique. C'est le plus grand fleuve de sa région avec un débit annuel moyen de 27,3 m3/s. La rivière abrite une population de saumon atlantique qui peut accéder aux 32,5 km inférieurs de la rivière, jusqu'au quatrième barrage de la ville de Fridafors. Historiquement, le saumon migrait jusqu'au lac Åsnen, situé à environ 48 km en amont de la mer Baltique.
Andrew B. Harbicht et ses collègues se sont intéressés à un point connu comme pouvant retarder la migration des saumons: le fait de devoir nager dans un réservoir, et non pas dans un débit naturel où la force du courant donne des indications au poisson.
Voici le résumé de leur étude :
"Les barrages, les déversoirs et les installations hydroélectriques sont souvent cités comme des barrières migratoires qui réduisent considérablement la condition physique des espèces de poissons migrateurs. Même là où des options de montaison et dévalaison sont disponibles, le passage de la barrière peut encore souvent entraîner des coûts énergétiques ou physiques qui aggravent les retards ou entraînent la mortalité. Des études antérieures ont identifié des variables associées à de telles réductions de la condition physique, bien que peu examinent leurs effets dans le contexte de l'échelle de la rivière entière.
À cette fin, nous avons évalué les taux de migration et le passage en aval des smolts de saumon atlantique (Salmo salar) radiomarqués à travers neuf sections de rivière (y compris deux sections de réservoir et une section de barrage) le long d'un tronçon de 20 km de rivière. Les arrêts de migration ne se sont pas révélés élevés dans les réservoirs ou les sections de barrage, tandis que les taux de migration étaient mieux décrits par les propriétés physiques de la rivière (largeur), les caractéristiques biologiques (longueur totale des smolts) et les variables saisonnières (période quotidienne) plutôt que par les facteurs anthropiques.
Ces résultats suggèrent que l'effet négatif des réservoirs peut être principalement dû à leur influence sur la largeur de la rivière et peut être négligeable lorsque la largeur n'est en grande partie pas affectée par un bassin. De même, le lâcher d'eau pendant la migration des poissons comme mesure d'atténuation semble rendre les retards négligeables. Ces conditions et actions peuvent ne pas marginaliser complètement l'effet des barrages, cependant, car une tendance négative a encore été observée résultant des effets de passage au barrage."
L'étude précise encore : "Les arrêts migratoires se sont produits dans tout le tronçon de l'étude et n'étaient pas sensiblement plus élevés ni dans le réservoir (sections C et D) ni dans les sections endiguées de la rivière (section E), ni systématiquement plus élevés en dessous du barrage qu'au-dessus du barrage. Cela suggère que si les causes des arrêts migratoires, comme la prédation, peuvent être courantes dans le réservoir Marieberg (section C), elles ne semblent pas être plus abondantes que dans les sections non modifiées de la rivière (p. ex., Sections A et H). De manière concordante, les risques élevés associés au réservoir Marieberg ne semblent pas être exprimés de manière homogène dans tout le réservoir, car la moitié supérieure (section C) a connu deux fois plus d'arrêts migratoires que la moitié inférieure (section D). De plus, les mesures compensatoires prises par la société hydroélectrique - ouverture des vannes de déversement et arrêt des turbines pendant la migration des smolts - semblent minimiser la mortalité liée aux barrages, car les arrêts n'étaient pas plus fréquents dans la section de la rivière avec le barrage que dans les sections non touchées. De même, les arrêts n'étaient pas plus fréquents chez les smolts qui passaient par les vannes de déversement du barrage que chez les smolts au-dessus du barrage. Ces résultats semblent suggérer que les mesures d'atténuation à un barrage hydroélectrique peuvent être efficaces et que dans ce système d'étude, la force la plus forte influençant les arrêts migratoires ne sera probablement pas les altérations anthropiques de la rivière."
Ci-dessus, probabilité de risque (hazard ratio) pour les saumons à diverses conditions de la rivière, notamment avec ou sans barrage, avec ou sans réservoir, au-dessus et au-dessous d'un barrage (Harbitch et al art cit)
Les chercheurs ajoutent : "L'élément d'information le plus pratique de ce modèle était peut-être la relation négative significative entre la largeur de la rivière et les taux de transition des smolts. Cette relation résulte vraisemblablement d'une corrélation négative entre la largeur de la rivière et la vitesse de l'eau pour un débit donné. À ce titre, les smolts en migration seraient tenus d'exercer un effort plus important dans des sections plus lentes et plus larges de la rivière pour maintenir une vitesse constante. Étant donné que la création d'un réservoir augmente presque toujours la largeur de la rivière et diminue la vitesse de l'eau, les gestionnaires des ressources aquatiques devraient tenir compte de cette relation lorsqu'ils examinent l'effet que les réservoirs peuvent avoir sur les saumoneaux en migration. L'effet d'un réservoir sur la vitesse ou la survie peut être minime dans les situations où la largeur de la rivière n'est pas considérablement modifiée par la présence d'un barrage (par exemple, Havn et al 2018; la présente étude). À l'inverse, on s'attend à ce que les barrages qui augmentent considérablement la largeur de la rivière réduisent considérablement les vitesses de migration (Stich et a 2015) et par conséquent abaissent les taux de survie des smolts en migration."
Discussion
Les chercheurs font observer en conclusion de leur étude que si l'on souhaite optimiser une rivière pour la remontée des migrateurs, la solution la plus efficace sera toujours la suppression complète de la barrière et du réservoir en vue de revenir à une morphologie et à un régime de débit antérieur. Mais comme le démontre par ailleurs leur travail, des mesures d'accompagnement permettent un moindre impact sur la migration des saumons tout en conservant des aménagements de la rivière qui répondent à des usages sociaux et économiques. Il faut donc s'orienter vers cette écologie de la conciliation.
On observera que les moulins et petites centrales hydrauliques au fil de l'eau ne sont pas des barrages réservoirs créant des retenues très larges. Il est donc probable que l'impact de la retenue d'eau comme risque de retard, désorientation ou prédation est alors négligeable dans le cas du saumon, en tout cas selon les critères examinés par Andrew Harbitch et ses collègues.
Référence : Harbicht AB et l (2021), Environmental and anthropogenic correlates of migratory speeds among Atlantic salmon smolts, River Res Applic, 37, 3, 358-372