Pendant l'examen en commission de la loi Climat et résilience, la rapporteure Cendra Motin et la ministre de l'écologie Barbara Pompili ont refusé les amendements visant à protéger les ouvrages hydrauliques, leurs milieux, leurs usages, venant pourtant de tous les bords politiques et toutes les régions. Lisant les notes préparées par sa bureaucratie de l'eau, la ministre a multiplié les omissions, les contre-vérités et les contradictions. Il est consternant de voir le gouvernement et les hauts fonctionnaires s'acharner à défendre une politique de destruction des ouvrages en rivière massivement rejetée dans les territoires depuis dix ans. Alors que mille choses utiles et nécessaires sont à faire pour l'écologie, Barbara Pompili défend encore la suppression de retenues et canaux d'eau, de sites de production énergétiques bas carbone, de milieux aquatiques et humides, de paysages appréciés des riverains. Cette approche rétrograde d'une "nature sans humain" nie la réalité de l'évolution historique de nos écosystèmes. Elle divise les citoyens au lieu de les rassembler. Elle est aux antipodes des urgences écologiques, sociales et économiques du pays.
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Lors de l'examen de la loi Climat et résilience à l'Assemblée, la rapporteure Cendra Motin (à qui l'on doit la phrase de titre) et la ministre de l'écologie Barbara Pompili ont balayé d'un revers de la main plusieurs dizaines d'amendements de protection des ouvrages hydrauliques, de promotion de la petite hydro-électricité, de défense des milieux aquatiques et humides d'origine humaine. Ces amendements transpartisans venaient pourtant de tous les groupes (dont le groupe majoritaire) et de tous les territoires.
Barbara Pompili s'est contentée de lire la note préparée par la direction eau & biodiversité du ministère de l'écologie, c'est-à-dire par la bureaucratie responsable du naufrage de la gestion de continuité écologique depuis plus de 10 ans.
Tout y est passé, les manipulations et omissions, les éléments de langage usés d'une administration répétant sa langue de bois. A peu près toutes les idées reçues que nous dénonçons ont été reprises. Mais répéter cent fois une contre-vérité n'en fait pas une vérité. Nous reprenons ici quelques éléments, sachant que chaque phrase ou presque de la ministre serait à reprendre.
"on agit sur le seuil du moulin et en aucun cas sur le moulin lui-même"
Un moulin à eau est un bien hydraulique défini par sa retenue, son bief, son usage de l'eau, cela tant pour la valeur paysagère et patrimoniale que pour la valeur écologique et énergétique. Détruire le seuil, c'est laisser une maison en zone inondable, c'est détruire le moulin en tant que moulin. C'est surtout assécher des milieux usuellement en eau, éliminer le potentiel hydro-électrique, effacer le paysage de rivière aménagée. Il y a là une négation et une simplification de la réalité complexe des moulins. Par ailleurs, le moulin est le cas particulier d'une question générale : les ouvrages hydrauliques concernent aussi des forges, des centrales hydro-électriques, des étangs, des plans d'eau, des lacs, des lavoirs, des douves et plein d'autres cas. Notre association et la coordination eaux et rivières humaines demandent de prendre en compte l'ensemble des hydrosystèmes.
"il [le seuil] ne permet pas le transport du sédiment (...) quand les sédiments s'arrêtent, cela change l'écosystème"
Les sédiments ne s'arrêtent évidemment pas, la ministre de l'écologie ne comprend apparemment pas bien de quoi elle parle, ce qui est inquiétant quand on décide de la politique publique d'un pays sur son patrimoine hydraulique et ses rivières. Cette généralité sur les sédiments a été démontée par des travaux de recherche, y compris ceux tout récents d'une équipe de chercheurs ayant pris soin de montrer sur tout un bassin que l'effet sédimentaire des moulins et petits ouvrages est négligeable (Peeters 2020, voir aussi Collins 2020 et plus généralement nos rubriques sédiments et hydromorphologie). Par ailleurs, changer un écosystème n'est pas un mal en soi, toute l'Europe est formée d'écosystèmes changés par l'Homme depuis 6 millénaires : une prairie, une garrigue, un bocage, un alpage, un lac, un étang, ce sont des écosystèmes issus de la co-évolution culture-nature. La ministre en est encore à une vision de l'écologie des années 1960, où l'on imaginait une nature séparée de l'Homme, évoluant autour d'un équilibre qui change peu, ce qui est une conception archi-fausse du régime de la nature en général, et en particulier après le néolithique (pour l'eau et les sédiments voir Jenny 2019, Mooij 2019, Gibling 2018, Evans et Davis 2018 parmi des centaines d'autres travaux d'histoire environnementale ayant modifié notre connaissance de l'évolution des rapports société-nature).
Le moulin provoquerait des "dégâts plus importants lors des crues"
Aucune base scientifique n'a jamais démontré cela, et les règles physiques de l'écoulement permettent de comprendre qu'une rivière avec des retenues et des diversions latérales (biefs) aura des crues moins rapides et moins violentes à l'aval qu'une autre où le lit mineur est devenu une conduite unique pour amener l'eau plus vite vers cet aval sans aucun obstacle. Là encore, on a l'impression que la ministre lit les notes de son administration sans comprendre les réalités dont elle parle. Et on a l'impression que les hauts fonctionnaires ayant rédigé ces notes ne se représentent pas non plus très bien les réalités. Des chercheurs allemands ont montré les effets néfastes de la suppression des seuils : incisions (creusement de lits), moindres débordements, débits plus rapides vers l'aval (Maaß et Schüttrumpf 2019). On est donc dans la négation du bon sens et des évidences. Si la continuité latérale devait être rétablie (ce qui est meilleur pour la biodiversité cf Ward 1999, pour la rétention d'eau et pour l'écrêtement de crues), on parlerait de travaux beaucoup plus importants afin de reconnecter lit mineur et lit majeur. Mais là, casser des ouvrages revient dans la plupart des cas à faire du lit mineur une conduite encaissée, en perdant l'effet bénéfique de la retenue, de la rehausse du niveau d'eau, de la diversion latérale dans un bief dans le cas des moulins, des marges humides dans le cas d'un étang ou d'un lac.
Des migrateurs qui reviennent dans "l'Orne", "la Seine", "la Touques"...
Le retour des migrateurs n'est nullement dépendant de la casse des ouvrages, comme l'avait montré le bilan commandité par l'agence de l'eau Seine-Normandie elle-même sur la Vire, l'Orne, la Touques, la Bresles : passes à poissons et rivières de contournement fonctionnent aussi, voire le simple franchissement des plus petits ouvrages n'ayant jamais été des obstacles complets. Par ailleurs, quand des universitaires et non des administratifs examinent le bilan complet, il est moins bon, voir cet article sur la Touques et notamment Germaine 2011 ou Lespez et al 2016). Des chercheurs français ont publié une analyse des migrateurs sur 40 ans (Legrand et al 2020): une majorité de stations n'ont aucune tendance significative, plusieurs espèces sont en déclin comme les aloses ou les lamproies marines, d'autres comme les saumons atlantique n'ont pas de gain global malgré de lourds investissements publics et privés depuis les premiers plans des années 1970. D'autres chercheurs ont montré qu'à l'époque des moulins et étangs d'Ancien Régime (ceux que la bureaucratie de l'écologie détruit et assèche à tour de bras), on trouvait des migrateurs jusqu'en tête de bassin (Merg et al 2020). Il faut croire que d'autres causes de raréfaction des poissons sont à l'oeuvre. La ministre de l'écologie trouvera ces causes en se demandant ce qui a changé dans les rivières entre 1900 et nos jours, périodes où effectivement de nombreux tronçons ont perdu des migrateurs... en même temps qu'ils perdaient des moulins par ailleurs.
On défendrait l'"analyse au cas par cas" du plan de continuité apaisée
Les amendements refusés par la ministre visaient précisément le problème de la préférence systématique et programmatique pour l'effacement dans les planifications des agences de l'eau. Comment peut-elle oser prétendre qu'il existe un "cas par cas" alors que les services de l'Etat dans les agences décident à l'avance et a priori que seule la destruction sera financée au taux maximal? C'est honteux de travestir à ce point la sincérité de la parole publique. Barbara Pompili n'est pas capable d'assumer la préférence d'Etat pour la destruction devant les élus de la nation.
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Il faut se rendre à l'évidence : l'écologie du simplisme et du détournement d'attention continue de régner au gouvernement. Pendant que les pelleteuses détruisent les moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques présents depuis des siècles, la moitié des rivières n'atteignent pas la qualité écologique et chimique requise par l'Europe, et encore l'Europe ne contrôle qu'une fraction des polluants. Chaque nouvelle sécheresse nous vaut des rivières sans eau. Le réchauffement climatique continue, tout comme nos émissions carbone.
La vision de l'écologie portée à la tête de l'Etat est mal informée et inefficace, quand elle n'est pas mal intentionnée et autoritaire. Elle divise les citoyens au lieu de les rassembler. C'est triste pour notre pays.
Nous remercions les nombreux députés qui ont essayé de défendre les ouvrages en commission, et nous les appelons à le faire encore en séance publique. Nous appelons également les sénateurs, bons connaisseurs des territoires, à faire entendre leur voix face au déni des réalités qui persiste au ministère de l'écologie. Nous appelons enfin le mouvement des ouvrages hydrauliques à tenir bon et à protéger les cadres de vie face l'action néfaste des casseurs, cela par tous les moyens légaux à leur disposition. Cette parenthèse aberrante finira par se refermer. Il reste évidemment consternant que la France en 2021 perde encore du temps, de l'énergie et de l'argent à promouvoir des politiques ineptes conçues dans des bureaux et décalées des attentes des citoyens.