07/04/2021

Quels facteurs de stress expliquent les variations de l'état écologique des rivières européennes? (Lemm et al 2021)

Une nouvelle étude menée sur 50 000 tronçons de rivière en Europe suggère que les dégradations relatives de l'état écologique de l'eau au sens de la directive-cadre européenne s'expliquent à 34% par l'excès de nutriment (nitrates, phosphore), 26% par la présence de polluants toxiques, 23% par la morphologie (au sens d'usage des sols du bassin versant par l'urbanisme et l'agriculture), 16% par l'hydrologie (déviation du régime naturel de débit par extraction, dont barrage-réservoir). Cette recherche confirme que la pollution des eaux et l'artificialisation des sols sont les premiers facteurs à contrôler. Evidemment très loin du récit fantasmatique des gestionnaires publics de l'eau insistant en France sur les discontinuités liés à des ouvrages anciens de moulins et d'étangs, tout en faisant croire indûment aux citoyens et aux décideurs que la "morphologie" concernerait au premier chef ces ouvrages. 

Les zones étudiées et leur état écologique DCE 2000, extrait de Lemm et al 2021, art cit


Malgré un nombre croissant d'études sur les multiples effets de stress dans les systèmes aquatiques, l'état des connaissances reste incomplet. La plupart des analyses portant sur les effets des impacts humains combinent deux ou trois facteurs. De tels résultats expérimentaux ne sont pas nécessairement bien mis à l'échelle dans l'espace et dans le temps, car ils ne sont qu'un instantané d'un contexte particulier à un moment donné. De plus, la plupart des masses d'eau sont souvent affectés par plus de trois facteurs de stress. Les études de terrain à l'échelle régionale ont donné des résultats contradictoires, même en ciblant une zone identique. Le rôle de la qualité de l'eau par rapport à l'hydromorphologie pour l'état écologique reste controversé avec des résultats dépendant de la sélection, de la résolution spatio-temporelle et de la qualité des données sur les facteurs traités dans l'analyse.

Jan U. Lemm et ses collègues apportent une nouvelle pierre à cet édifice complexe de la désintrication des facteurs modifiant l'état écologique tel que défini par la directive cadre européenne 2000 sur l'eau. La DCE prend le biote en entrée d'analyse (c'est-à-dire les taxons de poissons, insectes, plantes, micro-organismes dans le milieu aquatique) et déduit des altérations sur la qualité de ce biote. Voici le résumé des travaux de ces chercheurs :

"Le biote des rivières européennes est affecté par un large éventail de facteurs de stress qui nuisent à la qualité de l'eau et à l'hydromorphologie. Environ 40% seulement des cours d’eau européens atteignent un «bon état écologique», un objectif fixé par la directive-cadre européenne sur l’eau (DCE) et indiqué par le biote. On ne sait pas encore comment les différents facteurs de stress affectent de concert l'état écologique ni comment la relation entre les facteurs de stress et l'état diffère entre les types de rivières. 

Nous avons lié l'intensité de sept facteurs de stress aux données récemment mesurées sur l'état écologique de plus de 50000 unités de sous-bassin (couvrant près de 80% de la superficie de l'Europe), qui étaient réparties entre 12 grands types de rivières. Les données sur les facteurs de stress ont été soit dérivées de données de télédétection (étendue de l'utilisation des terres urbaines et agricoles dans la zone riveraine), soit modélisées (modification du débit annuel moyen et du débit de base, charge totale de phosphore, charge totale d'azote et pression toxique du mélange, une métrique composite pour les substances toxiques), tandis que les données sur l'état écologique ont été tirées des rapports nationaux des deuxièmes plans de gestion des bassins hydrographiques de la DCE pour les années 2010-2015. Nous avons utilisé des arbres de régression accélérée pour relier l'état écologique aux intensités des facteurs de stress. 

Les facteurs de stress expliquaient en moyenne 61% de la déviance de l'état écologique pour les 12 types de rivières, les sept facteurs de stress contribuant considérablement à cette explication. En moyenne, 39,4% de la déviance s'expliquait par une hydromorphologie altérée (morphologie: 23,2%; hydrologie: 16,2%), 34,4% par un enrichissement en nutriments et 26,2% par des substances toxiques. Plus de la moitié de la déviance totale était expliquée par l'interaction des facteurs de stress, l'enrichissement en nutriments et les substances toxiques interagissant le plus fréquemment et le plus fortement. Nos résultats soulignent que le biote de tous les types de cours d'eau européens est déterminé par de multiples facteurs de stress concomitants et interagissants, étayant la conclusion que des stratégies de gestion fondamentales à l'échelle du bassin versant sont nécessaires pour atteindre l'objectif ambitieux d'un bon état écologique des eaux de surface."

Ce graphique montre le poids estimé des impacts selon les types de rivières (de plaine, de moyenne altitude, de montagne ; grands fleuves ; méditerranéennes ; géologie sédimentaire ou cristalline):

Le poids des facteurs de stress dans la variance de l'état écologique DCE, extrait de Lemm et al 2021, art cit.


Discussion
Quand la morphologie et l'hydrologie sont séparées, cette étude confirme que l'enrichissement en nutriments et la présence de toxiques sont les deux premiers prédicteurs de baisse de qualité écologique au sens de la DCE : "les trois catégories de facteurs de stress «hydromorphologie» (y compris l’utilisation des terres riveraines), «nutriments» et «substances toxiques» affectent l’état écologique des cours d’eau européens dans un rapport approximatif de 1,5 à 1,3 à 1,0. Si la morphologie et l'hydrologie sont séparées, le rapport est de 1,3 (nutriments) à 1,0 (substances toxiques) à 0,9 (morphologie) à 0,6 (hydrologie)."  Ce n'est pas nouveau, les mêmes facteurs de variance ont été observés en France dans des analyses à grande échelle aussi (voir Villeneuve et al 2015). 

Par ailleurs, cette étude rappelle ce que les chercheurs entendent par morphologie ou hydromorphologie: ce n'est pas au premier au premier chef la présence d'ouvrages anciens en rivière, comme le prétendent en France les administrations et lobbies de la casse des moulins et étangs, mais d'abord les usages des sols du bassin versant (agriculture, urbanisation) et les extractions d'eau diminuant le débit naturel de base des rivières (notamment des barrages d'irrigation). Il paraît de plus en plus clair que l'acharnement français à détruire les ouvrages est une diversion de l'impuissance française à réduire des polluants agricoles, urbains et domestiques, ce qui représente évidemment une autre ambition et un autre coût que l'image symbolique d'une pelleteuse cassant une chaussée de moulin...

Notons enfin que 40% de la variance du score écologique n'a pas d'explication claire. Cela devrait inciter le gestionnaire à un peu d'humilité quand il prétend expliquer par quelques règles généralistes la diversité des rivières et de leurs peuplements. Cela devrait aussi inciter l'Union européenne à réviser la directive cadre de 2000, qui a été lancée sur des bases naïves et contestées concernant la possibilité de définir partout des "états de référence" des rivières. 

04/04/2021

L'office français de la biodiversité nie la casse du patrimoine des rivières

Révélation de l'observatoire de la continuité écologique : l'Office français de la biodiversité (OFB) a diffusé une "Note technique" de réponse à la Coordination nationale eaux & rivières humaines (CNERH). Cet établissement public y aligne des mensonges inadmissibles en affirmant qu'il n'existe aucune préférence de l'administration française pour la destruction d'ouvrages. Comment peut-on croire à la parole publique quand elle en vient à nier ainsi les évidences observées par tous et connues de tous? Comment peut-on croire à la promesse gouvernementale d'une continuité "apaisée" alors que ni l'OFB ni les agences de l'eau ni la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie n'ont changé d'idéologie et de méthode sur la casse dogmatique du patrimoine des rivières? La France est-elle une technocratie où des fonctionnaires non élus mènent arbitrairement leurs programmes, ou bien une démocratie dont seuls les élus du parlement précisent l'intérêt général dans la loi? Car les sénateurs et les députés l'ont dit cent fois depuis 10 ans : le retour au fleuve sauvage par casse des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques n'est pas et ne doit pas être la politique de la France sur ses rivières et leurs patrimoines. 

Petit rappel institutionnel : l'OFB office français de la biodiversité (créé en 2019) pour son volet "eau" s'appelait auparavant ONEMA pour office national de l'eau et des milieux aquatiques (créé en 2006), qui était lui-même la transformation du CSP conseil supérieur de la pêche, une institution administrative et corporatiste ayant émergé sous le régime de Vichy pour que les pêcheurs gèrent les milieux de rivières et plans d'eau. 

Cette trajectoire institutionnelle signifie que les agents OFB ont hérité d'une culture de la gestion halieutique et piscicole de l'eau. Cela présente des biais car la pêche n'est qu'un usage de la ressource, et les poissons ne sont pas les seuls enjeux de la biodiversité. Nous avions ainsi montré comment à partir de 2006 et pendant dix ans :
- la communication de l'Onema a surévalué l'enjeu poisson par rapport aux autres espèces de milieu aquatique et humide (voir cet article),
- la communication de l'Onema a surévalué l'enjeu continuité écologique par rapport à d'autres présents dans la littérature scientifique internationale (voir cet article),
- la communication de l'Onema a encouragé à bâcler les chantiers de continuité écologique (voir cet article).

Dans une note adressée semble-t-il aux parlementaires, les services de l'OFB répondent à un dossier envoyé en 2019 par la CNERH à l'ensemble des députés et sénateurs. Notons qu'à notre connaissance, l'OFB n'éprouve pas le besoin d'apporter des précisions à tout ce que reçoivent les parlementaires. C'est étonnant que l'Office se focalise ainsi sur la CNERH, qui est loin d'être le seul acteur à communiquer avec les élus. 

Mensonge n°1, pas de promotion de la destruction d'ouvrage
"L’administration, en appliquant la réglementation française relative à la restauration de la continuité écologique, ne promeut pas la destruction de milliers d’ouvrages." FAUX

C'est évidemment faux, tous les acteurs de terrain le savent. Les programmes de la majorité des agences de l'eau depuis le vote de la loi sur l'eau de 2006 donnent la priorité financière à la destruction des ouvrages, ce qui est une promotion publique de la casse des moulins, étangs, écluses et autres patrimoines de l'eau. En ce moment même, tous les projets de SDAGE 2022-2027 en enquête publique appellent encore à cette priorité de l'effacement, sans même étudier le terrain de chaque chantier, selon donc un a priori programmatique et dogmatique.

L'OFB et avant lui l'Onema sont exactement sur la même ligne, or ce sont les services référents des DDT-M dans les instructions de chantier de continuité.

Dans sa plaquette de 2010 abondamment diffusée (Pourquoi rétablir la continuité écologique des cours d'eau), l'Onema écrivait : "L’un des moyens les plus efficaces et les plus pérennes pour contribuer à l’amélioration du fonctionnement des milieux aquatiques et à la qualité des masses d’eau est probablement l’effacement d’ouvrages". 

Comment nier ce que l'on a écrit? Comment nier ce que les agents Onema puis OFB arbitrent dans leurs analyses locales, à savoir une préférence quasi-systématique pour la destruction et un manque manifeste d'intérêt pour les enjeux autres que certains poissons?

En fait, l'OFB trouve le moyen de se contredire dans le même document, puisqu'après avoir affirmé que l'administration eau et biodiversité n'aurait pas de préférence pour la destruction, les rédacteurs affirment quelques pages plus loin que le vrai sens de la continuité écologique est de supprimer tous les impacts d'un ouvrage, c'est-à-dire finalement l'ouvrage lui-même : "la restauration de la continuité écologique proprement dite ne peut s’envisager qu’en supprimant non seulement l’effet barrière du seuil mais également la perturbation des processus morphologiques et des habitats aquatiques liée à la présence de la retenue. En conséquence, les propos de la CNERH traduisent une vision simplificatrice et réductrice du concept de continuité écologique. Pour les cours d’eau les plus étagés par les seuils de moulins, seuls des effacements d’ouvrages, associés ou non à des mesures d’accompagnement de type restauration morphologique, permettent de retrouver des conditions d'habitat compatibles avec le respect des objectifs d’état écologique de la DCE."

Détail : on attend une seule publication scientifique (pas un rapport de convenance) démontrant qu'à pression égale de pollution et extraction d'eau sur un bassin versant, les rivières ayant vu la destruction des ouvrages sont en meilleures classes de qualité chimique et écologique que les autres. Pour l'instant, ce n'est pas démontré par les résultats déplorables des agences de l'eau sur l'état DCE des bassins dont elles ont la charge vis-à-vis de l'Europe, alors que des centaines de millions € sont dépensés à casser de l'ouvrage ou à faire des passes à poissons. Quand des chercheurs font une analyse des multiples facteurs de dégradation d'un score DCE, ils ne trouvent pas du tout l'impact majeur que l'OFB avance sans preuve réelle (voir par exemple en France Villeneuve et al 2015). En fait, toutes les études en hydro-écologie quantitative de notre connaissance concluent que la pollution est le premier facteur de déclassement DCE devant la morphologie, et qu'au sein de la morphologie, les facteurs du lit majeur du bassin (usage des sols) l'emportent sur la densité d'ouvrage en lit mineur. 

Mensonge n°2, chaque ouvrage est étudié au cas par cas avec tous ses enjeux
"chaque ouvrage est étudié au cas par cas, en croisant ses impacts et les enjeux environnement aux tout en prenant en compte les usages associés, dans l’objectif d’appliquer la séquence « éviter-réduire-compenser » la plus opportune et adaptée au contexte." FAUX

C'est totalement faux. 

Nous mettons au défi l'OFB de nous présenter un tirage aléatoire de 100 chantiers de continuité écologique et de montrer que dans tous, ou même une majorité, ou même quelques-uns on aura réellement étudié avec autant de minutie, par des personnes qualifiées à ce titre :
- l'impact hydrogéologique sur le stockage local de l'eau
- l'impact faune-flore au-delà du seul cas des poissons
- l'impact paysager et culturel avec ou sans site
- l'impact carbone et sédimentaire
- l'impact économique (pour le maître d'ouvrage et la société)

L'OFB ne le peut pas, car cela n'a pas été fait. 

En fait, la lecture même des retours d'expérience en restauration morphologique de l'Onema permet de constater qu'on n'y trouve pas d'analyse complète des sites, mais au contraire de nombreux biais en faveur d'un type d'écoulement (lotique) et d'un type de population pisciaire, ainsi qu'une absence d'analyse pluridisciplinaire et d'étude multi-enjeux. Le manque de rigueur scientifique et la subjectivité dans la restauration des rivières ont été soulignés par la recherche universitaire indépendante (voir Morandi et al 2014). Les associations et collectifs membres de la CNERH ont suivi des centaines de chantiers en France, à chaque fois les études préparatoires ont été incomplètes et biaisées. La coordination a d'ailleurs dû préparer un guide pour demander que les milieux et les usages soient réellement et sérieusement analysés, car ce n'est pas le cas aujourd'hui. 

L'OFB sait la vérité mais la cache : tous ces enjeux ont été négligés car dès le départ pour cette administration, il allait de soi qu'un ouvrage est une anomalie à faire disparaître et que les enjeux autres que l'écologie au sens étroit de l'OFB (se rapprocher d'une rivière naturelle sauvage, optimiser les poissons migrateurs et d'eau vive) ne pèsent rien ou quasiment rien.

Mensonge n°3 : la destruction est minoritaire dans les chantiers
"Concrètement, le nombre d’ouvrages effacés reste minoritaire par rapport au nombre d’ouvrages conservés et équipés pour réduire leurs impacts environnementaux (par exemple, 1 ouvrage sur 4 seulement a été effacé ou arasé lors du 10ème programme de l'Agence de l'Eau RMC)" FAUX

Le procédé devient ici franchement malhonnête. L'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse est la seule des 6 agences à avoir adopté un point de vue plus pondéré dans un de ses programmes, c'est par ailleurs l'une des agences qui a classé le moins de rivières au titre de la continuité écologique. 

Voici les vrais chiffres donnés par l'audit 2016 du commissariat général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), une instance administrative qui a eu le plus grand mal à l'époque à obtenir des données chiffrées synthétiques :


Quatre bassins donnent une claire priorité à l'effacement des ouvrages hydrauliques : Seine-Normandie (75%), Artois-Picardie (74%), Loire-Bretagne (58%) et Rhin-Meuse (52%). Le bassin RMC est à 35% et non 25%. Il se trouve que les bassins Seine-Normandie, Artois-Picardie et Loire-Bretagne sont ceux qui ont classé le plus grand linéaire de rivières et donc le plus grand nombre d'ouvrages.

L'OFB maquille la réalité : il y a bien préférence majoritaire à la destruction dans les bassins les plus concernés par la continuité écologique. 

La recherche scientifique et universitaire observe la réalité de biais en faveur de la destruction
Des travaux de recherche universitaire ont déjà noté les biais de l'administration en faveur de la destruction d'ouvrages, ainsi que les nombreux conflits autour du motif de destruction des ouvrages / renaturation des rivières. En voici quelques exemples récents.

S. Dufour et ses collègues ont noté un biais d'effacement et suggéré des pistes de recherche : "Concernant l'implémentation de la politique des suppressions de barrage en France, nous n'avons pas directement traité l'existence et les causes potentielles de tels biais mais, en perspective, nous pouvons au moins mentionner que les pêcheurs ont exercé une grande influence sur les politique de l'eau dans les années 1960 (Bouleau 2009), et que l'institution nationale responsable de l'eau et des écosystèmes aquatiques (ie ONEMA, aujourd'hui appelé AFB pour Agence française pour la biodiversité) a été créée en 2006 à partir de l'institution nationale en charge des poissons (le Conseil supérieur de la pêche). Déterminer dans quelle mesure ceci est relié à l'apparente préférence donnée à ces certains habitats du chenal en pratique de restauration, et si il y a des communautés épistémiques qui influencent ces préférences, reste un sujet d'étude" (Dufour et al 2017). 

J.A. Perrin a observé qu'en favorisant le "naturel" comme "scientifique", les acteurs administratifs comme l'OFB essaient d'imposer une vue non problématisée du sujet et d'éviter le recours à d'autres expertises : "Ce partage entre les sciences et les politiques s’accompagne d’un autre partage dans les documents entre deux ensembles supposés, le naturel (se situant du côté du fonctionnement systémique des cours d’eau et de la biodiversité) et l’artificiel incarné par les ouvrages hydrauliques. La distinction est prépondérante lorsque sont évoqués parallèlement dans un même document «la tendance naturelle de la rivière» (secrétariat technique Loire-Bretagne, p. 4), le «régime hydrobologique naturel» (Onema, p. 3), «la pente naturelle» (Onema, p. 8) et les «chutes d’eau artificielles» (Onema, p. 8). Ces discours témoignent d’une naturalisation des cours d’eau de par l’absence de prise en compte de l’histoire des ouvrage (..) cette naturalisation de la CECE court le risque de faire « accepter “naturellement” les injonctions au lieu d’interroger les conditions sociales, économiques et politiques, les perceptions [...] qui président à la prise de décision » (Reghezza-Zitt et Rufat, 2015). Il peut en résulter une dépolitisation des enjeux socio-techniques (sciences et expertises mobilisées, approches et méthodes pour aborder le caractère longitudinal d’un cours d’eau) en dissimulant la manière dont a été élaborée la réponse apportée à ce problème public." (Perrin 2019)

J. Linton et T. Krueger ont souligné que la préférence pour le fleuve naturel sans impact humain avec choix de destruction comme renaturation a induit un conflit majeur : "Il existe une contradiction ontologique fondamentale entre la nature anthropique des fleuves en France et une politique qui repose sur un idéal de «restauration» des fleuves sur la base des conditions naturelles. Cette contradiction se manifeste dans une lutte politique prolongée entre deux idéaux de continuité: la continuité des fleuves «naturels» et la continuité (culturelle) des fleuves anthropiques; cela a produit une controverse environnementale généralisée en France. Au nom de la continuité environnementale des cours d'eau, un programme ambitieux a été développé pour démolir des milliers de petits barrages et déversoirs, souvent associés à l'héritage historique des moulins à eau (Germaine et Barraud, 2017); cette initiative, cependant, a rencontré une opposition féroce et largement inattendue de toutes les directions, y compris les propriétaires et les défenseurs des moulins à eau, les personnes vivant ou possédant des propriétés le long des rivières, les producteurs (ou potentiels producteurs) d'hydroélectricité à petite échelle, les associations de pêcheurs locales, des politiciens locaux et nationaux, y compris de nombreux parlementaires et des centaines de maires, ainsi que des spécialistes de l'eau de haut niveau et très respectés." (Linton et Krueger 2020

Il faut y ajouter par exemple les livres collectifs de Germaine et Barraud 2017 (Démanteler les barrages pour restaurer les cours d’eau. Controverses et représentations), Bravard et Lévêque 2020 (La gestion écologique de srivières françaises. Regards de scientifiques sur une controverse) qui apportent des analyses critiques d'universitaires et experts indépendants de l'administration comme des particuliers.

Conclusion
La continuité écologique souffre d'un déficit de confiance entre les citoyens et l'administration. Cette confiance ne pourra être rétablie que si l'on cesse les mensonges et manipulations sur la réalité : il y a bel et bien eu une préférence massive des représentants de l'administration eau & biodiversité pour la casse des ouvrages hydrauliques depuis la loi sur l'eau de 2006, ainsi qu'une destruction effective et non réversible de nombreux ouvrages. 

Les lois françaises ne demandent pas cette destruction des ouvrages et elles encouragent à leur valorisation, notamment dans le cadre de la prévention et de l'adaptation au changement climatique. L'administration est là pour appliquer la loi, donc pour tenir cette ligne décidée par les représentants des citoyens. Elle n'est pas là pour inventer dans des bureaux ses propres programmes idéologiques ni pour essayer de les imposer sans contrôle démocratique. Le rôle de l'OFB est donc d'aider à la meilleures gestion écologique des ouvrages préservés, pas de théoriser une rivière sauvage idéale ni de maximiser des salmonidés pour un usage particulier de l'eau. 

01/04/2021

Les sénateurs Savary et Janssens demandent à Barbara Pompili de cesser la casse des moulins

Barbara Pompili persiste à couvrir les dérives des fonctionnaires de son ministère saisis d'une folie destructrice des ouvrages hydrauliques en plein urgence de la transition énergétique et de l'adaptation climatique. Mais les parlementaires indignés de ce qu'ils observent sur le terrain maintiennent le feu roulant des interpellations de la ministre pour que cesse la liquidation des patrimoines des rivières. Combien de temps va encore durer le blocage d'une minorité intégriste refusant d'admettre l'échec de la continuité écologique destructrice? Quand va-t-on cesser de faire disparaître sur argent public les ressources en eau et en énergie bas-carbone du pays?


La chute de Beillard dans l'Orne
. Les administrations locales n'entendent rien à la "continuité apaisée des rivières" et cherchent encore en 2021 tous les moyens de pression pour pousser à la casse des ouvrages, non pour aider à leur exploitation. Tant que ce dogme opposé à l'esprit et au texte de la loi sera actif chez des agents des DDT-M, DREAL, OFB et direction eau du ministère de l'écologie, les conflits sociaux persisteront, de même que la décrédibilisation de la parole et de l'action publiques.

Question écrite n° 21305 de M. René-Paul Savary (Marne - Les Républicains) 
M. René-Paul Savary interroge Mme la ministre de la transition écologique au sujet de la préservation des moulins en France et plus particulièrement dans le département de la Marne.
L'étude d'impact du projet de loi n° 3875 (Assemblée nationale, XVe législature) portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets n'évoque pas ce sujet alors que 3 000 à 5 000 retenues de moulins à eau auraient déjà été détruites en France.
Les dernières générations de roues ou turbines peuvent avoir un rendement de 90 % et une exploitation de 25 000 moulins permettrait la production de 4 térawatt-heure (TWh) d'électricité permettant d'assurer la consommation d'un million de foyers.
Il souligne que notre territoire comprend plus de 250 associations œuvrant à la préservation des moulins et que les installations ancestrales font parties de notre patrimoine et permettent de lutter contre les effets du règlement climatique.
Il l'interroge afin de connaître ses projections permettant de substituer à la continuité écologique subversive constatée par la diminution des masses d'eau de nos rivières, la sécheresse et l'abaissement du niveau des nappes phréatiques, ainsi que l'augmentation de crues, une continuité écologique de conservation et de valorisation des moulins marnais.

Question écrite n° 21491 de M. Jean-Marie Janssens (Loir-et-Cher - UC)
M. Jean-Marie Janssens attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les conséquences de l'arasement des vannages des moulins dans certaines rivières et cours d'eau. Beaucoup de propriétaires de moulins sont soumis à une pression forte de la part des organismes publics pour procéder à l'arasement des vannages considérés par ces mêmes organismes comme altérant le fonctionnement écologique et la biodiversité des rivières et cours d'eau. Outre le fait que la prise en charge de ces travaux serait hors de portée financière des propriétaires, il n'est pas établi que ces vannages, souvent séculaires, soient à l'origine de la dégradation de la faune et de la flore constatée depuis quelques décennies dans nos rivières. Au contraire, la destruction des vannages des moulins entraînerait des conséquences néfastes et irréversibles sur l'hydraulique des rivières, notamment l'aggravation des phénomènes de crues provoqués par un écoulement accéléré vers l'aval et des étiages sévères en amont en cas de déficit pluvial. Les vannages permettent en effet de stocker l'eau dans des zones humides ou inondables afin de préserver des inondations en aval. Du fait de l'accélération du courant et de la réduction de l'épaisseur d'eau, la disparition des vannages provoquerait en outre la réduction de la nappe de surface et entraînerait la mise en place de nouveaux écosystèmes préjudiciables à la vie piscicole. Pour ces raisons, il souhaite connaître la position du Gouvernement sur les vannages des moulins et sur leur importance pour le maintien de l'équilibre écologique et de la biodiversité de nos rivières.

29/03/2021

La diversité végétale des plans d'eau peu profonds (Labat et al 2021)

Des chercheurs ont étudié la biodiversité des plantes dans 89 plans d'eau peu profonds en France. Ils montrent que la géologie et la distance à la source sont prédicteurs des assemblages biologiques, le second trait indiquant un rôle de la connectivité des plans d'eau aux hydrosystèmes de fleuves et rivières. La superficie est le premier prédicteur de diversité locale alpha des macrophytes. 


Une équipe française de recherche (Université de Rennes, CNRS, Aquabio) a sélectionné 89 plans d'eau peu profonds situés de 3 à 3340 m au-dessus du niveau de la mer, différant par leur géologie (calcaire à siliceuse), leur substrat (sable, argile, roche), l'approvisionnement en eau (précipitations, eaux souterraines, débit de la rivière), leur surface (de 1 m2 à 41,4 ha). Ces sites comprenaient à la fois des eaux permanentes, semi-permanentes (sèches exceptionnellement) et temporaires (alternant régulièrement présence et absence d'eau). Ils ont été sélectionnés dans quatre régions biogéographiques différentes: alpine, méditerranéenne, continentale et atlantique. Ces plans d'eau pouvaient d'origine naturelle (glaciaire, alluviale) ou le résultat de l'activité humaine. Les plans d'eau caractérisés par un ombrage égal ou supérieur à 75% n'ont pas été inclus dans l'analyse, en raison de leur faible richesse floristique.

Le but de Frédéric Labat et de ses collègues était de comprendre la diversité floristique (macrophytes) de ces sites et ses déterminants. Voici le résumé de leurs travaux :

"Les plans d'eau peu profonds [small shallow lakes=SSL] soutiennent une biodiversité exceptionnellement élevée et originale, fournissant de nombreux services écosystémiques. Leur petite taille les rend particulièrement sensibles aux activités anthropiques, qui provoquent un passage à des états turbides dysfonctionnels et induisent une perte de services et de biodiversité. Dans cette étude, nous avons étudié les relations entre les facteurs environnementaux et les communautés macrophytes. Les macrophytes jouent un rôle crucial dans le maintien des états clairs fonctionnels. Une meilleure compréhension des facteurs déterminant la composition et la richesse des communautés végétales aquatiques dans les conditions les moins touchées peut être utile pour protéger ces lacs peu profonds. 

Nous avons inventorié les communautés de macrophytes et collecté les données chimiques, climatiques et morphologiques de 89 SSL les moins impactés et largement distribués en France. Les SSL ont été échantillonnés dans quatre écorégions climatiques, diverses géologies et altitudes. 

L'analyse des grappes hiérarchiques a montré une séparation claire de quatre assemblages de macrophytes fortement associés à la minéralisation. Les facteurs déterminants identifiés par l'analyse de redondance basée sur la distance (db-RDA) étaient, par ordre d'importance, la géologie, la distance par rapport à la source (DIS, un proxy de la connectivité avec les hydrosystèmes fluviaux), la superficie, le climat et l'hydropériode (permanence de l'eau). Étonnamment, à l'échelle nationale, le climat et l'hydropériode filtrent faiblement la composition des macrophytes. La géologie et la distance à la source sont les principaux déterminants de la composition de la communauté, tandis que la superficie détermine la richesse floristique. La distance a été identifié comme un déterminant dans les écosystèmes lentiques d'eau douce pour la première fois."

Lien entre superficie (en abscisses) et diversité (en ordonnées, indice de Shannon en haut, indice de Simpson en bas).

Discussion

Les chercheurs rappellent l'importance écologique, sociale et économique des petits plans d'eau : "Les plans d'eau peu profonds fournissent de nombreux services économiquement précieux et des avantages à long terme à la société, tels que l'approvisionnement en eau potable, l'irrigation et l'aquaculture, et ils sont souvent utilisés pour différents types de loisirs, tels que la pêche à la ligne, la navigation de plaisance et la baignade, ou sont construits pour la valeur d'agrément. Ils fournissent des habitats pour une faune et une flore aquatiques riches et distinctes et contribuent également à la préservation de la biodiversité terrestre, comme les oiseaux et les chauves-souris, en fournissant des habitats et de la nourriture. Les plans d'eau peu profonds jouent un rôle dans le traitement régional du carbone, avec enfouissement dans les sédiments et émission de gaz à effet de serre naturels, et sont utiles pour la séquestration du carbone. Ils retiennent une partie des éléments nutritifs et des contaminants des bassins versants, et influencent l'hydrologie et l'hydromorphologie des rivières."

Et ils précisent : "Malgré leur importance économique et leur valeur de conservation, les plans d'eau peu profonds sont largement négligés par la communauté scientifique. En particulier, ils restent peu étudiés dans de nombreux pays européens, dont la France, bien que la disparition des plans d'eau ait atteint 90% dans de nombreuses régions, en raison de l'intensification agricole, de l'urbanisation et, probablement, du réchauffement climatique."

Nous ne pouvons que souhaiter l'expansion de ces recherches et leur prise en compte par les décideurs, à l'heure où de nombreux plans d'eau et canaux sont menacés par des mauvais choix de gestion, voire par des politiques sous-informées de destruction et assèchement au nom de la continuité écologique.

Référence : Labat F et al (2021), Principal determinants of aquatic macrophyte communities in least-impacted small shallow lakes in France, Water, 13, 609

19/03/2021

"Notre patrimoine naturel a été dessiné par les activités humaines"

La secrétaire d'Etat à la biodiversité Bérangère Abba a reconnu que l'expérience française et européenne de la nature relève d'une longue co-existence avec l'occupation humaine des territoires. Hélas, son propos a de bonnes chances de tomber dans les oreilles de sourds quand il s'agit de l'eau et des milieux aquatiques. Car l'administration dont Bérangère Abba a la tutelle tient un discours fort différent, où le "retour à la nature" consiste ici à détruire les biotopes créés par les humains, comme les retenues, biefs ou étangs. 


Paysage avec moulin à eau, François Boucher (1703-1770)

En visite en Bourgogne, la secrétaire d'Etat à la biodversité Bérangère Abba a déclaré : "Je lance la réflexion sur la stratégie nationale de la biodiversité en partant des territoires. (…) La protection à la française, ce n'est pas du tout une mise sous cloche mais qui accepte enfin l'idée que notre patrimoine naturel a été dessiné par les activités humaines."

Nous ne pouvons que saluer cet éclair de lucidité du ministère de l'écologie. Le problème : une bonne partie de l'administration de ce ministère ne partage pas du tout la vision de la secrétaire d'Etat.

C'est le cas en particulier chez nombre de fonctionnaires en charge de la biodiversité travaillant pour la direction centrale de l'eau, les agences de l'eau, l'office pour la biodiverité ou les syndicats de rivière, ce que certains universitaires ont appelée l'hydrocratie.

La discours public de la "renaturation" diffuse une image fausse et naïve de la nature
Depuis dix ans, ces fonctionnaires déversent en effet le même discours :
  • les milieux créés par les ouvrages hydrauliques sont sans intérêt, que ce soit des retenues, des biefs, des étangs, des plans d'eau,
  • il faut "renaturer" la rivière ou la "restaurer dans son état naturel", c'est-à-dire faire disparaître tous les milieux anthropiques vus comme des anomalies,
  • ce faisant, nous pourrons attendre et conserver un "bon état écologique" de la rivière.
Ce discours laissant entendre que l'on va revenir à une nature vierge du passé par quelques actions sur les ouvrages est intenable. En effet :
  • les lits mineurs et majeurs des rivières ont été massivement modifiés depuis 6000 ans en Europe, il n'y a rien de "naturel" au sens de non modifié par l'Homme dans ces lits,
  • les transits sédimentaires et régimes hydrologiques venant du bassin versant ont été transformés par les usages des sols et de l'eau,
  • un nombre croissant d'espèces exotiques d'invertébrés, de crustacés, de mollusques, de poissons, de végétaux s'installent et circulent dans les eaux,
  • le changement climatique a déjà modifié depuis 150 ans le cycle de l'eau comme son régime thermique, et même si nous arrêtons les émissions carbone, il va continuer de le faire pendant plusieurs siècles,
  • des milliers de molécules de synthèse circulent dans les eaux, sans rapport à leur morphologie mais avec des effets sur le vivant.
Les points ci-dessus été nettement démontrés par la recherche française, européenne et internationale depuis 20 ans. Mais le logiciel de formation des agents publics de la biodiversité aquatique semble être resté coincé quelque part au 20e siècle.

Pour ce qui est des ouvrages hydrauliques :
  • la diversion et canalisation d'eau commence avec la sédentarisation néolithique,
  • les moulins apparaissent à l'ère romaine, ils se développent pendant deux mille ans,
  • la déforestation et le drainage des zones cultivables avec développement d'étang piscicoles prennent leur essor dès le haut Moyen Age pour s'intensifier au fil des siècles,
  • les canaux, écluses et ouvrages de navigation se développent à l'âge classique et moderne,
  • les ponts, digues, rehausses de berge, routes, voies ferrées et autres infrastructures civiles diffuses imposent  peu à peu des contraintes à l'écoulement, 
  • les grands barrages d'énergie, d'eau potable, d'irrigation, d'écrètement de crue et de soutien d'étiage achèvent de modifier le régime des rivières à compter du 19 e siècle. 
Dans cet ensemble, les ouvrages les plus anciens encore présents (moulins et étangs) sont ceux qui ont créé de longue date des régimes alternatifs locaux de l'eau, avec un accroissement et non une diminution des milieux aquatiques (contrairement à d'autres aménagements qui visent à réduire la présence d'eau et écouler cette eau plus vite vers l'aval).

Sortir de l'écologie à oeillères ignorant les autres enjeux et les autres disciplines
Donc quand on détruit un ouvrage de moulin pour assécher sa retenue et son bief, quand on élimine un plan d'eau, un étang ou un lac, on ne revient nullement à un état d'équilibre ou un état antérieur de la nature. On détruit un "patrimoine naturel dessiné par les activités humaines" dont parle Bérangère Abba, mais en aucun cas on ne ré-invente quelque chose comme une rivière à l'état de nature. Et on laisse tous les problèmes en place, voire on les aggrave quand l'eau vient à manquer.

Plusieurs centaines de millions d'euros sont hélas dépensés dans cette illusion naturaliste, qui se révèle négative pour de nombreux autres aspects: paysage, patrimoine, énergie, maintien d'eau en étiage, bonne entente des riverains autour des usages multiples de l'eau.

Alors certes, Bérangère Abba a de bonnes intuitions. Mais les politiques passent, les administrations restent. Et comme les politiques passent très vite au ministère de l'écologie, les administrations y ont pris la mauvaise habitude de définir toutes seules les orientations du pays. La France a besoin d'un vrai débat démocratique sur l'écologie : celle-ci n'est plus une affaire de spécialistes ou d'experts travaillant dans quelques silos disciplinaires, mais désormais une question de société appelant une vision large des enjeux et des échanges sincères avec les citoyens.

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